Peintures (Segalen)/Peintures magiques/Triomphe de la bête

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Georges Crès et Cie (p. 21-23).

Et que voyez-vous d’extraordinaire ? Pourquoi vos yeux lourds et vos regards liés à ceci… qui est un personnage humain et rien de plus ? Assis en lui-même, retombant de la tête aux genoux : un Solitaire un peu las de penser, sans doute, et rien de plus.

Suivant les bons usages picturaux, il se trouve un plus grand espace du côté où porte la vue, (afin que son regard ne heurte pas trop tôt le vide…) Mais son regard est précisément vide, desséché comme une mare au soleil… Comme les vôtres en ce moment.

Et que voyez-vous donc d’extraordinaire ? C’est un homme, ou ce fut un homme, et rien de plus. — Cependant il n’est pas seul. Sur la droite extrême, là-haut, tout en haut, un autre fuit dans l’infini, un autre qui voltige sur ces spires de fumées dévidées — regardez bien — dévidées du crâne même de l’épuisé. Un symbole, et rien de plus.

Mais d’où vient l’effroi dans vos yeux ? — Ah ! ceci, sur l’épaule gauche du personnage méditant ; ceci qui sourd du fond de l’ombre ; ce quelque chose avec des yeux plus bombés que le front, et un cou plissé comme une vieille ; — et l’on voit cette main à quatre doigts qui étreint le crâne trop poreux d’intelligence, et l’exprime… Et d’un bout à l’autre d’une bouche sans lèvres, ce rire long de dessin magistral… Est-ce donc cela qui vous fait peur ? Ce quelque chose ? Ça ?

Un crapaud. Un crapaud, vous dis-je, rien de plus.

Aucun épilogue à cette peinture, la quatrième des Magiques… Si, pourtant, à bien regarder :


TRIOMPHE DE LA BÊTE.