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Pauvre Blaise/13

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette et Cie (p. 196-217).



XIII

Le Remords


Blaise se dirigea vers le château quand il crut Jules levé, habillé et prêt à le recevoir. En entrant dans le vestibule et en montant l’escalier, il fut surpris de ne pas voir de domestiques ; c’était pourtant l’heure où ils étaient tous occupés à faire les appartements. En approchant de la chambre de Jules, il entendit un mouvement extraordinaire et un bruit confus de voix qui s’entr’appelaient. Il poussa la porte, entra et vit M. de Trénilly assis près du lit de Jules, qui paraissait en proie à une fièvre violente, et qui parlait avec une vivacité tenant du délire.

« Je ne veux pas que Blaise vienne, criait-il ; non… il dirait tout. Chassez Hélène ; Blaise lui a tout raconté. Ne dites rien à papa… Je vous ferai tous chasser… Ce pauvre Blaise ! Il est bon pourtant… Je suis sûr qu’il m’a pardonné… il l’a dit… Je ne veux pas le voir, j’ai honte ; il sait que j’ai menti, menti, menti. »

Et Jules retomba dans les bras de son père désolé ; il ne dit plus rien ; il tournait la tête de tous côtés.

« J’ai mal, dit-il ; j’ai mal… C’est Blaise !… c’est sa faute… c’est lui qui me déchire le cerveau… Aïe, aïe ! qu’est-ce qu’il veut ? il ne dit pas…, mais je vois bien… il veut que je devienne comme lui… que je dise tout à papa, à tout le monde… Non, c’est impossible… impossible… Blaise, laisse-moi !… je ne peux pas… tu vois bien que je ne peux pas… on saurait tout, tout… Quelle honte !… Je ne peux pas. »

Encore un silence, mais l’agitation ne cessait pas. Blaise restait à la porte, tremblant, effrayé, ne sachant pas s’il devait se montrer ou s’en aller. M. de Trénilly attendait avec impatience le médecin qu’il avait envoyé chercher.

La veille, quand il était rentré de chez Anfry, il n’avait rien dit à Jules, dont l’inquiétude augmentait d’heure en heure en voyant l’air sévère et préoccupé de son père.

« Blaise a-t-il parlé à papa ? se demandait-il. Qu’a-t-il dit ? »

Sa frayeur augmenta lorsque le soir, en lui disant adieu, son père, pour la première fois de sa vie, refusa de l’embrasser et lui dit : « Va te coucher, Jules, va ; mais, avant de t’endormir, réfléchis à ta conduite et repens-toi. »

— Papa sait tout, se dit-il. Que va-t-il faire, lui qui est si sévère ? Je vais être très-malheureux ; il sera pour moi, comme il est pour Hélène et pour tout le monde, sévère à faire trembler. Ce méchant Blaise ! qu’avait-il besoin de se justifier ! Ne voilà-t-il pas un grand malheur que papa ne l’aime pas et le croie menteur et voleur ! Papa n’est pas son père ! il aurait peut-être chassé les Anfry, voilà tout… Mon Dieu, que va-t-il m’arriver demain ? J’ai peur ! Oh ! j’ai peur ! Je m’ennuie tant, déjà ! Ce sera bien pis ! »

Après avoir passé une partie de la nuit dans cette cruelle inquiétude, Jules, à peine rétabli de sa maladie, fut pris de la fièvre et du délire. Quand la bonne d’Hélène vint le lendemain ouvrir ses volets et lui apporter ce qui lui était nécessaire pour sa toilette, elle le trouva si malade qu’elle courut avertir le comte. Il envoya immédiatement chercher le meilleur médecin de la ville voisine, et s’établit près de son fils sans savoir quels soins, quels remèdes lui donner. Les paroles incohérentes de Jules lui découvrirent la cause de sa maladie ; quelque chose de grave troublait sa conscience ; il ne savait quel moyen employer pour la décharger du poids qui l’oppressait. Personne dans la maison n’avait d’empire sur Jules et ne possédait son affection. Dans sa détresse, le malheureux comte se retourna comme pour chercher du secours ; il aperçut Blaise, toujours immobile, debout à la porte ; les domestiques étaient tous sortis.

« Blaise, mon ami, dit à mi-voix M. de Trénilly, c’est Dieu qui t’envoie. Viens m’aider à guérir le cerveau malade de mon pauvre Jules. Viens ; c’est le remords qui le tue ; le remords du mal qu’il t’a fait. Dis-lui que tu lui pardonnes ; et dis-moi aussi que tu me pardonnes. Dieu te venge en m’éclairant. »

Le comte tendit la main à Blaise, qui voulut la baiser, mais le comte, l’attirant, le serra contre son cœur.

« Blaise, Blaise, prie Dieu qu’il nous pardonne, qu’il ne m’enlève pas mon fils, qu’il lui ouvre les yeux comme il me les a ouverts à moi, qu’il lui donne le temps du repentir ; qu’il puisse réparer le mal qu’il t’a fait ! Blaise, mon enfant, prie pour nous, toi qui sais prier. »

Et le comte tomba à genoux près du lit de Jules, dont les fréquents gémissements, les paroles entrecoupées lui brisaient le cœur.

Blaise, lui aussi, se mit à genoux, près du comte ; il pria et pleura ; sa prière fervente et généreuse obtint du bon Dieu un léger adoucissement aux souffrances de Jules ; quand le comte se releva, Jules dormait d’un sommeil assez calme.

Le comte le regarda avec espérance et bonheur ; il releva Blaise, toujours agenouillé près du lit de Jules, lui serra les mains dans les siennes et lui dit à voix basse :

« Reste près de lui, mon enfant, pendant que je vais m’habiller. S’il s’éveille, viens me chercher. »

Jules dormit près d’une heure ; le comte était revenu s’établir près de son lit, gardant Blaise près de lui. Le médecin n’arrivait pas ; le comte ne savait que faire pour dégager la tête si évidemment embarrassée. La bonne n’y entendait rien non plus ; Mme de Trénilly était restée à Paris pour le renouvellement de la première communion d’Hélène.

Jules s’éveilla ; il ouvrit de grands yeux, regarda son père et Blaise sans les reconnaître.

« Je veux Blaise, dit-il… Il faut que je lui parle… Ne laissez pas entrer papa… qu’il n’entende pas ce que je dirai… Appelez Blaise… quand je lui aurai parlé, ma tête brûlera moins… c’est si lourd dans ma tête… Tout ce que je veux dire pèse tantôt dans ma tête, tantôt dans mon cœur.

— Monsieur Jules, je suis près de vous, dit Blaise en s’approchant timidement.

— Qui es-tu ? Va-t’en… Je veux Blaise.

— C’est moi qui suis Blaise, monsieur Jules ; je viens vous soigner.

— Alors tu n’es pas Blaise… Blaise me déteste… Tu sais bien tout ce que j’ai dit de lui ?… Eh bien ! ce n’était pas vrai… Tout, tout était faux… Tu sais bien les poulets ?… c’est moi qui les avais noyés… Tu sais bien les habits mouillés ?… c’est lui qui m’a donné les siens ; c’est lui qui m’a tiré de l’eau ; c’est lui qui a toujours été bon et moi toujours méchant… Tu sais bien les fleurs ? c’est moi qui ai tout brisé ; c’est moi qui les ai fait demander par Blaise… Tu sais bien le cerf-volant ? c’est moi qui ai été méchant, si méchant !… Blaise a été si bon que cela m’a remué le cœur… mais pas assez… non… pas assez… Pauvre Blaise !… Tu as entendu comme il m’a pardonné ?… Et papa aussi… Blaise lui a pardonné !… Papa a été méchant pour Blaise !… C’est ma faute… c’est moi qui mentais. Oh ! ma tête !… Blaise ! je veux Blaise ! »

Le pauvre comte était dans un état déplorable. Chaque parole était pour lui une affreuse révélation de sa propre faiblesse, de sa propre injustice et de la méchanceté de son fils. La tête cachée dans les mains, il sanglotait à faire pitié ; ses larmes se faisaient jour à travers ses doigts crispés, et venaient retomber sur la tête de Blaise à genoux près de lui.

« Mon Dieu, disait Blaise en lui-même, consolez ce pauvre M. le comte ; mon Dieu, vous êtes si bon ! pardonnez à ce pauvre M. Jules, donnez-lui le repentir de ses fautes, non pas le repentir qui le désole, mais le repentir qui console et qui rend meilleur. Rendez-lui la connaissance afin qu’il puisse décharger son cœur en avouant les fautes qui l’oppressent. Mon Dieu, ne le laissez pas mourir sans pardon ; votre pardon à vous, bon et miséricordieux Jésus, le pardon de son pauvre père qu’il a gravement trompé et offensé. Pour moi, mon bon Dieu, vous savez que je lui ai pardonné depuis bien longtemps, dès que l’offense était commise. Mais vous, mon Dieu, notre père à tous, pardonnez-lui, il se repent. »

Cette prière de ce pieux et noble cœur ne devait pas être repoussée. Dieu l’accueillit dans sa miséricorde, et Jules devait être sauvé ; sa guérison devait être complète, comme on le verra, mais elle se fit attendre ; le père devait expier par ses angoisses les torts de sa faiblesse. Dieu permit que la maladie de Jules fût longue et cruelle.

Quand le médecin arriva, il déclara, après un examen prolongé et intelligent, que Jules était atteint d’une fièvre cérébrale. Après avoir entendu quelques phrases qui décelaient une conscience troublée, il recommanda que le malade ne fût soigné que par les deux personnes qui préoccupaient constamment son imagination frappée, afin qu’au premier retour de raison il ne vît que ces deux personnes, et qu’il ne pût pas craindre d’avoir été entendu par d’autres. Il ordonna ensuite de fréquentes applications de sinapismes aux pieds, aux chevilles, aux mollets, aux cuisses ; il ordonna des boissons rafraîchissantes, de l’air dans la chambre, diète absolue, une demi-obscurité et pas de bruit.

La journée fut terrible ; Jules passait d’un accablement semblable à la mort, à une agitation et à un flot de paroles accusatrices ; il apprit ainsi à son malheureux père toute la noirceur de son âme ; le repentir que Jules témoignait de plus en Le médecin déclara que Jules était atteint d'une fièvre cérébrale plus, adoucissait un peu le coup terrible porté à son amour et à son amour-propre de père. Plus il découvrait l’iniquité de Jules, plus il aimait et admirait la charité, la bonté si chrétienne de Blaise. Dix fois par jour il le serrait contre son cœur, il l’arrosait de ses larmes, et lui redemandait pardon pour Jules et pour lui-même. Blaise baisait les mains du comte, l’encourageait, le consolait, lui parlait du bon Dieu, lui enseignait la prière du cœur, la vraie prière du chrétien. Quand il ne pouvait calmer le désespoir du comte, il se mettait à genoux près de lui et disait tout haut les prières les plus touchantes, qui finissaient toujours par diminuer l’agitation du comte et lui rendre l’espérance.

L’état de Jules était le même depuis six jours : tantôt de l’amélioration, tantôt une reprise de délire et de fièvre. Le septième jour, après un sommeil de trois heures, dont avaient profité le comte et Blaise pour s’assoupir dans leurs fauteuils, Jules s’éveilla et appela Blaise comme de coutume.

« Me voici, monsieur Jules, dit Blaise en sautant sur ses pieds et prenant sa main.

Jules.
Ah ! Blaise, c’est toi ! Je suis content ! J’avais tant besoin de te voir et de te parler. Pauvre Blaise ! j’ai été méchant pour toi ! Comment peux-tu me pardonner ?
Blaise.
Mon bon monsieur Jules, de tout mon cœur, du fond de mon cœur, je vous ai pardonné depuis bien longtemps. Notre-Seigneur n’a-t-il pas pardonné à tous ceux qui l’ont offensé ? Ne devons-nous pas tous faire de même ? Soyez tranquille, monsieur Jules, ne vous agitez pas ; nous parlerons de cela plus tard.
Jules.

Je suis si faible ; j’ai été bien malade, il me semble ?

Blaise.

Oui, mais vous êtes mieux. Buvez un peu et dormez encore. »

Jules but de l’orangeade.

« C’est bon, dit-il ; et toi, Blaise, comme tu es bon de rester près de moi ! J’ai été si méchant pour toi ! Oh ! si tu savais, comme tout cela me brûlait la tête et le cœur !

— Chut, monsieur Jules : ne parlez pas ; vous vous ferez mal. »

Le comte, heureux de ce retour de Jules à la raison, ne pouvant maîtriser sa joie, fut sur le point de se montrer et d’embrasser son enfant, qu’il avait cru perdu, quand Jules retourna la tête et dit à Blaise :

« Blaise, ne dis pas à papa que je t’ai parlé ; ne le laisse pas venir ; si je le vois, je mourrai de honte et de frayeur.

Blaise.

Non, non, monsieur Jules ; je ne dirai rien, soyez bien tranquille ; mais votre papa est si bon pour vous, il vous aime tant, que vous ne devez pas en avoir peur.

Jules.
Mais la honte, Blaise, la honte !
Blaise.

Eh bien ! monsieur Jules, ce sera l’expiation de votre faute : ce sera beau de tout avouer. Mais vous avez le temps d’y penser, Dieu merci : ainsi tâchez de dormir encore ; nous causerons de cela plus tard. »

Blaise fut satisfait d’avoir pu jeter dans l’âme de Jules la première pensée de l’aveu comme expiation ; il mettait entre ses mains le moyen d’apaiser sa conscience, de retrouver le calme qu’il avait perdu.

Jules reçut les paroles de Blaise avec quelque surprise mêlée de satisfaction ; il sentait vaguement qu’il pouvait tout réparer ; mais, trop faible pour réfléchir sérieusement, il se laissa aller au sommeil et dormit encore deux bonnes heures.

M. de Trénilly osait à peine remuer, tant il avait peur de troubler le repos de Jules ; il désirait dire quelques mots à Blaise, et il n’osait parler. Blaise, s’apercevant de son angoisse, se leva sans bruit, arriva jusqu’à lui sur la pointe des pieds ; quand il fut à la portée du comte, celui-ci l’attira doucement à lui, le serra vivement dans ses bras et lui dit bas à l’oreille :

« Dis-lui que je sais tout, que je lui pardonne, que je l’aime, que c’est toi qui as changé mon cœur, que tu es son frère, mon second enfant.

— Je lui dirai combien vous êtes bon, monsieur le comte, répondit Blaise tout bas.
Le comte.

Rassure-le, encourage-le, mon ami, mon bon Blaise, afin qu’il n’ait plus peur de moi. Ah ! cette pensée me tue.

Blaise.

J’arrangerai tout avec l’aide du bon Dieu, mon bon monsieur le comte ; ayez confiance, vous en serez récompensé. »

Le comte ne le retint plus, et, cachant sa tête dans ses mains, il réfléchit à la piété de Blaise et aux vertus véritablement admirables de cet enfant.

« Comment a-t-il appris tout cela ? se demandait-il avec surprise. Ce pauvre enfant de portier a les sentiments élevés d’un prince, la science d’un savant, la générosité, la charité d’un saint. Quand il me parle, il m’émeut ; quand il me console, ses paroles pénètrent mon cœur de si doux sentiments que je ne sens plus mes inquiétudes ni mon malheur. Quand il me reprend, il me fait rougir comme s’il avait autorité sur moi. Pourquoi tout cela ?… Pourquoi ? ajouta-t-il ; parce qu’il est pieux, parce qu’il a suivi avec fruit les instructions du catéchisme, parce qu’il va faire sa première communion, parce qu’il est un saint enfant de Dieu… Et mon Jules, mon pauvre Jules, qu’est-il auprès de cet enfant ? Un malheureux pécheur, un misérable comme moi. Ah ! que le bon Dieu me rende mon enfant, et je me confesserai avec lui et je recevrai le bon Dieu près de lui, et je m’améliorerai avec lui, et notre maître à tous deux sera ce pauvre enfant calomnié, outragé, maltraité par nous… J’aime cet enfant ; je l’aime à l’égal du mien, je le respecte, je l’admire ; il sera mon modèle et mon guide. »

Le comte regarda avec attendrissement le pauvre Blaise, qui s’était rendormi dans un fauteuil, et dont la physionomie exprimait si bien le calme d’une bonne conscience. Il se leva, se plaça près du lit de Jules, et contempla avec une pénible émotion son visage contracté et agité.

« Mon Dieu, dit-il, rendez-le semblable au pieux et sage Blaise, et pardonnez-moi de l’avoir si mal élevé. Que je sois seul puni, et que mon fils soit épargné ! »

Le comte resta longtemps près de Jules, suivant avec anxiété ses moindres mouvements, et prêt à se cacher à son premier réveil. Jules dormit longtemps encore ; évidemment il était mieux. Il s’éveilla enfin, ouvrit les yeux et poussa un faible cri qui fit sauter Blaise de dessus son fauteuil. Le comte s’était retiré et caché derrière le rideau du lit.

« Blaise, Blaise, je crois que j’ai vu papa… J’ai rêvé sans doute, ajouta-t-il en se soulevant et regardant de tous côtés… Je croyais qu’il était là… J’ai eu peur, bien peur.

Blaise.

Et pourquoi avoir peur de votre papa, mon bon monsieur Jules ? Croyez-vous qu’il aurait le cœur de vous gronder après vous avoir vu si malade ?

Jules.

Blaise ! est-ce que j’ai dit quelque chose pendant ma maladie ? Dis-moi la vérité ! Qu’ai-je dit ? Je me souviens que je parlais beaucoup.

Blaise.

Écoutez, mon cher monsieur Jules, ne vous effrayez de rien, ne regrettez rien. Tout est pour le mieux. Pendant que vous étiez si mal, que nous craignions de vous voir mourir, vous avez dit tout ce que vous avez fait ; vous avez tout raconté ; votre papa pleurait, vous embrassait, vous serrait dans ses bras et priait le bon Dieu de vous sauver. Vous voyez bien qu’il ne vous en voulait pas.

— Tout le monde sait donc ce que je suis ? dit Jules avec accablement.

Blaise.

Personne, monsieur Jules, personne que votre papa et moi. Il n’y a que nous deux qui approchions de vous.

Jules.

Et papa sait tout ! Comme il doit me mépriser !

— Jules, mon enfant chéri, s’écria le comte, incapable de résister plus longtemps au désir de le rassurer ; Jules ! je t’aime toujours ; plus qu’avant ta maladie, parce que je vois tes remords et que je t’en estime davantage. Oh ! Jules ! mon cher fils ! le vrai coupable, c’est moi, qui ne t’ai jamais parlé du bon Dieu et qui t’ai donné un si triste exemple. Jules ! pardonne-moi, mon enfant ; c’est ton père qui a besoin de pardon, parce qu’il est le vrai, le grand coupable ! »

Jules, étonné, attendri, ne pouvait parler, mais il répondait à l’étreinte passionnée de son père en le couvrant de larmes. Le comte eut peur en le voyant ainsi pleurer ; mais ces pleurs étaient un baume pour l’âme malade de Jules ; ces larmes le soulageaient.

« Papa ! papa ! laissez-moi pleurer ! dit Jules retenant son père, qui cherchait à s’éloigner, pleurer dans vos bras !… Quel bien me font ces larmes ! Comme je me sens mieux ! Quel soulagement, quel bonheur de n’avoir plus rien à vous cacher, de savoir que vous connaissez la vérité, toute la vérité ! Pauvre Blaise !

— Oui, pauvre Blaise en effet ! Mais à l’avenir nous l’aimerons tant, nous tâcherons de le rendre si heureux, qu’il ne sera plus le pauvre Blaise ! Je lui ai de grandes obligations, car c’est à lui que je dois le changement de mon cœur, que je dois de savoir aimer Dieu et prier. Et toi aussi, mon fils, mon cher fils, c’est lui qui le premier t’a donné des sentiments de repentir ; il t’a touché par sa patience, sa charité, sa générosité, son admirable humilité.

— C’est vrai, papa ! Mais vous savez donc tout, ajouta Jules en souriant.

— Tout, mon ami, tout, dit le comte, enchanté de ce sourire, le premier qu’il eût vu sur les lèvres de Jules depuis plusieurs semaines. Et à présent que tu es tranquille sur mes sentiments à ton égard, tâche de te reposer, tu es faible, bien faible encore.

— Papa, j’ai faim. Quand j’aurai pris quelque chose, je reposerai mieux.

— Tu as faim ? tant mieux, mon enfant. Blaise, mon ami, va lui chercher une petite tasse de bouillon de poule. »

Blaise ne fit qu’un saut du lit de Jules à la porte ; il courut annoncer la bonne nouvelle de la convalescence de Jules, et demanda un bouillon, qu’on fit chauffer avec empressement.

Pendant son absence, Jules prit la main de son père, la baisa à plusieurs reprises, le regarda fixement et dit avec hésitation :

« Papa… papa, Blaise est mon frère.

— Et mon second fils, mon cher Jules ; je suis heureux de te voir devancer ma pensée. »

Blaise rentra avec la tasse de bouillon, que Jules but avec avidité. À partir de ce moment la convalescence s’établit et marcha rapidement. M. de Trénilly continua à veiller près de Jules, mais il ne voulut pas souffrir que Blaise continuât de nuit le rôle de garde-malade. Il le renvoya coucher ce même soir chez son père. Blaise avait réellement besoin de repos ; il avait à peine sommeillé pendant les sept jours du danger de Jules ; la nuit comme le jour, il était avec le comte, toujours au chevet du lit. Le comte avait voulu plusieurs fois l’envoyer passer au moins une nuit chez ses parents, mais Blaise avait toujours refusé ; il se bornait à y courir matin et soir pour donner des nouvelles de Jules, pour se débarbouiller et changer de vêtements. — Blaise raconta à ses parents tout ce qui s’était passé ce jour-là ; il s’étendit avec bonheur dans son lit, après avoir remercié le bon Dieu de ses bienfaits ; il ne tarda pas à s’endormir et ne se réveilla que le lendemain au grand jour.