Pensées et Fragments inédits de Montesquieu/I

La bibliothèque libre.
Pensées et Fragments inédits de Montesquieu, Texte établi par Le baron Gaston de Montesquieu, Imprimerie de G. GounouilhouI (p. 7-39).




I

MONTESQUIEU





I. Son Caractère. — II. Sa Vie. — III. Sa Famille. IV. Ses Lectures. — V. Ses Écrits.



I. — CARACTÈRE DE MONTESQUIEU.


4 (213. I, p. 220). — Une personne de ma connoisisance disoit :

« je vais faire une assez sotte chose : c’est mon portrait.

» Je me connois assez bien.

» Je n’ai presque jamais eu de chagrin, et encore moins d’ennui.

» Ma machine est si heureusement construite que je suis frappé par tous les objets assez vivement pour qu’ils puissent me donner du plaisir, pas assez pour me donner de la peine.

» J’ai l’ambition qu’il faut pour me faire prendre part aux choses de cette vie ; je n’ai point celle qui pourroit me faire trouver du dégoût dans le poste où la Nature m’a mis.

» Lorsque je goûte un plaisir, j’en suis affecté, et je suis toujours étonné de l’avoir recherché avec tant d’indifférence.

» J’ai été, dans ma jeunesse, assez heureux pour m’attacher à des femmes que j’ai cru qui m’aimoient. 5 Dès que j’ai cessé de le croire, je m’en suis détaché soudain.

» L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. io

» Dans le cours de ma vie, je n’ai trouvé de gens communément méprisés que ceux qui vivoient en mauvaise compagnie.

» Je m’éveille le matin avec une joye secrète; je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout ô le reste du jour je suis content.

» Je passe la nuit sans m’éveiller; et, le soir, quand je vais au lit, une espèce d’engourdissement m’empêche de faire des réflexions.

» Je suis presque aussi content avec des sots 20 qu’avec des gens d’esprit, et il y a peu d’homme si ennuyeux, qui ne m’ait amusé très souvent: il n’y a rien de si amusant qu’un homme ridicule.

» Je ne hais pas de me divertir en moi-même des hommes que je vois; sauf à eux de me prendre à a5 leur tour pour ce qu’ils veulent.

» J’ai eu, d’abord, en voyant la plupart des grands, une crainte puérile. Dès que j’ai eu fait connoissance, j’ai passé, presque sans milieu, jusqu’au mépris.

» J’ai assez aimé de dire aux femmes des fadeurs 3o et de leur rendre des services qui coûtent si peu.

» J’ai naturellement eu de l’amour pour le bien et l’honneur de ma patrie, et peu pour ce qu’on en appelle la gloire; j’ai toujours senti unejoye secrète lorsque l’on a fait quelque règlement qui allât au

5 bien commun.

» Quand j’ai voyagé dans les pays étrangers, je m’y suis attaché comme au mien propre : j’ai pris part à leur fortune, et j’aurois souhaité qu’ils fussent dans un état florissant.

10 »J’ai souvent cru trouver de l’esprit à des gens

qui passoient pour n’en avoir point. »Je n’ai pas été fâché de passer pour distrait:

cela m’a fait hasarder bien des négligences qui

m’auroient embarrassé. i5 » Dans les conversations et à table, j’ai toujours

été ravi de trouver un homme qui voulût prendre la

peine de briller: un homme de cette espèce présente

toujours le flanc, et tous les autres sont sous le

bouclier.

ao » Rien ne m’amuse davantage que de voir un conteur ennuyeux faire une histoire circonstanciée, sans quartier : je ne suis pas attentif à l’histoire, mais à la manière de la faire. » Pour la plupart des gens, j’aime mieux les apab prouver que les écouter.

» Je n’ai jamais voulu souffrir qu’un homme d’esprit s’avisât de me railler deux jours de suite.

» J’ai aimé assez ma famille pour faire ce qui alloit au bien dans les choses essentielles; mais je me

3o suis affranchi des menus détails.

» Quoique mon nom ne soit ni bon, ni mauvais, n’ayant guère que trois cent cinquante ans de noblesse prouvée, cependant j’y suis très attaché, et je serois homme à faire des substitutions.

» Quand je me fie à quelqu’un, je le fais sans réserve; mais je me fie à peu de personnes. 5

» Ce qui m’a toujours donné assez mauvaise opinion de moi, c’est qu’il y a peu d’états dans la République auxquels j’eusse été véritablement propre.

» Quant à mon métier de président, j’avois le cœur très droit; je comprenois assez les questions en i° elles-mêmes; mais, quant à la procédure, je n’y entendois rien. Je m’y étois pourtant appliqué; mais, ce qui m’en dégoûtoit le plus, c’est que je voyois à des bêtes ce même talent qui me fuyoit, pour ainsi dire. i5

r Ma machine est tellement composée que j’ai besoin de me recueillir dans toutes les matières un peu composées. Sans cela, mes idées se confondent; et, si je sens que je suis écouté, il me semble pour lors que toute la question s’évanouit devant moi. 20 Plusieurs traces se réveillent à la fois, et il résulte de là qu’aucune trace n’est réveillée.

» Quant aux conversations de raisonnement, où les sujets sont toujours coupés et recoupés, je m’en tire assez bien. 2b

» Je n’ai jamais vu couler de larmes sans en être attendri.

»Je pardonne aisément par la raison que je ne sais pas haïr. Il me semble que la haine est douloureuse. Lorsque quelqu’un a voulu se réconcilier 3o avec moi, j’ai senti ma vanité flattée, et j’ai cessé de

regarder comme ennemi un homme qui me rendoit le service de me donner bonne opinion de moi.

» Dans mes terres, avec mes vassaux, je n’ai jamais voulu souffrir que l’on m’aigrît sur le compte

5 de quelqu’un. Quand on m’a dit: « Si vous saviez les discours qui ont été tenus! — Je ne veux pas les savoir, » ai-je répondu. Si ce qu’on me vouloit rapporter étoit faux, je ne voulois pas courir le risque de le croire. S’il étoit vrai, je ne voulois pas

io prendre la peine de haïr un faquin.

» A l’âge de trente-cinq ans, j’aimois encore.

» Il m’est aussi impossible d’aller chez quelqu’un dans une vue d’intérêt, qu’il m’est impossible de voler dans les airs.

i5 » Quand j’ai été dans le monde, je l’ai aimé comme si je ne pouvois souffrir la retraite. Quand j’ai été dans mes terres, je n’ai plus songé au monde.

» Je suis (je crois) presque le seul homme qui ait fait des livres, ayant sans cesse peur de la réputa

2o tion de bel-esprit. Ceux qui m’ont connu savent que, dans mes conversations, je ne cherchois pas trop à le paroître, et que j’avois assez le talent de prendre la langue de ceux avec qui je vivois. » J’ai eu le malheur de me dégoûter très souvent

25 des gens dont j’avois le plus désiré la bienveillance. Pour mes amis, à la réserve d’un seul, je les ai toujours conservés.

» J’ai toujours eu pour principe de ne faire jamais par autrui ce que je pouvois faire par moi-même.

  • o C’est ce qui m’a porté à faire ma fortune par les moyens que j’avois dans mes mains : la modération et la frugalité; et non par des moyens étrangers, toujours bas ou injustes.

» Avec mes enfants, j’ai vécu comme avec mes amis.

» Quand on s’est attendu que je brillerois dans 5 une conversation, je ne l’ai jamais fait. J’aimois mieux avoir un homme d’esprit pour m’appuyer, que des sots pour m’approuver.

» Il n’y a point de gens que j’aye plus méprisé que les petits beaux-esprits et les grands qui sont sans 10 probité.

» Je n’ai jamais été tenté de faire un couplet de chanson contre qui que ce soit.

» Je n’ai point paru dépenser; mais je n’ai point été avare, et je ne sache point de chose assez peu i5 difficile pour que je l’eusse faite pour gagner de l’argent.

»Je n’ai pas laissé (je crois) d’augmenter mon bien : j’ai fait de grandes améliorations à mes terres. Mais je sentois que c’étoit plutôt pour une certaine 20 idée d’habileté que cela me donnoit, que pour l’idée de devenir plus riche.

» Ce qui m’a beaucoup nui, c’est que j’ai toujours trop méprisé ceux que je n’estimois pas1. »

5 (973. II, f° 27). — Je n’ai point aimé à faire ma 25 fortune par le moyen de la Cour; j’ai songé à la faire en faisant valoir mes terres, et à tenir ma fortune immédiatement de la main des Dieux2.

1. Voyez l’autre volume, page 27 et page 3i.

2. Voyez Ier volume, page 22o, et celui-ci page 3i.

6 (1oo3. II, f° 3i).—J’ai toujours eu une timidité qui a souvent fait paroître de l’embarras dans mes réponses. J’ai pourtant senti que je n’étois jamais si embarrassé avec les gens d’esprit qu’avec les sots. 5 Je m’embarrassois parce que je me croyois embarrassé, et que je me sentois honteux qu’ils pussent prendre sur moi de l’avantage.

Dans les occasions, mon esprit, comme s’il avoit fait un effort, s’en tiroit assez bien. Lorsque je voya

io geai, j’arrivai à Vienne. Étant à Laxembourg, dans la salle où dînoit l’Empereur, le comte de Kinski me dit : « Vous, Monsieur, qui venez de France et avez vu Versailles, vous êtes bien étonné de voir l’Empereur si mal logé. — Monsieur, lui dis-je, je ne suis

i 5 pas fâché de voir un pays où les sujets sont mieux logés que le maître. » Effectivement, les palais de Vienne et de Laxembourg sont vilains, et ceux des principaux seigneurs sont beaux. Étant en Piémont, le roi Victor me dit: « Monsieur, êtes-vous parent

3o de M. l’abbé de Montesquieu que j’ai vu ici avec M. l’abbé d’Estrades, du temps de Madame, ma mère?—Sire, lui dis-je, votre Majesté est comme César, qui n’avoit jamais oublié aucun nom. » La reine d’Angleterre me dit à la promenade: « Je

a5 rends grâce à Dieu de ce que les rois d’Angleterre peuvent toujours faire du bien, et jamais de mal. — Madame, dis-je, il n’y a point d’homme qui ne dût donner un bras pour que tous les rois pensassent comme vous. » Quelque temps après, je dînai chez

3o le duc de Richemond. Le gentilhomme ordinaire Labaune, qui étoit un fat, quoique envoyé de France en Hollande, soutint que l’Angleterre n’étoit pas plus grande que la Guyenne. Les Anglois étaient indignés. Je laissai là mon envoyé, et je le combattis comme les autres. Le soir, la Reine me dit: «Je sais que vous nous avez défendus contre votre M. La- 5 baune. — Madame, je n’ai jamais pu imaginer qu’un pays où vous régnez ne fût pas un grand pays ». »

7 (1oo5. II, f° 3i v°). — Je n’ai jamais aimé à jouir du ridicule des autres.

J’ai été peu difficile sur l’esprit des autres; j’étois 10 ami de presque tous les esprits et ennemi de presque tous les cœurs.

La timidité a été le fléau de toute ma vie; elle semblait obscurcir jusqu’à mes organes, lier ma langue, mettre un nuage sur mes pensées, déranger i5 mes expressions. J’étois moins sujet à ces abattements devant des gens d’esprit que devant des sots. C’est que j’espérois qu’ils m’entendroient; cela me donnoit de la confiance2.

8 (1o19. II, f° 3g). — Je ne sais pas avoir encore 20 dépensé quatre louis par air, ni fait une visite par intérêt. Dans ce que j’entreprenois, je n’employois que la prudence commune et agissois moins pour ne pas manquer les affaires, que pour ne pas manquer aux affaires3. 25

1. Voyez le Ier volume de mes Pensées, page 22o, et celui-ci, page 27 et page 39.

2. Voyez page 27 de ce volume et page 22o de l’autre.

3. Voyez le I" volume, page 22o; celui-ci page 27 et page 31.

9 (162o. II, f° 474). — Continuation de mes Réflexions. — Ce qui fait que je ne puis pas dire avoir passé une vie malheureuse, c’est que mon esprit a une certaine action qui lui fait faire comme un saut

5 pour passer d’un état de chagrin dans un autre état, et de faire un autre saut d’un état heureux à un autre état heureux.

10 (35o. I, p. 344). — Si je savois une chose utile à ma nation qui fût ruineuse à une autre, je ne la pro

10 poserois pas à mon prince, parce que je suis homme avant d’être François, (ou bien) parce que je suis nécessairement homme, et que je ne suis François que par hasard 1.

.11 (741.1, p. 492). — Si je savois quelque chose i5 qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterois de mon esprit. Si je savois quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherois à l’oublier. Si je savois quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à 20 l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au Genre humain, je la regarderois comme un crime2.

12(595. I, f° 446 v°). —Je disois: t je souhaite avoir des manières simples, recevoir des services le 25 moins que je puis, et en faire le plus qu’il m’est possible. »

1. Voyez la page 492.

2. Voyez la page 344.

13 (66o.1, p. 461). — Je n’aime pas les petits honneurs : on ne savoit pas, auparavant, ce que vous méritiez; mais ils vous fixent et décident au juste ce qui est fait pour vous.

14 (794.1, p. 5i2). — J’ai fait en ma vie bien des 5 sottises, et jamais des méchancetés.

15 (8o4. I, p. 515). — Quand je vois un homme de mérite, je ne le décompose jamais; un homme médiocre, qui a quelques bonnes qualités, je le décompose toujours. io

16 (467. I, p. 395). — Envie. — Partout où je la trouve, je me fais un plaisir de la désespérer. Je loue toujours devant un envieux ceux qui le font pâlir.. Quelle lâcheté de se sentir découragé du bonheur des autres et d’être accablé de leur fortune! i5

47 (1oo9. II, f° 37). — Je disois : « Je suis ami de presque tous les esprits et ennemi de presque tous les cœurs. »

18 (129o. II, f° i36). — J’ose le dire : si je pouvois me faire un caractère, je voudrois être ami de près- a0 que tous les esprits et ennemi de presque tous les cœurs.

19 (1 i3o. II, f° 77 v°). — J’aime incomparablement mieux être tourmenté par mon cœur que par mon esprit. 25

20 (1627. II, f° 4g3). — Je disois: «Je n’aime pas les bons mots grivois. »

21 (475.1, p. 4o1). — Je n’épouse pas les opinions, excepté celles des livres d’Euclide.

b 22* (1414. II, f, 2o4).—Je disois: «Je ne suis ni des vingt personnes qui savent ces sciences-là dans Paris, ni des cinquante mille qui croyent les savoir. »

23 (378.1, p. 359). — J’aurois bien exécuté la Religion payenne: il ne s’agissoit que de fléchir le genou

10 devant quelque statue.

24 (1134. II, f° 78). — Ce que c’est que d’être modéré dans ses principes! Je passe en France pour avoir peu de religion, et en Angleterre pour en avoir trop.

i5 25 (1417. II, f° 2o4).—Je disois: «J’aime les maisons où je puis me tirer d’affaires avec mon esprit de tous les jours. »

26 (22o8. III, f°4b4). — Si j’avois l’honneur d’être pape, j’enverrois promener tous les maîtres des céré-° monies, et j’aimerois mieux être un homme qu’un Dieu.

27* (1437. II, f°2o7). — Je suis un bon citoyen; mais, dans quelque pays que je fusse né, je l’aurois été tout de même.

Je suis un bon citoyen parce que j’ai toujours T. 1. 3 été content de l’état où je suis; que j’ai toujours approuvé ma fortune, et que je n’ai jamais rougi d’elle, ni envié celle des autres.

Je suis un bon citoyen parce que j’aime le gouvernement où je suis né, sans le craindre, et que je 5 n’en attends d’autres faveurs que ce bien infini que ]e partage avec tous mes compatriotes; et je rends grâces au Ciel de ce qu’ayant mis en moi de la médiocrité en tout il a bien voulu en mettre un peu moins dans mon âme. 10

28 (1456. II, f° 214).—J’écrivois sur un oubli: «je suis distrait; je n’ai de mémoire que dans le cœur. »

29 (1343. II, f° ig3). — Je disois à un homme qui parloit mal de mon ami: « Attaquez-moi, et laissez 15 mes amis. »

30 (2o85. III, f° 345 v°). — Quelqu’un me reprochoit d’avoir changé à son égard. Je lui dis: « Si c’est un changement pour vous, c’est une révolution pour moi. » 20

31 (2o97. III, f° 348 v°). — Si un prince est jamais assez sot pour me faire son favori, je le ruinerai.

32 (214o. III, f° 351 v°). — J’aimerois mieux aller dans mon carrosse avec une c... qu’avec le c... de

Ch ;parce que j’aime mieux qu’on croye que j’ai 25

un vice que le goût mauvais.

33 (998. II, f° 30). — Je hais Versailles, parce que tout le monde y est petit. J’aime Paris, parce que tout le monde y est grand.

34 (2169. III, f° 359).— Ce qui fait que j’aime à être à La Brède, c’est qu’à La Brède il me semble que mon argent est sous mes pieds. A Paris, il me semble que je l’ai sur mes épaules. A Paris, je dis : « Il ne faut dépenser que cela. » A ma campagne, je dis : « Il faut que je dépense tout cela. »


II. — VIE DE MONTESQUIEU


35 (1973. III, f° 278 v°). — Il y a des gens qui ont pour moyen de conserver leur santé de se purger, saigner, etc. Moi, je n’ai pour régime que de faire diète quand j’ai fait des excès, et de dormir quand j’ai veillé, et de ne prendre d’ennui ni par les chagrins, ni par les plaisirs, ni par le travail, ni par l’oisiveté.

36 (1133. II, f° 78). — Dieu m’a donné du bien, et je me suis donné du superflu.

37 (1182. II, f° 82 v°). — Je ne me consolerois pas de n’avoir point fait fortune, si j’étois né en Angleterre. Je ne suis point du tout fâché de ne l’avoir pas faite, en France.

38 (879. II, f° 4 v°). — D***, qui avoit de certaines fins, me fit entendre qu’on me donneroit une pension. Je dis que, n’ayant point fait de bassesses, je n’avois pas besoin d’être consolé par des grâces.

39 (1686. III, f° 34). —Je ne serois point (sic) du tout d’une plus grande fortune. Mais, pour celles de ces 5 gens d’affaires:

« Non equidem invideo; miror magis... »

40 (1981.III, f° 279 v°).—Je jouois mal; je quittai un ridicule qui me coûtoit beaucoup d’argent. Je veux être comme ceux qui ont des ridicules qui ne 10 leur coûtent rien.

41 (2228. III, f°465 v°). — Je disois que je n’étois pas assez grand seigneur pour n’avoir pas un sol et ne savoir où donner de la tête.

42* (2229. III, f° 465 v°).—Je ne demande à ma i5 patrie ni pensions, ni honneurs, ni distinctions; je me trouve amplement récompensé par l’air que j’y respire; je voudrois seulement qu’on ne l’y corrompît point.

43 (1346. II,f° 193v°).—Je disois: «J’aiun nombre 20 innombrable d’affaires que je n’ai pas. »

44 (224o. III, f° 466 v°). — Je disois: « Je ne veux point quitter les affaires que l’on a, pour celles qu’on se donne. »

45 (217.1, p. 23g). — Spectacles. — Je me souviens que, sortant d’une pièce intitulée Ésope à la Cour, j’en sortis si pénétré du désir d’être plus honnête homme, que je ne sache jamais avoir formé une

5 résolution plus forte; bien différent de cet ancien qui disoit qu’il n’étoit jamais sorti des spectacles aussi vertueux qu’il y étoit entré. C’est que ce ne sont plus les mêmes choses.

46 (1oo1. II, f° 3o). — Je disois, étant à Chantilly, 10 que je faisois maigre par politesse: M. le Duc étoit

dévot.

47(2i34. III, f° 351). — Le comte de Kinski me dit lorsque j’arrivai à Vienne : « Vous trouverez le palais de l’Empereur bien vilain. » Je lui répondis: i5 « Monsieur, on aime assez à voir un vilain palais d’un prince dont les maisons des sujets sont belles. »

48 (2i35. III, f° 351). — Leprince Eugène me disoit: eJe n’ai jamais écouté ces faiseurs de projets sur 2o les finances; parce que, que l’on mette l’impôt sur les souliers ou sur la perruque, cela vient au même. »

Il avoit bien raison : ce sont les perpétuelles réformes qui font que l’on a besoin de réforme.

23 49 (2123. III, f° 35o). — Je [trouvois à Vienne les ministres très affables. Je leur disois: « Vous êtes des ministres le matin et des hommes le soir. »

50 (2i36. III, f°35i). — Les Grecs disoient: « Il n’est beau de vieillir qu’à Sparte. » Moi, je disois: « Il n’est beau de vieillir qu’à Vienne. » Les femmes de soixante ans y avoient des amants; les laides y avoient des amants. Enfin, on meurt à Vienne; 5 mais on n’y vieillit jamais.

51 (339. I, p. 338). —Je disois que je voulois voir la Hongrie, parce que tous les états d’Europe avoient été comme est la Hongrie à présent, et que je voulois voir les mœurs de nos pères. 10

52 (997. II, f° 3o). — Lorsque j’étois à Florence, et que je voyois les manières simples de ce pays: un sénateur, le jour, avec son chapeau de paille; le soir, avec sa petite lanterne : j’étois enchanté, je faisois comme eux, et je disois: «Je suis comme le i5 grand Cosme. » Effectivement, là, vous êtes gouverné par un grand seigneur qui fait le bourgeois; ailleurs, par des bourgeois qui font les grands seigneurs.

53 (632.1, f° 453). — Je dis, à Rome, à M. le cardi- ïo nal Alberoni qu’il avoit rétabli l’Espagne avec ces deux mots: Oui et Non. Quand il avoit dit une de ces paroles, et il les disoit d’abord, elles étoient irrévocables. Il n’y eut plus de lenteur.

54 (2153. III, f° 352 v°). — Nous entendîmes au 2b Collège Clémentin, à Rome, une tragédie détestable, sans aucun mélange de mauvais ni de médiocre. Il n’en faut pas davantage pour perdre le goût des enfants.

55 (1 i38. II, f° 78 v°). — Je disois à Rome: « Je n’achète ni des pucelages, ni des tableaux de 5 Raphaël. »

56* (763.1, f° 5oo). — To the King. — « La plupart des m. (?) viennent avec des desseins cachés et des négociations secrètes. Pour moi, je puis révéler à votre Majesté toutes mes instructions : je n’y viens 1o que pour cultiver l’amitié. »

57* (762.1,’p. 5oo). — To the Queen 0} England.— « La grandeur de votre esprit est si connue dans l’Europe qu’il semble qu’il ne soit plus permis de le louer.

i5 » C’est cet heureux talent, ce charme séducteur, qui fait que vous vous communiquez à tous vos sujets sans rien perdre de votre rang et sans confondre les conditions. » Vous régnez sur un peuple nombreux. Le Ciel,

a0 qui vous a accordé de régner sur tant de royaumes, n’a accordé à aucun de vos sujets le bonheur dont vous jouissez dans votre famille. »

58 (662. I, p. 462). — La reine d’Angleterre me fit J5 l’honneur de me dire qu’elle remercioit Dieu de ce que le pouvoir des rois d’Angleterre étoit borné par les loix. Je lui dis : * Madame, votre Majesté dit là une chose si belle qu’il n’y a pas d’homme de bon naturel qui ne voulût avoir donné un bras pour que tous les rois du Monde pensassent comme elle. »

59 (656. I, f° 45g v°). — Ayant vu en Angleterre un chien qui jouoit aux cartes et répondoit aux 5 questions qu’on lui faisoit, en assemblant les lettres et arrangeant les noms qu’on lui demandoit, et écrivant, pour ainsi dire, lorsque j’eus découvert les signes d’où dépendoit tout l’art, j’en étois, sans le vouloir, fâché: ce qui me fait bien sentir combien 10 les hommes aiment le merveilleux.

On répandoit des lettres à terre; l’homme parloit toujours, et, lorsque le chien avoit le nez sur la lettre qu’il falloit, il cessoit de parler.

60 (1466. II, f° 216).—Je me repentirai toujours de i5 n’avoir pas sollicité, après le retour de mes voyages, quelque place dans les affaires étrangères. Il est sûr que, pensant comme je pensois, j’aurois croisé les projets de ce fou de Belle-Isle, et j’aurois rendu par là le plus grand service qu’un citoyen pût 20 rendre à sa patrie. Il y a des sots qui ont de la pesanteur, et des sots qui ont de la vivacité; mais ce sont les sots qui ont de la vivacité qui accouchent des projets les plus stupides.

61 (1386. II, f° 198 v°). — Inscriptions pour une a5 pyramide que je veux faire élever aux confins de ma terre:

Tutatis Dynastiœ Finibus,
Repressis Prœdam Quœrentibus,
Hoc
Gallici Senatus sEquitatis Monumentum 5 Carolus
In Rei Memoriam Erexit.

Sur l’autre côté:

Stet Lapis Hic Donec Fluctus Girunda Recuset Oceano Regi Generosaque Vina Britannis.

io Sur le troisième côté:

Deo Terminali,
Judici, Indici, Testi,
Perpetuo
Fines Regenti,
i5 Dormientibus Vigilanti,
Hoc Sacrum
Juris Cultor Et Pacis Amans
Posuit.

62* (1 545. II,f°245).—Je voulois mettre sur une pyraa0 mide, après le gain de mon procès contre lesjurats:

Deo Terminali,
Recto, Justo,
Semper Vigilanti,
Semper Clamanli,
25 Testi, Indici, Judici,
Perpetuo
Sacrum.


Sur le revers:

Finibus Dynastiœ Defensis, Calumniis Litium Repressis, Hoc Gallici Senatus JLquitatis Monumentum

Carolus 5 In Rei Memoriam Erexit.

Sur l’autre revers:

Stet Lapis Hic, Donec Fluctus Girunda Recuset Oceano Regi Generosaque Vina Britannis.

63 (1o,63. III, f° 27o v°). — J’étois, avec milord 10 Bath, chez Mme d’Aiguillon, et je disois que, lorsque j’avois harangué le Roi, j’avois été fort déconcerté. Mma d’Aiguillon dit : « Et Milord qui a tant parlé au Parlement d’Angleterre n’étoit jamais déconcerté! — Il est plus aisé, répondis-je, de parler contre i5 un roi, que de parler à un roi. »

6i (444.I, p. 389). — J’écrivois à un jeune homme: « Vous entrez dans le monde, et j’en sors. Tout vous donne des espérances et à moi des regrets. »

65 (2142. III, f° 351 v°). — Je bâtis à La Brède : »• mon bâtiment avance, et, moi, je recule.

66*(223o. III, f°465 v°). —J’écrivois : «Je vais dans mes forêts chercher la tranquillité et une vie douce et paisible; mais mon cœur me dit que vous étiez à Paris ou à Lunéville, et mes bois ne me disent 25 plus rien. »

67 (2242. III, f° 466 v°). — Je n’ai plus que deux affaires : l’une, de savoir être malade ; l’autre, de savoir mourir.


III. — FAMILLE DE MONTESQUIEU.


68 (1236. II, f° 100 v°). — Je vais commencer par une sotte chose, qui est ma généalogie.

69 (5. I, p. 2). — Mon fils, vous êtes assez heureux pour n’avoir ni à rougir, ni à vous enorgueillir de votre naissance.

Ma naissance est tellement proportionnée à ma fortune que je serois fâché que l’une ou l’autre fût plus grande.

Vous serez homme de robe ou d’épée. Comme vous devez rendre compte de votre état, c’est à vous à le choisir. Dans la robe, vous trouverez plus d’indépendance et de liberté ; dans le parti de l’épée, de plus grandes espérances.

Il vous est permis de souhaiter de monter à des postes plus éminents, parce qu’il est permis à chaque citoyen de souhaiter d’être en état de rendre de plus grands services à sa patrie. D’ailleurs, une noble ambition est un sentiment utile à la société, lorsqu’il se dirige bien.

Comme le monde physique ne subsiste que parce que chaque partie de la matière tend à s’éloigner du centre, aussi le monde politique se soutient-il par ce désir intérieur et inquiet que chacun a de sortir du lieu où il est placé. C’est en vain qu’une morale austère veut effacer les traits que le plus grand de tous les ouvriers a imprimés dans nos âmes. C’est à la morale, qui veut travailler sur le 5 cœur de l’homme, à régler ses sentiments, et non pas à les détruire.

70*(1659. III,f° 12). — ... Et notre fortune, quoique médiocre, est telle que moi, vous et les vôtres aurons toujours à aimer, à honorer, à servir notre prince, 10 et rien à lui demander.

la profession, la plus grande et la plus belle

que les hommes entre les hommes puissent exercer.

que vous n’avez point à rougir de votre

fortune et de votre naissance, et encore moins à i5 vous en orgueillir.

que nous n’avons ni à caresser la Fortune,

ni à la tenter.

parce que l’on est toujours grand avec la

majesté de la vertu et de l’innocence. 20

Comme c’est la première fois que ma bouche a parlé de ces choses...

Je ne vous ai jamais souhaité des emplois plus brillants. Je ne vous souhaite point de plus grands emplois, mon fils : on est toujours grand avec la 25 majesté de la vertu et de l’innocence.

71 (1344. II, f° 193). — Ma fille disoit très bien: « Les mauvaises manières ne sont dures que la première fois. »

72 (217o. m, f° 35g v°). — A mon Petit-Fils. — J’avois pensé à vous donner des préceptes de morale. Mais, si vous ne l’avez pas dans le cœur, vous ne la trouverez pas dans les livres.

5 Ce n’est point notre esprit, c’est notre âme qui nous conduit.

Ayez des richesses, des emplois, de l’esprit, du savoir, de la piété, des agréments, des lumières; si vous n’avez pas des sentiments élevés, vous ne

10 serez jamais qu’un homme commun.

Sachez aussi que rien n’approche plus des sentiments bas que l’orgueil, et que rien n’est plus près des sentiments élevés que la modestie. La fortune est un état, et non pas un bien. Elle

i5 n’est bonne qu’en ce qu’elle nous expose aux regards et nous peut rendre plus attentifs; elle nous donne plus de témoins, et, par conséquent, plus de juges; elle nous oblige à rendre un compte d’elle-même. On est dans une maison dont les

2o portes sont toujours ouvertes; elle nous met dans des palais de cristal, incommodes, parce qu’ils sont fragiles, et incommodes, parce qu’ils sont transparents.

Si vous avez une fois tout ce que la nature et a5 votre condition présente vous ordonnent de désirer, vous laissez entrer dans votre âme un désir de plus: prenez-y bien garde : vous ne serez jamais heureux. Ce désir est toujours le père d’un autre. Surtout si vous désirez des choses qui se multiplient, comme 3o l’argent, quelle sera la fin de vos désirs?

Il n’y a qu’à se demander pour quel usage on désire tant cet argent. Le consul Paullus se vendit pour une somme à César, qui perdit Rome. Il employa cet argent à faire construire une basilique à Rome.

Quand vous lirez l’histoire, regardez avec attention tous les efforts qu’ont faits les principaux personnages pour être grands, heureux, illustres. Voyez ce qu’ils ont obtenu dans leur objet, et calculez, d’un côté, les moyens, de l’autre, la fin. Cependant le compte n’est pas juste : car les grands tableaux de l’histoire sont de ceux qui ont réussi dans leurs entreprises éclatantes. Voyez quelle partie ils ont trouvée de cette pierre philosophale qu’ils cherchoient : le bonheur et le repos.


IV. — LECTURES DE MONTESQUIEU.


73 (Sp., f° 435). — Livres originaux que j’ai à lire : Scriptura sacra, Stanley, Diogène-Laërce, Mariana (De Rege et Regis Institutione), Machiavel, Polyen, quelque chose de Calvin et Luther, Hudibras, Sénèque, Pline, Ptolomée, Pausanias, Photius, Bacon, Lucrèce, Clarke, Histoire de la Médecine du docteur Freind.

Achever : Athénée, l’Arioste.

74 (Sp., f° 435). — Avoir : les Excerpta de M. de Valois.

Lire: les Mœurs des Israélites, par M. de Fleury ; le Tableau des Esprits, de Barclay; Traité des Intérêts et des Maximes des Princes, dont une partie est attribuée au duc de Rohan; Thesaurus Republicarum de Coringius. 3 J’ai lu sur le Bas-Empire romain : Jornandès, Procope, Agathias, et non pas Luitprand, Paul Diacre et Flavius Blondus (De la Décadence de l’Empire romain).

75 (Sp., f"436). — Acheter: Harris, Collection of 10 Travels (on dit 3 guînées); Churchill, Collection

(ce sont surtout des voyages espagnols et italiens); Bailip, Etymological Dictionary, english; Chambers, Dictionnaire. Acheter: Bracton,Z»e Legibus Angliœ; Fortescue, i5 De Legi. (sic) Angliœ.

76 (Sp., f° 489).— Acheter le Vasari, sur la peinture, non impression de Bologne, qui est en deux volumes, mais de Florence, en trois volumes.

Acheter la carte du Po ;Histoire de Naples,

îo par Giannone (bonne); YEssay de Perspective, par Gravesende; Abrégé de l’Essay de l’Entendement humain, traduit de l’anglois, par M. Bossu, à Londres, 172o (meilleur que le livre même de Locke); les livres sur la peinture: Léonard de Vinci, 15 Vasari, Junius (De Pictura Veterum), Vignoles (Sur l’Architecture).

Sur la perspective: Perspectiva di Vignola, comentata dal padre Danti; Perspectiva del Accolti: Ingano del Occhio; Perspectiva del cavalier Sirigati; Perspectiva del padre Pozzi; Perspectiva del Troili (vaut 6 paules).

Architectura : Édition du Palladio (celle d’An, gleterre, la meilleure, et elle coûte beaucoup; celle de Venise, une pistole); Scamozzi (la première 5 édition de Venise, 3 pistoles; la seconde, une pistole, mais mauvaise); le Serlio, en VII livres (l’infolio est le meilleur, en un tome; l’in-quarto, un tome seul, plus facile à trouver).

77 (g63. II, f° 23). — Voir Ostendanœ Obsidionis 10 Diarium.

78* (1249. H, f° IQ3 v°)- — Saavedra, Corona Gothica. — Voir ce livre.

79 (9o9. II, f° 12 v°). — Je n’aime plus les discours oratoires : ce sont des ouvrages d’ostentation. i5

80 (9o7. II, f° 12 v°).— Pour mon système sur la liberté, il faudra le comparer avec les autres (sic) anciennes républiques, et pour cela lire Pausanias, Reinerius (?) Reineisus, De Republica Atheniensium; examiner l’aristocratie de Marseille, qui fut sage 20 sans doute, puisqu’elle fleurit longtemps; la république de Syracuse, qui fut folle sans doute, puisqu’elle ne se conserva jamais qu’un moment; Strabon, livre IV, qui me semble appliquer mon système; Plutarque, Vie de Thésée, sur la république 25 d’Athènes; Ibid. (sic) Plutarque, Vie de Solon; Xénophon, République d’Athènes; Julius Pollux, Onomasticon, de Republica Atheniensi ; Kekermannus, De Republica Atheniensium ; Sigonius, De Republica Atheniensium ; Thesaurus Republicarum de Coringius.

81 (2086. III, f° 345 v°). — J’aime à lire un livre nouveau après le jugement du public ; c’est-à-dire que j’aime mieux juger en moi-même le public que le livre.

82 (2128. III, f° 350 v°). — J’ai pris la résolution de ne lire que de bons livres : celui qui les lit mauvais est semblable à un homme qui passe sa vie en mauvaise compagnie.


V. — ÉCRITS DE MONTESQUIEU.


83 (837. I, p. 538). — J’ai la maladie de faire des livres et d’en être honteux quand je les ai faits.

84 (412. I, p. 374). — Bien des gens en France, surtout M. de La Motte, soutiennent qu’il n’y a pas d’harmonie. Je prouve qu’il y en a, comme Diogène prouvoit à Zénon qu’il y avoit du mouvement en faisant un tour de chambre.

85 (609. I, f° 449 v°). — Je disois : « Je parle des différents peuples d’Europe, comme des différents peuples de Madagascar. »

86* (1297. II, f° 137). — Du reste, dans tout ceci, je n’ai prétendu louer ni blâmer notre nation. Quand j’agis, je suis citoyen; mais, lorsque j’écris je suis homme, et je regarde tous les peuples de l’Europe avec la même impartialité que les différents peuples de l’île de Madagascar.

87* (764.1, p. 5oo).—Je ne juge jamais des hommes par ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils n’ont pas fait à cause des préjugés de leurs siècles. La plupart des grands hommes y ont été soumis. Le mal est lorsqu’ils y ont ajouté du leur: car, d’ailleurs, ils n’ont pas vu, la plupart du temps, les préjugés de leur siècle, parce qu’ils n’ont pas voulu les voir. Qui sont les sots qui prétendent avoir plus d’esprit que les grands hommes qui s’y sont soumis? Je ne juge point de saint Louis par ses croisades. Il m’est indifférent que M. Arnaud fût janséniste, s’il a bien raisonné sur le jansénisme. Je n’estime pas non plus un homme parce qu’il les a suivis, et ne fais cas ni de la pauvreté de Fabricius, ni du retour de Regulus (je parle seulement du retour); mais je fais cas de la fermeté et de la vertu de Platon et de Socrate.

88(1477. II, f° 218 v°). —Je disois: «Je voudrois bien être le confesseur de la vérité; non pas le martyr. »

89* (1438. II, f° 2o7 v°). — Quelques gens ont regardé la lecture du Temple de Gnide comme dangereuse. Mais ils ne prennent pas garde qu’ils imputent à un seul roman le défaut de tous. Qu’il y ait, dans une pièce de vers, des choses licencieuses, c’est le vice du poète. Mais que les passions y soyent émues, c’est le fait de la poésie.

5 La lecture des romans est dangereuse sans doute. Qu’est-ce qui ne l’est pas? Plût à Dieu que l’on n’eût à réformer que les mauvais effets de la lecture des romans! Mais ordonner de n’avoir pas de sentiments à un être toujours sensible; vouloir bannir

io les passions, sans souffrir même qu’on les rectifie; proposer la perfection à un siècle qui est tous les jours pire; parmi tant de méchancetés, se révolter contre les foiblesses : j’ai bien peur qu’une morale si haute ne d[ev]ienne spéculative, et qu’en nous montrant de si loin ce que nous devrions être on

i 5 ne nous laisse ce que nous sommes.

90* (1948. III, f° 256). — Réflexions. — Quelques scènes de Corneille me donnèrent l’idée de ce dialogue (de Sylla). J’étois jeune, et il falloit être bien jeune pour être excité à écrire par la lecture 2o du grand Corneille et par la lecture de cet auteur qui est souvent aussi divin que lui.

91* (932. II, f° 16). — Le succès de ce livre a pleinement rempli mon ambition, puisque toutes les critiques que l’on a fait (sic), après un mois de vie 25 ou d’engourdissement, sont ensevelies dans la nuit éternelle du Mercure, avec les énigmes et les relations des gazetiers.

Hoc miserœ plebi stabat commune sepulcrum.

92 (1599. II, f°456). — Sur ce qu’on me disoit que j’irois en Angleterre et (?) recevoir les applaudissements pour Y Esprit des Loix; je dis : « Il faut chercher l’approbation; jamais, les applaudissements. »

93 (1598. Il, f° 456). — Sur quclquoD potito ttutouro * qui’"mo-»’OritiquoioDty jV"die ■ •*•]% Duio-tm grand

kugi«ffonin,ii

94* (1643. III, f°4 v°). — Je me plaignois d’une infinité de mauvaises critiques sur mon Esprit des Loix, 10 qui venaient de ce qu’on ne m’avoit pas entendu. Je me trompois: elles venoient de ce qu’on ne vouloit pas m’entendre. Une infinité de petits esprits avoit des lieux communs de morale qu’ils vouloient débiter. Or, pour cela, il falloit ne pas i5 m’entendre. Par exemple, s’il (sic) prenoit le mot de vertu dans le sens que je lui ai donné, on ne pouvoit pas s’étendre sur la nécessité des vertus chrétiennes et des vertus morales dans toutes sortes de gouvernements. De plus, en ne m’entendant point, ils a0 avoient un champ libre pour faire des déclamations. Or, ce genre d’ouvrage est de tous le plus facile.

95*(1952.III,f° 257).

Tu potes in totidem classem convertere nymphas.

Je disois cela de l’Angleterre, à la paix de 1748, 25 et l’appliquois à une critique douce faite sur un de mes ouvrages.

96 (2239. III, f° 466, v°). — On me parloit de la critique idiote de M. Dupin, fermier général, de YEsprit des Loix; je dis: « Je ne dispute jamais contre les fermiers généraux quand il est question

5 d’argent, ni quand il est question d’esprit. »

97 (2o57. III, f° 342).—Je disois sur l’abbé de Laporte, qui avoit écrit contre YEsprit des Loix 1 pour avoir quelques pièces de vingt-et-quatre sols d’un libraire: « Un homme qui dispute pour s’é

10 clairer ne se compromet pas avec un homme qui dispute pour vivre. »

98 (2166. III, f° 357). — Lors de mon affaire avec la Sorbonne. «...Mais je vois de loin une petite nuée qui se grossit et veut produire un orage. Je

i5 crois que je serai à la fin obligé d’abandonner la patrie la plus tendre, le roi le plus chéri. Allons! et, en quelque lieu que nous reposions notre tête, tâchons de la mettre sous les lauriers.»

99 (2o53. III, f° 341 v°). —Je disois dans une apoa0 logie: « C’est l’indignation de l’innocence. »

100* (g36. II, 17 v°). — Quelque bonne’chose que je dise, je l’abandonne toute à l’orgueil de tous ceux qui voudront la critiquer.

lOl^iSiô.IIjf^iSo). — On trouvera qu’en donnant 25 mon jugement sur divers auteurs je loue plus que je ne critique. Je n’ai guère donné mon jugement que sur les auteurs que j’estimois, n’ayant guère lu, autant qu’il m’a été possible, que ceux que j’ai crus les meilleurs.

D’ailleurs, sans afficher ici de beaux sentiments, j’ai été si tourmenté, toute ma vie, par ces petits 5 beaux-esprits qui m’ont rompu la tête de leurs critiques de ce qu’ils ont mal lu, et de ce qu’ils n’ont i pas lu, que je crois leur devoir en partie le plaisir singulier que je trouve à voir un ouvrage excellent, à voir un ouvrage bon qui approchera peut-être de 10 l’excellent, à voir même un ouvrage médiocre qu’on pourra rendre bon.

D’ailleurs (j’avoue), je n’ai aucune prédilection pour les ouvrages anciens ou nouveaux, et toutes les disputes à cet égard ne me prouvent autre chose i5 si ce n’est qu’il y a de très bons ouvrages, et parmi les anciens, et parmi les modernes.

102 (2241. III, f° 466 v°). —Je disois: « Je n’ai point le temps de me mêler de mes ouvrages; je m’en suis démis entre les mains du public. » ao

103 (89.1, p. 84).— Il y a un auteur qui a fait un traité sur les maladies des arts; je voudrois en faire un sur les maladies des religions.

104 (796.1, p. 512). —Je voudrois faire un jugement sur l’histoire de Fernand Cortès, par Solis, ib avec des réflexions; j’en ai déjà de toutes faites.

105 (1111. II, f" 75). — Histoire de France. — Si je la fais (j’avois songé à faire celle de Louis XIV), il faudra y mettre les principales reparties, y mettre partout les extraits des pièces, plus ou moins longs selon qu’elles seront plus ou moins intéressantes.

5 Au reste, je croyois que je n’y réussirois pas moins bien qu’un autre, et mieux surtout que ceux qui, ayant eu part aux affaires, sont devenus parties intéressées. Il y en a (me semble) mille exemples. Il me paroît que César, dans les causes qu’il donne

io de la guerre civile, est en contradiction avec Pompée; mais je veux examiner cela1.

106 (939. II, f° 17 v°). — Je travaille depuis vingtcinq ans à un livre de 18 pages qui contiendra tout ce que nous savons sur la métaphysique et la

i5 théologie, et ce que nos modernes ont oublié dans les immenses volumes qu’ils ont donnés sur ces sciences-là *.

107 (2 2o4. III, f°463 v°). — J’ai des matériaux prêts pour faire une comparaison d’Arrien et de Quinte

10 Curce.

108 (2217. III, f° 464 V0).—Je veux faire un livre de Stultitia Nebulonum.

1. Voyez page 83.

2. Mis dans la préface du Temple de Gnide.