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Pelham/42

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 204-206).


CHAPITRE XLII


Le lendemain je résolus d’aller trouver Tyrrell, en voyant qu’il n’avait pas tenu sa promesse de me rendre visite le premier. Je désirais vivement ne pas perdre une occasion de lier avec lui plus ample connaissance. En conséquence je dis à mon valet de chambre de s’informer de sa demeure ; il se trouva qu’il logeait dans le même hôtel que moi. M’étant assuré qu’il n’était pas sorti, je me fis introduire chez lui par le garçon en chef de l’établissement.

Il était assis auprès du feu dans une attitude nonchalante et pensive. Son corps nerveux et sa taille élégante étaient enveloppés dans une riche robe de chambre de brocart, drapée avec négligence ; ses bas retombaient sur ses talons, ses cheveux étaient en désordre, et la lumière passant à travers la fente des rideaux de la fenêtre à demi entrouverts, faisait briller quelques touffes de cheveux blancs épars au milieu de son abondante chevelure noire. Le malheur ou son imprudence voulait qu’il reçût obliquement la lumière qui, éclairant en plein certaines parties de son visage, mettait en évidence les rides profondes que l’âge et la dissipation y avaient creusées autour des yeux et de la bouche. Je restai saisi de son air hagard et de ses traits vieillis.

Il se leva avec assez de bonne grâce lorsqu’on m’annonça ; et le garçon ne se fut pas plus tôt retiré qu’il vint à moi, me donna une chaude poignée de main et me dit : « Laissez-moi vous remercier maintenant, des attentions que vous avez eues pour moi, dans un moment où je n’étais guère en état de vous exprimer ma reconnaissance. Je serai très-fier de pouvoir cultiver votre intimité. »

Je lui répondis sur le même ton, et dans le cours de la conversation je trouvai moyen de le charmer si bien qu’il consentit à passer le reste du jour avec moi. Nous commandâmes nos chevaux pour trois heures, notre dîner pour sept et, en attendant qu’on sellât nos montures, je le quittai pour lui donner le loisir de faire sa toilette.

À la promenade nous ne parlâmes guère que de généralités, des différences nombreuses qui existaient entre la France et l’Angleterre, des vices, des femmes, de la politique, de tout, excepté des évènements qui avaient été la cause première de nos relations. Ses remarques indiquaient un esprit vigoureux, mal réglé, et qui mettait l’expérience à la place du raisonnement. Il y avait un tel relâchement dans ses principes et une telle licence dans ses opinions que j’en fus effrayé (et pourtant j’avais vu des roués de toutes les couleurs). Sa philosophie consistait à considérer comme la première règle du sage, le mépris de toute chose. Il parlait des hommes avec l’amertume de la haine, et des femmes avec la légèreté du dédain. Il avait appris de la France le libertinage, moins l’élégance qui le pare ; si ses doctrines étaient basses, le langage dont il les revêtait était plus vulgaire encore. Et quant à ce principe qui fait la moralité des classes élevées, et qu’un scélérat même est obligé de respecter en paroles, à cette religion qui ne trouve point de persifleurs, à ce code qui n’a point d’adversaires, l’honneur en un mot, le mobile de la société dans laquelle nous vivons, ne lui paraissait être qu’une autorité dérisoire. La crédulité des esprits romantiques et l’inexpérience des jeunes gens pouvaient seules s’y laisser prendre.

En somme, il me parut que c’était un homme hardi et méchant, ayant tout juste assez d’intelligence pour arriver à être un malhonnête homme, mais pas assez pour s’apercevoir que c’était le plus mauvais parti qu’il pût prendre dans son intérêt. Il avait juste assez d’audace pour être indifférent aux dangers que le crime fait courir, mais trop peu, pour les conjurer ou les vaincre. Du reste il préférait le grand trot au petit galop, se piquait d’être viril, portait des gants de daim, buvait du vin de Porto de préférence, et regardait le beefsteack et la sauce aux huîtres, comme les mets les plus délicats qu’on pût trouver sur la carte. Maintenant, je pense, chers lecteurs, que vous vous faites une idée assez exacte de son caractère.

Après dîner, tout en vidant notre seconde bouteille, je pensai que le moment était opportun pour le questionner sur la nature de ses relations avec Glanville. Il changea de visage dès que je prononçai ce nom ; pourtant il se remit bientôt : « Oh ! me dit-il, vous voulez parler du soi-disant Warburton ; je l’ai connu il y a quelques années, c’était un pauvre jeune homme assez niais, à moitié fou à ce que je crois, et qui m’en voulait beaucoup à cause de quelques désagréments que nous avons eus ensemble du temps qu’il était encore petit garçon.

— Et pour quelle raison ? lui demandai-je.

— Rien, rien de grave, répondit Tyrrell ; et il ajouta d’un air fat : je crois que j’avais été plus heureux que lui dans une certaine intrigue. Ce pauvre Glanville est un peu romanesque, vous savez. Mais en voilà assez là-dessus, allons-nous aux salons ?

— Avec plaisir, » lui dis-je, et nous nous rendîmes aux salons.