Paris en l’an 2000/Baptême

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 153-157).

CHAPITRE VI

RELIGION ET MŒURS.


§ 1er.

Baptême.

Les Français de l’an 2000 professent la plus grande tolérance religieuse, et chez eux, chacun est libre de suivre le culte qui lui plaît, ou même de n’en adopter aucun s’il trouve cela plus commode. Cependant, l’immense majorité des citoyens pratique la religion dite socialiste ou civile, religion qui est celle de l’État et qui est professée officiellement par les membres du Gouvernement.

Cette religion socialiste est du reste extrêmement simple. Elle consiste uniquement à entourer de pompe et de tout l’appareil de la puissance publique, les quatre grandes circonstances de la vie : la Naissance, la Majorité, le Mariage et la Mort.


Baptême socialiste. — Aussitôt qu’un enfant vient au monde, les parents doivent avertir l’officier de l’état civil et faire dresser l’acte de naissance du nouveau-né. Cette formalité est obligatoire pour tous les citoyens, quelle que soit la religion qu’ils pratiquent. Mais, les Socialistes ne font qu’une déclaration de naissance provisoire, et ils réservent la déclaration officielle pour un peu plus tard, quand la mère rétablie pourra assister à la cérémonie, que l’enfant aura été vacciné et qu’il sera assez robuste pour pouvoir être transporté sans inconvénient. C’est habituellement à l’âge de 6 mois qu’a lieu cette présentation officielle qui, dans le langage usuel, a reçu le nom de baptême socialiste, bien qu’on n’y pratique aucune ablution.

Le jour choisi pour la solennité, les parents du nouveau-né convoquent leur famille, leurs amis et leurs connaissances, puis, vêtus de leurs plus beaux habits, ils prennent le chemin de fer métropolitain et se rendent en cortège au Temple socialiste. Ce Temple, on s’en souvient, est situé dans la Cité, au centre du Palais international. Sur ses bas-côtés, à gauche en entrant, se trouvent un certain nombre de vastes chapelles consacrées exclusivement aux baptêmes des jeunes Socialistes et ornées, en conséquence, de peintures et de statues rappelant les principales scènes de la maternité et de l’enfance.

Aussitôt que les parents et les amis de l’enfant se sont placés dans la chapelle qui leur est assignée, arrive un second cortège composé des magistrats chargés de présider au baptême, magistrats qui sont délégués par le Secrétaire de la République et occupent le premier rang dans l’État. Ce nouveau cortège s’installe dans le chœur de la chapelle et la cérémonie commence.

D’abord les parents portant le nouveau-né et assistés de quatre témoins s’avancent. Ils présentent l’enfant, déclarent son sexe, indiquent le jour et l’heure de sa naissance et les noms qu’ils veulent lui donner.

Une fois la déclaration de naissance terminée, les parents et leurs témoins viennent tour à tour promettre solennellement d’élever le nouveau-né dans les principes du Socialisme, de ne jamais lui faire faire aucun exercice appartenant à un autre culte, de ne lui apprendre aucune prière, aucun catéchisme, et de ne le laisser assister à aucune cérémonie des autres religions à moins que ce ne soit à titre de spectacle. Cette promesse est inscrite sur les registres du Temple puis signée par les assistants, et elle est toujours fidèlement tenue par les parents qui seraient déshonorés s’ils manquaient à un engagement aussi solennel.

Aussitôt après la prestation du serment, un des magistrats monte à la tribune et fait un discours approprié à la circonstance. Il parle sur les soins et l’affection qu’on doit aux enfants, sur les noms donnés au nouveau-né, sur la vie des personnages célèbres qui ont porté ces mêmes noms, sur la beauté de la religion socialiste et son immense supériorité, quand on la compare aux autres cultes, etc. Cette harangue dure assez longtemps, et, comme elle est toujours faite par d’excellents orateurs, beaucoup de personnes étrangères viennent assister aux baptêmes socialistes par simple curiosité et sans connaître la famille du baptisé.

Quand l’orateur a terminé son discours, un autre magistrat, celui-là même qui préside à la solennité, prend à son tour la parole. Au nom de la nation tout entière, il adopte le nouveau-né, le reconnaît pour Socialiste, et promet de veiller soigneusement à sa vie, à son éducation et à son avenir. En même temps, il remet aux parents une petite médaille d’or, où se trouvent gravés les noms de l’enfant et la date de sa naissance. Cette médaille est aussitôt attachée autour du cou du jeune Socialiste, et celui-ci ne la quitte plus jusqu’à l’âge de sa majorité.

La remise de cette médaille termine la cérémonie ; les magistrats se retirent en défilant, le cortège de l’enfant revient au domicile des parents, et la journée s’achève par un gai repas, où l’on fête la bienvenue du nouveau baptisé, en buvant à sa santé.