Pauvres fleurs/Au Christ

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 265-270).



AU CHRIST.


Que je vous crains ! que je vous aime !
Que mon cœur est triste et navré !
Seigneur ! suis-je un peu de vous-même,
Tombé de votre diadême :
Ou, suis-je un pauvre ange égaré ?


Du sable où coulèrent vos larmes,
Mon âme jaillit-elle un jour ?
Tout ce que j’aime a-t-il des armes,
Pour me faire trouver des charmes
Dans la mort, que but votre amour ?

Seigneur ! parlez-moi, je vous prie !
Je suis seule sans votre voix ;
Oiseau sans ailes, sans patrie,
Sur la terre dure et flétrie,
Je marche et je tombe à la fois !

Fleur d’orage et de pleurs mouillée,
Exhalant sa mourante odeur,
Au pied de la croix effeuillée,
Seigneur, ma vie agenouillée
Veut monter à votre grandeur !

Voyez : je suis comme une feuille
Qui roule et tourbillonne au vent ;

Un rêve las qui se recueille ;
Un lin desséché que l’on cueille
Et que l’on déchire souvent.

Sans savoir, d’indolence extrême,
Si l’on a marché sur mon cœur :
Brisé par une main qu’on aime,
Seigneur ! un cheveu de nous-même,
Est si vivant à la douleur !

Au chemin déjà solitaire,
Où deux êtres unis marchaient,
Les voilà séparés… mystère !
On a jeté bien de la terre
Entre deux cœurs qui se cherchaient !

Ils ne savent plus se comprendre ;
Qu’ils parlent haut, qu’ils parlent bas,
L’écho de leur voix n’est plus tendre ;
Seigneur ! on sait donc mieux s’entendre,
Alors qu’on ne se parle pas ?


L’un, dans les sillons de la plaine,
Suit son veuvage douloureux ;
L’autre, de toute son haleine,
De son jour, de son aile pleine,
Monte ! monte ! et se croit heureux !

Voyez : à deux pas de ma vie,
Sa vie est étrangère à moi,
Pauvre ombre qu’il a tant suivie,
Tant aimée et tant asservie !
Qui mis tant de foi dans sa foi !

Moi, sous l’austère mélodie,
Dont vous m’envoyez la rumeur,
Mon âme soupire agrandie ;
Mon corps se fond en maladie
Et mon souffle altéré se meurt.

Comme l’enfant qu’un rien ramène,
L’enfant, dont le cœur est à jour,

Faites-moi plier sous ma chaîne ;
Et désapprenez-moi la haîne,
Plus triste encore que l’amour !

Une fois, dans la nuit profonde,
J’ai vu passer votre lueur :
Comme alors, enfermée au monde,
Pour parler à qui me réponde,
Laissez-moi vous voir dans mon cœur !

Rendez-moi, Jésus que j’adore,
Un songe où je m’abandonnais :
Dans nos champs que la faim dévore,
J’expiais… j’attendais encore ;
Mais, j’étais riche et je donnais !

Je donnais et, surprise sainte :
On ne raillait plus ma pitié ;
Des bras du pauvre j’étais ceinte ;
Et l’on ne mêlait plus l’absinthe
Aux larmes de mon amitié !


Je donnais la vie au coupable,
Et le temps à son repentir !
Je rachetais à l’insolvable ;
Et pour payer l’irréparable,
J’offrais l’amour seul et martyr.