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Pendant l’Exil Tome II 1867 Les enfants pauvres

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Actes et paroles volume 4J Hetzel (p. 129-131).
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IX

LES ENFANTS PAUVRES

Noël. Décembre 1867.

J’éprouve toujours un certain embarras à voir tant de personnes réunies autour d’une chose si simple et si petite. Moi, solitaire, une fois par an j’ouvre ma maison. Pourquoi ? Pour montrer à qui veut la voir une humble fête, une heure de joie donnée, non par moi, mais par Dieu, à quarante enfants pauvres. Toute l’année la misère, un jour la joie. Est-ce trop !

Mesdames, c’est à vous que je m’adresse, car à qui offrir la joie des enfants, si ce n’est au cœur des femmes ? — Pensez toutes à vos enfants en voyant ceux-ci, et, dans la mesure de vos forces, et pour commencer dès l’enfance la fraternité des hommes, faites, vous qui êtes des mères heureuses et favorisées, faites que les petits riches ne soient pas enviés par les petits pauvres ! Semons l’amour. C’est ainsi que nous apaiserons l’avenir.

Comme je le disais l’an dernier, à pareille occasion, faire du bien à quarante enfants est un fait insignifiant ; mais si ce nombre de quarante enfants pouvait, par le concours de tous les bons cœurs, s’accroître indéfiniment, alors il y aurait un exemple utile. Et c’est dans ce but de propagande que j’ai consenti à laisser se répandre un peu de publicité sur le Dîner des enfants pauvres institué à Hauteville-House.

Cette petite fondation a donc deux buts principaux, un but d’hygiène et un but de propagande.

Au point de vue de l’hygiène, réussit-elle ? Oui. La preuve la voici : depuis six ans que ce Dîner des enfants pauvres est fondé à Hauteville-House, sur quarante enfants qui y prennent part, deux seulement sont morts. Deux en six ans ! Je livre ce fait aux réflexions des hygiénistes et des médecins.

Au point de vue de la propagande, réussit-elle ? Oui. Des Dîners hebdomadaires pour l’enfance pauvre, fondés sur le modèle de celui-ci, commencent à s’établir un peu partout ; en Suisse, en Angleterre, surtout en Amérique. J’ai reçu hier un journal anglais, le Leith Pilot, qui en recommande vivement l’établissement.

L’an dernier je vous lisais une lettre, insérée dans le Times, annonçant à Londres la fondation d’un dîner de 320 enfants. Aujourd’hui voici une lettre que m’écrit lady Thompson, trésorière d’un Dîner d’enfants pauvres dans la paroisse de Marylebone, où sont admis 6,000 enfants. De 300 à 6,000, c’est là une progression magnifique, d’une année à l’autre. Je félicite et je remercie ma noble correspondante, lady Thompson. Grâce à elle et à ses honorables amis, l’idée du solitaire a fructifié. Le petit ruisseau de Guernesey est devenu à Londres un grand fleuve.

Un dernier mot.

Tous, tant que nous sommes, nous avons ici-bas des devoirs de diverses sortes. Dieu nous impose d’abord les devoirs sévères. Nous devons, dans l’intérêt de tous les hommes, lutter ; nous devons combattre les forts et les puissants, les forts quand ils abusent de la force, les puissants quand ils emploient au mal la puissance ; nous devons prendre au collet le despote, quel qu’il soit, depuis le charretier qui maltraite un cheval jusqu’au roi qui opprime un peuple. Résister et lutter, ce sont de rudes nécessités. La vie serait dure si elle ne se composait que de cela.

Quelquefois, à bout de forces, on demande, en quelque sorte, grâce au devoir. On se tourne vers la conscience : Que veux-tu que j’y fasse ? répond la conscience ; le devoir est de continuer. Pourtant on interrompt un moment la lutte, on se met à contempler les enfants, les pauvres petits, les frais visages que fait lumineux et roses l’aube auguste de la vie, on se sent ému, on passe de l’indignation à l’attendrissement, et alors on comprend la vie entière, et l’on remercie Dieu, qui, s’il nous donne les puissants et les méchants à combattre, nous donne aussi les innocents et les faibles à soulager, et qui, à côté des devoirs sévères, a placé les devoirs charmants. Les derniers consolent des premiers.