Paris en l’an 2000/Calendrier, Congés et Fêtes nationales

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 178-186).

§ 6.

Calendrier. — Congés et Fêtes nationales.

Les Français de l’an 2000 ont renoncé au calendrier catholique et l’ont remplacé par un autre dit « Républicain, » beaucoup plus scientifique et plus commode.

Dans ce calendrier, l’année commence à l’équinoxe d’automne. Elle est divisée en douze mois égaux de trente jours chacun et dont les noms sont en rapport avec la saison, ce sont :

Trois mois d’automne : Vendémiaire, M. des vendanges ; Brumaire, M. des brumes ; Frimaire, M. des frimas ;

Trois mois d’hiver : Nivôse, M. des neiges ; Pluviôse, M. des pluies ; Ventôse, M. des vents ;

Trois mois de printemps : Germinal, M. de la germination ; Floréal, M. des fleurs ; Prairial, M. des prairies ;

Enfin, trois mois d’été : Messidor, M. des moissons ; Thermidor, M. des chaleurs, et Fructidor, M. des fruits.

À la fin de Fructidor, on a intercalé cinq jours, dits complémentaires, qui ne font partie d’aucun mois et servent à compléter les 365 jours de l’année solaire.

Chaque mois est divisé en trois décades de dix jours et chacun de ceux-ci porte un nom en rapport avec son numéro d’ordre. Ainsi, le 1er s’appelle Primidi ; le 2e, Duodi ; le 3e, Tridi ; le 4e, Quartidi ; le 5e, Quintidi ; le 6e Sextidi ; le 7e, Septidi ; le 8e, Octidi ; le 9e, Nonidi, et le 10e, Décadi.

Chaque jour commence à minuit et est partagé en deux séries de dix heures, partant l’une de minuit et l’autre de midi. Chaque heure est divisée en 100 minutes ou 50 doubles minutes et chaque minute en 100 secondes. Toutes les pendules et les montres du pays indiquent l’heure d’après ce nouveau système qui, d’ailleurs, était déjà adopté depuis longtemps pour les calculs astronomiques.

Naturellement, les jours de l’année républicaine ne sont plus dédiés aux Saints de l’Église catholique, mais on les a consacrés aux Bienfaiteurs de l’humanité. On a recherché soigneusement la date de la naissance de tous les hommes qui, d’une manière ou d’une autre, ont rendu service à la civilisation et leurs noms ont été inscrits, à cette même date, dans le nouveau calendrier.

Quant aux grands hommes, dont on ignorait l’anniversaire, on les a répartis sur toute l’année, de manière que chaque jour se trouve dédié à un nombre de personnages à peu près égal. Lorsque les Socialistes baptisent leurs enfants, ils leur donnent habituellement un des noms inscrits au jour de la naissance de façon que tous les citoyens portent le nom de quelque bienfaiteur de l’humanité et ont dans leur patron un excellent modèle à imiter.


Le Décadi est le jour officiellement consacré au repos. Ce jour-là, le Gouvernement donne congé à ses employés et à ses ouvriers, et les particuliers, suivant cet exemple, se reposent également. Mais rien ne les y oblige, et celui qui veut travailler le Décadi est parfaitement libre de le faire.

Dans certaines administrations, où le service ne peut être interrompu, telles que les chemins de fer, les messageries, la poste, etc., il n’y a pas de congé général donné le Décadi ; mais, chaque jour de la Décade, on laisse reposer une partie des employés, et leur service est fait par une brigade de surnuméraires.

Dans les magasins de détail, où le public a besoin d’acheter tous les jours, on procède autrement. Ces magasins ne ferment qu’un Décadi sur deux, et, chacun à leur tour, ils restent ouverts l’autre Décadi.

Enfin, certains établissements, les théâtres, les cafés, les restaurants font leurs meilleures recettes le Décadi. Naturellement, jamais ils ne ferment ces jours-là, et, quand leurs employés désirent un congé, ils se font remplacer par des surnuméraires.

Tous les Quintidis, le Gouvernement accorde un demi-congé à ses employés et ferme à midi les administrations publiques dont les services ne sont pas indispensables. Les particuliers choisissent également ce même jour pour se donner quelque repos, de façon que la ville prend alors un air de fête presque aussi prononcé que le Décadi.


Voici comment les Socialistes emploient leurs jours de congé.

S’il fait mauvais temps, on va faire un tour dans les rues-salons ou visiter quelque Exposition, et les femmes profitent de cette circonstance pour mettre leurs plus belles toilettes et rivaliser d’élégance. À ce propos, disons quelques mots du costume des Républicains de l’an 2000.

Les hommes sont tous uniformément vêtus de couleurs sombres et d’étoffes également fines, aussi, est-il impossible de deviner, à leurs habits, la situation sociale des promeneurs. Cependant, comme beaucoup d’employés tiennent absolument à faire savoir au public ce qu’ils sont, ils mettent une casquette réglementaire indiquant l’administration à laquelle ils appartiennent et le grade qu’ils y occupent. Mais cette casquette d’uniforme n’est nullement obligatoire, et ceux qui la portent le font de leur plein gré.

Du reste, il n’y a dans toute la République aucun costume officiel, aucun uniforme ; les magistrats les plus élevés en rang, les ministres, les juges sont vêtus comme tout le monde et cherchent à imposer le respect par leur mérite personnel et non par leur accoutrement.

Les femmes sont beaucoup moins libres que les hommes et elles sont soumises à une loi despotique qui règle jusque dans les moindres détails la coupe, la couleur et l’étoffe de leurs vêtements, la forme de leurs chapeaux, la disposition de leur coiffure et jusqu’à la nuance de leurs cheveux. Cette loi tyrannique qu’aucune femme, si indépendante qu’elle soit, n’ose enfreindre, c’est la mode.

Il est assez difficile de définir la mode, essayons-le cependant.

Je suppose qu’on ait trouvé pour un vêtement quelconque, un modèle réunissant à la fois toutes les conditions de commodité, de bon marché et de bon goût. Tout autre peuple le conserverait précieusement et s’en servirait toujours. Mais les Parisiens ne pensent pas ainsi, et, dès qu’ils ont bien constaté qu’un modèle est parfait sous tous les rapports, immédiatement ils le changent et le remplacent par un autre qui est laid, incommode et coûteux. On se fatigue bien vite de cette nouvelle invention, et on en crée une autre qui ne vaut pas mieux, puis une troisième qui est encore pis, et ainsi de suite indéfiniment, la soif du nouveau étant telle, qu’il faut en trouver à tout prix, dût-il être abominable.

C’est cette fureur du changement qui constitue la Mode. Celle-ci règne despotiquement sur les femmes de Paris, qui sont ses très-humbles et très-obéissantes esclaves. Aussi est-il facile de décrire en un seul mot le costume des Parisiennes de l’an 2000. Elles sont toujours rigoureusement mises à la dernière mode.

Mais revenons à l’emploi que les citoyens font de leurs jours de congé.

Quand il fait beau, on se promène sur les boulevards, aux Champs-Élysées, au bois de Boulogne, ou encore, pendant l’été, on va à la campagne. Les Parisiens l’adorent, non pour y vivre, mais pour y passer quelques heures seulement, et voir quelque chose qui les change de la ville. Tous les décadis, lorsque le temps le permet, la population se précipite vers les chemins de fer, et va passer la journée dans les campagnes et les forêts des environs.

Pour ceux qui ont un congé de quelques jours, il y a des excursions plus lointaines, des trains de plaisir pour aller voir la mer, les villes d’eaux, la Suisse, les Alpes, les Pyrénées, etc. Ces trains de plaisir sont faits à prix réduits, et le Gouvernement qui tient les hôtels où descendent les voyageurs, n’écorche pas ceux-ci et ne leur prend pas plus cher qu’ailleurs.

Ces excursions au loin sont fort goûtées des habitants de Paris, et beaucoup font des économies toute l’année pour s’offrir à leurs vacances un petit voyage en France ou à l’étranger. Le désir de tout voir, de tout connaître, est la passion dominante du Parisien, et, bien qu’il sache parfaitement que sa chère capitale est l’endroit le plus plaisant du monde, il la quitte avec joie ne fût-ce que pour la trouver plus belle lorsqu’il y sera revenu.


Outre les congés du Décadi, il y a dans la République de l’an 2000 plusieurs fêtes nationales où le Gouvernement donne la liberté à ses employés, et où toute la population cesse de travailler.

D’abord, c’est l’anniversaire de la fondation de la République sociale, anniversaire qu’on célèbre par des hymnes patriotiques, des spectacles de circonstance, des régates, des courses de vélocipèdes, des illuminations, des feux d’artifice, etc.

C’est ensuite une autre solennité d’un caractère tout différent, la fête des Morts. Ce jour là, une foule recueillie se rend dans les cimetières, apportant des fleurs et des pieux souvenirs à ceux qui ne sont plus.

Mais la grande fête nationale de la République est celle des cinq jours complémentaires. Pendant toute leur durée, on renonce à tout travail qui n’est point indispensable, et on ne songe absolument qu’à se divertir. C’est l’époque que les Parisiens ont choisie pour leur carnaval, et, bien que celui-ci ne soit que de cinq jours, il s’y commet autant de folies que s’il durait l’année entière.

Cependant, tandis que la jeunesse s’amuse à se déguiser, le Gouvernement s’occupe de choses plus sérieuses. Dans des séances solennelles, il rend compte des affaires de la République pendant l’année qui vient de s’écouler, et on lit des rapports sur la situation intérieure et extérieure du pays, sur les actes de l’Administration, sur les progrès de l’Industrie et de l’Agriculture, sur les travaux des artistes et des écrivains, etc.

Le dernier des jours complémentaires est consacré à la distribution des récompenses nationales. C’est la plus grande fête de l’année, et on la célèbre avec des réjouissances publiques d’une magnificence inouïe, et auxquelles la mascarade des citoyens communique une animation extraordinaire. Tout ce qui est jeune et gai se déguise ou se costume ; sur toutes les promenades, ce ne sont que chars encombrés de masques, que cortèges splendides ou burlesques représentant emblématiquement les travaux des diverses industries, ou parodiant les événements de l’année et amusant la foule par leurs lazzis.

Le soir, le Gouvernement donne un grand bal masqué dans les salons du Palais international ; en même temps, dans tous les théâtres, dans toutes les salles de danse, et jusque sur les places publiques, il s’organise d’autres bals costumés qui pour n’être pas officiels n’en sont que plus gais et où les mascarades des cortèges viennent continuer leurs amusements de la journée. À minuit, une salve de coups de canon annonce la fin de l’année, les danseurs font trêve un instant à leurs ébats, on crie : Vive la République sociale, les orchestres jouent la Marseillaise, la foule recueillie entonne l’hymne national, puis on inaugure gaîment la nouvelle année en dansant et en faisant mille folies jusqu’au lendemain.