Pensées (Stendhal)/02

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Pensées : filosofia nova
Texte établi par Henri MartineauLe Divan (Tome premierp. --45).

PENSÉES
SUR DIFFÉRENTS SUJETS

Dumarsais[1]


Ce n’est point à l’idée du grammairien instruit, de l’auteur de plusieurs ouvrages excellents que nous devons nous borner en considérant Dumarsais.

L’Institut en proposant l’éloge de Dumarsais a voulu remettre sous les yeux des hommes le type du vrai philosophe, de cette philosophie si calomniée de nos jours. Ici sortie sur les antiphilosophes du moment. Ce morceau peut être superbe.

Il a aussi voulu rappeler à la vraie manière d’écrire qui tient si immédiatement à la manière de bien concevoir. C’est ainsi que j’ai conçu mon sujet, j’ai été enflammé par l’idée du portrait à faire de tout ce qui est vraiment bon et juste parmi les hommes, de ce à quoi ils élèveraient des autels s’ils pouvaient le bien voir.


Méthode d’invention[2]

Étant donnés les caractères d’un drame quelconque trouver l’intrigue ?

Le nombre des personnages rigoureusement nécessaires pour développer le caractère du protagoniste, et leurs caractères étant donnés, soient A, B, C, D, etc. ces personnages.

D’après l’avant-scène, que doit vouloir au commencement du premier acte :

A, B, C, D, etc. ?

Quels sont ceux de ces personnages dont les actions ou les discours peuvent servir le plus à développer l’avant-scène aux spectateurs ?

Ces personnages A, B, C, D, etc. étant en scène que doivent-ils faire et dire ? (Question répondue par la réponse de la précédente.)

La première scène finie que veulent tous les autres personnages ?

Quels sont ceux qu’il faut amener sur la scène ?

Suivre ainsi pendant toutes les scènes des cinq actes.

Résoudre toutes les questions dans le caractère.

Cette méthode doit faciliter beaucoup le travail en ce qu’elle présente les difficultés successivement.

*

J’ai besoin de me souvenir de ne jamais parler le premier si ce n’est de la santé, de la pluie et du beau temps.

*

La grande invention tue la mémoire naturelle et mécanique, en augmentant la mémoire judicielle et clarifîcative.

*

Toute religion qu’on se permet de défendre comme une croyance qu’il est utile de laisser au peuple ne peut plus espérer qu’une agonie plus ou moins prolongée, donc dans cent ans le christianisme n’existera plus que dans la mémoire des obstacles qu’il a apportés au bonheur des nations.

*

Après Coriolanus le génie le plus marquant que produisit la République romaine jusqu’à l’année 355 fut Furius Camillus.


On peut tourner[3] en ridicule devant les gens leurs plus propres confrères, s’ils en rient véritablement ils ne leur ressemblent pas.


Amour[4]

Tant que l’on aime on ne réfléchit point, dès qu’on réfléchit on n’aime plus ;

*

La Bruyère dit : « que le caprice est dans les femmes tout près de la beauté pour être son contrepoison. »

Je crois très fermement que le caprice n’est près de la beauté que pour en ranimer les charmes, pour les faire valoir, etc. On s’accoutume si aisément à voir les mêmes traits, et, l’admiration est un sentiment si froid, et de si peu de durée.

*

L’amour vit dans les orages, chez lui tout est convulsif, s’il est un instant tranquille il est mort.

*

b. En amour on pardonne tout ce qu’il cause.

*

Comment en effet risquer d’être aimable aux yeux d’un homme qui vous inquiète par son sang-froid, qui vous examine, qui ne se livre point ? On ne se met à son aise qu’avec ceux qui hasardent avec nous, qui donnent prise sur eux.

Vous devez avoir lu qu’on plaît plutôt par d’agréables défauts que par des qualités essentielles.

*

La patience est l’art d’espérer. (VV.)

*

L’esprit est l’œil de l’âme, non sa force. Sa force est dans le cœur, c’est-à-dire dans les passions. La raison la plus éclairée ne donne pas d’agir et de vouloir. Suffit-il d’avoir la vue bonne pour marcher, ne faut-il pas encore avoir des pieds, et la volonté avec la puissance de les remuer. (VV.)

*

Les conseils de la vieillesse éclairent sans réchauffer, comme le soleil d’hiver. (VV.)

*

On n’est pas né pour la gloire, lorsqu’on ne connaît pas le prix du temps. (VV.)

*

Ceux qui craignent les hommes aiment les lois. (VV.)

*

Différent génie, différent goût, ce n’est pas toujours par jalousie que réciproquement on se rabaisse. (VV.)

*

Entre les auteurs de même mérite chacun dans son genre, la différence du genre Racine l’emporte donc de beaucoup sur Boileau. (VV.)

*

Je dirais que c’est la flatterie qui conduit l’amour, et qu’on ne parvient à l’introduire dans le cœur d’une belle qu’après avoir payé le tribut à sa vanité.

*

Psyché perdit l’amour pour avoir voulu le connaître.

*

Une femme se persuade beaucoup mieux qu’elle est aimée par ce qu’elle devine, que par ce qu’on lui dit.

*

Il est une sorte de timidité charmante aux yeux des femmes c’est celle qui découvre en vous un penchant décidé, en même temps qu’elle décèle les efforts que vous faites pour le cacher (T. I, page 152).

*

Il faut aux femmes un respect de déférence ou ménagement, non pas un respect d’idiotisme ou d’inaction.

*

Nous ne sentons le prix d’un bien qu’à l’instant qu’il va nous échapper.

*

Bayard naquit au château Bavard à 3/4 de lieues du Cheylas, en 1476, sous Louis XI.

*

Ce que le sentiment gagne en force, il le perd en étendue, f. a. Chateaubriand.

*

Une femme disait : les aveux vraiment flatteurs ne sont pas ceux que nous faisons, ce sont ceux qui nous échappent. L. de N.

*

Souvent nous nous applaudissons de nous voir sacrifier un rival, et nous ne sommes que les instruments d’un effet qu’on veut produire, dans le cœur de ce même rival.

*

C’est une mauvaise société pour une jeune femme que la société des autres femmes, avec les hommes elle se forme le caractère, elle a des observateurs moins malins, et elle évite les infernales calomnies de ses rivales et leur fausse amitié souvent encore plus funeste.

*

Une femme est sans cesse agitée par le désir de plaire, et la crainte du déshonneur. Notre rôle est d’être imprudents en leur témoignant notre tendresse, le leur de paraître s’en fâcher et de nous récompenser bien vite.

*

Dès que l’esprit d’ordre s’empare d’une affaire de cœur, la passion disparaît, la langueur succède, l’ennui perce, et le dégoût termine tout.

*

Les problèmes dans lesquels les données réagissent les unes sur les autres sont très difficiles à résoudre, par exemple celui-ci : les lettres ont-elles corrompu les mœurs, ou les mœurs les lettres ? à vue de pays, je suis du premier avis.

*

Rechercher quelles sont les différences qui existent, entre l’ouvrage d’un savant (en us ou en x) et celui d’un homme de lettres. Influence de cette différence sur la gloire de l’un et de l’autre.

Je vois tous les désavantages pour le savant. À moins qu’il ne soit un génie du premier ordre, deux cents ans après sa mort son nom ne vivra plus que dans l’histoire de la science, de son vivant très peu d’hommes sont en état de l’apprécier, le public le juge donc sur parole, et sur le dire de ses rivaux. Il arrive exactement le contraire à l’homme de lettres.

*

C’est une chose bien difficile à résoudre que les problèmes dans lesquels les bases réagissent réciproquement les unes sur les autres comme dans celui-ci :

« Les lettres corrompent-elles les mœurs, ou les mœurs les lettres ? »

Bacon pense que les mœurs sont corrompues par les lettres.

*

b. Il faut ce me semble se tirer de son siècle et se faire citoyen de celui qui a été le plus favorable aux productions du génie. Ce siècle est probablement celui des grands hommes, il faut donc devenir contemporain de Corneille.

*

La fausse confidence que Bégearss emploie dans la Mère coupable pour éloigner Léon de Florestine est un beau moyen de pathétique.

*

L’acteur doit toujours entrer dans le caractère du personnage, d’après cela il faut jouer chaque auteur d’une manière différente. En général remplir toujours le caractère dans les convenances de l’art. Dans Atrée par exemple les accents de la haine la plus énergique excepté ceux qui ne-sont pas nobles.

Il faut considérer les actions principales du personnage ; et en tirer la teinte générale du rôle. C’est uniquement sur les actions rappelées ou mises sous les yeux dans sa pièce qu’on doit établir un rôle : l’auteur ayant pu s’écarter du caractère de l’histoire.

D’après cela le même vers dans différents rôles doit être dit de différentes manières.

L’Oreste de Crébillon doit avoir une autre teinte que celui de Racine.

Il me semble qu’il faut tout développer dans R[acine] qui suit exactement la marche de la passion, et frapper des coups successifs dans Crébillon.

Crébillon est horrible, dites-vous, ne le jouez pas. Mais si vous affichez Atrée, jouez-le moi comme C[rébillon] l’a conçu.

*

Le temps que l’esprit emploie à concevoir est perdu pour le sentiment. Le but de la tr[agédie] est de toucher ; Lagrange-Chancel a méconnu ces deux principes et il est oublié.

*

Il n’y a point de génie sans activité et sans passion, ainsi le génie vient de l’âme.

*

b. Un grand moyen de supériorité, c’est de ne s’appliquer qu’à un seul objet.

*

Je ne pense pas assez souvent que le monde juge de toutes choses par l’écorce.

*

Des sentiments réunis de nos forces et de notre misère naissent les plus grandes passions, parce que le sentiment de nos misères nous pousse à sortir de nous-mêmes et que le sentiment de nos ressources nous y encourage, et nous porte par l’espérance. (VV.)

*

Les hommes enjoués n’étant pas d’ordinaire si ardents que le reste des hommes, ils ne sont peut-être pas capables des plus vives joies. (VV.)

*

De la gaîté à la vanité il n’y a pour ainsi dire que la réflexion… d’autre part les mélancoliques sont ardents, timides, inquiets, et ne se sauvent souvent de la vanité que par l’ambition et l’orgueil. (VV.)

*

Il faut me sortir entièrement de mon siècle, et me supposer sous les yeux des grands hommes du siècle de Louis XIV. Travailler toujours pour le 20e siècle.

*

Les passions sont l’effet des objets extérieurs sur nous. Il ne faut donc pas s’étonner que le même archet produise des sons différents sur des violons dont les caisses ne se ressemblent pas.

*

Chacun voit à sa manière les objets de sa passion, ainsi les hommes s’attachent souvent au même objet, sans aller au même intérêt. (VV.)

*

L’amour du monde[5] renferme toutes les passions en miniature.

La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer. Il y a dans cette pensée de VV.[6] de quoi faire deux beaux vers tragiques.

*

Les traits hardis ne s’offrent pas à un esprit fatigué. (W.)

*

L’art de plaire est l’art de tromper. (VV.)

*

Mes pareils à deux fois ne se font pas connaître
Et pour leur coup d’essai veulent des coups de maître.

*

On peut voir de nouvelles intrigues en changeant dans un drame les personnages odieux ou ridicules en intéressants. Chose à suivre.

*

Duché avait fait élever un petit mausolée à sa maîtresse, dans un cabinet où lui seul entrait et il avait gravé en forme d’épitaphe :

Charme de tous les yeux, trésor d’un seul mortel.

*

À la cour, les hommes agréables ont toujours l’avantage sur ceux qui ne sont que nécessaires.

*

Les personnes les plus économes deviennent prodigues et ne ménagent rien, quand il s’agit de satisfaire leur passion favorite.

*

b. Il faut tout voir, tout éprouver, faire un recueil d’anecdotes.

*

Mais une réflexion juste et vraie qu’on doit toujours avoir présente à l’esprit, lorsqu’on juge les grands hommes, c’est qu’en morale ainsi qu’en littérature le censeur et le critique n’ont besoin que d’un discernement fort ordinaire, et d’une vertu fort commune pour remarquer les vices et les défauts des plus illustres personnages et des plus beaux génies qui font l’honneur et. L’ornement de l’humanité. (Naigeon dans Baconisme.)

*

b. Faire l’inventaire de son savoir de temps en temps, et se reprouver tout ce qu’on croit, c’est ainsi qu’on peut espérer de ne contracter aucun préjugé, vice aussi nuisible à l’avancement du génie que facile à prendre. Quand on va dans une société de gens instruits, présenter comme problème dans la conversation les choses qu’on croit, et celles sur lesquelles on discute, moyen très, utile, car il faut sans cesse avoir sous les yeux

qu’un fat quelquefois ouvre un avis important.

*

b. Molière en faisant des pièces de caractère a élagué beaucoup de traits qui ne pouvaient pas entrer dans ses plans ; en les joignant à de jolies intrigues on peut en faire des petits opéras charmants.

*

Chercher la meilleure description de la France, la lire, faire une liste des sites pittoresques, et voir le printemps prochain ceux qui sont dans les environs de Paris.

*

Le raisonnement par les faits est, ce me semble, le meilleur de tous, il y a[7] quatre bonnes épopées et quarante bonnes tragédies, l’épopée est donc plus difficile que la tragédie : il y a quarante bonnes tragédies et quinze bonnes comédies, on peut donc dire que les difficultés des grandes compositions les rangent dans cet ordre :

Epopée Homère
Virgile
Le Tasse
Milton
Comédie : Molière.
Tragédie Corneille
Racine
*

Pour être vraiment grand aux yeux de la postérité il faut exceller d’une manière originale dans le genre de composition où sa nature excelle. Il faut donc parmi nous être grand poète dramatique. Bossuet est sublime pour nous, et, cependant ce grand homme est inférieur à Démosthène et à Cicéron.

À mesure que le genre humain vieillit, nous devenons moins naïfs dans tout ce que nous faisons, et par conséquent moins poètes.

Plus le poète se cache sous le personnage, plus il produit d’effet, il faut donc avoir en horreur les maximes, le défaut le plus desséchant de la poésie du xviiie siècle ; il faut reconnaître les vices du siècle et se jeter dans les défauts opposés, je croirai être bien loin de mon siècle et je serai encore tout près, tant ce que nous voyons chaque jour a d’influence sur nous.

La poésie tire de grandes beautés du système des causes finales.

Il est peut-être vrai généralement que ce qu’on gagne en étendue on le perd en force.

*

L’exposition est la seule partie du drame où il faille forcer les caractères, si le drame se passait réellement devant nous, nous serions instruits de sa qualité et du nom des personnages, ainsi que de ce qui leur est arrivé, mais il n’en est pas ainsi, quand nous entrons au spectacle. Le poète doit donc employer tout son art pour masquer cette nécessité. Il doit se faire ces questions en commençant son drame :

1o que font tous mes personnages au commencement du drame ?

2o quels sont ceux dont l’action prête le plus à l’exposition ? Cette action déterminée, il doit (dans la tragédie) revêtir ses vers de toute l’élégance noble qui est en lui, car au lever de la toile le spectateur n’a point d’émotion pour lui cacher les fautes du poète. C’est ce qui fait que celui-ci doit chercher avec le plus grand empressement les expositions qui amusent les yeux du spectateur, tout en instruisant son esprit.

*

Il faut bien prendre garde d’introduire des confidents comme nos poètes. On ne saurait être trop en garde là-dessus, parce que l’habitude que nous avons de supporter ce plat défaut diminue beaucoup l’ennui qu’il doit donner à tout homme sensé. Ce principe d’Alfieri, mis en œuvre par lui, lui donne la qualité d’inventeur.

Les vrais sujets de roman sont les sujets tragiques ou comiques, que quelque circonstance nécessaire à l’intrigue, ou à la vraisemblance des caractères, éloigne du théâtre. Il semble que la tragédie bourgeoise est très propre au roman, et que c’est vraiment son genre :

Le grand art du poète est de traiter chaque sujet dans le genre qui lui est le plus convenable. S’il ne le fait pas il s’expose à découvrir une mine dont d’autres profiteront.

Je crois que les choses pathétiques sont plus touchantes en récit, parce que l’esprit rejette loin de lui tous les détails qui pourraient diminuer l’intérêt, au lieu que le comique venant, presque toujours, de l’à propos des réparties et de la simultanéité de quelques événements, me semble plus propre à être représenté.

*

Le poète ne tirerait-il pas un grand avantage de particulariser beaucoup plus les comparaisons ; je montre un fleuve majestueux, pourquoi ne pas nommer le Rhône ou le Rhin ? Il me semble que la manière de l’Arioste.

*

Un tour en toute langue vaut souvent une pensée et en est véritablement une (Brumoy).

Le feu soutient jusqu’aux défauts, et la langue fait expirer les grâces mêmes. (Br.)

*

Quatre sortes de dénouements tragiques :

1o Le héros de la pièce déjà malheureux arrive insensiblement au comble du malheur. Phèdre.

2o Il passe de l’infélicité à la fortune. Œdipe.

3o Il passe des malheurs à une fortune heureuse.

4o Il arrive que les criminels sont punis, et les justes récompensés. Mérope (Brumoy).

Isaac, tragédie ou poème.

Ne pourrait-on pas rendre la comédie plus intéressante que le divin Molière, sans toutefois se rapprocher du plat drame, ou de la tragédie bourgeoise ?

*

Introduire la terreur dans l’Epopée, on pourrait la porter bien plus loin que dans la tragédie. Voyez les romans d’Anne Radcliffe.

*

Dans Polyeucte, page 45 vers 5e, il me semble qu’il fallait : vous verrez les plus audacieux, jusqu’à ce jour, frappés de terreur à la nouvelle de son arrestation, et de son supplice, le cœur glacé d’effroi, venir applaudir à ce même supplice, qui confond leurs projets.

*

M. Dubriage, dans le vieux Célibataire de Collin, est malheureux non point parce qu’il est vieux et célibataire, mais parce qu’il est un sot. (Voir cela, ceci n’est qu’un premier aperçu.)

Quand on veut peindre un caractère ridicule il ne faut jamais y joindre la sottise, excepté celle produite par la faiblesse qu’on peint.

Le titre de Collin n’est donc pas rempli. Il approche du sujet avec un intérêt demi-drame, comme le Légataire en approche en faisant rire.

Le parfait vieux-célibataire est donc à faire.

*

Les mœurs ne sont jamais trop compliquées pour la comédie, plus elles se compliquent, plus la tragédie est obligée de se rapprocher de la comédie.

*

En commençant la vie, nous croyons que le bonheur habite exclusivement dans les classes élevées, nous voyons aussi bientôt après qu’il est très probable que nous n’y parviendrons jamais ; ne serait-ce point par un sentiment de vengeance que nous aimons à voir souffrir Agamemnon malgré ses mille vaisseaux et tous ses honneurs ?

Ch[ateau]briand a raison lorsqu’il dit que Zaïre est plus intéressante, par la situation, qu’Iphigénie ; toutes les filles chrétiennes peuvent aimer un infidèle, mais il faut être fille de roi pour pouvoir craindre le sort d’Iphigénie.

Ma tragédie de Zizin et Clémentine ressemblerait trop à Zaïre. Je pourrai faire un Othello dans dix ans. Le caractère de Iago, neuf, donne une intrigue sans invraisemblance.

*

Quand on a fait triompher la vertu d’un sentiment naturel il faut conserver religieusement leur énergie à tous les autres.

Tous nos dramatiques modernes n’ont guère connu ce principe.

*

Méditer sur ce beau vers de Racine :

Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ?

il est très probable qu’elle l’aurait aimé avec, moins de violence, s’il eût été fidèle, mais pour plaire au grand nombre il faut suivre les notions qu’il a des passions, et non celles des philosophes.

Faut-il s’écarter de la vérité, des caractères ? non, jamais : d’après cela, ou, le vers est mauvais, ou la remarque est fausse.

*

Le crime augmente en raison du plus grand nombre de liens que le coupable a rompus.

*

Je compare un poème à un pays qu’on traverse, voir comment il faut qu’un pays soit fait pour plaire pendant une route de cinq lieues à un jeune homme de vingt-cinq ans, ayant senti les passions.

*

Dans un drame et peut-être dans l’épopée « que les acteurs ne soient jamais de passage ».

*

Pour comparer juste il faut comparer les mêmes qualités des hommes ou des choses, par exemple : Cicéron orateur à Sénèque orateur, et Cicéron philosophe à Sénèque philosophe

*

Les capitales étant le rendez-vous de ce qu’il y a de meilleur et de pire dans une nation, le philosophe observant dans une capitale jugera la nation trop sévèrement.

J’ai une grande envie de voir l’Écosse et la Grèce, ensuite Naples et Dublin.

*

Les sept péchés capitaux :

l’orgueil, ce vice qui se nourrit de vertus ; l’envie ; la luxure ; l’avarice ; la colère ; la gourmandise ; la paresse.

*

En tout il faut viser au simple et faire tout sortir d’une chose. Dans les réfutations de la Bible par exemple, plusieurs auteurs la combattent par la chronologie et par les autres histoires, le génie a cherché dans elle-même les preuves de son absurdité, et le principe de sa destruction.

*

Le seul mal qu’un grand poète puisse faire à ses prédécesseurs c’est de fausser leurs caractères. Le combat d’Oreste et de Pylade dans l’Iphigénie de Guimond fait regretter que Racine, dans Andromaque, ait négligé l’amitié de ses héros.

J’éviterai cet inconvénient en poussant mes caractères au dernier degré, et en tirant tout le convenable dans la situation.

Le vulgaire nuit aux grands hommes, en profanant leurs expressions trouvées dans les romans les plus insipides, et les conversations les plus plates.

*

Si les puissances coalisées avaient prévalu contre la France, c’en était fait du beau dans le monde.

*

Vous voyez les poètes-poètes lutter contre les poètes-génies et ne faire que des parties, quelquefois plus parfaites que les morceaux des poètes-génies, mais bien moins durables. Racine voulant faire le Corneille a fait Britannicus où il y a de belles scènes, mais où Néron se cache derrière une tapisserie ; il a fait Mithridate, où il y a une scène superbe, mais où le héros ment.

Virgile a fait le 2e et le 6e livre de l’Énéide (dans le genre d’Homère) peut-être plus parfaits qu’aucun morceau de ce grand homme, et cependant Homère est le poète du genre humain.

Je crois Virgile supérieur à Racine, parce qu’il a trouvé par son quatrième livre le genre de Racine.

*

L’homme est porté à voir sur ses théâtres les objets de son culte.

Si on n’eût pas défendu les mystères il y a trois siècles nous prenions le grand chemin des Grecs, limité cependant un peu par la sévérité du culte, et les Grecs et les Latins auraient eu beaucoup moins de gloire.

*

Les petits hommes ayant les yeux trop faibles pour supporter l’éclat du grand préfèrent Racine à Corneille et Virgile à Homère.

*

Tu rentres dans le vulgaire par tes amours de la société et des plaisirs. Il faut cependant les voir le plus tôt possible pour l’expérience et pour t’en dégoûter.

*

Chateaubriand (III, 86) dit :

« Les causes des événements qu’Hérodote avait cherchées chez les dieux, Thucydide dans les constitutions politiques, Xénophon dans la morale, Tite-Live dans ces diverses causes réunies, Tacite les vit dans la méchanceté du cœur humain. »

*

Voici une pensée autour de laquelle je tournais depuis longtemps. Chateaubriand (III, 87) :

« Il n’en est pas des vérités comme des illusions celles-ci sont inépuisables, et le cercle des premières est borné ; la poésie est toujours nouvelle, parce que l’erreur ne vieillit jamais, et c’est ce qui fait sa grâce aux yeux des hommes. Mais en morale et en histoire on tourne dans le champ étroit de la vérité ; il faut quoi qu’on fasse retomber dans des observations connues. »

Je pourrai me délasser dans deux ans en faisant une épître sur les avantages de la poésie, où cette idée même pourra entrer.

*

Voir sans cesse :

que chaque chose doit être mise en son lieu.

*

Quand on a des interlocuteurs marquer par le rythme la différence des caractères.

Rechercher le rythme de chaque passion.

*

Je pense que dans la tragédie et surtout dans l’épopée, il faut éviter de renfermer les choses frappantes en deux vers sur la même rime, forme qui rappelle le distique et par conséquent le poète.

Mettre les choses frappantes en deux vers sur différentes rimes, ou en trois.

Dans le dialogue coupé, peut-être faut-il éviter de faire parler les personnages par hémistiches, forme du poète…

*

Il faut absolument que je fasse un petit cahier, où j’inscrirai :

Tragédie : tous les caractères naturels, tous les caractères chevaleresques, les intrigues de toutes les belles tragédies existantes, en six lignes. Comédie : tous les caractères français de Louis XIV, les caractères de nos jours, le vice haïssable, les défauts ridicules, les intrigues de toutes les belles comédies en six lignes.

*

Quelle que soit la destinée qui m’attend, je veux toujours pouvoir me dire comme le grand Corneille, ainsi :

Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée.

Ainsi je ne veux introduire aucune espèce de copie dans mes premiers ouvrages. Quand je saurai peindre la nature comme je la vois, alors je verrai à entreprendre les grands sujets, sans faire attention à ceux qui les auront traités avant moi. Bien entendu que je n’aurai jamais la sotte témérité de retraiter les sujets desquels Corneille, Racine, Crébillon, Molière, ont fait leurs chefs-d’œuvre.

*

Dans un moment d’enthousiasme causé par la lecture du 2e volume du Génie du Christianisme, j’ai pensé à développer le combat de l’amour de Dieu et de l’amour dans le cœur d’une jeune fille passionnée, en un mot à faire une Clémentine protagoniste de tragédie. J’ai pensé tout de suite au prince Zizin pour amant. La scène serait alors à Sassenage près Grenoble.

Jusqu’ici (19 frimaire, imaginé le 18) je vois ce sujet trop élégiaque pour la tragédie. Il faudrait pour faire de ce sujet un chef-d’œuvre que tous les événements vinssent du caractère principal. Il me paraît bien difficile de rendre ce sujet intéressant pour notre siècle. On plaindra Clé[mentine] comme une folle charmante, si le style est bon, on viendra écouter une seconde fois de jolis sentiments en vers touchants, mais l’âme n’ayant pas été violemment émue on n’y reviendra pas une troisième. La scène dans le temps des Croisades.

*

Je ne sais pas grand chose en harmonie, mais il me semble que cette qualité du style a bien fait dire de bêtises.

La musique du style ne doit-elle pas toujours être d’accord avec ce qu’on dit ?

L’harmonie est donc différente pour chaque chap[itre]. Socrate recommande de sacrifier aux grâces, on doit donc tendre à la douceur et à la grâce des sons, excepté, bien entendu, les endroits où cette douceur serait contre-sens.

*

M. Petiet me disait un jour à Cardon et à moi qu’un chanteur qui avait beaucoup de méthode sans voix était comme un cocher très habile qui placé sur son siège n’aurait point de chevaux à conduire. N’en serait-il pas de même d’un homme qui aurait beaucoup de goût sans imagination ?

*

Montesquieu dit des affaires (Grandeur des Romains, p. 106) :

« Ce qui gâte presque toutes les affaires, c’est qu’ordinairement ceux qui les entreprennent, outre la réussite principale, cherchent encore de certains petits succès particuliers qui flattent leur amour-propre et les rendent contents d’eux. »

On peut appliquer entièrement ce principe aux auteurs. Dans l’épopée par exemple il faut tout faire céder à la grande intrigue.

fini vers le 10 janv. 1803.

Prendre tous les caractères[9] en particulier et en faire le protagoniste d’autant de tragédies.

Le tyran : Néron ; l’amant : Othello ; l’amant vengeur de son père : Hamlet ; la vengeance : Oreste.

Les caractères très étendus pourraient, opposés à d’autres passions, me donner, des situations très intéressantes, ainsi je serai le Molière tragique. Cette méthode donnera des tragédies sublimes, mais qui n’auront pas autant d’intérêt que celles comme Hamlet. Voir Shaftesbury, cité par Helv[étius] dans l’Homme.

*

Chercher à me donner le pouvoir d’analyse. Ce sera un grand pas qu’aura fait mon esprit. J’aurai le pouvoir d’analyse lorsque me faisant des questions qu’est-ce que l’homme ? qu’est-ce qu’un nom ? qu’est-ce que le rire ? qu’est-ce que la faim ? qu’est-ce que le remords ? je pourrai répondre exactement.


Je crois qu’avec les femmes[10], et peut-être même dans d’autres circonstances, on donne naissance à des obstacles en les combattant.

*

Note sur Molière :

Je crois que Molière a imité quelque part cette réponse de François duc de Bretagne à quelqu’un qui lui disait qu’Isabeau, fille d’Écosse qu’il allait épouser, avait été nourrie simplement, et sans aucune instruction aux lettres. Il répondit « qu’il l’en aimait mieux, et qu’une femme était assez savante quand elle savait mettre différence entre la chemise et le pourpoint de son mari. »

Je crois qu’en quelque genre que ce soit le génie n’est qu’une plus grande dose de bon sens, or le bon sens s’acquiert à force de travailler, c’est-à-dire à force d’observer et de réfléchir sur ses observations.

L’homme qui a pour but de réussir dans une partie quelconque doit donc en faire l’unique objet de ses méditations.

Il importe de ne pas perdre son temps. Pour cela il ne faut pas consacrer aux actions de tous les jours plus de temps qu’il n’en est nécessaire. Il faut s’habiller vite, ne rester à table que le temps nécessaire pour manger, et marcher rapidement.

Il ne faut jamais se laisser dominer par les affaires. Il faut le matin en se levant réfléchir sur ce que l’on a à faire pendant la journée, voir à quelle heure et comment il convient de le faire, et prendre sur soi de se mettre en train précisément au moment qu’on a décidé. On se délivre ainsi des vaines inquiétudes si funestes au bonheur, et à l’avancement de la raison.

*

Semper enim quod postremum adjetum sit, id rem totam videri traxisse. Titus Livius. (car toujours les troupes qui surviennent les dernières au combat semblent avoir entièrement décidé l’affaire).

*

Un homme qui veut bien parler sa langue doit prendre son langage uniquement dans le petit nombre d’écrivains regardés généralement comme des modèles. Il doit toujours prendre les mots dans le même sens qu’eux. Il doit par exemple former son langage tragique sur Racine entier, les belles scènes de Corneille, sur quelques beaux couplets de Voltaire et sur quelques beaux vers de Crébillon. Il trouve dans ces auteurs le langage du pays, c’est en vain qu’il cherchera à le parler s’il ne commence pas par l’apprendre avec eux, ne sera pas entendu.

Tous les autres poètes tragiques doivent être pour lui comme s’ils n’existaient pas quant au style.

*

Lorsqu’on commence à raisonner d’une chose avec quelqu’un, on se demande tout naturellement la définition de la chose dont on parle, afin de s’assurer qu’on voit le même objet. Ensuite on commence à l’analyser de concert, chacun rapportant ses observations pour les examiner en commun avec son compagnon d’analyse et on finit, si l’on est de bonne foi, par porter le même jugement ou par remarquer qu’il y a quelque chose de contradictoire dans les observations primitives.

L’orgueil des hommes prend soin de leur dérober les chétives circonstances qui ont aidé à les déterminer dans les occasions les plus importantes.

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« Ma table ne serait point couverte, avec appareil, de magnifiques ordures et de charognes lointaines. » Jean-Jacques.

Pourquoi le mot charogne ne répugne-t-il pas dans cette phrase ?

Cela tient à l’adjectif lointaines, et au mot d’ordures que Rousseau a placé avant celui de charogne pour préparer l’esprit à une image dégoûtante par une qui le fût moins[11]. Car si Jean-Jacques avait dit : « Ma table ne serait point couverte avec appareil de magnifiques ordures et de charognes », chacun de nous se serait figuré un cheval putréfié sur la table de Rousseau et l’image eût été à faire vomir. Au lieu que l’adjectif lointaines nous apprend d’abord que ce ne sont pas les charognes que nous connaissons, nous cherchons donc à nous en figurer d’autres, et nous nous représentons les cadavres des animaux étrangers qui nous sont connus. Or comme nous avons vu ces animaux superbes pour la plupart tenus avec beaucoup de soins dans des lieux très propres, que ceux dont nous nous souvenons le mieux sont les plus brillants, tels que l’oiseau de paradis, le colibri, l’oiseau-mouche, etc., etc., nous nous formons de leurs cadavres une image beaucoup plus relevée que de ceux des animaux que nous voyons chaque jour et souvent dans des états très dégoûtants. Leur charogne nous paraît donc beaucoup moins repoussante que celles des animaux de l’Europe.

J’observe en mes voyages cette pratique : pour apprendre toujours quelque chose par la communication d’autrui, de ramener toujours ceux avec qui je confère aux propos des choses qu’ils savent le mieux.

Cette maxime qu’un vain orgueil nous engage souvent à ne pas pratiquer, nous offre cependant un double avantage. D’abord elle peut beaucoup contribuer à notre instruction, car il n’est pas d’homme qui n’ait quelque chose de bon à nous enseigner au moins sur une partie. Ensuite, elle est très propre à nous acquérir beaucoup d’amis, car quel est l’homme qui ne vous saura pas gré d’avoir donné[12] des motifs à son amour-propre secret en lui fournissant l’occasion de montrer ce, qu’il sait le mieux.

Pour pratiquer cette maxime avec tout l’avantage possible, il faut avoir le talent de bien écouter.

Je voudrais introduire dans mon ouvrage cette touchante et mélancolique philosophie de ces octaves du Tasse :

Deh mira, egli canto,
spuntar la rosa…

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Pompée dans l’éclat de la jeunesse, de la beauté, et d’un triomphe refusé, se présentant aux censeurs tenant son cheval par la bride, et descendant la montagne par un beau soleil de printemps, au bruit des acclamations du peuple romain.

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Description d’un triomphe.

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Pourquoi n’introduirais-je pas un poète chantant pendant un repas la création du monde par mon Jupiter dans laquelle je ferais entrer tout ce qu’il y a de sublime dans la Genèse, ou mieux un poète étranger, juif, chantant la création suivant Moïse ?

Homère a pris la mythologie de son pays mais il se l’est soumise, et ne s’est pas soumis à elle.

Res mihi, non me rebus submittere conor.

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Je peux introduire de la même manière toutes les belles histoires des livres saints, Joseph et ses frères, peut-être Isaac et Abraham.

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Mon ouvrage est la première épopée faite sur le peuple romain[13] : y faire entrer tout ce que ce grand peuple a fait de beau.

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Toi, Français, tu auras

La puissance du glaive et le sceptre des arts.

Ne pas manquer le beau contraste présenté par le Tasse, les combats et la vie champêtre.

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Peindre un combat de gladiateurs.

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Ne pas oublier l’amour de la dixième légion pour César, ni cette politique de s’attacher des corps impérissables au lieu de particuliers sujets à la mort et au changement. Politique imitée de nos jours par B[onaparte].

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Vie de César (Dacier, tome 7 page 231, ligne 17).

Tableau d’hiver à imiter.

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Quand j’en serai aux peintures de détail, aller consulter les tableaux des grands maîtres au Musée.

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Dacier, tome 7, page 234.

Tableau à faire : peindre une grande multitude agissante et parlante. Par qui fait avant moi ?

  1. Ce fragment daté du 1er brumaire XI [23 octobre 1802] provient d’un feuillet perdu au tome 15 des manuscrits de la Bibliothèque municipale de Grenoble reliés sous la cote R. 5896. N. D. L. É.
  2. Fragment daté du 5 frimaire XI [26 novembre 1802] et extrait, ainsi que les pensées qui suivent, du tome 27 des manuscrits cotés R. 5896. N. D. L. É.
  3. Cette pensée non datée provient d’un feuillet isolé du tome 25 des manuscrits de Grenoble cotés R. 5896

    N. D. L. É.

  4. Ce cahier, daté du 16 frimaire XI [7 décembre 1802] se trouve dans les manuscrits de la Bibliothèque municipale de Grenoble sous la cote R. 302. Sur la couverture, Henri Beyle a noté ultérieurement :

    La Rive m’exhorte au naturel le 29 brumaire an 13 [20 novembre 1804] : « Vous avez quelque chose qui prévient pour vous, et qui attire en entrant dans un appartement. » N. D. L. É.

  5. 25 frimaire XI [18 décembre 1802].
  6. Vauvenargues. N. D. L. É.
  7. M. Dubois me dit cette pensée dans une visite vers le 20 fructidor XI. Il me dit une comédie de caractère comme ce qu’il y de plus difficile à faire. Il se plaint que dans toutes les c[omédies] c’est un homme qui s’introduit (le Tartufe, le flatteur, le méchant, Bégearas, etc.).
  8. À la suite de cette pensée se trouvent plusieurs pages où Stendhal a dressé des tableaux des oppositions de caractères et de passions formant des situations tragiques.

    N. D. L. É.

    L’homme est :

    a fils
    Oreste vengeur, Rodrigue.

    b frère

    c amant
    Oreste amant, Achille.

    d époux
    Agamemnon, Thésée.

    e père, grand-père
    Brutus, Venceslas, Agamemnon.

    f ami
    Oreste et Pylade.

    (Combinaison 2 à 2 = .

    (Combinaison diff. .)

    etc.

  9. 16 floréal XI [6 mai 1803].
  10. Ces pensées se trouvent sur quelques feuillets non datés et perdus (sans doute de 1803, ou un peu plus tôt), des manuscrits de Grenoble R. 5896, t. 15. N. D. L. É.
  11. D’où, je conclus qu’on peut se faire un langage très hardi et se servir de mots que personne n’oserait employer, en ayant soin de les préparer. C’est ce que Racine fait souvent.
  12. Tout homme forme de son propre mérite un jugement qu’il n’avoue pas publiquement et qui le plus souvent est exagéré. Quelque bêtise prononcée vient bien l’avertir de temps en temps que ce jugement n’est pas juste et alors il tombe dans une grande mauvaise humeur. Jugez donc par là du plaisir que vous lui procurez lorsque vous lui fournissez quelque raison qui justifie l’idée intérieure qu’il a de son propre mérite. Lorsque vous dites à un homme : vous êtes un grand homme, il ne met de prix à cette louange qu’autant que vous en avez vous-même à ses yeux. Combien vous saura-t-il donc gré si vous la lui faites donner par l’homme qu’il estime le plus, c’est-à-dire par lui-même. Or c’est ce que vous faites en lui donnant occasion de briller et en ayant l’air de bien sentir tout le mérite de ce que vous écoutez. C’est de là que je tire la véritable théorie de la flatterie. Et l’on voit qu’on ne doit rien épargner, avant d’entreprendre de plaire à un homme, pour découvrir ce qu’il pense intérieurement de lui-même et quelle est la marotte de son amour-propre.

    Il y a une sorte de danger à montrer publiquement les pensées qu’on a sur le caractère de l’homme. Chacun sent bien intérieurement que vous observez les hommes dans vous-même, alors si vous lui révélez un principe qui ne soit pas favorable à son amour-propre, il est très disposé à s’en venger en ne croyant la vérité que vous annoncez vraie que pour vous. Ainsi si vous dites à certains hommes que l’amour-propre est le principe de toutes nos actions, ils croiront tout de suite que c’est le principe de toutes les vôtres et ne s’embarrasseront pas ensuite il chercher s’il est vrai pour d’autres.

  13. Sans doute la Pharsale, ouvrage auquel Beyle pensait à cette époque. N. D. L. É.