Pausanias, Elide-1, chapitre V

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Traduction par M. Clavier.
J.-M. Eberhart (3p. 40-45).

CHAPITRE V


Tyrannie d'Aristotimus. Triphylie. Léprée, ville. Anigrus, fleuve.

DANS la suite des temps, Aristotimus, fils de Damarétus, fils d'Étymon, protégé dans son entreprise par Antigone, fils de Démétrius, roi de Macédoine, s'empara du pouvoir suprême dans l'Élide. Il fut renversé au bout de six mois par Chilon, Hellanicus, Lampis et Cylon, qui avaient conspiré contre lui ; et Cylon le tua même de sa propre main sur l'autel de Jupiter-Sauveur où il s'était réfugié. Voilà tout ce que j'ai à dire des guerres que les Éléens ont eu à soutenir, sans entrer dans de plus longs détails que le temps ne me permet pas.

Le Byssus est une des singularités de l'Élide, il ne se trouve en effet nulle autre part dans la Grèce ; une autre singularité, c'est que les juments qu'on fait saillir par des ânes dans le pays n'engendrent point ; il faut qu'elles soient couvertes hors des frontières : on dit que leur stérilité est l'effet de quelque imprécation. Quant au Bissus, celui de l'Élide ne le cède en rien pour la finesse à celui du pays des Hébreux, il est seulement un peu moins jaune.

Au sortir de l'Élide, sur les bords de la mer est un endroit nommé Samicum; un peu au-dessus, à droite, est la Triphylie, où se trouve la ville de Léprée. Les Lépréates se disent Arcadiens ; mais il paraît qu'ils ont toujours été soumis aux Éléens, car ceux d'entre eux qui ont remporté des prix à Olympie, se faisaient proclamer par les hérauts Éléens de la ville de Léprée, et Aristophanes parle de Léprée comme d'une ville Éléenne. Il y a un chemin de Samicum à Léprée, en laissant le fleuve Anigrus à gauche; deux autres chemins vous conduisent, l'un d'Olympie, l'autre d'Élis, à Léprée. Le plus long des trois n'est que d'une journée de marche.

On dit que cette ville a pris le nom de son fondateur, Lépréus, fils de Pyrgéus. Lépréus, à ce qu'on raconte, fit une gageure avec Hercules, qu'il mangerait autant et aussi vite que lui. Chacun d'eux ayant en même temps égorgé et apprêté un bœuf, Lépréus, ainsi qu'il l'avait annoncé, ne fut pas moins expéditif qu'Hercules à manger le sien. Il eut ensuite la témérité de s'armer et de défier ce héros au combat : il succomba, dit-on, et fut enterré dans le pays des Phigaliens, qui pourtant ne savent pas où est son tombeau.

D'autres attribuent la fondation de cette ville à Lépréa, fille de Pyrgéus. Enfin, suivant une troisième tradition, les premiers habitants de cette ville furent attaqués de la lèpre, et ils prirent le nom de cette maladie. Léprée, à ce que disent ses hahitants, possédait autrefois le temple de Jupiter Leucaeus, le tombeau de Lycurgue, fils d'Aléus, et celui de Caucon, sur lequel était représenté un homme tenant une lyre.

Mais de mon temps on ne voyait plus chez eux rien de remarquable, ni tombeau, ni temple, excepté celui de Cérès ; encore est-il de briqués crues et sans statue. La fontaine Aréné, à peu de distance de Léprée, a pris son nom, suivant les gens du pays, d'Aréné, fille d'Apharéus.

En revenant de nouveau à Samicum, et en traversant ce bourg, vous trouvez l'embouchure du fleuve Anigrus; son cours est souvent arrêté par la violence des vents qui y apportent de la mer des monceaux de sable, et empêchent ses eaux de couler. Lorsque ce sable a été humecté d'un côté par la mer, et de l'autre par le fleuve, le passage devient très dangereux, non seulement pour les bêtes de somme, mais encore plus pour les gens de pied, qui courent risque d'y enfoncer.


Ce fleuve descend du Lapithus, montagne d'Arcadie, et ses eaux sont extrêmement fétides, même à sa source ; aussi les poissons n'y vivent-ils pas jusqu'à l'endroit où il reçoit l'Acidas : il s'en trouve plus loin qui sont apportés par cette rivière, mais qui ne sont plus bons à manger, quoiqu'ils le soient lorsqu'ils sont pêchés dans l'Acidas.

Je n'aurais jamais imaginé que l'Acidas eût porté anciennement le nom de Jardanus ; je l'ai appris d'un habitant d'Éphèse, et je le redis d'après lui. La mauvaise odeur de l'Anigrus vient sans doute de la nature du terrain où il prend sa source : il y a de même au-dessus de l'Ionie, certaines eaux dont les exhalaisons sont mortelles.

Quelques Grecs disent que le Centaure Chiron ou le Centaure Pulénor, blessé par Hercules d'un coup de flèche, prit la fuite, et lava sa blessures dans cette eau, à laquelle le venin de l'hydre communiqua cette odeur désagréable. Selon d'autres, l'eau est restée infecte, depuis que Mélampus, fils d'Amythaon, y jeta les remèdes dont il s'était servi pour purifier les filles de Proetus.

On voit à Samicum, à peu de distance du fleuve, une grotte qu'on nomme la grotte des Nymphes Anigrides. Ceux qui y entrent pour se guérir de la gale ou de quelques dartres, doivent d'abord adresser des prières aux nymphes, leur promettant un sacrifice quelconque ; ils frottent ensuite les parties malades de leur corps, et traversant le fleuve à la nage, ils laissent la maladie dans l'eau, dont ils sortent guéris et la peau parfaitement saine.