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Pelham/41

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Pelham, ou les Aventures d’un gentleman (1828)
Hachette (Tome Ip. 200-203).


CHAPITRE XLI


Tu concevras facilement, cher lecteur, toi qui es entièrement dans ma confidence depuis le début de cette histoire, et que je traite en ami et en familier, quoique jusqu’à présent je ne t’aie guère donné sujet de m’estimer beaucoup, tu concevras facilement ma surprise en me trouvant, d’une façon si inattendue, en présence de mon ancien héros de la maison de jeu. Je restai d’abord tout étonné du changement si singulier qui s’était opéré dans sa fortune depuis notre dernière rencontre. Mes pensées me reportèrent immédiatement à cette scène terrible que j’ai racontée, et à ce lien mystérieux qui existait entre Tyrrell et Glanville. Comment celui-ci accueillerait-il la nouvelle de la fortune inespérée de son ennemi ? Sa vengeance était-elle enfin satisfaite, ou bien comment trouverait-il aujourd’hui le moyen de se venger ?

Un millier de pensées analogues m’occupèrent l’esprit jusqu’au matin. Je sonnai alors Bedos et lui dis de me faire la lecture pour m’endormir. Il commença à me lire une pièce de M. Delavigne, et dès les premières lignes de la seconde scène, je faisais mon entrée dans le pays des songes.

Je m’éveillai à deux heures, je m’habillai, pris mon chocolat, et j’étais sur le point de mettre mon chapeau sur ma tête en cherchant le degré d’inclinaison qui allait le mieux à ma figure, quand je reçus le billet suivant :

« Mon cher Pelham,

« Me tibi commendo. J’ai appris ce matin, à l’hôtel, que vous étiez ici ; mon cœur s’est rempli de joie à cette nouvelle. Je suis venu pour vous voir il y a deux heures, mais, comme Antony, « vous passez les nuits en fêtes. » Ah ! que ne puis-je ajouter avec Shakspeare que vous étiez « néanmoins debout. » J’arrive de Paris, cet umbilicus terræ, et je veux vous conter mes aventures depuis notre séparation, pour votre satisfaction particulière, « parce que je vous aime ; » mais il faut que vous me donniez rendez-vous. En attendant, « que les dieux puissants vous protègent ! »

« Vincent. »

L’hôtel d’où Vincent datait cette épître était dans la même rue que mon propre caravansérail, et je m’y rendis aussitôt. Je trouvai mon ami assis devant un in-folio, dont il essaya en vain de me persuader qu’il voulait faire la lecture. Notre entrevue fut des plus cordiales.

« Mais, dit Vincent, comment ferais-je pour vous féliciter de vos nouveaux honneurs ? je n’étais pas préparé à vous trouver changé de roué en sénateur.


Vous n’avez pas perdu votre temps, quand il s’est agi de recueillir des votes, et maintenant hissez votre pavillon, quittez votre air fatigué et vos mouvements d’épaules accompagnés de Hum et de Heu ! Étendez le bras, élevez la voix et dites-leur en face toutes vos craques,


comme dit Burns : ce qui veut dire que maintenant il faut que vous étonniez les rats de Saint-Étienne.

— Hélas ! dis-je, le malheur est que dans cette maison-là, il faut mettre une amorce à chaque souricière.

— Bast, un rat mord à tous les fromages depuis le Gloucester jusqu’au Parmesan, et vous pourrez bien vous aussi en attraper un morceau pour votre compte. En parlant de la chambre, avez-vous vu dans les journaux, que le sénateur W*** est à Cheltenham ?

— Je n’en savais rien. Je suppose qu’il se bourre de discours et de soupe à la tortue pour la session prochaine !

— C’est incroyable, dit Vincent, combien votre nouvelle dignité civique vous délie la langue. À peine un homme est-il nommé maire, qu’il se croit un Cicéron pour le moins. Vous me rappelez que, le lord maire me demandant un jour comment se disait déclamation en latin, je lui répondis : « Cela s’appelle Hippomaires ou la manie des maires. »

Lorsque j’eus rendu par un rire éclatant, un hommage suffisant à la verve satirique de Vincent, il ferma son in-folio, demanda son chapeau, et nous allâmes flâner dans les rues.

« Quand retournez-vous à Londres ? me dit Vincent.

— Pas avant que mes devoirs législatifs m’y appellent.

— Et jusque-là, restez-vous ici ?

— Comme il plaira aux dieux. Mais bonté divine, Vincent, que voilà une jolie fille ! »

Vincent se retourna. « O Dea certe », murmura-t-il et il s’arrêta.

L’objet de notre exclamation se tenait devant une boutique qui faisait le coin de la rue, et semblait attendre quelqu’un qui était à l’intérieur. Son visage au moment où je l’aperçus, était tourné vers moi. Jamais je n’avais rien vu de si beau et de si aimable. Elle paraissait avoir environ vingt ans ; ses cheveux étaient du châtain le plus riche, avec un reflet doré qui, tranchant sur cette teinte foncée, semblait un rayon de soleil qui s’était pris là, dans ses tresses luxuriantes, et qui ne savait comment s’en échapper. Ses yeux étaient bruns, grands, profonds, et modestement voilés (pour me servir d’une expression du jour) par de longs cils noirs. Son teint seul aurait suffi à la rendre belle, tant il était transparent et pur : le sang brillant de pourpre là-dessous comme des roses au fond d’un frais ruisseau ; en admettant, pour justifier ma comparaison, que des roses eussent la complaisance de pousser dans cette situation. Son nez avait ce modelé fin et délicat, qu’on ne rencontre guère que dans les statues grecques, qui joignent la netteté et la fermeté des contours à la délicatesse et à la grâce la plus féminine. L’arcade qui le reliait à sa jolie bouche était si charmante, d’une légèreté et d’une pureté si exquise, qu’on eût dit un gentil pont construit par l’amour lui-même pour conduire dans son île. Un peu en dehors de la bouche du côté droit était une fossette qui accusait si exactement chaque sourire, chaque mouvement de ces lèvres roses, qu’on aurait juré qu’il y faisait chaque fois passer son ombre ; c’était comme les rapides changements d’un ciel d’avril se reflétant sur une vallée. Elle était d’une taille un peu au-dessus de la moyenne et sa figure qui unissait toute la première fraîcheur de la jeune fille aux grâces plus accentuées de la femme, présentait des contours si réguliers, et un fini si parfait, que l’œil le plus exercé n’aurait pu y trouver le plus petit défaut ; il n’y avait rien à ajouter, rien à retrancher. Mais par-dessus tout elle brillait d’un éclat éblouissant et l’on se sentait, à son approche, pénétré comme d’une influence divine.

« Qu’en pensez-vous, Vincent ? dis-je.

— Je dis avec Théocrite dans son épithalame à Hélène….

— Non, non, lui dis-je, je ne veux pas que sa présence soit profanée par une citation. »

À ce moment la jeune fille se détourna vivement et rentra dans la boutique ; c’était celle d’un papetier.

« Entrons, dit Vincent, j’ai besoin de pains à cacheter. »

Je ne me le fis pas dire deux fois ; nous entrâmes. Mon Armide se tenait au bras d’une dame âgée. Elle rougit en nous voyant ; notre mauvaise fortune voulut que la vieille dame eût fini ses emplettes, si bien qu’un instant après elles avaient disparu.


« Eût-on jamais pensé, dans un endroit semblable, trouver beauté pareille ? »


me dit Vincent, et il avait raison cette fois.

Je ne répondis rien. Tout le reste du jour je fus soucieux et préoccupé : Vincent s’apercevant que je ne riais plus de ses plaisanteries, et que je n’applaudissais plus à ses citations, me dit qu’il s’était opéré en moi un changement des plus tristes, et, prétextant un rendez-vous, se débarrassa d’un auditeur aussi obtus.