Paris en l’an 2000/Assurance générale

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 56-62).

§ 6.

Assurances générales.

Le Gouvernement de la République sociale ne se borne pas à assurer de bons salaires aux ouvriers qui travaillent, mais, lorsque ceux-ci manquent d’ouvrage, il vient à leur secours et leur donne le moyen d’attendre la fin du chômage.

Les chômages, si fréquents dans l’ancien régime industriel, y provenaient de ce que le travail était mal organisé et de ce que la spéculation faisait des demandes exagérées dépassant les besoins courants de la consommation. Au lieu de répartir la fabrication sur toute l’année, les patrons surmenaient les ouvriers pendant la bonne saison, ils leur faisaient faire alors des journées de douze et quinze heures, puis, une fois les commandes achevées, ils les renvoyaient et les laissaient sans pain.

Dans la République de l’an 2000, ces sortes de chômages ne se produisent jamais, parce que c’est le Gouvernement qui tient le commerce et fait les commandes, et que celles-ci sont toujours réglées et calculées de manière à occuper les fabricants pendant toute l’année. Cependant, il est certaines causes de manque de travail que rien ne peut prévenir, tels sont, par exemple, les mauvaises récoltes, les crises commerciales à l’étranger, les changements de mode, les inventions de nouvelles machines, etc. Dans toutes ces circonstances, l’Administration arrive immédiatement au secours des ouvriers mis à pied, et elle leur donne ainsi le temps d’attendre la reprise des affaires ou de trouver de l’ouvrage dans quelque autre branche de l’industrie.

D’autres fois, les artisans sont forcés d’interrompre leur travail par suite de maladies, d’infirmités précoces ou de blessures contractées dans l’exercice de leur profession. Dans ce cas l’État s’empresse encore de venir à leur aide. Il leur alloue un secours pour toute la durée de la maladie, ou une pension pour le reste de leur vie s’ils demeurent infirmes et ne peuvent reprendre leurs occupations.

Enfin, quand les travailleurs deviennent vieux et atteignent l’âge de soixante ou soixante-cinq ans, ils sont mis à la retraite et reçoivent encore une pension qui leur permet de finir leurs jours dans l’oisiveté.

Ces secours de diverses natures sont accordés à tous les Français sans exception et aussi bien aux travailleurs libres qu’aux employés du Gouvernement. On les proportionne au revenu de l’individu secouru, et comme ce revenu paye lui-même un impôt proportionnel, ils sont, non une aumône, mais une restitution de l’État, qui rend au malade, à l’infirme et au vieillard les sommes qu’il a reçues du citoyen jeune et valide. Sans doute les personnes maladives, ou frappées d’infirmités précoces, prennent sur le produit de cet impôt une part bien plus large que ne le font les autres. Mais c’est là un triste privilège qui n’est guère enviable, car il est acheté trop chèrement par la perte de la santé ou une mort prématurée.

Du reste, tous les secours alloués aux individus incapables de travailler sont très-suffisants, et il ne tiendrait qu’à la Nation de les accroître encore en augmentant l’impôt sur le revenu. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, tout ouvrier malade reçoit assez pour se faire traiter à domicile par un médecin de son choix, et n’a jamais besoin d’aller à l’hospice, comme cela était nécessaire sous l’ancien régime.

On a donc pu supprimer ces tristes hôpitaux qui établissaient une distinction injurieuse entre le riche et le pauvre, et livraient celui-ci aux essais des médecins et à l’inexpérience d’étudiants faisant leur éducation médicale sur la vile multitude, chair à scalpel sacrifiée à la santé des classes plus aisées.

On a aboli de même ces hospices pour la vieillesse, où les vieillards avaient tant de peine à se faire admettre, et où ils menaient une vie misérable loin de leurs amis et de leurs enfants. Dans la République sociale de semblables turpitudes ne sont pas tolérées et plutôt que de permettre leur rétablissement, les hommes qui ont le Pouvoir aimeraient mieux augmenter l’impôt sur le revenu et réduire le maximum des fortunes particulières à 10,000 fr. ou même à 8,000 fr.

D’ailleurs, en restant au milieu de la Société, les vieillards retraités n’y sont pas tout à fait inutiles. Ils continuent à se rendre dans les ateliers et les magasins, où ils font quelque petite besogne et donnent des conseils aux jeunes gens. Beaucoup d’entre eux occupent aussi des emplois extrêmement doux, tels que ceux de gardiens des rues-galeries, de conservateurs et de démonstrateurs des collections publiques, de donneurs de renseignements dans les bureaux, etc. Dans cette Société bien organisée chacun trouve une occupation utile proportionnée à son intelligence et à ses forces, et, sauf les mourants et les fous dangereux, il n’est personne dont on ne sache employer le temps et utiliser les facultés.

Certains accidents peuvent frapper, non les citoyens eux-mêmes, mais les biens qu’ils possèdent, tels sont les incendies, les inondations, la grêle, les mauvaises récoltes, les épizooties, etc.

Le Gouvernement aide les victimes de ces sinistres et leur donne le moyen de réparer le malheur qui est venu les frapper injustement. Grâce à ces secours de l’État, les anciennes Compagnies d’assurances sont devenues inutiles, aussi les a-t-on supprimées en remboursant les actionnaires avec des rentes viagères limitées comme toujours au maximum de 12,000 fr.

La plupart des Parisiens de l’an 2000 sont excessivement dépensiers. Bien loin de songer à faire la moindre économie, ils disposent d’avance de leurs salaires et de leurs appointements, vivant la moitié du temps à crédit chez leurs fournisseurs et n’ayant jamais un sou dans leur poche. Cependant quelques citoyens font exception et ne dépensent qu’une partie de leurs gains. Les uns, industrieux et intelligents, emploient leurs épargnes à acheter des matières premières et des outils ; ils s’établissent, ou, s’ils le sont déjà, ils augmentent l’importance de leurs affaires et accroissent ainsi le montant de leurs revenus annuels.

D’autres, moins ambitieux ou plus timides, préfèrent garder leur argent et le confier à l’État, qui leur en sert des rentes viagères. Celles-ci peuvent être constituées, soit sur la tête de celui qui verse les fonds, soit sur celle de toute autre personne, d’un enfant, d’une femme, d’un ami, etc. Elles peuvent même, si on le désire, être réversibles, et, par exemple, appartenir à la mère, puis celle-ci morte, aux enfants. Ces sortes de rentes sont une façon extrêmement commode et sûre de placer sa fortune, car le Gouvernement ne peut manquer à ses engagements comme le ferait un particulier, et de plus il est toujours prêt à liquider le capital qu’on lui a déposé.

Remarquons-le ici : les rentes viagères de la République sociale diffèrent essentiellement des rentes perpétuelles créées par les anciens régimes. Ces dernières rapportaient un intérêt chaque année sans que le capital subît aucune diminution, et cela indéfiniment, de façon que les titulaires et leurs enfants restaient toujours riches, sans avoir besoin de travailler et vivaient dans l’oisiveté et dans les vices qu’elle engendre. Il en était résulté une classe de rentiers qui se croyaient les personnages les plus importants et les plus estimables du pays, parce qu’ils avaient le moyen de vivre sans rien faire.

Les Socialistes mirent un terme à ce désordre insupportable. Ils supprimèrent les rentes perpétuelles et les transformèrent en rentes viagères soumises comme de juste à l’impôt sur le revenu, opération financière que le Gouvernement faisait toujours avec plaisir, car elle avait le double avantage d’enrichir l’État et d’appauvrir des oisifs inutiles et insolents.