Pauvres fleurs/Amnistie

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 179-184).



AMNISTIE.


Alors que pour l’hymen un palais s’illumine,
Alors qu’un jeune espoir en déride les murs,
Qu’une vierge lointaine avec ses rêves purs,
Ouvre ses bras d’épouse à l’époux qui s’incline,
Dieu leur parle à l’oreille et sous l’encens des fleurs
A demandé combien ils vont sécher de pleurs !

Ô prince ! écoutez Dieu ! votre avenir commence :
Pesez le premier pas, car ce pas est immense ;
Pardonnez ! pardonnez ! et vous saurez un jour,
Si l’on est roi long-temps, roi sacré par l’amour :
Vous saurez si Dieu veut que l’on donne sa vie
À qui donne en retour sa douce paix ravie :
Donnez-la ! ce géant fort à tout renverser,
Le peuple est un enfant qui veut vous caresser :
Ouvrez vos jeunes mains tièdes de pure joie,
Sur des cœurs enfermés que la tristesse noie !
Dans la foule qui chante, il est à votre seuil,
Des femmes aux pieds lents qui sortent d’un long deuil ;
Elles viennent de loin demandant quelque étoile,
Qui signale à vos yeux leurs pas et l’humble voile,
Dont elles ont pris soin d’amortir leur douleur,
Pour ne pas effrayer l’hymen de leur pâleur !

Cet hymen, qui dans l’air fait errer un sourire,
Qui colore et détend leur sévère horizon ;
Qui sur leurs jours émus balance votre nom
Et desserre leur voix pour dire :

« Vraiment ! Dieu nous prend en pitié ;
« Il n’abandonne pas qui prie !
« Un qui sera roi se marie ;
« Déjà le pardon chante et crie !…
« Vraiment ! c’est revivre à moitié !

« Déjà, d’inflexibles murailles,
« S’ouvrent les combles étouffans ;
« Fruits douloureux de nos entrailles,
« Sauvés de grandes funérailles,
« Nous allons ravoir nos enfans !

« La reine a tant fait, (elle est mère !)
« Par ses larmes, par ses raisons,
« Par son incessante prière,
« Que dans sa gloire moins amère
« Elle vient d’ouvrir les prisons !

Car son fils avait dit : — « Madame !
« Je suis triste dans mon bonheur :
« Sous les traits d’une jeune femme,
« Je crois que le ciel m’ouvre l’âme,
« Et je comprends mieux la douleur !


« La douleur captive, terrible,
« Qui fait une ombre sur mon jour ;
« Clouée, immobile, invisible,
« Ma mère ! c’est la plus horrible :
« Elle manque d’air et d’amour ! »

La reine pleura. C’est une ange,
Qui prenant son fils par la main,
S’en alla d’un courage étrange,
Dire à ceux qui font que tout change :
« Faites que tout chante demain ! »

Ce fut fait. Voilà que l’on porte
De l’air à nos fils malheureux !
Mais au bruit de la triple porte,
Qu’ouvre la pitié sans escorte,
Les voilà qui doutent entre eux.

Tout à coup, ivres de tendresse,
Jetant les lambeaux de leur deuil,
Au long cri d’une pâle ivresse,
Cet essaim libre qui se presse
Ouvre l’aile et franchit le seuil !


Et nous venons, faibles de larmes,
Nous, dont rien n’a lié les pas,
Jeter les débris de leurs armes,
Devant le pardon sans alarmes ;
Car le pardon ne tremble pas !

D’une grave cité, lointaines messagères,
Humbles ambassadeurs d’hommes fiers et soumis,
Nous venons demander avec nos voix de mères,
Du pain par le travail ; Dieu nous l’avait promis !

Le pardon viendra-t-il sur nos rives souffrantes,
Où la croix étancha tant de sang et de pleurs !
Oh ! viendra-t-il semer à nos terres mourantes,
Du travail ? de l’oubli ? de l’amour et des fleurs !