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Pelham/60

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Pelham, ou Aventures d’un gentleman
Hachette (Tome IIp. 17-19).


CHAPITRE LX


Le lendemain matin, j’étais à déjeuner quand il me vint un message de Tyrrell ; il y avait une lettre cachetée pour Glanville, et une autre à mon adresse, ainsi conçue :


« Mon cher Monsieur,

« La lettre ci-jointe adressée à sir Réginald Glanville expliquera les motifs pour lesquels je ne tiens pas ma parole. Il vous suffira de savoir que ces motifs sont de nature à me justifier complètement et à satisfaire pleinement sir Réginald. Il sera inutile de chercher à me voir ; j’aurai quitté Londres avant que vous ayez reçu cette lettre. Le respect de moi-même m’oblige d’ajouter, que, quelles que soient les raisons que j’aie de ne pas accepter une rencontre avec sir Réginald Glanville, cela ne m’empêchera pas d’exiger satisfaction de quiconque se croirait permis de me demander les raisons pour lesquelles il m’a convenu d’en agir ainsi.

« J’ai l’honneur, etc.
« John Tyrrell. »


Je ne pouvais en croire mes yeux et je relus cette lettre jusqu’à trois fois. D’après tout ce que je connaissais du caractère de Tyrrell, je n’avais pas de raisons pour le croire moins courageux que la plupart des hommes. D’ailleurs, quand je considérais la violence du langage de Glanville d’une part, et de l’autre la résolution que Tyrrell avait montrée le soir précédent, je ne savais à quel sentiment autre que la peur rapporter sa conduite actuelle. Au surplus je m’empressai de faire porter l’une et l’autre lettre à Glanville avec un mot de ma main, pour lui dire que je le verrais dans une heure.

Lorsque je me présentai chez lui, son valet de chambre me dit qu’aussitôt ma lettre reçue il était sorti précipitamment en disant seulement qu’il ne rentrerait pas de toute la journée. Le soir même il devait faire une motion importante à la chambre. Il avait écrit une lettre dans laquelle il prétextait une maladie grave et subite et priait un autre membre de son parti de prendre la parole à sa place. Lord Dawton fut au désespoir, la motion fut rejetée à une grande majorité ; les journaux ne furent remplis pendant toute une semaine que de quolibets et de plaisanteries fâcheuses contre les Whigs. Jamais ce malheureux parti n’avait été réduit à un tel état d’abaissement ; jamais il n’avait paru plus dépourvu de toutes chances d’arriver au pouvoir. Ils étaient anéantis, nominis umbra.

Le huitième jour après la disparition de Glanville, il arriva tout-à-coup dans le cabinet, un événement qui mit tout le pays en émoi ; les Tories en tremblèrent jusqu’à la semelle de leurs pantoufles et virent avec effroi osciller leurs sinécures et leurs fructueux emplois. Tous les yeux se tournaient vers les Whigs et le hasard sembla leur donner en un instant ce que tous leurs efforts, toute leurs éloquence, tout leur art avaient été impuissants depuis plusieurs années à faire considérer même comme une éventualité éloignée.

Il y avait dans l’État un parti fort quoique secret qui se cachait sous un nom général mais qui travaillait avec un but personnel et croissait en nombre et en influence sans qu’on y prît garde. Parmi les chefs de ce parti était lord Vincent. Dawton qui le craignait et en était jaloux, considérait la lutte comme engagée plutôt entre eux deux que de Whigs à Tories. Il s’efforçait pendant qu’il en était encore temps, de grouper autour de lui une troupe d’alliés capables, dans le cas où le conflit aurait lieu, de lui assurer la supériorité. Le marquis de Chester était l’un des personnages les plus puissants du juste milieu ; il était de la plus haute importance de le gagner à la cause. C’était un homme vigoureux, indépendant, grand chasseur, qui vivait sur ses terres, mettant son ambition plutôt à améliorer les races de quadrupèdes, qu’à gouverner les mauvaises passions des hommes. Tel était le personnage auquel lord Dawton me supplia de porter un message en me chargeant de faire tous mes efforts pour l’amener à ses fins ; il fallait pour réussir toute mon habileté. C’était la mission la plus considérable qui m’eût été confiée jusque-là ; et je fus ravi d’avoir une si belle occasion de déployer mes talents diplomatiques. En conséquence, un beau matin, je m’enveloppai de mon manteau, j’installai ma précieuse personne dans une chaise de poste et volai vers Chester Park dans le comté de Suffolk.