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Pelham/76

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Pelham, ou Aventures d’un gentleman
Hachette (Tome IIp. 181-183).


CHAPITRE LXXVI


Ce n’était pas avec un cœur entièrement soulagé, mais avec une joie tempérée et sobre, que je voyais maintenant mon ami innocent du crime dont mes soupçons l’avaient accusé, en même temps que le seul obstacle à mon mariage avec sa sœur était désormais levé. Il est vrai que l’épée était toujours suspendue sur sa tête, et que tant qu’il vivait il ne pouvait y avoir pour lui d’assurance raisonnable d’échapper à la honte et à la mort des criminels. Aux yeux du monde la barrière qui me séparait d’Hélène était donc loin d’être complètement détruite, mais, au moment où je parle, mes désappointements m’avaient dégoûté du monde, et je me tournai avec un redoublement de tendresse vers celle dont le pur et saint amour pouvait être à la fois ma récompense et mon asile.

D’ailleurs cette considération personnelle n’était pas mon seul motif dans la conduite que j’étais résolu à adopter ; au contraire, elle était plutôt subordonnée dans mon esprit au désir de donner à un ami, qui alors m’était plus cher que jamais, sa seule consolation sur cette terre, et à Hélène la protection la plus sûre pour le cas où quelque danger menacerait son frère. À ces sentiments, il s’en mêlait d’autres qui, dans des temps plus heureux, auraient été des transports de bonheur, en voyant aboutir si heureusement un amour profond et dévoué. Mais je n’avais pas le droit de me livrer à cette joie tant que la vie même de Glanville était aussi incertaine, et je la réprimais aussitôt qu’elle venait me tenter.

Après une nuit sans sommeil je me rendis chez lady Glanville. Il y avait longtemps que je n’y étais allé, et le domestique qui me fit entrer parut un peu surpris d’une visite si matinale. Je demandai à voir la mère, je l’attendis au parloir. Mon exorde ne fut pas long. En très-peu de mots j’exprimai mon amour pour Hélène et je lui demandai d’être ma médiatrice ; je crus pouvoir me prévaloir auprès d’une si tendre mère de l’approbation donnée par Glanville à mes prétentions.

« Hélène est en haut dans le salon ; dit lady Glanville. Je vais la préparer à vous recevoir ; si vous obtenez son consentement, vous avez le mien.

— Voulez-vous alors, lui dis-je, me permettre de vous prévenir ? pardonnez à mon impatience, et laissez-moi la voir avant vous. »

Lady Glanville était une femme de la bonne vieille école ; elle tenait un peu aux formes et aux cérémonies. Je n’attendis donc pas sa réponse, car je prévoyais bien qu’elle pourrait ne pas m’être favorable, mais avec mon assurance accoutumée je quittai la chambre, et je gagnai à la hâte le haut de l’escalier. J’entrai dans le salon, j’en fermai la porte. Hélène était au fond de la pièce ; et comme j’étais entré d’un pas léger, elle ne m’aperçut que lorsque je fus près d’elle.

Elle tressaillit en me voyant, et ses joues, très-pâles à mon arrivée, devinrent tout à coup cramoisies. « Bon Dieu ! est-ce vous ! dit-elle en balbutiant. Je… je pensais, mais excusez-moi pour un instant, je vais appeler ma mère.

— Demeurez un moment au contraire, je vous en supplie, c’est de la part de votre mère que je viens ; elle m’a renvoyé à vous. » Et d’une voix tremblante et précipitée, car toute ma hardiesse habituelle m’avait abandonné, je lui fis, en mots rapides et brûlants, l’aveu de l’amour secret depuis longtemps amassé dans mon cœur ; je lui racontai ses doutes, ses craintes et ses espérances.

Hélène se renversa sur sa chaise, silencieuse et accablée par ses sentiments, comme par la véhémence des miens. Tombant à genoux je saisis sa main ; je la couvris de mes baisers ; elle ne la retira pas. En levant les yeux, je pus lire dans les siens tout ce qu’avait espéré mon cœur, sans oser se flatter du succès.

« Vous, vous ! dit-elle, quand enfin elle put trouver des paroles ; je m’étais imaginé que vous ne pensiez qu’à l’ambition et au monde ; je ne me serais jamais figuré cela. » Elle s’arrêta, rougissante et embarrassée.

« Il est vrai, lui dis-je, que vous aviez le droit de penser ainsi, car, jusqu’à ce moment, je n’ai jamais soulevé à vos yeux un coin du voile qui vous cachait mon cœur avec ses secrets et violents désirs. Mais trouvez-vous que mon amour en soit moins un trésor parce qu’il était caché ? ou moins profond parce que je le cachais au fond de mon âme ? Non, non ; croyez-moi, cet amour ne devait pas être mêlé aux choses ordinaires de la vie ; il était trop pur pour être profané par les légèretés et les folies qui sont tout ce que j’ai voulu montrer de ma nature aux yeux du monde. Ne vous imaginez pas, si j’ai eu l’air d’un oisif avec les désœuvrés, d’un égoïste avec les gens intéressés, d’un homme froid, vain, et frivole avec ceux pour qui de pareilles qualités étaient à la fois un passe-port et une vertu ; ne vous imaginez pas pour cela que je n’avais rien en réserve au fond de l’âme de plus digne de vous et de moi. Mon amour même pour vous montre que je suis plus sage et meilleur que je ne l’ai paru. Parlez-moi, Hélène ; voulez-vous me permettre de vous appeler de ce nom ? dites-moi un mot, une syllabe ! parlez-moi, dites-moi que vous avez lu dans mon cœur et que vous ne me repousserez pas ? »

Il ne vint pas de réponse sur ces lèvres chéries ; mais leur doux et tendre sourire me dit que je devais espérer. Cette heure, je me la rappelle et la bénis encore ; cette heure fut la plus heureuse de ma vie.