Pendant l’orage/La première guerre

La bibliothèque libre.
Librairie ancienne Édouard Champion (p. 83-84).

LA PREMIÈRE GUERRE



12 janvier 1915.


Quelqu’un me demande avec ingénuité : « Quelle a été la première guerre ? » Et moi, avec une non moindre ingénuité, j’ouvre une chronologie et je cherche. Pas bien longtemps, car à la réflexion, je me rends compte que la question est absurde. Si haut que l’on remonte, on trouve une société, analogue aux sociétés actuelles des hommes. En rien, il n’y a eu de commencement. Le commencement est une conception de l’esprit. Autrefois, même, est devenu un mot qui n’a plus qu’une valeur relative, car plus on examine le passé et plus on s’aperçoit qu’il ressemble beaucoup au présent. L’évolution de l’humanité a été tout extérieure. Il y eut des temps sans canons, il y eut des temps sans épées de métal, mais des temps sans guerre ou sans violence, cela dépasse l’entendement. Si l’on conçoit un moment de l’histoire de la terre sans la présence d’une humanité plus ou moins intelligente, on se trouve encore en face de sociétés animales fort guerrières, telles que les fourmis et les termites. Dès qu’il y eut vie, il y eut aussi bataille. Oui, demandez-vous plutôt, non pas quelle fut la première guerre, mais quelle fut la première paix, quelle fut la période où la vie ne se dressa pas contre la vie. Pensez qu’il y a des luttes mortelles non seulement entre les animaux, mais entre les plantes, qu’il y en a peut-être entre les minéraux, que la vie d’une espèce est incompatible avec la vie de telle autre espèce. Il y a décidément beaucoup de philosophie dans le mot de Darwin. Toute la philosophie y est peut-être incluse.