Paris en l’an 2000/Habitations

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 75-79).

§ 4.

Habitations.

Dans les campagnes, chaque cultivateur a sa maison à lui, et, quand un nouveau citoyen vient s’établir dans une localité, la Banque nationale lui prête volontiers de l’argent pour acheter une habitation ou en construire s’il n’y en a pas de vacante.

Dans les villes, presque personne n’est propriétaire de son logement, et c’est l’État qui possède toutes les maisons et les loue aux particuliers.

Ces maisons sont distribuées en chambres indépendantes les unes des autres, mais pouvant toutes communiquer ensemble à l’aide de portes intérieures, et, suivant qu’on désire avoir un appartement plus ou moins grand, on loue autant de pièces contiguës qu’il en est besoin.

Le prix des locations est toujours très-modéré, surtout dans les quartiers éloignés, l’on peut se loger fort convenablement pour 50 ou 60 francs par an. Dans le centre de la ville et dans les rues fréquentées, les loyers sont, il est vrai, notablement plus élevés à cause de la concurrence que les habitants se font entre eux, mais aussi les maisons sont beaucoup plus fastueuses et les chambres plus richement décorées.

Du reste, le Gouvernement n’emploie aucune manœuvre pour accroître le montant de ses loyers. Jamais il ne s’avise de vouloir augmenter ses locataires, en menaçant de donner congé à ceux qui refusent de payer plus cher. Quand un logement est vacant, les employés de la Ville le mettent en location, par une sorte d’enchère, puis l’adjugent au plus offrant, et celui-ci, une fois installé, reste tranquillement en possession de son nouveau domicile tant qu’il ne demande par lui-même à déménager.

Comme l’Administration construit constamment des maisons-modèles et met chaque jour de nouveaux appartements à la disposition du public, la concurrence que les Parisiens se font entre eux, n’est pas bien âpre, et, sauf dans les beaux quartiers, les logements restent à très-bas prix. Cependant, malgré ce bon marché, la construction des maisons-modèles est si économique que l’État, non-seulement couvre tous ses frais, mais fait encore chaque année de gros bénéfices qui constituent une importante ressource pour le Trésor.

À part le payement de ses loyers, la Ville n’impose aucune obligation, aucun règlement à ses locataires. Pourvu que ceux-ci ne détériorent pas l’immeuble et n’incommodent pas leurs voisins, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, entrer et sortir à toute heure de la nuit, recevoir qui leur plaît, avoir des enfants ou des animaux avec eux. Jamais le régisseur d’une maison n’est le premier à se plaindre de quoique ce soit et, si parfois il fait une observation à quelqu’un, c’est toujours à la demande des autres habitants.

Grâce à cette entière liberté laissée aux citoyens, rien n’est aussi varié et plus mélangé que la population des maisons-modèles. Toutes les conditions, tous les états, toutes les fortunes, tous les rangs, tous les genres de vie se trouvent confondus pêle-mêle, porte à porte et vivent en paix abrités sous le même toit. Du moment que vous ne nuisez pas aux voisins, personne n’a d’observation à faire sur votre compte. Il n’y a plus comme autrefois, des habitations de plusieurs catégories où se trouvaient parquées les diverses classes de la société, des hôtels de maître, des maisons bien, d’autres moins bien et d’autres tout à fait mauvaises. Mais, il n’existe partout que des maisons du Gouvernement habitées par des citoyens qui tous exercent une profession quelconque et sont soumis à la sainte égalité du travail.

Chose remarquable, le résultat de cette liberté absolue a été de grouper tout naturellement les habitants d’après leur manière de vivre. Ainsi, sans qu’on ait rien fait pour atteindre ce but, il y a des rues qui ne sont habitées que par des gens tranquilles, mariés et où tout le monde est couché à 9 heures. D’autres maisons sont au contraire vouées au célibat, au plaisir, au bruit, et souvent on y passe les nuits à chanter et à boire sans que les voisins osent s’en plaindre, car chacun d’eux à son tour se rend coupable du même délit.

Il est rare que les Parisiens exercent leur profession dans le logement où ils demeurent. La plupart, même ceux qui ont un état propre, préfèrent aller dans un atelier, où ils sont toujours plus commodément installés et travaillent en commun, ce qui est à la fois plus gai et plus économique. Beaucoup aussi ne font pas la cuisine et ne mangent pas chez eux, et leurs chambres, uniquement destinées à les coucher et à leur servir de retraite, sont meublées non-seulement avec beaucoup de confortable, mais encore avec un véritable luxe.

Rien n’est fréquent comme de voir de simples ouvriers habiter des appartements garnis de tentures de soie ou de velours, de tableaux et d’objets d’art. Grâce au développement prodigieux de l’industrie, tout ce bel ameublement coûte relativement bon marché, et, avec un peu d’économie, il est facile de se le procurer.

Or les Républicaines de l’an 2000 tiennent énormément à ce luxe d’intérieur. C’est après la toilette leur dépense favorite, et, comme ce sont elles généralement qui gardent la bourse de leurs maris et règlent les dépenses du ménage, il est rare qu’elles n’arrivent pas à leurs fins et ne se fassent pas loger et habiller comme des princesses.