Paula Monti/I/III

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Paula Monti ou l’Hôtel Lambert
Paulin (Tome 1p. 22-25).
Première partie


CHAPITRE III

LE DOMINO


M. Léon de Morville (l’un des deux dominos qui venaient d’entrer dans ce salon) se démasqua.

Les louanges que l’on avait données à sa figure n’étaient pas exagérées ; son visage, d’une pureté de lignes idéale, réalisait presque le divin type de l’Antinoüs, encore poétisé, si cela se peut dire, par une charmante expression de mélancolie, expression complètement étrangère à la beauté païenne. De longs cheveux noirs et bouclés encadraient cette noble et gracieuse physionomie.

Très romanesque en amour, M. de Morville avait pour les femmes un culte religieux qui prenait sa source dans la vénération passionnée qu’il ressentait pour sa mère.

D’une bonté, d’une mansuétude adorables, on citait de lui mille traits de délicatesse et de dévouement. Lorsqu’il paraissait, les femmes n’avaient de regards, de sourires, de prévenances que pour lui ; il savait répondre à cette bienveillance générale avec tant de tact et de spirituelle modestie, qu’il ne blessait aucun amour-propre ; sans sa fidélité romanesque pour une femme qu’il avait éperdument aimée, et dont il ne s’était séparé que par la force des circonstances, il aurait eu les plus nombreux, les plus brillants succès.

M. de Morville était surtout doué d’un grand charme de manières ; son affabilité naturelle lui inspirait toujours des paroles aimables ou flatteuses ; la douce égalité de son caractère n’était même jamais altérée par les déceptions qui devaient blesser de temps à autre cette âme délicate et sensible.

Peut-être son caractère manquait-il un peu de virilité ; loin d’être hardiment agressif à ce qui était misérable et injuste, loin de rendre le mal pour le mal, loin de punir les perfidies que sa générosité encourageait souvent, M. de Morville avait une telle horreur ou plutôt un tel dégoût des laideurs humaines, qu’il détournait ses yeux des coupables au lieu de s’en venger.

Au lieu d’écraser un immonde reptile, il aurait cherché du regard quelque fleur parfumée, quelque nid de blanche tourterelle, quelque horizon riant et pur, pour reposer, pour consoler sa vue.

Ce système de commisération infinie vous expose souvent à être de nouveau mordu par le reptile, alors que vous regardez au ciel pour ne pas le voir ; les meilleures choses ont leurs inconvénients.

De ceci il ne faudrait pas conclure que M. de Morville fût sans courage. Il avait trop d’honneur, trop de loyauté, pour n’être pas très brave, ses épreuves étaient faites : mais, sauf les griefs qu’un homme ne pardonne jamais, il se montrait d’une clémence tellement inépuisable que, s’il n’eût pas douloureusement ressenti certains torts, cette clémence eût passé pour de l’indifférence ou du dédain.

Ce crayon du caractère de M. de Morville était nécessaire pour l’intelligence de la scène qui va suivre.

Nous l’avons dit, une fois entré dans le salon qui précédait la loge, M. de Morville s’était démasqué ; il attendait avec peut-être plus d’inquiétude que de plaisir l’issue de cette mystérieuse entrevue.

La femme qu’il avait accompagnée était masquée avec un soin extrême ; son capuchon rabattu empêchait absolument de voir ses cheveux, son domino très ample déguisait sa taille ; des gants, des souliers très larges empêchaient enfin de reconnaître les mains et les pieds, indices si certains, si révélateurs.

Cette femme semblait émue ; plusieurs fois elle voulut parler, les mots expirèrent sur ses lèvres.

M. de Morville rompit le premier le silence, et lui dit :

— J’ai reçu, madame, la lettre que vous avez bien voulu m’écrire, en me priant de me rendre ici masqué, avec un signe et des mots de reconnaissance ; votre lettre m’a paru si sérieuse que, malgré les inquiétudes que m’inspire l’état de ma mère, je me suis rendu à vos ordres…

M. de Morville ne put continuer.

D’une main tremblante d’émotion, le domino se démasqua violemment.

— Madame de Hansfeld ! — s’écria M. de Morville, frappé de stupeur.

C’était la princesse.