Paris en l’an 2000/Salaires

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 46-50).

§ 4.

Salaires.

Toute l’organisation du travail peut se résumer en une seule question, celle des salaires. Les Socialistes le savaient parfaitement, aussi dès qu’ils furent au pouvoir, s’empressèrent-ils de promulguer une loi qui fixait les salaires de toute la population et donnait au plus pauvre la certitude de vivre honorablement du produit de son travail.

Voici quelles sont les principales dispositions de cette loi :

Tous les employés du Gouvernement, et ils sont fort nombreux dans la République de l’an 2000, sont payés par l’État avec l’argent provenant de l’impôt. Leur traitement varie de 2,400 fr. à 12,000 fr. par an. Les uns ont des appointements fixes qu’ils touchent tous les mois. Les autres, particulièrement les ouvriers, sont payés à la journée qui varie de 8 à 40 fr. et reçoivent ce qui leur revient tous les dix jours. Enfin quand cela se peut, le travail est fait aux pièces d’après des tarifs calculés de façon à ce que le gain de tout un jour ne soit pas supérieur à 40 fr. ou inférieur à 8.

Naturellement les travailleurs sont payés d’autant plus cher qu’ils sont plus habiles dans leur partie, qu’ils soignent mieux leur ouvrage ou qu’ils abattent plus de besogne dans un temps donné. C’est précisément pour rendre plus facile cette estimation du mérite de chacun que l’on préfère toujours mettre les ouvriers à leurs pièces et les rémunérer d’après ce qu’ils ont fait et non d’après le temps qu’ils ont employé. Du reste, toutes les fois qu’il survient la moindre contestation sur les tarifs de tel ou tel genre de travail, le Gouvernement soumet la question à un comité composé de gens du métier et s’en remet pleinement à leur décision qui est toujours conforme à la justice et parfaitement motivée.

Les ouvriers et les employés de l’État se trouvent soumis à des contre-maîtres, des sous-chefs, des chefs et des directeurs qui sont d’autant plus payés qu’ils ont sous leurs ordres un personnel plus nombreux, sans pourtant que leurs appointements puissent jamais dépasser le chiffre maximum de 12,000 fr. C’est le Gouvernement qui nomme ces employés destinés à commander aux autres, et il a soin de choisir, non les travailleurs les plus habiles, mais ceux qui savent en même temps se faire obéir de leurs camarades et s’en faire aimer.

Comme ces sortes de natures sont peu communes et qu’il n’y en a pas assez pour remplir toutes les places de contre-maître et de chef, bon nombre de ces emplois sont donnés à l’ancienneté, c’est-à-dire à des individus dont le seul mérite est d’être plus âgés que les autres et d’avoir plus d’expérience. La vieillesse, en effet, inspire toujours un certain respect en même temps qu’elle porte à l’indulgence et rend le commandement moins dur. Aussi tous les chefs nommés à l’ancienneté sont-ils généralement aimés quoiqu’on les traite tout bas de « ganaches » et qu’on ne se conforme pas toujours bien scrupuleusement à leurs ordres.

Dans tous les magasins de l’État, les employés à la vente sont payés d’une façon particulière en rapport avec leur profession. Ils ne reçoivent pas d’appointements fixes, mais ils gagnent tant pour cent sur les objets qu’ils ont vendus, de sorte qu’ils sont directement intéressés à faire écouler rapidement les marchandises placées entre leurs mains. Ceux des commis qui manquent la vente et ne parviennent pas à gagner un traitement suffisant, sont invités à quitter une carrière pour laquelle ils ne sont pas faits et à chercher un autre métier. Quant aux vendeurs très-habiles qui réussissent à se faire des appointements dépassant 12,000 fr., l’impôt sur le revenu fonctionne pour eux comme pour tous les autres citoyens, et met une limite infranchissable aux gains qu’ils peuvent se procurer.

Les employés du commerce ont également des sous-chefs, des chefs et des directeurs nommés par le Gouvernement. Mais ici le choix est facile et il y a un guide sûr pour apprécier le mérite des candidats. Ce guide, c’est le chiffre même de leurs appointements ; expression fidèle du talent qu’ils déployent dans la vente. Tous les fonctionnaires qui dirigent les magasins de l’État sont donc forcément des individus très-actifs, très-intelligents, très-entendus aux affaires et l’on peut leur confier sans crainte les postes importants qu’ils occupent.

Ce sont ces directeurs des établissements de commerce qui commandent à l’industrie particulière ou aux fabriques de l’État toutes les marchandises destinées à la consommation. Or, si ces commandes étaient faites par des personnes incapables et si, au lieu de se vendre, elles restaient en solde et devaient être écoulées à vil prix, il en résulterait pour l’Administration un dommage considérable. Sans doute le directeur inintelligent, qui se serait rendu coupable d’une semblable faute, ne la recommencerait pas, car il serait immédiatement destitué. Mais, grâce à la manière dont sont choisis les chefs des maisons de commerce, ces sortes de mécompte sont impossibles, et, si parfois certains objets commandés se vendent mal et donnent de la perte, cela est amplement compensé par les bénéfices faits sur tous les autres articles.