Pensées et Fragments inédits de Montesquieu/II

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Pensées et Fragments inédits de Montesquieu, Texte établi par Le baron Gaston de Montesquieu, Imprimerie de G. GounouilhouI (p. 43-233).




II

ŒUVRES CONNUES


DE MONTESQUIEU





I. Épigraphes. — II. Lettres persanes. — III. Dialogue de Sylla. — IV. Dialogue de Xantippe. — V. De la Considération. — VI. Lettres de Xénocrate. — VII. Discours de Réception à l’Académie française. — VIII. Réflexions sur les Habitants de Rome. — IX. Considérations sur la Grandeur des Romains. — X. Essai sur les Causes qui peuvent affecter les Esprits. — XI. De l’Esprit des Loix. — XII. Défense de l’Esprit des Loix. — XIII. Lysimaque. — XIV. Essai sur le Goût. — XV. Arsace et Isménie.


I. — ÉPIGRAPHES.


109* (1519. II, f° 230 v°).

Les Lettres Persanes.

Per servir sempre, o vincitrice, o vinta.

Le Temple de Gnide.

Neque enim Dea nescia nostri
Quæ dulcem curis miscet amaritiem.

La Décadence des Romains.

Ut lapsu graviore ruant.

Les Loix.

Lex est ratio summi Jovis.

II. LETTRES PERSANES.

110* (2249. III, f° 478). — Lettres persanes. — Lorsque cet ouvrage parut, on ne le regarda pas comme un ouvrage sérieux. Il ne l’étoit pas. On pardonna deux ou trois témérités en faveur d’une 5 conscience qui étoit toute à découvert, qui portoit la critique sur tout et le venin sur rien. Tout lecteur se rendit témoignage à lui-même. Il ne se souvint que de sa gayeté. L’on se fâchoit autrefois comme on se fâche aujourd’hui. Mais on savoit 10 mieux, autrefois, quand il falloit se fâcher.

111* (2032. III, f° 320). — Apologie des « Lettres persanes*.— On ne peut guère imputer aux Lettres persanes les choses que l’on a prétendu y choquer la Religion. ib

Ces choses ne s’y trouvent jamais liées avec l’idée d’examen, mais avec l’idée de singularité ; jamais, avec l’idée de critique, mais avec l’idée d’extraordinaire.

C’étoit un Persan qui parloit, et qui devoit être frappé de tout ce qu’il voyoit et de tout ce qu’il 20 entendoit.

Dans ce cas, quand il parle de religion, il n’en doit pas paroître plus instruit que des autres choses, comme des usages et des manières de la Nation, qu’il ne regarde point comme bonnes ou 25 mauvaises, mais comme merveilleuses. Comme il trouve bizarres nos coutumes, il trouve quelquefois de la singularité dans de certaines choses de nos dogmes, parce qu’il les ignore, et il les explique mal, parce qu’il ne connoît rien de 5 ce qui les lie et de la chaîne où ils tiennent.

Il est vrai qu’il y a quelque indiscrétion à avoir touché ces matières, puisque l’on n’est pas aussi sûr de ce que peuvent penser les autres, que de ce qu’on pense soi-même.

io 112* (2033. m, f° 320 v°). — Préface de l’Éditeur. — Ce qui fait le mérite principal des Lettres persanes, c’est qu’on y trouve, sans y penser, une espèce de roman. On en voit le commencement, le progrès, la fin. Les divers personnages sont

i5 placés dans une chaîne qui les lie. A mesure qu’ils font un plus long séjour en Europe, les mœurs de cette partie du Monde prennent dans leur tête un air moins merveilleux et moins bizarre, et ils sont plus ou moins frappés de ce bizarre et de ce mer

a» veilleux suivant la différence de leurs caractères. D’un autre côté, le désordre croît dans le sérail d’Asie à proportion de la longueur de l’absence d’Usbeck, c’est-à-dire à mesure que la fureur augmente et que l’amour diminue.

i5 D’ailleurs, ces sortes de romans réussissent ordinairement, parce que l’on rend compte soi-même de sa situation actuelle ; ce qui fait plus sentir les passions que tous les récits qu’on en pourroit faire, et c’est une des causes du succès de Pamêla et des Lettres pé

30 ruviennes (ouvrages charmants qui ont paru depuis). Enfin, dans les romans ordinaires, les digressions ne peuvent être permises que lorsqu’elles forment elles-mêmes un nouveau roman. On n’y sauroit mêler de raisonnements, parce qu’aucun des personnages n’y ayant été assemblé pour raisonner, 5 cela choqueroit le dessein et la nature de l’ouvrage. Mais, dans la forme de lettre, où les acteurs ne sont pas choisis, mais forcés, et où tous les sujets qu’on traite ne sont dépendants d’aucun dessein ou d’aucun plan déjà formé, l’auteur s’est donné 10 l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale, à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue.

Les Lettres persanes eurent, d’abord, un débit si i5 prodigieux que les libraires de Hollande mirent tout en usage pour en avoir des suites. Ils alloient tirer par la manche tous ceux qu’ils rencontroient: « Monsieur, disoient-ils, faites-moi des Lettres persanes. » 20

Mais ce que je viens de dire suffira pour faire voir qu’elles ne sont susceptibles d’aucune suite, et encore moins d’aucun mélange avec des lettres écrites d’une autre main, quelque ingénieuse qu’elle puisse être. a5

Il y a, dans les premières lettres, quelques traits qu’on a jugés trop hardis. Mais on prie de faire attention à la nature de cet ouvrage. Les Persans qui devoient jouer un si grand rôle dans ces lettres se trouvoient tout-à-coup transplantés en Europe. 30 Il y avoit un temps où il falloit les représenter pleins d’ignorance et de préjugés. On n’étoit attentif qu’à faire voir la génération et le progrès de leurs idées. Leurs premières pensées devoient être singulières. Il sembloit qu’on n’avoit rien à faire 5 qu’à leur donner l’espèce de singularité qui peut compatir avec de l’esprit ; il semble qu’on n’avoit eu qu’à peindre les sentiments qu’ils avoient eus à chaque chose qui leur avoit paru extraordinaire. Bien loin qu’on pensât à intéresser quelque principe

10 de la Religion, on ne se soupçonnoit pas même d’imprudence. On fait cette justification par amour pour les grandes vérités, indépendamment du respect pour le Genre humain, que l’on n’a pas certainement voulu frapper dans l’endroit le plus tendre.

i5 On prie de remarquer que ces traits se trouvent toujours liés avec le sentiment de surprise et d’étonnement, jamais avec l’idée d’examen, et encore moins avec celle de critique. En parlant de notre religion, ces Persans ne devoient pas paroître plus

20 instruits que lorsqu’ils parloient des coutumes et des usages ordinaires de la Nation ; et, s’ils trouvent, quelquefois, nos dogmes singuliers, on avouera que cette singularité est marquée, dans les Lettres persanes, à ce coin qu’elle n’est jamais fondée que

25 sur la parfaite ignorance où ils sont de la chaîne qui lie ces dogmes avec nos autres vérités. Tout l’agrément ne consiste que dans le contraste qu’il y a entre des choses réelles et la manière dont elles sont aperçues.

30 De toutes les éditions de ce livre, il n’y a que la première qui soit bonne : elle n’a point éprouvé la témérité des libraires. Elle parut en 1721, imprimée à Cologne, chez Pierre Marteau. Celle que l’on donne aujourd’hui mérite la préférence, parce qu’on y a corrigé, en quelques endroits, le style de la première et quelques fautes qui s’étoient glissées 5 dans l’impression. Ces fautes, dans les éditions suivantes, se sont multipliées sans nombre, parce que cet ouvrage fut abandonné par son auteur dès sa naissance.

Fin. >°

113-123. — Fragments De Vieux Matériaux Des « Lettres Persanes1 ».

113* (1609. II, f° 462). — Le Roi du Thibet à la Congrégation de la Propagande, à Rome. — Vous m’avez envoyé ici un homme qui m’a dit que sa i5 religion exigeoit qu’il fût habillé de noir. Vous m’en avez envoyé un autre qui se vante de ce qu’il est vêtu de gris. Ils se haïssent si fort que, quoiqu’ils soyent à tant de milliers de lieues de leurs pays, ils ne se voyent que pour se dire des injures ; et, bien 20 que mon empire soit d’une prodigieuse étendue, ils n’y peuvent vivre tous deux. Je leur ai dit qu’ils pouvoient se le partager, et s’en aller, l’un, à l’Orient, l’autre, à l’Occident. Mais ils ne veulent pas que l’un soit dans un endroit où l’autre n’ira 25 jamais. J’avoue qu’ils ont quelque connoissance des - mathématiques. Mais ne pourroient-ils pas être

1. J’ai jeté les autres ou mis ailleurs. aussi savants sans être aussi fols? Comme ils m’ont dit que c’étoit leur habit qui leur inspiroit une fureur si grande, je les ai fait dépouiller et ai voulu qu’ils fussent vêtus comme deux mandarins. 5 D’ailleurs, je me suis imaginé que, comme ils n’avoient point de commerce avec les femmes, cela leur donnoit un esprit rude. Ainsi j’ai résolu de les marier et de leur en donner, à chacun, deux, etc.

io 114* (1610. II, f° 462 v°). — Enfin, on vient de publier l’arrêt qui met l’Étranger aux Petites-Maisons et tous les François à l’Hôpital! Les actions et les billets de Banque perdent de moitié. On ôte aux sujets trente fois cent millions d’un coup de plume,

i5 c’est-à-dire une somme qui existe à peine dans le Monde, et avec laquelle on pourrait acheter tous les fonds du royaume de Perse. Toute la Nation est en larmes. La nuit et le deuil couvrent ce malheureux royaume : il ressemble à une ville prise d’assaut

»o ou ravagée par les flammes. Au milieu de tant de malheurs, l’Étranger seul paroît content de luimême et parle encore de soutenir son funeste système. J’habite ici le pays du désespoir: mes yeux ne voyent que malheurs qui accablent les

25 Infidèles. Un vent s’élève et emporte leurs richesses. Leur fausse abondance disparoît comme un fantôme.

115* (1611. II,f°463). — J’apprends, en ce moment, que l’arrêt dont je te parlois vient d’être révoqué. Ce changement ne te doit pas paroître extraordinaire. Ici les projets chassent les projets, comme les nues chassent les nues. L’arrêt est révoqué, mais non pas le mal qu’il a fait. Le Ministère vient de faire au Peuple une confidence dont il ne se relè- 5 vera jamais. — Adieu. De Paris, du 21 de la lune de Rébiab 1er, 1720.

116* (1612.II, f°463). — Tu me dis que notre grand monarque n’est occupé qu’à rendre à ses sujets une justice inviolable, qu’à retirer les petits de l’oppres- 10 sion des grands, et à faire respecter les grands par les petits. Gloire à jamais à ce généreux prince! Veuille le Ciel que sa puissance n’ait pas plus de bornes que sa justice.

117* ( 1613. II, f° 463). — Vous me demandez ce que 15 c’est que la Régence. C’est une succession de projets manqués et d’idées indépendantes ; des saillies mises en air de système ; un mélange informe de foiblesse et d’autorité ; toute la pesanteur sans la gravité du ministère ; un commandement 20 toujours trop roide ou trop lâche ; tantôt la désobéissance enhardie, et tantôt la juste confiance découragée ; une malheureuse inconstance à abandonner le mal même ; un conseil qui tantôt se roidit, tantôt se multiplie, qui paroît et se perd 25 aux yeux du public d’une manière sourde ou éclatante, aussi différent par les personnes qui le composent, qu’il l’est par la fin qu’elles se proposent. 118* (1 614. II, f° 463 v°). — Il y a une espèce de turban qui fait faire la moitié des sottises qui se font en France. Ce prétendant qui veut avoir le chapeau à quelque prix qu’il en soit, s’imagine qu’il couvrira tou3 tes les mauvaises démarches qu’il fait pour l’obtenir.

Il n’y a guère de prince qui ne s’en sente honoré. Il n’y a guère de faquin qui n’y puisse prétendre. Sa pourpre confond toutes les conditions et s’allie orgueilleusement avec elles.

0 119* (1615. II, ^464). —Je me souviens que, lorsque nous arrivâmes en France, Hagi Ibbi regardoit le Roi avec mépris lorsqu’on lui disoit qu’il n’avoit ni femmes, ni eunuques, ni sérail ; que personne ne fuyoit lorsqu’il passoit quelque part ;

5 que, lorsqu’il étoit dans la Capitale, à peine la plupart des gens distinguoient-ils son carrosse de celui d’un particulier.

120* (1616. II, f° 464). — C’étoit un grand spectacle 1 de voir tous les Troglodytes dans la joye,

0 pendant que le Prince fondoit en larmes. Le lendemain, il parut devant les Troglodytes avec un visage qui ne marquoit ni tristesse, ni joye. Il ne parut plus occupé que du soin du gouvernement. Mais l’ennui secret qui le dévoroit le mit bientôt

5 dans le tombeau. Ainsi mourut le plus grand roi qui ait jamais gouverné les hommes.

1. Page 64 des Lettres persanes, Ier volume. — J’avois pensé de continuer l’histoire des Troglodytes, et voilà quelle étoit mon idée. Il fut pleuré pendant quarante jours: chacun crut avoir perdu son père ; chacun disoit: « Qu’est devenue l’espérance des Troglodytes? Nous vous perdons, cher Prince! Vous croyiez que vous n’étiez pas digne de nous commander. Le Ciel a 5 fait voir que nous n’étions pas dignes de vous obéir. Mais nous jurons, par vos mânes sacrés, que, puisque vous n’avez pas voulu nous gouverner par vos loix, nous nous conduirons par vos exemples. »

Il fallut élire un autre prince, et il y eut une 10 chose de remarquable : c’est que, de tous les parents du monarque défunt, aucun ne réclama la couronne. On choisit, dans cette famille, le plus sage et le plus juste de tous.

Vers la fin de son règne, quelques gens crurent i5 qu’il étoit nécessaire d’établir chez les Troglodytes le commerce et les arts. On assembla la Nation, et cela fut résolu.

Le Roi parla ainsi: « Vous voulûtes que je prisse la couronne et me crûtes assez vertueux pour vous 20 gouverner. Le Ciel m’est témoin que, depuis ce temps, le bonheur des Troglodytes a été l’unique objet de mes inquiétudes. J’ai la gloire que mon règne n’a point été souillé par la lâcheté d’un Troglodyte. Voudriez - vous préférer aujourd’hui les richesses à votre vertu? >

« Seigneur, lui dit un d’entre eux, nous sommes heureux: nous travaillons sur un fonds excellent. Oserai-je le dire? Ce sera vous seul qui déciderez si les richesses seront pernicieuses à votre peuple, 30 ou non. S’ils voyent que vous les préférez à la vertu, ils s’accoutumeront bientôt à en faire de même, et, en cela, votre goût réglera le leur. Si vous élevez dans les emplois ou que vous approchiez de votre confiance un homme par cela seul

5 qu’il est riche, comptez que ce sera un coup mortel que vous porterez à sa vertu, et que vous ferez insensiblement autant de malhonnêtes gens qu’il y aura d’hommes qui auront remarqué cette cruelle distinction. Vous connoissez, Seigneur, la base sur

io quoi est fondée la vertu de votre peuple: c’est sur l’éducation. Changez cette éducation, et celui qui n’étoit pas assez hardi pour être criminel rougira bientôt d’être vertueux. € Nous avons deux choses à faire: c’est de flétrir

i5 également l’avarice et la prodigalité. Il faut que chacun soit comptable à l’État de l’administration de ses biens, et que le lâche qui s’abaissera jusqu’à se dérober une honnête subsistance ne soit pas jugé moins sévèrement que celui qui dissipera le

20 patrimoine de ses enfants. Il faut que chaque citoyen soit équitable dispensateur de son propre bien, comme il le seroit de celui d’un autre. »

« Troglodytes, dit le Roi, les richesses vont entrer chez vous. Mais je vous déclare que, si vous n’êtes

25 pas vertueux, vous serez un des peuples les plus malheureux de la Terre. Dans l’état où vous êtes, je n’ai besoin que d’être plus juste que vous: c’est la marque de mon autorité royale, et je n’en saurois trouver de plus auguste. Si vous ne cherchez à vous

30 distinguer que par des richesses, qui ne sont rien en elles-mêmes, il faudra bien que je me distingue par les mêmes moyens, et que je ne reste pas dans une pauvreté que vous mépriserez. Il faudra donc que je vous accable d’impôts, et que vous employiez une grande partie de votre subsistance à soutenir la pompe et l’éclat qui serviront à me rendre res- 5 pectable. Je trouve à présent toutes mes richesses dans moi-même ; mais, pour lors, il faudra que vous vous épuisiez pour m’enrichir, et ces richesses, dont vous faisiez tant de cas, vous n’en jouirez point: elles viendront toutes dans mes trésors, to O Troglodytes! nous pouvons être unis par un beau lien : si vous êtes vertueux, je le serai ; si je suis vertueux, vous le serez. »

121* (1617. II, f° 466). — Le grand Eunuque à Januni, à ***i. —Je prie le Ciel qu’il te ramène en i5 ces lieux et te dérobe à tous les dangers.

Destiné à remplir une place dans le sérail qui m’est soumis, tu iras peut-être quelque jour au poste que j’occupe: c’est là que tu dois porter tes vues. a0

Songe donc de bonne heure à te former et à t’attirer les regards de ton maître. Compose-toi un front sévère ; laisse tomber des regards sombres ; parle peu. Que la joye fuye de tes lèvres. La tristesse sied bien à notre condition. Tranquille en 25

1. Cette lettre n’a pu être mise dans les Lettres persanes: 1° parce qu’elle ressemble trop aux autres ; et 20 parce qu’elle ne fait que redire ce qui y est mieux dit. Je la mets ici à cause de certains fragments que j’en pourrai peut-être tirer, et quelques endroits vifs qui s’y trouvent. apparence, fais, de temps en temps, sortir un esprit inquiet. N’attends pas les rides de la vieillesse pour en montrer les chagrins. C’est en vain que tu te plierois à une lâche

5 complaisance. Nous sommes tous haïs des femmes, et haïs jusqu’à la fureur. Crois-tu que cette rage implacable soit l’effet de la sévérité avec laquelle nous les traitons? Ah! elles pardonneroient nos caprices, si elles pouvoient nous pardonner nos

io malheurs.

Ne te pique point d’une probité trop exacte. Il y a une certaine délicatesse qui ne convient guère qu’aux hommes libres. Notre condition ne nous laisse pas le pouvoir d’être vertueux. L’amitié, la

i5 foi, les serments, le respect pour la vertu, sont des victimes que nous devons sacrifier à tous les instants. Obligés de travailler sans cesse à conserver notre vie et à détourner de dessus notre tête les châtiments, tous les moyens sont légitimes:

20 la finesse, la fraude, l’artifice, sont les vertus des malheureux comme nous.

Si tu viens jamais à la première place, ton principal objet sera de te rendre maître du sérail. Plus tu seras absolu, plus tu auras de moyens pour

î5 rompre les brigues et la fureur de la vengeance. Il faut commencer par abattre le courage et ensevelir toutes les passions dans l’étonnement et dans la crainte. Tu n’y réussiras jamais mieux qu’en animant la jalousie de ton maître. Tu lui feras, de

30 temps en temps, de petites confidences. Tu arrêteras son esprit sur les soupçons les plus légers. Tu l’y fixeras, ensuite, par quelques nouvelles circonstances. Quelquefois, tu l’abandonneras à lui-même et laisseras, pour quelque temps, flotter son esprit incertain. Tu te présenteras ensuite, et il sera charmé de trouver en toi un médiateur entre son 5 amour et sa jalousie : il te demandera tes avis ; doux ou sévère, tu te feras une protectrice, ou tu humilieras une ennemie.

Ce n’est pas que tu puisses toujours jeter à ton gré les soupçons de quelque intrigue criminelle: 10 des femmes abattues sous tant de regards ne peuvent guère être accusées de certains crimes avec apparence. Mais il faut les aller chercher dans les ressources que l’amour désespéré se procure, quand l’imagination furieuse va se prendre à tous i5 les objets qu’elle trouve. Ne crains point d’en trop dire: tu peux être hardi à feindre. Depuis tant d’années que je gouverne, j’ai appris, j’ai vu même des choses incroyables. Mes yeux ont été témoins de tout ce que la rage peut inventer, et de tout ao ce que le Démon d’Amour peut produire.

Si tu vois que ton maître, capable du joug de l’amour, détermine son cœur sur quelqu’une de ses femmes, relâche un peu, à son égard, de ta sévérité ordinaire ; mais appesantis-toi sur ses 25 rivales, et tâche de lui rendre agréables et ta douceur et ta sévérité.

Mais, si tu vois que, peu constant dans ses amours, il use en souverain de toutes les beautés qu’il possède ; qu’il aime, quitte et reprenne ; qu’il 30 détruise le matin les espérances du soir ; que le caprice suive le choix ; le mépris, le caprice : pour lors, tu seras dans la plus heureuse situation où tu puisses être. Maître de toutes ses femmes, traite les comme si elles vivoient dans une perpétuelle dis

5 grâce, et ne crains rien d’une faveur qui se perd à mesure qu’elle se donne.

C’est donc à toi d’aider son inconstance. Il arrive quelquefois qu’une beauté triomphe et arrête le cœur le plus volage. Il a beau s’échapper, elle le

io rappelle toujours. Des retours si constants menacent d’un attachement éternel. Il faut, à quelque prix qu’il en soit, rompre ces nouvelles chaînes. Ouvre le sérail ; fais y entrer à grands flots de nouvelles rivales ; fais diversion de toutes les parts ; confonds une superbe

i5 maîtresse dans le nombre, et réduis la à disputer encore ce que les autres ne pouvoient plus défendre.

Cette politique te réussira presque toujours. Par ce moyens, tu useras si bien son cœur qu’il ne sentira rien. Les grâces seront perdues : tant de

-o charmes secrets pour tout l’univers le seront encore plus à ses yeux mêmes. En vain, ses femmes, à l’envi, essayeront sur lui les traits les plus redoutables. Inutiles à l’amour, elles ne tiendront à son cœur que par la jalousie.

25 Tu vois que je ne te cache rien. Quoique je n’aye jamais guère connu cet engagement qu’on appelle amitié, et que je me sois enveloppé tout entier dans moi-même, tu m’as pourtant fait sentir que j’avois encore un cœur, et, pendant que j’étois de bronze

30 pour tous ces esclaves qui vivoient sous mes loix, je voyois croître ton enfance avec plaisir. Je pris soin de ton éducation. La sévérité, toujours inséparable des instructions, te fit longtemps ignorer que tu m’étois cher. Tu me l’étois pourtant, et je dirois que je t’aimois comme un père aime son fils, si ces noms de père et de fils n’étoient pas plus 5 propres à nous rappeler à tous deux un souvenir affreux qu’à nous marquer une douce et secrète sympathie.

122* (1618. II, f° 468 v°). — Rica à Usbeck. — Voici une lettre qui est tombée entre mes mains. 10

« Ma chère cousine,

» Deux hommes tout de suite m’ont quittée. J’ai attaqué celui que vous saviez ; mais il a été comme un rocher. Mon cœur s’indigne des affronts qu’il reçoit chaque jour. i5

» Que n’ai-je point fait pour l’attirer? J’ai cent fois renchéri sur les politesses que j’ai coutume de faire, « Bon Dieu! disois-je en moi-même, se peut-il que

» moi, à qui on disoit autrefois tant de douceurs,

» je fasse aujourd’hui tant de restitutions pour 20

» rien! »

» Vous avez, ma chère cousine, deux ans moins que moi, et vos charmes sont bien au-dessus des miens. Mais je vous conjure de ne me point abandonner dans la résolution que j’ai prise de quitter 25 le monde. Vous êtes confidente de tant de secrets ; je suis dépositaire de tant d’autres! Il y a plus de trente ans que notre amitié triomphe de toutes les petites brouilleries que produisent nécessairement, dans une société, la variété des intrigues et la multiplicité des intérêts.

» Je vous l’ai dit souvent: ces petits maîtres que j’ai tant aimés, je ne puis plus les souffrir. Ils sont 5 si contents d’eux-mêmes, et si peu de nous. Ils mettent à un si haut prix leur sottise et leur

figure — Ma chère cousine, sauvez-moi leur

mépris.

» Je commence à prendre un tel goût à la société

io des gens dévots, qu’elle fait toute ma consolation. Je n’ai point encore assez rompu avec le monde pour qu’ils ayent confiance en moi. Mais, à mesure que je m’en détache, ils s’approchent un peu. Quelle douceur dans ce nouveau genre de vie, au

ô lieu du tumulte et ce bruit du monde imposteur! » Je vais, ma chère cousine, me livrer à eux tout entière. Je leur découvrirai l’état d’un cœur qui prend toutes les impressions qu’on lui donne. Il n’est point en moi d’éteindre toutes mes passions ;

20 il ne s’agit que de les régler.

» Il y a une chose qui est le principe fondamental de la vie dévote: c’est la suppression totale des agréments étrangers. Car, quoiqu’entre nous ils soyent toujours beaucoup plus innocents dans le 25 temps qu’on les quitte, que lorsqu’on commence à s’en servir, cependant ils marquent toujours une certaine envie de plaire au monde, que la dévotion déteste. Elle veut que l’on paroisse devant lui avec toutes les injures du temps, pour lui faire voir à 30 quel point on le méprise. Pour nous, ma chère cousine, il me semble que nous pouvons encore nous montrer telles que nous sommes. Je vous l’ai dit cent fois, que vous étiez charmante, lorsque vous paroissiez le plus négligé, et qu’il y avoit en vous beaucoup d’art à n’en mettre point.

» Puisse cette lettre vous toucher le cœur et vous 5 inspirer des résolutions que je n’ai prises qu’après les avoir longtemps combattues. — Adieu. »

La dévotion qui, dans certaines âmes, est une marque de force, dans d’autres en est une de 10 foiblesse. Elle n’est jamais indifférente: car, si, d’un côté, elle orne les gens vertueux, elle achève la dégradation de ceux qui ne le sont pas.

A Paris, le 25 de la lune de Rébiab, 1717.

123* (1619. II, P471). — Usbeck à Zélis. — Vous i5 demandez devant le juge votre séparation. Quel exemple donnez-vous à votre fille! Quel sujet d’entretien pour tout le sérail! Vous m’insultez bien moins en faisant voir le peu d’amour que vous avez pour moi, que le peu de respect que 20 vous avez pour vous-même.

Croyez-vous que la vertu coûte moins à vos compagnes qu’à vous? que leur vie soit moins laborieuse? Non, sans doute. Mais les combats soufferts sont inconnus ; les douleurs d’une victoire 25 trop contestée sont secrètes ; et la vertu, lors même qu’elle tyrannise, paroît en elles sous un maintien modeste et un visage tranquille.

Je crois bien que vous souffrez toutes les rigueurs de la continence. Je compte sur la vigilance de mes 30 eunuques. Ils respectoient votre âge ; ils vous croyoient maîtresse de vos passions. Mais, à présent qu’ils en connoissent l’empire, il ne faut pas douter qu’ils ne redoublent leurs soins pour vous soutenir. 5 Ils vous traiteront comme si vous étiez encore dans les périls de la jeunesse, et recommenceront à vous plier à une éducation dont vous vous êtes si fort écartée.

Défaites-vous donc de vos idées, et sachez qu’il ne vous reste plus que mon amour et le repentir:

10 car je ne suis point homme à souffrir qu’une femme que j’aime passe dans les bras d’un autre, quand je devrois être regardé comme le plus barbare de tous les hommes — Je n’en dis pas davantage: vous connoissez mon cœur, et vous m’entendez.

i3 De le Ier de la lune de Zilhagé, 1718.

III. — DIALOGUE DE SYLLA.

124 (95. I, p. 87). — J’avois mis dans mon Dialogue de Sylla:

< J’eus bientôt pour moy les actions présentes, 20 tandis que Marius n’avoit que le souvenir, toujours léger, des choses passées. Je marchai sur ses pas, et, dès qu’il s’arrêta, il me trouva devant lui. »

IV. — DIALOGUE DE XANTIPPE.

125-127. — Pensées Qui N’ont Pu Entrer Dans a3 Mon « Dialogue De Xantippe ». 125 (356. I, p. 346). — En vérité, Gylippe, si les Dieux ne m’avoient mis sur la Terre que pour y mener une vie voluptueuse, je croirois qu’ils m’auroient donné en vain une âme grande et immortelle. Jouir des plaisirs des sens est une chose dont tous 5 les hommes sont capables, et, si les Dieux ne nous ont faits que pour cela, ils ont fait un ouvrage plus parfait qu’ils n’ont voulu, et ils ont plus exécuté qu’entrepris 1.

126 (357. I, p. 346). — Sparte, une nation qui ne 10 méprise pas seulement, mais qui déteste les molles voluptés ; chez qui les peuples et les rois savent également commander et obéir ; chez qui les moindres citoyens sont ce que les seuls philosophes sont ailleurs. i5

127 (358. I, p. 347). — Je n’aime que ma patrie ; je ne crains que les Dieux ; je n’espère que la vertu.

V. — DE LA CONSIDÉRATION.

128* (1655. III, f° 10 v°). — C’étoit pour mon écrit sur la Considération: 20

t II y a environ vingt-cinq ans que je donnai ces réflexions à l’Académie de Bordeaux. Feu Mad" la marquise de Lambert, dont les grandes et rares

1. Cet article est dans le dialogue de Lysimaque. qualités ne sortiront jamais de ma mémoire, fit l’honneur à cet ouvrage de s’en occuper. Elle y mit un nouvel ordre, et, par les nouveaux tours qu’elle donna aux pensées et aux expressions, elle éleva

5 mon esprit jusqu’au sien. La copie de Mad’1 de Lambert s’étant trouvée après sa mort dans ses papiers, les libraires, qui n’étoient point instruits, l’ont insérée dans ses ouvrages, et je suis bien aise qu’ils Payent fait, afin que, si le hasard fait passer

io l’un et l’autre de ces écrits à la postérité, ils soyent le monument éternel d’une amitié qui me touche bien plus que ne feroit la gloire. »

VI. — LETTRES DE XÉNOCRATE.

129 (173. I, p. 144). — XÉNOCRATE A PHÉRÈS.

I5 Vous voulez que je vous parle de Pisistrate.

De tous les grands hommes qui ont paru sur la Terre, il n’y en a guère eu de plus singulier que Pisistrate 1.

Il est né avec un génie supérieur, et cependant il :o est soumis à l’ascendant de tous les autres génies. Il n’a point de vanité, et il a un souverain mépris pour tous les hommes.

Ceux qui l’ont trompé ont si fort décrédité les hommes dans son esprit qu’il ne croit plus aux ô honnêtes gens.

1. Mis dans la Bibliothèque. Il a peu de vices qui partent d’un mauvais naturel ; ses vertus ne partent pas toutes d’un bon.

Auprès de lui, tout le privilège de la vertu est qu’elle ne nuit pas.

Il sait bien qu’il est au-dessus des autres hommes ; 5 mais il ne le sent pas assez. Voilà pourquoi il n’y a point de génie qui ne puisse trouver l’art de le conduire.

Il ne connoît point cette distance infinie qu’il y a entre l’honnête homme et le méchant, et tous 10 les différents degrés qui sont entre ces deux extrémités.

Il a une facilité de mœurs et de commandement qui charme tous ceux qui lui obéissent.

Personne n’a porté si loin la domination ; mais il i5 ne l’a point fait sentir à proportion de sa pesanteur.

Il voit les hommes en détail différemment de ce qu’il les voit au milieu de la société.

Il a une indifférence pour les événements qui ne convient qu’à ceux que le Ciel n’a pas fait naître 20 pour les déterminer.

Il fait, en se jouant, le travail des politiques ; il rencontre tout ce qu’ils avoient réfléchi, et ses saillies sont aussi sensées que leurs méditations.

Il fait de son esprit ce que les autres font de leur a5 sens. Il gouverne toute la Grèce sans paroître, sans penser même à la gouverner, et tout le monde suit l’ordre de ses desseins, comme si on suivoit le torrent de sa puissance.

Il réussit bien moins dans le gouvernement de 30 l’intérieur de son royaume, et, pendant qu’il traite avec supériorité avec les roix, il est la dupe éternelle de ses courtisans.

Dans le gouvernement de l’intérieur, il veut toujours aller du bien au mieux ; il est toujours 5 plus frappé du mal que des inconvénients qu’il y a à le réparer.

Il corrige là où il faudroit tolérer ; il s’imagine que le Peuple suivra la rapidité de son génie, et qu’il ouvrira les yeux dans un moment pour regar10 der comme des abus des choses que le temps, les exemples et la raison même lui ont fait regarder comme des loix. Avec le sublime esprit qui fait les grands hommes

et les grands crimes (sic), Pisistrate seroit un homme ô funeste, si le cœur ne réparoît en lui le défaut des principes. Mais le cœur le domine tellement qu’il ne sait ni refuser, ni punir. Incapable de tomber dans aucun inconvénient en faisant le mal, il y tombe sans cesse en faisant le bien. ") Quand il parvint au gouvernement de Sicyone, il pardonna les injures qu’on lui avoit faites ; il pardonna de même (ce qui est plus fort) celles qu’on lui faisoit. Il falloit beaucoup travailler pour lasser sa clémence. Mais, pour lors, il frappoit des 25 coups prompts et hardis, et il étonnoit et ceux qui l’avoient offensé, et ceux qui craignoient de le voir impunément offenser. Dans les premières années, Pisistrate aima. Il trouva un cœur tendre et des plaisirs que l’Amour 30 réserve aux vrais amants. Dans la suite, il courut d’objet en objet, et il est parvenu à posséder sans goût. Il a fatigué les sens à lui rendre ce qu’il a perdu, et il a tellement usé le principe de ses passions qu’il est devenu presque incapable de ce qu’on appelle si faussement jouir. Enfin, il s’est jeté dans la débauche, et il y a porté quelques agréments. 5 Mais, quoi qu’on en dise, la débauche ne se raffine point. Ses maîtresses n’ont plus été que les témoins d’une vie non pas libre, mais licencieuse. Mais, dans ces débauches, Pisistrate perdit la raison, et jamais son secret. 10

Les Dieux irrités contre Sicyone envoyèrent, une nuit, un songe à Pisistrate: il crut qu’il étoit le maître de tous les trésors de l’Univers, et ce songe fut cause de la misère publique.

Un homme d’une naissance obscure fut reçu dans 25 la maison dé Pisistrate. Il en fut regardé, d’abord, avec mépris, et, ensuite, sans avoir passé par la considération, il obtint la confiance. Fier d’avoir eu son secret, il osa demander le souverain sacerdoce et l’obtint. Bientôt Pisistrate, lassé du comman- 20 dement, remit dans ces (sic) mains la souveraine puissance. Le perfide préparoit contre lui les plus cruelles ingratitudes. Mais Vénus lui envoya une maladie qui fit évanouir tous ses projets.

Pisistrate a été heureux d’avoir régné dans un 25 temps où l’obéissance prévenoit, pour ainsi dire, le commandement: car, s’il eût régné dans des temps de trouble ou de confusion, la disposition de son esprit étoit telle qu’il n’auroit jamais assez osé, et qu’il auroit trop entrepris. 30 Je crois bien que Pisistrate craint les Dieux immortels ; mais il paroît qu’il n’a pas grand égard aux intérêts de leurs ministres, et qu’il est trop frappé de ce principe: que la Religion est faite pour les hommes, et non pas les hommes pour la 5 Religion.

Pisistrate s’est refusé à peu de femmes de la cour de Sicyone ; mais il n’y en a pas une seule qui puisse se vanter qu’il ait eu de l’estime pour elle. Le roi de Sicyone avoit conquis les états d’un

10 prince voisin et ne lui avoit laissé que sa capitale. Il envoya Pisistrate pour l’assiéger. Le prince, réduit au désespoir, croyant qu’il lui étoit égal de ne pas exister ou de ne pas commander, fit des efforts incroyables. Un secours arrive. Les Sicyoniens le laissent passer. Pisistrate fait abandonner toutes les conquêtes. Il auroit pu les conserver. Mais tout le monde défendit l’honneur de Pisistrate: le soldat convint qu’il n’avoit pas manqué de résolution, et les capitaines, que ce n’étoit pas lui qui

20 avoit manqué de conduite.

Dans les affaires malheureuses, un général est chargé de toutes les fautes de l’armée et de la Cour. Ici la Cour et l’armée se chargent de toute la faute, pour absoudre le général.

23 Pisistrate ne savoit pas humilier ; mais il savoit renverser.

Pisistrate étoit moins touché du beau et du bon que de l’extraordinaire et du merveilleux. Il avoit le cœur ferme et l’esprit timide. >o Il étoit plus flatté de ses talents que de ses vertus. La timidité de Pisistrate lui venoit autant de la paresse pour agir et de la peine à faire le mal, que d’aucune foiblesse d’âme.

Enfin, dans les vices, son esprit étoit tout, et son cœur n’étoit rien.

Pisistrate a été le seul homme que j’aye connu 5 qui ait été inutilement guéri des préjugés.

Le malheur de Pisistrate étoit un goût malade, qui le portoit à se montrer pire qu’il n’étoit ; il avoit une certaine hypocrisie à l’égard des vices, qui faisoit qu’il affectoit de paroître en avoir, comme un 10 témoignage de liberté et d’indépendance.

VII. — DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

130-132. — Idées Qui N’ont Pu Entrer Dans Ma Harangue De L’académie. I5

130* (299. I, p. 314 bis).— Si je n’avois quelque espérance de ressembler quelque jour au grand homme à qui je succède, il faudroit qu’en recevant l’honneur que vous m’avez fait je commençasse par en rougir, et que, consentant d’avance à dégé- 20 nérer, je fasse comme ces enfants qui sont accablés de la gloire de leur père. Non, non! Quelque loin qu’il ait été, c’est à moi de le suivre, et l’on ne doit point attribuer à orgueil ce qui est devenu une nécessité. 25

MM., je n’ose vous rien dire du choix que vous avez fait. Il y a de la vanité à parler de soi, lors même qu’on en parle a%,ec modestie: c’est un art de s’attirer l’attention des autres. On découvre tout son amour-propre lorsqu’on paroît si ingénieux à le 5 cacher ; (ou bien) et vous dire que je ne méritois pas vos suffrages, ce seroit vous les demander encore, dans un temps où je n’ai plus rien à craindre de vos refus.

Vous avez perdu un confrère que son génie, 10 que ses vertus, que vos regrets même ont rendu célèbre...

Comme les Dieux ne reçoivent pas indifféremment l’encens de tous les mortels, il semble que ces grands hommes n’ayent recherché que vos louanges, :5 et que, fatigués des acclamations publiques, ils ayent voulu faire taire la multitude, pour n’entendre que vous...

Séguier... Il savoit que la fidélité se trouve entre la liberté et la servitude, et que le véritable empire

a0 ne s’exerce jamais que sur un peuple heureux... Louis XV... Vous peignez cette physionomie charmante, qui frappe tous les regards, et que lui seul ignore. Vous mettez le secret au rang des vertus de son enfance. Vous le suivez dans cette jeunesse

2? aimable, mais exempte de la passion qui aveugle le plus les roix. Ne cessez point par les justes éloges que vous en ferez de l’encourager à se surpasser lui-même. Que ce que vous direz, que ce que vous admirerez ait toujours pour objet la félicité publique.

30 H seroit dangereux de lui parler des victoires qu’il pourroit remporter. Il faut craindre d’exciter ce i jeune lion ; on le rendroit terrible. S’il entendoit

le bruit des trompettes, tout ce que l’homme sage qui est auprès de lui pourroit faire pour l’adoucir seroit inutile: il ne sentiroit que sa force et ne suivroit que son courage. 5

Peignez l’amour du Prince pour son peuple, et l’amour du Peuple pour un si bon prince. Heureux sujet à traiter! Vous ferez connoître aux roix futurs qu’il y a entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent des liens plus forts que ceux de la terreur 10 et de la crainte. Vous serez les bienfaiteurs du Genre humain. On admirera vos écrits comme ingénieux ; on les chérira comme utiles. Ceux qui louent un méchant prince se couvrent de tous les vices qu’ils approuvent. Pour vous, MM., vous louerez Louis, i5 et vous y trouverez votre gloire.

(Ou bien 1 :) Commencez à leur donner l’idée d’un beau règne. Qu’il soit pour eux sacré et vénérable. Faites présent aux roix futurs d’un modèle. Ils l’imiteront peut-être. Vous serez les bienfaiteurs du 20 Genre humain. On admirera vos écrits comme ingénieux ; on les chérira comme utiles. C’est ainsi qu’un Grec illustre instruisoit les Roix, non pas par des préceptes, mais par la simple exposition de la vie de Cyrus. Les philosophes d’Orient instruisoient 25 par des fables et des allégories. Vous instruirez par la vérité de l’Histoire. C’est le propre de la vertu de se faire aimer sitôt qu’elle est montrée. Cicéron disoit à son frère: « Se peut-il que vous ne sachiez

1. Tournez un feuillet. pas vous faire aimer dans votre gouvernement après avoir lu la Vie d’Agésilas ? »

Il a toutes les vertus qui parent les hommes, avec toutes celles qui ornent les Roix. Chaque jour

5 montre en lui des perfections nouvelles ; et, avec tant d’intérêt de se ressembler, il est toujours mieux que lui-même...

La plupart des auteurs écrivent pour se faire admirer. Il sembloit que M. de Saci n’écrivit que

10 pour se faire aimer...

Ils vous ont établis pour être les dépositaires de leur gloire, pour en être jaloux comme eux-mêmes, pour porter dans tous les temps des actions que, pendant leur vie, la Renommée avoit portée dans

i5 tous les lieux...

Vous avez perdu un illustre confrère, et je ne dois point chercher à vous en consoler. Les regrets sont une espèce de douleur qui nous est chère. On aime à la sentir ; on ne veut point la perdre ; on est flatté

a0 de tout ce qui l’augmente. Il semble qu’elle doit nous tenir lieu des objets mêmes qui l’ont produite.

Il étoit bien éloigné de ces jalousies d’auteur qui empêchent tant de beaux esprits de jouir de leur réputation, et que souvent on se déguise à soi-même,

25 tantôt sous le nom d’émulation, tantôt sous celui d’équité. Il ne sentoit point les douleurs de l’envie, et, jamais, il ne mit ce poids sur son cœur. ll auroit voulu que tout le monde eût senti tout ce qu’il sentoit, et connu tout ce qu’il connoissoit.

3-> C’étoit un homme que l’on louera toujours, moins pour l’intérêt de sa gloire que pour l’honneur de la vertu ; qui, aux qualités qui donnent une grande réputation, joignoit encore cette sorte de mérite qui ne fait point de bruit, et toutes ces vertus sur lesquelles on se néglige si aisément, peut-être parce qu’elles sont nécessaires, et qu’elles sont les vertus 5 de l’homme, et non pas de l’homme illustre.

C’étoit un de ces hommes accomplis, infiniment plus rares que ceux qu’on appelle communément des hommes extraordinaires, que ceux qui, avec des secours étrangers, et souvent avec quelques vices, 10 trouvent le chemin de la gloire...

Vous décrirez, d’abord, le bonheur des peuples: ce bonheur tant de fois promis, toujours espéré, aujourd’hui goûté, senti.

Vous- êtes, MM., comme ces enfants, à qui des i5 pères illustres ont laissé un grand nom à soutenir, et qui, s’ils dégénéroient, seroient encore avilis par l’éclat même de leurs ayeux...

L’illustre Richelieu ne fut votre protecteur qu’en se gardant le droit d’être votre rival. Il tint indiffé- ao remment toutes les routes qui pouvoient mener à la gloire. Il courut la carrière de vos poètes et de vos orateurs. Ce ne fut pas assez pour lui de la supériorité de l’esprit: il ambitionna encore la supériorité des talents. Il étoit indigné d’une seconde 25 place, dans quelque ordre qu’il la trouvât. Il sentit le premier que le Cid ne devoit point étonner son génie, et que la première place de la poésie françoise pouvoit être encore disputée.

Quand vous le combleriez de mille nouveaux 30 éloges, vous ne sauriez ajouter un seul jour à cette éternité qu’il aura dans la mémoire des hommes...

Un homme illustre mérite tous vos regrets, et vous avez fait une perte que vous n’avez pas encore 5 réparée...

Tout, jusqu’à ma patrie, sembloit devoir m’éloigner de la place que vous m’avez accordée...

Richelieu... Sous son ministère, les Grands, quelquefois distingués par le commandement, furent

10 toujours égaux dans l’obéissance...

En me donnant sa place, il semble que vous m’ayez comparé à lui. Pardonnez-moi, MM., cette réflexion. Je crains qu’il n’y ait bien de la vanité à l’avoir faite...

i5 M. de Saci quittoit souvent le sérieux de son cabinet pour les belles-lettres. C’étoit, pour ainsi dire, la seule débauche qu’il se permît. Le public n’y perdoit rien: il rapportoit de son étude ces grâces qui invitent à lire...

20 Je n’ambitionnois que votre esprit, que vos talents, que vos écrits immortels, et, dans le désespoir de pouvoir jamais vous ressembler, je croyois qu’il m’importoit peu d’être plus près de vous.

Fin.

"131 (841.1, p. 539). — Comme les enfants1 qui ont perdu un père chéri, et qui, pendant que le public fait attention à leurs richesses nouvelles, ne voyent que la perte qu’ils ont faite.

1. Voyez page 3:4.

132 (842. I, p. 53g).—J’espère que je pourrai, par mes efforts, vous rendre l’homme vertueux, si je ne puis vous rendre l’homme d’esprit. Le Ciel a distribué aux hommes des talents différents, et, par là, a prescrit à chacun des bornes, qu’il ne peut passer ; mais il nous a donné un droit égal à la vertu. Nous pouvons tous l’acquérir ; parce qu’elle nous est nécessaire, et que les talents ne nous sont qu’utiles.

Qu’il est beau de voir cet homme illustre, qui, pouvant par ses qualités brillantes, se faire une grande réputation dans un jour, ne négligea aucune de ces vertus qui ne la donnent que lentement et par le concours des actions de toute une vie 1!

VIII. — RÉFLEXIONS SUR LES HABITANTS DE ROME.

133 (1158. II, f° 80 v0). — Ceci n’a pu entrer dans mon Mémoire sur les Habitants de Rome:

« Le vin, par la joye qu’il inspire, favorise l’intempérance et, nous ramenant insensiblement vers lui-même, fait renaître nos débauches ou, du moins, notre goût.

» Mahomet, qui avoit été marchand, rendit un grand service à sa patrie en défendant le vin : il fit boire à toute l’Asie le vin de son pays ; raison très bonne pour faire sa loi, s’il y avoit pensé. »

1. Voyez page 314.

IX. — CONSIDÉRATIONS SUR LA GRANDEUR DES ROMAINS.

5 134-141. — Morceaux Inutiles De L’ouvrage Sur Les Romains.

134 (572. I, f° 441 v°). — De quelque façon qu’il ait plu aux Romains de nous raconter leur guerre avec les Gaulois, ils n’en firent pas moins ce traité

10 honteux par lequel ils s’engageoient de ne se servir désormais de fer que pour le labourage, et Brennus, malgré la défaite dont ils parlent tant, n’en poursuivit pas moins sa route et ses brigandages.

135 (573. I, f° 441). — Philippe et Persée furent i5 plutôt effrayés que vaincus. Les roix d’Égypte ne

parurent que suppliants. Tous les autres roix courbèrent la tête. Ceux de Pergame et de Bithynie se vantèrent de leur servitude.

136 (574.1, f° 441). — Il n’y a point de raison pour 10 avoir fait une espèce d’époque à Nerva, et d’avoir

compté douze Césars jusqu’à lui, comme s’ils n’avoient fait qu’une même famille, qui se seroit éteinte à Domitien. Il y a apparence que, Suétone ayant écrit la vie de ces douze Césars, et que, comme nous 13 n’avons de Tacite à peu près que l’histoire de ces douze empereurs, on s’est accoutumé à les mettre ensemble et à compter, pour ainsi dire, une dynastie nouvelle à Nerva.

137 (575.1, f° 442). — Les Anciens, qui avoient une religion qui leur faisoit adorer les anciens héros comme des Dieux qui étoient venus se manifester 3 aux hommes, avoient des idées très fausses de la solide gloire et de la vertu ; et, comme Hercule, et Thésée, et les autres avoient été mis au rang des Dieux par leurs actions militaires, cela faisoit regarder ceux qui les imitoient comme des gens vertueux 10 et d’une nature plus excellente que celle des autres hommes.

La vanité d’Alexandre raisonnoit très conséquemment lorsqu’il se disoit fils de Jupiter, comme Hercule et Bacchus. Il ne croyoit point qu’ayant fait ô les mêmes choses qu’eux, il ne fût qu’un homme pour les avoir faites après eux. Il falloit dire qu’il y avoit un temps où Hercule et Bacchus n’avoient été que des Alexandre, ou dire qu’Alexandre étoit encore Hercule et Bacchus. JO

Aussi les hommes conquéroient-ils sans motif, sans utilité. Ils ravageoient la Terre pour exercer leur vertu et montrer l’excellence de leur être. Depuis que nous pesons un peu mieux la valeur des choses, les héros ont été couverts de ridicule ; a5 si bien que celui qui voudroit les défendre seroit mille fois plus ridicule encore.

138 (576. I, f°442 v°). — Marc Antonin. — Jamais philosophe n’a mieux fait sentir aux hommes les douceurs de la vertu et la dignité de leur être : le cœur est touché ; l’âme, agrandie ; l’esprit, élevé.

139(577. I, ^442 v°)- — La liberté ne s’obtient que par des coups d’éclat, mais se perd par une force 5 insensible i.

140(579- I, *° 444). — Les mauvais pays sont ordinairement libres. C’est qu’ils ne fournissent pas assez au Prince pour pouvoir se rendre le maître.

141 (580. I, f° 444). — Persée étoit un homme entre

10 les mains duquel une grande entreprise ne peut jamais réussir. Il avoit une avarice stupide, qui lui faisoit regarder la conservation de ses trésors comme indépendante de celle de son royaume. Tout ce qui lui pouvoit coûter de l’argent n’étoit point pour lui

i5 un moyen de se défendre. Dès qu’il avoit le moindre succès, il trompoit ses alliés. Au moindre revers, il tomboit dans une consternation qui lui ôtoit le sens. Il n’avoit qu’à tenir les passages de la Macédoine fermés ; il les ouvrit dans sa frayeur. Enfin,

a0 ce prince, toujours occupé à discuter de petits intérêts, qui regardoit la ruse comme la seule des vertus royales, aimoit les affaires avec une totale incapacité d’y réussir. S’il avoit eu des qualités personnelles, il étoit

25 dans des circonstances où les peuples de Grèce commençoient à voir que les Romains ne leur par

1. Mis (je crois) dans les Romains. loient de liberté que pour devenir leurs maîtres. Les Rhodiens ne vouloient plus agir que comme médiateurs.

142-146. — Superflu De Mon Ouvrage Sur Les Romains. 5

142 (673.1, p. 466). — Lorsque l’on voit un prince dont la vie est pleine de belles actions flétri par les historiens, c’est une marque certaine qu’il s’est trouvé dans des circonstances qui ont plus frappé leur manière de penser que toutes ses vertus n’ont io pu faire. Et, quand un autre, malgré ses vices est élevé jusqu’aux nues, il est sûr qu’il s’est trouvé dans des circonstances qui ont plus flatté le préjugé de l’historien que ses défauts n’ont choqué sa raison. i5

143(675.1, p. 467). — Les éléphants employés dans les armées des Orientaux et des Africains n’étoient bons que les premières fois contre une nation : ils inspiroient d’abord de la terreur ; mais on trouvoit bientôt le moyen de les rendre furieux contre leur 20 armée même.

144(676.1, p. 467). — Les Romains eurent le bonheur de trouver une machine qui leur donnoit une grande facilité pour accrocher les vaisseaux ennemis ; de façon que leurs soldats, meilleurs que ceux aô des Carthaginois, combattoient d’abord ; et il arriva que, quoiqu’ils n’eussent aucune connoissance de la manœuvre, des côtes, des saisons et des temps, ils eurent, enfin, l’avantage comme l’honneur ; si bien que la victoire du consul Lutatius termina la première guerre punique.

5 145 (677.1, p. 468). — Dion dit qu’Auguste voulut se faire appeler Romulus ; mais qu’ayant appris que le Peuple craignoit qu’il ne voulût se faire roi, il s’en déporta1. Les premiers Romains ne vouloient point de roi,

io parce qu’ils n’en pouvoient souffrir la puissance. Les Romains d’alors ne vouloient point de roi, pour n’en point souffrir les manières: car, quoi que César, les Triumvirs, Auguste, fussent de véritables roix, ils avoient gardé tout l’extérieur de l’éga

i 5 lité, et leur vie privée contenoit une espèce d’opposition avec le faste des roix d’alors. Et, quand ils (sic) ne vouloient point de roi, cela signifioit qu’ils vouloient garder leurs manières et ne pas prendre celles des peuples d’Afrique et d’Orient.

20 Simplicité des manières de Florence.

Malheur d’Alexandre d’avoir voulu se faire adorer des Macédoniens.

Les princes qui ont changé la forme de l’État, qui se sont rendus les maîtres et veulent empêcher

a5 le Peuple de le sentir, doivent garder tant qu’ils peuvent la simplicité des manières de la République, parce que rien n’est plus capable de faire penser que l’État n’a pas changé ou a changé peu, puis

1. Mis au livre (?) sur les lois. qu’il (sic) voit toujours l’extérieur de l’État républicain. Et c’est ce que les grands-ducs de Florence firent à merveille : ils prirent la domination et conservèrent la simplicité de la République.

146 (678.1, p. 469). — Auguste établit» un tribut 5 du vingtième des revenus. Cela fit murmurer le Peuple et le Sénat. Il leur dit de chercher quelque autre manière de lever de l’argent, moins onéreuse. Ils furent fort embarrassés, et, enfin, il fallut revenir au vingtième. Il seroit facile aux 10 princes de retirer leurs sujets du désespoir où les jette le nom seul de certains impôts. La foiblesse naturelle du Peuple et l’ignorance où l’on le tient lui donnent des maladies qu’il y a de la dureté de ne vouloir pas guérir. i5

147 (713. I, p. 480). — Si jamais un corps qui a beaucoup de réputation dans le Monde écrit tout à son aise notre histoire moderne, je crois que les princes qui se sont reposés sur lui de leur conscience

et de leurs affaires seront bien grands, et que les 20 autres seront bien petits2.

148(714.1, p. 480).—Cette coutume des soldats3 d’élire des empereurs avoit son origine dans les temps de la République. Lorsqu’un général avoit fait quelque

1. Mis dans les Loix.

2. J’avois mis cela dans mon ouvrage sur les Romains, et l’ai ôté.

3. J’ai aussi ôté ce.ci. belle action, ses soldats le proclamoient Empereur. Ce n’étoit qu’un titre d’honneur1 ; mais, lorsque ce nom emporta la puissance, les armées continuèrent à le donner, et il arriva ce qu’on voit toujours, que 5 les noms font les choses et gouvernent l’Univers.

149-151.— Morceaux Qui N’ont Pu Entrer Dans Mes « Romains ».

149* (1478. II, f°2i9). — Je disois sur Tarquin: « On avoit, dans ce temps-là, de l’éloignement pour le

10 gouvernement d’un seul. Les Veïens, pour s’être donné un roi, furent abandonnés de toutes les villes de la Tuscane. Albe s’étoit déjà mise en liberté. Le royaume de Porsenna ne subsista pas. » Je disois sur son caractère: « Tout est extrêmement

i5 mêlé dans le Monde. Les méchancetés particulières dans un état où l’institution est bonne, contractent toujours quelque chose des vertus publiques, et les vertus que l’on voit dans une république corrompue tiennent également de sa corruption. »

20 150* (1479. H, *° 2I9)- — Servius avoit transporté du Sénat au Peuple le droit d’élire les Roix, celui de nommer des juges dans les affaires civiles ; il avoit payé les dettes des particuliers, donné des terres à ceux qui n’en avoientpoint ; il avoit ôté l’arbitraire

23 dans les taxes et en avoit exempté les pauvres

1. Ces deux titres ne laissoient pas d’être toujours distingués: car, quand un empereur avoit fait quelque belle action, ses soldats le saluoient encore Imperator. (Note marginale.) citoyens ; il avoit admis, dans les assemblées du Peuple, les affranchis et, dans le Sénat, les Plébeiens1.

15i*(1480. II, f° 219 v°). — Caton fut l’exécuteur de l’infâme loi qui confisquoit les trésors du roi de 5 Chypre ; il mit toute sa vertu à ne point voler les ravisseurs.

152-154. — Articles Retranchés Du Livre De La « Considération Sur La Grandeur Des Romains », Dans La Nouvelle Édition Que J’en Donnerai, ou 10

QUI N’ONT PU ENTRER DANS LES AUGMENTATIONS.

152* (1532. II, f° 236). — Il y avoit une maladie que l’on appeloit la maladie des camps2 ; elle venoit de ce que, les Romains n’ayant point de forteresses, il falloit que leur camp leur en tînt lieu. Ils y étoient i5 enfermés et pressés. Pour prévenir cette maladie, ils changeoient souvent de camp, et cela même les rendoit plus robustes, en multipliant leurs travaux.

153* (1532ùi’s. II, f° 237). — Les citoyens pouvoient être distingués de trois manières: par l’origine, 20 comme les Patriciens l’étoient des Plébeiens ; par l’ordre, comme les Sénateurs l’étoient des Chevaliers, et les Chevaliers, du reste du Peuple ; et, enfin, par le droit d’image, qu’avoient ceux dont les

1. Voyez Denys d’Halicarnasse, livre IV, et Zonare.

2. Voyez Végèce. — Nous ne la connoissons plus : nos camps, aujourd’hui, ont une autre étendue que ceuk des Romains. pères avoient obtenu des magistratures curules: ce qui a quelque rapport à notre noblesse d’aujourd’hui.

154*(1532 ter. II, f° 237 v°). — Nota : Note ôtée par le censeur de l’édition de Paris: 5 « Si Charles Ier, si Jacques II avoient vécu dans une religion qui leur eût permis de se tuer, ils n’auroient pas eu à soutenir, l’un, une telle mort, l’autre, une telle vie. »

155-159. — Cela n’a pu entrer dans les Romains.

10 155* (1669. III, f° 16). — La conjuration de Catilina étoit un dessein mal conçu, mal digéré, difficile à commencer, impossible à finir, et qui étoit moins l’effet de l’ambition que de l’impuissance et du désespoir.

i5 Mais elle est singulière par cette conspiration si générale de détruire Rome, la République. Tous ceux à qui Sylla avoit donné des terres, et tous ceux à qui il les avoit ôtées, tous les grands qui avoient de l’ambition, tous ceux qui n’avoient point de bien

ao et tous ceux qui haïssoient Pompée, tous ceux qui étoient du parti du Sénat, tous ceux qui étoient pour le Peuple, désiroient une révolution.

Nous trouvons dans les lettres de Cicéron un monument bien authentique de la corruption ro

25 maine...

La conjuration de Catilina n’est fameuse que par le nombre des scélérats qui la formèrent, des grands personnages qui cherchèrent à la favoriser: car, d’ailleurs, c’étoit un dessein mal conçu, mal digéré, et qui étoit moins l’effet de l’ambition que de l’impuissance et du désespoir.

156* (1670. III, f° 16 v°). — Sylla, étant consul, tira au sort les provinces avec son collègue et eut 5 la commission d’aller faire la guerre à Mithridate. Marius, pour l’en priver, chercha à mettre dans la République plus de désordre qu’il n’y en avoit déjà. Il gagna le tribun Sulpicius, et, ayant appelé à Rome le menu peuple des villes d’Italie, par de nou- 10 velles loix et par ces (sic) violences, il se fit donner la commission de Sylla.

Celui-ci courut à l’armée ; celui-ci courut à Capoue, où étoient les légions qui lui avoient été destinées, et leur représenta si bien le tort que Marius i5 vouloit leur faire, de donner à d’autres soldats les honneurs et les avantages de cette guerre, qu’elles le suivirent à Rome, d’où il chassa Marius et ses partisans 1.

157* (1671. III, f° 16 v°). — Justinien et un autre 20 prince que je ne nomme pas sont deux princes que les historiens peuvent louer et blâmer tant qu’ils voudront.

158* (1672. III, f° 17). — On souhaiteroit peut-être que j’entrasse ici dans le détail du gouvernement 25 politique de la République romaine ; mais je renverrai

1. Appien, De la Guerre civile, livre I8r. à Polybe, qui a admirablement bien expliqué quelle part les consuls, le Sénat, le Peuple, prenoient dans ce gouvernement ; d’autant mieux qu’il parle d’un temps où la République venoit d’échapper 5 à de si grands périls et faisoit actuellement de si grandes choses.

159* (1674. III, f° 17 v°). — Le peuple de Rome, avec une haine toujours active contre les nobles, changea de moyens sans changer de fin: d’abord, 10 il songea à les abaisser en diminuant leurs privilèges ; et, ensuite, en augmentant l’autorité d’un seul.

Le peuple d’Athènes avoit une jalousie naturelle contre tous ceux qui l’avoient servi avec quelque

i 5 gloire. Il s’en défaisoit une fois pour ne les pas craindre toujours. A Rome, au contraire, le Peuple adoroit ceux qui, par leurs exploits, s’étoient mis au-dessus des autres, et les comblant toujours de nouveaux honneurs, il sembloit vouloir les porter

a0 lui-même à la tyrannie. C’est que le peuple d’Athènes, composé de citoyens choisis, se sentoit libre, et que cette immense populace de Rome se jugeoit esclave. Celui-là ne craignoit rien que de l’ambition de ses principaux citoyens ; celle-ci n’espéroit que

a5 de la faveur de ceux qui avoient fait de grandes choses, et, toutes les fois qu’elle entendoit parler des victoires de quelque général, il l’appeloit dans son cœur contre une orgueilleuse noblesse. Le peuple d’Athènes n’étant pas nombreux, les gens

30 sensés se faisoient entendre et trouvoient le moyen de le rappeler à ses intérêts ; mais cette populace devint si immense qu’elle ne pouvoit être instruite, avertie, ni corrigée.

Le Sénat étoit dans cet état qu’il n’étoit pas même défendu par ceux qui le composoient. Plusieurs, qui 5 vouloient faire fortune, agitoient le Peuple comme des tribuns, et la plupart avoient tant d’autres intérêts que ceux du Sénat y étoient sans cesse subordonnés. Quelques gens qui s’étoient distingués dans les fonctions civiles, qui avoient une fortune 10 bornée, étoient seuls les vrais sénateurs. Mais l’amour pour la République étoit devenu incommode. Tout le monde suivoit Sylla, Marius, César, Pompée, Crassus, pendant que Favonius et Caton restoient seuls à parler d’anciens usages et de loix1. i5

160-179. — Cela n’a pu entrer dans les Romainsa.

160* (2i83. III, f° 456). — « Le cens en lui-même ou le dénombrement des citoyens étoit une chose très sage: c’étoit une reconnoissance de l’état de ses affaires et un examen de sa puissance. Il fut établi par 20 Servius Tullius. Avant lui, dit Eutrope (livre Ier), le cens étoit inconnu dans le Monde. »

Ceci est une note que j’ai ôtée de mes Romains. Je voulois y ajouter: « Eutrope n’est guère judicieux quand il dit qu’avant ce prince le cens étoit inconnu 25 dans le Monde. >

1. Nota qu’on a mis à la page 456 d’autres fragments qui n’ont pu entrer dans les Romains. — Voyez la page 456.

2. Nota qu’à la page 16 est le commencement.

161 * (2184. III, f° 456). — Ne pouvant plus avoir de vertus politiques ni militaires, ils n’obtinrent de distinction que par quelques connoissances dans le droit civil et la perfidie de cet art du bar5 reau qui savoit confondre l’innocence ou armer le crime.

163* (2i85. m, f° 456 v°). — Patron. — Cette réciprocité de devoir entre le patron et le client étoit très propre à maintenir certaines vertus parmi 10 les Romains.

163* (2186. III, f° 456 v°). — Ces loix qui donnoient permission à tout le monde de tuer dans les crimes qui emportoient le dévouement du coupable étoient bonnes pour la terreur ; mais elles pouvoient être

iS dangereuses. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas être étonné que la Loi permît à chacun de tuer un tyran. Cela étoit dans les mœurs des Romains pour bien d’autres crimes (pages 18 et 19). Il faut voir Festus et autres dictionnaires, in verbo Sacer.

20 Telle étoit celle (sic) de Numa contre celui qui ôtoit ou transportoit une borne (dans Denys d’Halicarnasse, page 410), et contre celui qui faisoit violence à un tribun du Peuple i.

164* (2187. III, f°457). — Les prisonniers n’étoient a5 plus regardés comme citoyens ; il falloit vaincre ou cesser d’être Romain2.

1. Denys d’Halicarnasse, page 133.

2. Voyez la loi.

165* (2188. III, f° 457). — Pour cause de l’affoiblissement de l’empire de Syrie, la succession des préfectures dans la même famille depuis Séleucus Nicator. Les pirates, par la friponnerie de ces préfets, firent partout des esclaves 1. 5

1(36* (2189. III, f° 457 v°). — Voyez, dans mon extrait de Strabon (livre XIV), pourquoi les Romains aim[oi]ent mieux souvent confier à des roix de certaines provinces, qui avoient besoin d’une certaine déférence perpétuelle, qu’à des magistrats 10 romains.

167* (2190. III, f° 457 v°). — A Athènes, inurum ascendere non licebat, sous peine de mort2.

C’étoit plutôt une idée d’injure que de danger: car, comme dit Marcellin, qu’y auroit-il en cela Id d’injuste si la Loi ne l’avoit défendu ? Je crois que c’est cette manière de penser qui, ayant passé des Grecs aux Romains, fit tuer Remus.

168* (2191. III, f° 458). — Voyez dans mon extrait des vertus et des vices de Constantin Porphyro- a0 génète, au volume Histoire universelle, page 309, les raisons qui firent que Caracalla donna à tous les sujets de l’Empire le droit de bourgeoisie romaine. C’étoit pour augmenter le fisc.

1. Voyez mon extrait de Strabon ou Strabon lui-même, livre XIV.

2. Marcel., in Hermogen. ; Michael Ephesius, in Aristotelem, Ethica, livre V.

169* (2192. III, f°458). — C’est une question [que de] savoir si les Goths vinrent de la Scandinavie aux Palus Méotides, comme dit Jornandès, ou si, au contraire, ils vinrent des Palus Méotides en

5 Scandinavie. Quelques gens prétendent que ces nations qui étoient dans l’armée de Mithridate, et avec lesquelles il vouloit pénétrer à Rome, furent chassées par les armes ou la crainte des Romains et se réfugièrent en Scandinavie, et cela rentre dans

10 mon explication des peuplades immenses du Nord.

170* (2193. III, f°458 v°). — Valeriano et Gallieno imperantibus, Scythœ, trajecto flumine ïstro, Thraciam rursum prœdati, Thessalonicam, Illyriorum urbem, obsederunt. Ils furent repoussés. Grœci, metu i5 perculsi, Thermopylas missa custodia tutati stint. Athenienses murum a Syllœ temporibus dirutum reparaverunt. Peloponesii a mari ad mare Isthmum muro constructo muniverunt. Scythœ... spoliis onusti domos se receperunt1.

10 171*(2i94. III, f°459). — Romains.— Les Romains avoient une manière de penser qui distinguoit entièrement les esclaves des hommes2.

Ils les faisoient combattre contre les bêtes farouches. Ils s’en servoient comme de gladiateurs et les

"obligeoient, pour leurs plaisirs, de s’entredétruire. Us les mettaient la nuit dans des fosses, où ils les

1. Le Syncelle, page 381.

2. Voyez les différents titres du Code de Auri et Argenti Fodinis. faisoient descendre, et, ensuite, retiroient l’échelle qui les avoit descendus. Ils les mettoient à mort à leur fantaisie. Lorsque le maître avoit été tué dans la maison, on menoit au supplice tous ses esclaves, coupables ou non, en quelque nombre qu’ils fussent. 5 Lorsqu’ils étoient malades ou vieux, ils les abandonnoient et les faisoient porter au temple d’Esculape. Ils les privoient de tous les sentiments naturels les plus chers: ils les privoient de la vertu de leurs femmes, de la chasteté de leurs filles, de la propriété 10 de leurs enfants.

Pourquoi dégrader une partie de la Nature humaine? Pourquoi se faire des ennemis naturels? Pourquoi diminuer le nombre de ses citoyens? Pourquoi en avoir qui ne seront retenus que par i5 la crainte?

Guerre servile! La plus juste qui ait jamais été entreprise, parce qu’elle vouloit empêcher le plus violent abus que l’on n’ (aie) ait jamais fait de la Nature humaine. îo

Malheur à tout législateur... Malheur à tout état...

Multiplication d’esclaves, multiplication de luxe.

Il ne faut pas que, dans un état, il y ait un corps de gens malheureux.

Gladiateurs et esclaves: marques de fidélité qu’ils 25 donnèrent.

Les Romains se croyoient dans un état de grandeur où ils n’avoient plus rien à espérer ni à craindre, lorsque trois choses inattendues les mirent en danger de périr. 30

Les Cimbres et les Teutons, ennemis inconnus, parurent dans un moment et vinrent, comme Annibal, attaquer Rome dans l’Italie. Ils étonnoient par leur nombre, leur férocité, leurs cris. Enfin, ils venoient pour détruire ou pour être détruits. Marius

5 et Sylla eurent le bonheur de les exterminer et reculèrent de plusieurs siècles la grande révolution que les nations du Nord devoient faire.

Bientôt une guerre s’alluma, non moins dangereuse encore, parce qu’elle tendoit à mettre en

10 pièces le corps intérieur de la République, d’où dépendoient toutes les conquêtes du dehors. On sait que les petites républiques qui étoient autour d’eux (sic) leur donnèrent une part dans leur propre gouvernement, suivant les conventions ou la faveur

15 qu’ils avoient données aux colonies qu’ils y avoient envoyées.

Ainsi, malgré la corruption générale, il resta assez de force à la République pour résister à trois échecs, qui lui vinrent coup sur coup: la guerre des Cimbres

ao et des Teutons, la guerre des esclaves et celle des gladiateurs ; et elle se tira de ces trois affaires d’autant plus heureusement qu’elle détruisit les Teutons presque sans résistance et se défit des deux autres sans altérer son gouvernement ; au lieu que, dans la

25 Guerre sociale et dans la paix qui suivit, elle l’altéra entièrement.

172* (2195. III, f° 460 bis v°). — Dénombrement des flottes de Licinius et de Constantin: celles de Licinius, plus fortes, possédant l’Égypte, qui 30 avoit 80 trirèmes ; la Phénicie, 80 ; l’Ionie, la Dori[d]e, 60 ; la Chypre, 30 ; la Carie, 20, la Bithynie, 391.

173* (2196. III, f° 460 bis v°). — Quand la loi Atinienne permit, selon Aulu-Gelle (xiv, 18), aux sénateurs d’être tribuns, cet emploi, établi pour b tenir en bride le Sénat, perdit son utilité.

174* (2197. III, f° 461). — Corruption de Rome. — Vestilia2, pour éluder les loix faites pour conserver la dignité des matrones, se déclara courtisane publique. La loi de Tibère chassa les dames romaines 10 de cet indigne retranchement.

175*(2i98. III, f°46i). — Sur la Fin de l’Empire d’Occident. — Quel état que celui où une partie des terres étoient employées à entretenir des armées entièrement indépendantes, et l’autre partie, à en 15 entretenir d’autres, pour contenir les premières.

176*(2199. III, P461 v°). — C’étoit la coutume de ces rois de Macédoine de transporter les peuples d’un endroit de leurs états à un autre ; c’est que cet état (sic) s’étoit formé de diverses pièces. Voyez ce que dit ici 20 Justin (livre VIII, page 77) sur les transports de peuples faits par Philippe, père d’Alexandre. Voyez aussi, dans Tite-Live, ceux que fit Philippe, père de Persée. C’étoit le même goût, même politique et dessein3.

1. Zozime, page 114.

2. Tacite, livre II6, page 43.

3. Extrait de YHistoire universelle, page 148.

177* (220o. III, f 462).— Il n’étoit plus question de gloire militaire. Les Empereurs, occupés à Rome à faire condamner ceux qui leur étoient odieux, craignoient la moindre vertu distinguée. De ce 5 côté-là, ainsi, ils ôtoient tant qu’ils pouvoient la matière des triomphes. Ainsi, on ne voit que des guerres défensives ou arrêtées d’abord qu’elles furent offensives. Les généraux même ne se soudoient guère plus de gloire militaire: cela ne pou

10 voit les mener qu’à obtenir les ornements triomphaux, et cet honneur fut si souvent mal à propos refusé et mal à propos accordé, on l’accorda à tant de gens, surtout à ceux qui n’en étoient pas dignes, que l’on ne s’en soucia plus guère. D’ailleurs, les

i5 procurateurs de César ayant augmenté leur pouvoir, ils troublèrent les généraux dans leurs entreprises. Je suis persuadé que cette politique des Empereurs, depuis les victoires de Germanicus, pendant plusieurs siècles, fut cause que les Barbares, derrière

10 le Danube et le Rhin, reprirent leurs forces et se multiplièrent à milliers.

178* (2201. III, f° 463). — Probus, après avoir vaincu les Barbares, Francs, Bourguignons, Vandales, en envoya une partie en Angleterre, qui s’y 25 établirent et rendirent, dans la suite, de bons services aux Romains1.

Probus place en Thrace les Bastarnes, nation Scythe qu’il avoit vaincue, qui gardèrent la foi et

i. Zosime, livre Ier, page 390. furent toujours Romains. C’est qu’il le fit dans la force de l’Empire et avec bien des précautions1.

179 (2202. III, f° 463 v°). — Nous sommes étonnés que les consuls romains, qui changeoient tous les ans, fussent de si grands hommes et de si grands 5 héros. Il en étoit comme de nos secrétaires d’État: de bons bureaux et de bons secrétaires ; de même eux, de bons capitaines de cohorte et de légion, de bons chefs de file2.

180* (2244. III, ^467). — Continuation des Maté- 10 riaux des « Romains*3. — Il s’en faut bien que les triomphes où le Peuple romain vit passer devant lui les images de tant de roix qu’il ne connoissoit pas, fût un spectacle si doux pour lui que ceux où, avec ce plaisir que donne la haine, il voyoit passer i5 les troupeaux des Volsques et porter les armes brisées des Samnites.

X. — ESSAI SUR LES CAUSES QUI PEUVENT AFFECTER LES ESPRITS.

181 et 182. — Ceci n’a pu entrer dans la disser- 20 tation sur la « Différence des Génies ».

181* (1191. II, f° 89 v°). — Un auteur espagnol, qui

1. Zosime, livre I", in fine.

2. Voyez encore page 467.

3. Voyez page 463 v°. ne sera peut-être pas plus connu quand je l’aurai cité (c’est Huarte), fait un conte de François I"r, qui, étant dangereusement malade, rebuté des médecins chrétiens et de l’impuissance de leurs remèdes,

5 envoya demander à Charles-Quint un médecin qui fût Juif. Le bon Espagnol cherche la raison pourquoi les Juifs ont l’esprit plus propre à la médecine que les Chrétiens, et il croit fortement que cela vient de la grande quantité de manne que les

io Israélites mangèrent dans le Désert. Il se fait, ensuite, une objection très forte, qui est que les descendants de ceux qui ont mangé de la manne ont dû perdre peu à peu, depuis le temps, les dispositions que cette nourriture avoit introduites

i5 chez eux, et il se répond qu’il paroît, par l’Écriture, que la manne avoit tellement dégoûté les Israélites que, pour détruire l’altération qu’elle avoit faite en un jour, il étoit besoin de manger un mois entier des nourritures contraires. Sur quoi, il fait ce

a0 calcul que, pour détruire les qualités que la manne avoit imprimées dans le corps des Israélites dans quarante ans, il falloit quatre mille ans et davantage ; ce qui fait que ceux de cette nation ont encore, par (sic) quelque temps, une disposition

a5 particulière pour la médecine.

182* (1 192. II, P 90 v°). — Comment veut-on que l’esprit d’un Chartreux soit fait comme celui des autres hommes? On lui fait précisément mener la vie athlétique: on ne lui donne d’autre fonction 30 que de se nourrir. Tous les plaisirs du corps, toutes les actions de l’esprit dont on le prive, sont autant de distractions ôtées, qui pourroient l’empêcher de manger. L’âme se tourne tout entière du côté de l’unique plaisir qui lui reste. C’est à l’âge de seize ans qu’on le choisit pour ce genre de vie. 5

Pendant que, d’un côté, l’on grossit et épaissit ses fibres, on les laisse, de l’autre, dans un perpétuel engourdissement, et on fait rêver mon homme à l’être en général, pendant toute sa vie.

Ce n’est pas tout: on lui relâche ces mêmes fibres 10 en frappant son cerveau d’une crainte continuelle. Car, tantôt il est intimidé par un supérieur bizarre et impitoyable, tantôt par les scrupules vains que le monachisme traîne toujours après soi. Or, le relâchement des fibres dans la crainte est sensible: 15 car, lorsqu’elle est immodérée, les bras tombent, les genoux manquent, la voix est mal articulée, les muscles appelés sphyncters se détendent ; enfin, toutes les parties du corps perdent leurs fonctions.

Pendant qu’on lui ôte tous les mouvements a0 modérés, on y en substitue, par intervalle de violents, tels que sont ceux que la continence et les disciplines produisent. Pendant ces accès, les esprits sont portés au cerveau ; ils y tiraillent les fibres et y excitent plutôt un sentiment confus »5 qu’ils n’y réveillent des idées.

183 (2035. III, f° 328). — Academica. — FragMents D’une Dissertation Sur La « Différence Des Esprits ».

La ressemblance extérieure des enfants à leurs 30 pères n’est point un rapport de la copie à son original, comme si l’imagination des pères ou qûelque cause secrète pouvoit imprimer sur le visage des enfants les traits qu’ils ont eux-mêmes. Cela seroit

5 entièrement inexplicable à la physique. Cette ressemblance est uniquement fondée sur ce que l’enfant étant formé de la substance du père et ayant eu, neuf mois de suite, une vie commune avec la mère, il y a, dans les uns et dans les autres, un

10 rapport dans les fluides et les solides. Ainsi cette qualité ou cette combinaison d’humeurs qui donne des cheveux noirs, une peau blanche, de belles dents, une grande taille ou des traits délicats au père ou à la mère, les donnera de même à l’enfant.

i5 Les peintres savent combien il faut peu de chose pour qu’un visage paroisse à peu près ressembler à un autre, et à quel point un rapport dans une partie frappe dans le tout : un trait seul régnera sur toute une physionomie...

io Comme les vices et les vertus humaines sont ordinairement l’effet des passions, et les passions l’effet d’un certain état de la machine — je parle du matériel des passions, et non pas du formel, c’est-à-dire de cette complaisance que l’âme sent à suivre les

25 mouvements de sa machine, par la douceur qu’elle y trouve — il y a des maladies qui peuvent nous mettre dans la situation où l’on est lors de la passion même. Celles qui donneront à notre sang la disposition où est celui d’un homme hardi nous

30 rendront courageux ; celles qui nous mettront dans un état contraire nous rendront timides. Les médecins savent que de certaines maladies rendent un homme bizarre, inquiet et emporté: état déplorable, qui nous prouve que nous sommes tombés d’un état plus parfait...

Lorsque les médecins et les auteurs moraux trai- 5 tent des passions, ils ne parlent jamais la même langue: les moraux mettent trop sur le compte de l’âme ; les autres, trop sur celui du corps ; les uns regardent plus l’homme comme un esprit ; les autres, plus comme la machine d’un artisan. Mais l’homme 10 est également composé des deux substances, qui, chacune, comme par un flux et reflux, exercent et souffrent l’empire.

XI. - DE L’ESPRIT DES LOIX.

484* (1433. II, f° 206 v°). — Morceau d’une Préface. t5 — Quand j’ai pu envisager mon sujet dans toute son étendue, tout ce que je cherchois est venu à moi, et j’ai vu mon ouvrage croître, s’avancer et finir.

185-433. — Matériaux Qui N’ont Pu Entrer Dans ao L’« Esprit Des Loix».

185* (1874. III, f° 114 v0).— La Loi est la raison du grand Jupiter 1.

186*(i860.III,f0iio). —.É/iî^".— Quand on voit le Roi, votre père, gouverner avec la même modération ces royaumes où son pouvoir a des bornes, et les états soumis à ses volontés, on sent que, dans b ceux-ci, il ne veut que ce que veulent les loix, et il semble que, dans les autres, les loix ayent établi d’avance tout ce qu’il pourroit vouloir.

187*(1861. III, f°110v°). — Préface. — Nous réfléchissons peu : l’intérêt que nous avons d’avoir des 10 idées justes des choses cède à un autre intérêt, qui est un certain repos et un agréable oubli de soimême.

188* (1723. III, f° 45 v°). — S’il m’est permis de prévoir la fortune de mon ouvrage, il sera plus i5 approuvé que lu: de pareilles lectures peuvent être un plaisir ; elles ne sont jamais un amusement.

189* (1862. III, f° 111).— Il falloit beaucoup lire, et il falloit faire très peu d’usage de ce qu’on avoit lu.

190*(1707. III, f°42). — Je gâterois plus l’esprit de îo mes lecteurs, en faisant ostentation des lectures que je pourrois avoir faites, que je ne pourrois les éclairer par mes recherches.

191*(1863.III,f° 111).—Je rends grâces à MM. Grotius et Pufendorf d’avoir exécuté ce qu’une grande

i. J’avois pensé le (sic) dédier au prince de Galles. partie de cet ouvrage demandoit de moi, avec cette hauteur de génie à laquelle je n’aurois pu atteindre.

Si tout le monde ne sent pas ce que je dis, j’ai tort.

Tout ce qui est nouveau n’est pas hardi. 5 Je crois que la plupart des choses sont bien, et que le meilleur est très rare.

192*(1866.III,f°i12).— L’allure de mon esprit est de ne pas retourner en arrière sur ce que tout le monde sait. Mais les choses les plus hardies n’offen- 10 sent pas lorsqu’on les a dites souvent, et les plus innocentes peuvent choquer les petits esprits, parce qu’elles n’ont pas encore été dites.

193* (i865. III, fi1 1 v°).— Ce livre n’étant fait pour aucun état, aucun état ne peut s’en plaindre. i5 Il est fait pour tous les hommes. On n’a jamais ouï dire qu’on se soit offensé d’un traité de Morale. On sait bien qu’à la Chine il y eut quelques empereurs qui voulurent faire brûler les livres de Philosophie et des Rites, solemnellement proscrits. Ils furent 20 plus solemnellement rétablis: l’État en avoit plus de besoin qu’aucun particulier que ce fût.

194* (1873. III, f° u3 v°). — Quand on voit des causes de prospérité dans un état qui ne prospère point, la disette régner, où la Nature avoit mis ï5 l’abondance, un lâche orgueil, là où le climat avoit promis du courage, des maux, au lieu des biens que l’on attendoit de la religion du pays: il est aisé de sentir que l’on s’est écarté du but du Législateur. La difficulté est de savoir quand, comment et par où il y faut revenir. C’est dans un siècle de lumières que les hommes

5 d’État acquièrent le grand talent de faire à propos les choses bonnes. Tout le monde peut chercher à jeter quelques traits de cette lumière, sans avoir l’orgueil de devenir réformateur. Je n’ai eu devant mes yeux que mes principes:

io ils me conduisent, et je ne les mène pas.

Je suis le premier homme du Monde pour croire que ceux qui gouvernent ont de bonnes intentions. Je sais qu’il y a tel pays qui seroit (sic) mal gouverné, et qu’il seroit très difficile qu’il le fût mieux.

i5 Enfin, je vois plus que je ne juge ; je raisonne sur tout, et je ne critique rien.

195* (1870. III, f° 113). — J’estime les ministres : ce ne sont pas les hommes qui sont petits ; ce sont les affaires qui sont grandes.

20 196* (1855. III, f° 107 v°). — Plutarque a remarqué que la philosophie ancienne n’étoit autre chose que la science du gouvernement. Les Sept Sages, dit-il, si l’on en excepte un seul, ne s’attachèrent qu’à la Politique et à la Morale, et, quoique les Grecs se

25 soyent attachés, dans la suite, aux sciences de spéculation, on voit bien que leur plus haut degré d’estime étoit pour la philosophie active, et leur vrai culte, pour les gouverneurs des villes et leurs législateurs.

197* (1926. III, f° i50 v°). — Les Politiques grecs. — En effet, la science des arts qui sont de quelque utilité aux hommes qui vivent en société est subordonnée au grand art qui forme et qui règle les sociétés. 5

198* (1940. III, f° i55 v°). — Chez les Grecs et chez les Romains, l’admiration pour les connoissances politiques et morales fut portée jusqu’à une espèce de culte. Aujourd’hui, nous n’avons d’estime que pour les sciences physiques, nous en sommes uni- 10 quement occupés, et le bien et le mal politiques sont, parmi nous, un sentiment, plutôt qu’un objet de connoissances.

Ainsi, n’étant point né dans le siècle qu’il me falloit, j’ai pris le parti de me faire sectateur de i5 l’excellent homme l’abbé de Saint-Pierre, qui a tant écrit de nos jours sur la Politique, et de me mettre dans l’esprit que, dans sept ou huit cents ans d’ici, il viendra quelque peuple à qui mes idées seront très utiles, et, dans la petite portion de ce temps 20 que j’ai à vivre, de faire pour mon usage un emploi actuel de ma modestie.

199* (1871. III, f° 1 1 3). — On a, dans notre siècle, donné un tel degré d’estime aux connoissances physiques que l’on [n’] a conservé que de l’indifférence 2b pour les morales. Depuis les Grecs et les Romains, le bien et le mal moral sont devenus un sentiment plutôt qu’un objet de connoissances.

Les Anciens chérissoient les sciences ; ils protégeoient les arts. Mais l’estime qu’ils eurent pour ceux qui inventèrent quelque chose en matière de gouvernement, ils la portèrent jusqu’à une espèce de culte.

5 200* (1864. III, f° m). — Cet ouvrage ne seroit pas inutile à l’éducation des jeunes princes et leur vaudroit peut-être mieux que des exhortations vagues à bien gouverner, à être de grands princes, à rendre leurs sujets heureux ; ce qui est la même chose

10 que si l’on exhortoit à résoudre de beaux problèmes de géométrie un homme qui ne connoitroit pas les premières propositions d’Euclide.

201* (1868. III, f° 112 v°). — Cet ouvrage est le fruit des réflexions de toute ma vie, et, peut-être, i5 que, d’un travail immense, d’un travail fait avec les meilleures intentions, d’un travail fait pour l’utilité publique, je ne retirerai que des chagrins, et que je serai payé par les mains de l’ignorance et de l’envie.

20 De tous les gouvernements que j’ai vus, je ne me préviens pour aucun, pas même pour celui que j’aime le plus, parce que j’ai le bonheur d’y vivre.

A peine eus-je lu quelques ouvrages de jurisprudence que je la regardai comme un pays où la Rai

a5 son vouloit habiter sans la Philosophie.

202* (1920. III, f° 148 v°).—J’ai employé vingt années de ma vie à cet ouvrage. Il s’en faut bien que j’y aye mis assez de temps.

203* (1872. III, f 113 v°). — J’ai travaillé vingt ans de suite à cet ouvrage, et je ne sais pas encore si j’ai été hardi, ou si j’ai été téméraire, si j’ai été accablé par la grandeur, ou si j’ai été soutenu par la majesté de mon sujet. 5

204* (1706. III, f° 42). — Que me serviroit d’avoir fait des réflexions pendant vingt années, si j’avois manqué la première de toutes : que la vie est courte? Je n’ai pas même le temps d’abréger ce que j’ai fait.

205* (1705. III, f°4i v°). — Préface. — Je ne cessois 10 d’envoyer aux vents..., perdant mes peines à réformer ce qui ne devoit jamais voir le jour.

206* (1805. III, f° 80 v°). — J’avois conçu le dessein de donner plus d’étendue et plus de profondeur à quelques endroits de cet ouvrage ; j’en suis devenu 15 incapable. Mes lectures ont affoibli mes yeux, et il me semble que ce qui me reste encore de lumière n’est que l’aurore du jour où ils se fermeront pour jamais.

Je touche presque au moment où je dois com- 20 mencer et finir, au moment qui dévoile et dérobe tout, au moment mêlé d’amertume et de joye, au moment où je perdrai jusqu’à mes foiblesses mêmes.

Pourquoi m’occuperois-je encore de quelques écrits frivoles? Je cherche l’immortalité, et elle est 25 dans moi-même. Mon âme, agrandissez-vous! Précipitez-vous dans l’immensité ! Rentrez dans le grand Être!... Dans l’état déplorable où je me trouve, il ne m’a pas été possible de mettre à cet ouvrage la dernière main, et je l’aurois brûlé mille fois, si je n’avois pensé qu’il étoit beau de se rendre utile aux 5 hommes jusqu’aux derniers soupirs mêmes...

Dieu immortel! le Genre humain est votre plus digne ouvrage. L’aimer, c’est vous aimer, et, en finissant ma vie, je vous consacre cet amour.

207*(1786. III,f°73). — Sur le livre sur la Reli10 gion1:

Regum timendorum in proprios greges, Reges in ipsos imperium est Jovis.

Sur le livre des Moyens de conserver la Liberté: Quasi aliena libertas sua servitus esset.

ib Sur le livre sur la Liberté politique:

Res olim dissociabiles, principatus et libertas.

Sur le livre des Loix du Climat, sur la Servitude civile:

Non in avem Progne vertatur, Cadmus in anguein.

a0 Sur la Servitude domestique: Fiet aper,... ignis.

...Hanc tu compesce catenis.

208’ (1859. III, f° 110). — De l’Objet des Loix. — C’est une pensée admirable de Platon - que les loix

1. Voyez la page 11, v°.

2. République, livre IX. sont faites pour annoncer les ordres de la Raison à ceux qui ne peuvent la (sic) recevoir immédiatement d’elle.

209,(1763.III,fo67vo). — Gloire, Honneur, Émulation. — Ce n’étoit point seulement l’usage de mettre 5 la couronne sur le cadavre du vainqueur, mais aussi de son père. C’est ainsi qu’en Grèce celui qui avoit vaincu acquéroit de la gloire, non seulement à lui, mais à son père et à la Patrie 1.

Cela est ainsi à la Chine. 10

210*(1773. III, f°69V°). — Il est aisé de voir comment Lycurge vint à bout de faire recevoir ses loix par les Lacédémoniens, quelque dures qu’elles fussent: les Nobles étoient oppressés par la multitude, et il gagne les Nobles2. i5

211* (1755. III, f° 65).—J’ai mis dans mon extrait de Cragius: « Il paroît que Cragius approfondit plus le gouvernement civil de Lacédémone que le politique ; c’est qu’où bien les monuments lui ont manqué, ou bien la République étoit plus fondée sur l’insti- 20 tution que sur le gouvernement civil, et sur le gouvernement civil plus que sur le politique. »

212*(19i9. III, f° 148 v°). — « Tarentini, dit Aristote, jumenta etpossessiones cum egentibus communicant. » C’est que c’étoit une colonie de Lacédémone. 25

1. Gravina, article 8, livre II.

2. Voyez avec attention sa vie dans Plutarque.

213*(1698.III,f°39v0). — Plutarque, Vie d’Aratus (au commencement):—«La cité donques de Sicyone, depuis qu’une fois elle fut sortie du pur gouvernement de la noblesse, qui est le propre des 5 villes doriques... »

214*(1762. III, f°Ô7 v°). — Nombre des Sénateurs.

— Romulus institua cent sénateurs ; Priscus, cent autres ; Brutus, cent autres. — Un sénat nombreux tient plus de la démocratie.

10 215*(1776.III,f°70). — IPvolume Politica, page8i:

— Représentants juifs: Sénat de soixante-dix, à vie ; 24,ooo représentants qui proposent au Sénat, qui décide. C’est tout le contraire de ce qu’on faisoit en Grèce et Italie: le Sénat proposoit ; le Peuple

i5 décidoit. Autre singularité: la proposition est de l’état (sic) dans des représentants choisis à temps, et la résolution, dans des représentants choisis à vie. Voir la République des Hébreux. Voir la conformité avec les loix d’Egypte.

a0 216*(19i4.III,f°i46v°). — Bodin rejette la pratique des petits cantons, comme Zug et Appenzell, où, dans les choses de conséquence, chaque sénateur a charge de mener avec lui, au Conseil, deux ou trois qu’il avisera, qui ont aussi voix délibérative ; ce qui

25 fait quelquefois 4 ou 50o, et les affaires ne peuvent être secrètes.

L’expérience est contraire dans les sénats de Venise et de Rome, où le nombre étoit grand.

Rien ne prouve plus cette pratique que (sic) la bonté des mœurs du Peuple1.

217*(1758. III, f°65 v°). — Toute assemblée aristocratique se partage toujours d’elle-même en peuple et en principaux. S

218* (1923. III, f° 149 V). — Le Prince. — Il aime lorsqu’il croit qu’on l’aime ; il faut donc lui persuader qu’il est aimé.

219*(1856. III, f° 108). — Dans les cas même où les loix ont de la force, elles en ont toujours moins 10 • que l’honneur. Le devoir est une chose réfléchie et froide ; mais l’honneur est une passion vive, qui s’anime d’elle-même et tient, d’ailleurs, à toutes les autres. Dites à des sujets qu’ils doivent obéir à leur prince, parce que la Religion et les loix l’ordonnent, 13 vous trouverez des gens froids. Dites leur qu’ils doivent lui être fidèles, parce, qu’ils le lui ont promis, et vous les verrez s’animer.

220*(1845. III, f° io5). — Les mœurs ne sont jamais bien pures dans les monarchies. Cette noblesse, a0 avec son luxe et les vertus qu’elle se fait, est la source de toute corruption.

221* (1728. III,f°47). — Noblesse françoise. — O vous qui, dans les races futures, devez en prendre soin, ministres de ces (sic) roix, etc., gardez-vous de porter des yeux jaloux sur ses honneurs ou des mains fiscales sur ses biens. Ministres de ceux à qui seuls, à qui elle veut 5 céder en courage et en générosité, ministres de ceux, etc.

222* (1702. III, f° 40 v°). — Cette noblesse qui a marqué de son sang tous les pas qu’elle a faits pour la soutenir

10 Droits sacrés! puisque celui que Dieu a pris pour son image les a reconnus pour tels...

Qui a.préféré au bonheur de lui plaire une fois, celui de le servir toujours... Qui ont pensé perdre cette monarchie à force de i5 la méconnoître...

J’aurois tiré de l’obscurité ces hommes...

223*(1889. III, f° 128). — Despotisme. — Il ne faut pas que les roix d’Europe s’exposent au despotisme de l’Asie ; ce petit bonheur d’avoir des volontés

20 irrévocables s’y achète si cher, qu’un homme sensé ne le peut envier.

Les roix d’Europe gouvernent comme des hommes, et ils jouissent d’une condition aussi inaltérable que celle des Dieux.

25 Les roix d’Asie gouvernent comme les Dieux, et ils sont sans cesse exposés à la fragilité de celle des hommes.

1. La monarchie.

224* (1915. III, f° 147). — Article 60, page 41 : — Mauvaise foi de Tribonien d’avoir mis sous le titre De Legibus, la loi qui délivroit l’Empereur des loix caducaires, et une preuve qu’il n’étoit pas délivré de toutes les loix, c’est que Dion nous dit: « Quod 5 a Senatu veniam legis Voconiœ peteret. » Ainsi il donne, pour prouver que le Prince n’étoit pas soumis aux loix, une loi qui prouve qu’il l’étoit, puisqu’il en demande la dispense".

La loi Julia, sous Auguste, délivroit le Prince de 10 la gêne des loix de l’affranchissement.

225* (1720. III, f°45). — Monarque d’Orient, qui veut être heureux tout seul! Qui, tout seul, veut avoir du pouvoir, mais (sic) des plaisirs tout seul, souvent n’a pas de pouvoir, et jamais de plaisirs: 25 les plaisirs d’un moment et les dégoûts d’un jour. Malheureux, qui passe sa vie avec lui-même, parce qu’il veut que tout l’Univers passe sa vie avec lui ; qui vit dans le silence de tout ce qui l’entoure ; qui commande et ne peut parler ; qui cherche une aveu- a0 gle obéissance et trouve une affreuse solitude.

226* (i833. III, f° 100 v°). — Le Grand-Seigneur a coutume d’assister au Divan derrière une tapisserie. Par là, il ôte à ses sujets la liberté de penser dans la chose du Monde où il lui importe le plus qu’ils 23 soient libres, c’est-à-dire dans les délibérations de son conseil.

1. Voyez page 29.

227* (1853. III, f° 107). — Le Czar a mis la police dans ses états en faveur du Genre humain, et non pas de son empire : il seroit impossible que cet empire, s’il étoit policé, habité, cultivé, pût subsister.

5 228* (1898. III, f° i33). — Despotisme. — On dit que le rebelle Mevis (sic) fait en Perse des progrès étonnants, et que le Peuple le suit de toutes parts.

Nos princes ont jusqu’ici exercé leur pouvoir avec si peu de retenue, ils se sont si fort joués de la

10 Nature humaine, que je ne m’étonne pas que Dieu permette que les peuples se lassent et secouent un joug trop appesanti. Malheureuse condition des sujets! Ils n’ont presque point de voye légitime pour se défendre de la vexation, et, quand ils ont

i5 raison dans le fond, il se trouve qu’ils ont tort dans la forme.

Prends au hasard l’histoire de quelque trouble d’État. Il y a à parier mille contre un que le Prince ou son ministre en sont la cause. Le Peuple, natua0 Tellement craintif, et qui a raison de l’être, bien loin de songer à attaquer de front ceux qui ont une puissance redoutable dans leurs mains, a même de la peine à se déterminer à se plaindre. Nous sommes en Perse si persuadés de cette a3 maxime que nous en faisons un usage continuel: dans les démêlés qui arrivent dans les provinces, la Cour décidera toujours pour le Peuple contre ceux qui ont l’autorité du Prince. En effet, l’autorité despotique ne se doit jamais 30 communiquer. Les ordres arbitraires ne doivent point être exécutés arbitrairement, et il est de l’intérêt d’un prince injuste que celui qui exécute ses volontés, même les plus tyranniques, observe, dans la manière de les exécuter, les règles de la justice la plus exacte. 5

Dans les états despotiques, on est pour le Peuple contre le gouverneur ou l’intendant. C’est tout le contraire dans les états monarchiques.

229* (1701. III, f°40 v°). — Tiré d’un chapitre fait sur l’Égypte, où j’avois mis: i°

« La vie des roix d’Égypte étoit soumise à une certaine étiquette, et, le jour et la nuit, ils avoient des heures marquées pour de certains devoirs prescrits par les loix. Quand les loix (sic) n’en auroient tiré que cet avantage de sentir que leur volonté, qui 15 devoit régler tant de choses, mais (sic) devoit ellemême être réglée, ils y auroient beaucoup gagné, et leurs peuples, aussi1. »

230* (189(5. III, f° 131 ). — Loi royale en Danemark. — M. LaBeaumelle, François réfugié en Danemark, 20 m’a dit qu’après la loi qui déféra la souveraineté à la famille du roi de Danemark, on fit ensuite une loi qu’on appela la Loi royale. Cette loi lui permettoit de changer, interprêter, supprimer les loix du pays, en faire à sa fantaisie. Cette loi est telle qu’on 2b en rougit à présent en Danemark, et qu’on la supprime autant qu’on peut.

1. Voir si c’est de moi ou de Diodore.

Cette loi (me semble) regardoit la Noblesse, que l’on craignoit pour lors, et qui avoit la principale part au pouvoir législatif. A présent que tout est convenu (sic), on trouve la loi ridicule.

5 231* (1925. III, f° i50). — Dans les pays despotiques, tous les hommes sont égaux, parce qu’ils vivent également dans l’esclavage politique. Il n’y a de différence entre les hommes que par l’esclavage civil, et encore cette différence y est-elle 10 moindre.

232* (1760. III, f°66). — Raisons pourquoi les républiques deviennent plus florissantes que les pays gouvernés par un seul:

i° Plus de sûreté pour ce qu’on a acquis ; i 5 20 Plus d’amour pour le bien public et la Patrie, qui est à nous, non à un autre ;

3° Plus d’égalité dans les conditions, et, par conséquent, plus d’égalité dans les fortunes ;

40 Plus de moyens de parvenir par le mérite =0 personnel, et, par conséquent, moins de parvenir par des bassesses.

Il faut, pour former un état monarchique, une noblesse riche, qui ait de l’autorité et des privilèges sur un peuple pauvre: le luxe, la dépense, dans la -ô Noblesse ; la misère, dans le Peuple. Dans une république, où les conditions sont égales, chacun partage ou peut partager les richesses communes ; chacun, ayant une honnête subsistance, jouit du fond des biens de la Nation et cherche à le grossir.

233* (1891. III, f° 129). — Pour prouver que les mœurs conviennent mieux à la bonne république qu’à la bonne monarchie: c’est que, dans les bonnes républiques, on dit: Nous, et, dans les bonnes monarchies, on dit: Moi.

234* (1854. III, f° 107). — Dans les monarchies, les choses qui sont en commun sont regardées comme les choses d’autrui, et, dans les républiques, elles sont regardées comme les choses de chacun.

235* (1893. III, fo 129 v°). — La monarchie dégénère ordinairement dans le despotisme d’un seul ; l’aristocratie, dans le despotisme de plusieurs ; la démocratie, dans le despotisme du Peuple.

236*(1917. III, f° 148). — Presque toutes les nations du Monde roulent dans ce cercle: d’abord, elles sont barbares ; elles conquièrent, et elles deviennent des nations policées ; cette police les agrandit, et elles deviennent des nations polies ; la politesse les affoiblit ; elles sont conquises et redeviennent barbares : témoin les Grecs et les Romains.

237* (1908. III, f° 142). — Engagement du Prince et des Sujets. — Grotius a dit1 que la rebellion des sujets n’est point une raison valable pour les exclure, par forme de dédommagement, des avantage d’une convention précédente, parce que le retour à

1. Ouvrage des Savants, par Basnage, n° 1688, art. 7. l’obéissance efface l’injure. J’ajoute que cela ne pourroit avoir lieu que dans les contrats qui ne sont pas réciproques, et dans les cas où un prince donneroit tout, sans recevoir rien. Sans cela, une des 5 deux parties seroit seule juge d’un engagement mutuel ; ce qui en détruiroit la nature. D’ailleurs, cet engagement mutuel étant fait pour toujours durer, la punition d’un crime contre cet engagement n’en doit pas être la destruction.

o ’238* (1744. III, f° 56 v°). — Idée juste de quelques Gouvernements. — Qu’elle est donc la constitution d’Angleterre? C’est une monarchie mêlée, comme Lacédémone surtout avant la création des éphores, fut une aristocratie mêlée ; comme Rome2, quelque

5 temps après l’expulsion des Roix, fut une démocratie mêlée.

L’Angleterre, comme on a vu, incline plus vers la

1. Les éphores furent établis pour ôter au Roi (sic) et au Sénat, en grande partie, les jugements ; comme il paroît par l’apophtegme d’Euripide dans Plutarque. Ces éphores étoient pris dans le bas peuple. On transporta par là les jugements et la plus grande magistrature de la République. Par l’institution de Lycurge, le Sénat tint en bride les Roix et le Peuple ; par l’institution de Théopompe, les éphores tinrent en bride le Sénat et les Roix. Cléomène abolit le Sénat et les éphores, et l’on vit d’abord naître la tyrannie.

2. Il faut considérer les divers temps de Rome. D’abord, après l’expulsion des Roix, elle fut une aristocratie mêlée. Elle fut, ensuite, une démocratie mêlée : les charges et les honneurs furent communiqués aux Plébeiens. Dans le commencement,les décisions du Peuple devoient être confirmées par le Sénat. Il fut, au contraire, établi dans la suite que les arrêts du Sénat n’auroient de force que quand ils seroient confirmés par le Peuple. monarchie. Rome, où le Peuple décidoit et discutoit les affaires, inclina plus vers la démocratie. Lacédémone, où le Peuple n’eut que la décision, inclina plus vers l’aristocratie.

A Rome, on créa des dictateurs ; on nomma des 5 censeurs ; on fit des guerres pour ramener la démocratie vers l’aristocratie. A Lacédémone, on créa des éphores, pour ramener l’aristocratie vers la démocratie.

239*(1899. III, f° i34). — Du Gouvernement mili- 10 taire. — Le gouvernement militaire s’établit de deux manières: ou par la conquête faite par une armée qui veut toujours rester en corps d’armée, tel qu’est aujourd’hui le gouvernement d’Alger ; ou bien il est l’excès de l’abus du gouvernement despotique et, iS pour ainsi dire, la corruption de ce gouvernement.

Le gouvernement est encore toujours militaire dans l’intervalle qu’il y a entre le renversement du gouvernement civil et l’établissement d’un autre gouvernement civil, comme fut le gouvernement de 20 Rome depuis l’usurpation de Sylla jusqu’à son abdication, et depuis le Triumvirat jusqu’à l’établissement d’Auguste. Et, enfin, depuis la subversion de cet établissement, Rome devint un empire qui détruisoit ses propres villes, en donnoit le saccage- ab ment et la destruction pour la solde de ses soldats. Comment la payer dans la suite? C’est ainsi qu’en

agirent C’est ainsi qu’on agit dans la guerre

civile entre Vespasien et Vitellius, lorsqu’on donna le saccagement de Vérone aux soldats. Dans le 30 Triumvirat, ne promit-on pas le saccagement de trois villes1?

240* (1768. III, f° 68 v°) IIe volume Politica : —

Différentes sortes de gouvernements par rapport à 5 la différente sorte de milice2.

241* (1771- III, f°69). — Gouvernement militaire. — Il faut que le Prince soit son propre général, comme le Mogol.

242* (1772. III, f° 69).— Du gouvernement despo10 tique militaire: Le Mogol, les Tartares. — Du gouvernement aristocratique militaire : Alger. — Du gouvernement démocratique militaire: Y en a-t-il?

243*(1709. III, f°42v°). — Ce que j’ai dit des despotes qui ont une armée à eux pour contenir les 15 Timariots se peut dire de Rome, qui avoit une armée dans son sein, qui étoit -son peuple, pour contenir les troupes des villes alliées.

244*(1857.III,p.io8). — L’art s’établit et prend la place du bon sens et de la prudence, qui doivent 20 conduire les citoyens. Les jurisconsultes sont bien aise de voir que l’on soit obligé de recourir à eux à chaque pas que l’on fait dans ses affaires, et les juges ne sont pas fâchés d’exercer leur autorité sur ceux que les jurisconsultes leur envoyent.

1. Voir cela.

2. Page 137 r° et v«.

245*(1836. III, f° 102). — Je voudrois que Ton suivît le chemin qui (sic) fait, parmi nous, un procès, de tribunal en tribunal. Il va, marche, monte, rétrograde, remonte encore pour aller plus haut, sans compter de plus grands voyages au Conseil du 5 Prince. Il va trente ans, sans pouvoir enfermer (sic) son dernier arrêt.

246*(174i. III, f° 55). — Les juges furent pris dans l’ordre des Sénateurs jusqu’au temps des Gracques. Je ne trouve point de loi qui donne ce privilège aux 10 Sénateurs. Il y a apparence que, sitôt que l’on eût établi des juges1, l’art de la jurisprudence commença à se former. Les Sénateurs furent choisis pour juges, parce qu’ils se trouvèrent avoir des connoissances que les autres n’avoient pas. On sait, i5 par l’action de Flavius, qui révéla au Peuple les formules d’actions, avec quels mystères on cachoit au Peuple l’art de la jurisprudence. Comme on donnoit aux parties les juges dont elles convenoient, elles choisissoient les plus éclairés et les plus versés 20 dans les affaires, c’est-à-dire les Sénateurs, et cet usage continuel de les choisir devint peu à peu une loi.

247* (1823. III, f° 90). — C’est une sottise d’obliger les parties à se défendre par le ministère d’un avo- « cat ; parce que, si les avocats sont libres de ne pas

1. Cet établissement étoit très ancien. Denys d’Halicarnasse dit que le Peuple se plaignoit des Décemvirs, de ce qu’ils se mêloient parmi les juges. plaider, les parties doivent être encore plus libres de plaider elles-mêmes.

248* (1824. III, f° 90). — Lettres de Répit. — Elles ne devroient avoir lieu qu’en cas d’absence pour la 3 République, et, dans les cas où on les donneroit à un homme présent, elles ne devroient avoir lieu que sur la contrainte par corps, non sur la poursuite des biens.

249* (10,35. III, f°i 53 v°). — Il n’y a que les gens 10 extrêmement vicieux et extrêmement vertueux qui ayent une certaine force, et, comme elle va toujours trop loin dans les premiers, elle peut ne se pas arrêter assez dans les seconds.

250* (1go5. III, f° i38). — Peines. — Nature des i5 Peines. — Composition des Loix. — Je remarque que la distribution qu’on fit de divers préteurs, surtout celle qui fut faite sous Sylla, qui ajouta quatre questions, fit que l’on enveloppa sous le même nom des crimes qui n’avoient que peu de rapport au crime ’20 principal ; d’où il arriva qu’on punit de la même peine des crimes qui auroient dû en recevoir une moindre. Ce qui doit faire punir de la même peine n’est pas de (sic) ce qu’un crime, par quelque rapport, peut être rangé dans la place d’un autre, mais de (sic) »5 ce qu’il faut avoir le même degré de méchanceté pour commettre ces crimes. Aussi, dans l’établissement de la peine, on suivit plutôt les distinctions des juridictions et des préteurs, qu’on ne suivit les raisons qui pouvoient faire augmenter ou diminuer la peine1.

251* (1897. III, f° i32). — Cruauté des Peines.— Lorsque les peines ont été établies trop cruelles, la meilleure manière de les ramener à la douceur, c’est 5 de les y ramener insensiblement, et plutôt par des voyes particulières que par des voyes générales: c’est-à-dire que l’ordonnance publique doit être précédée de commutation de peines ; secundo, de diminution de peines dans les cas les plus favorables, 10 laissant cela à l’arbitrage des juges, et préparer ainsi les esprits jusqu’à la révocation entière de la loi. Tout cela dépend des circonstances, de l’esprit de la Nation, de la fréquence de la violation, des facilités, des changements, du rapport avec les i5 principes du gouvernement. C’est là que doit éclater la sagesse du Législateura.

252*(1797. III, f°77). — Diodore, livre [I], section n,

page 129: — «Après Amasis régna , Éthiopien,

bon prince. Pour ne punir de mort les voleurs, il so leur fit couper le nez et les envoya habiter une ville nommée Rhinocorura. »

Page 139, ibidem : — « Plusieurs siècles après Bocchoris, on trouve Sabaccon en Ethiopie. Il abo

1. Voyez la loi Cornélienne et les autres ioix qui établissent une question. On se convaincra de ceci en voyant Sigonius, livre lld, De Judiciis, et le .Digeste.

2. J’en ai mis le sens dans une addition que j’ai faite au chapitre Xiii, du livre VI. lit la plus grande des punitions juridiques, qui est la peine de mort, voulant que les criminels fussent condamnés aux travaux des villes. Il voulut changer une rigueur infructueuse [en] chose dont l’Egypte 5 tireroit de grands avantages. Il se retira en Éthiopie. »

253* (1798. III, f° 77 v°). — Douceur des Supplices en Éthiopie. — Douceur des supplices. Pendre ou couper la tête. Quelquefois, perte des biens, avec défense de leur (sic) donner à boire et à manger ; ce

10 qui les fait errer comme des bêtes. L’Empereur fait souvent grâce. Il est droit ; il croit que la justice exacte qu’on fait dans ce royaume et la police produisent l’innocence des mœurs1. Corée. Douceur des peines2.

0 Remarquez donc qu’en Éthiopie la douceur des mœurs a été de tout temps.

254*(19i3. III, f° 146). — Voyez article 58, page 24, de Gravina : — « Les Grecs ne punissoient le faux serment que de l’amende ou de l’infamie. Les Dé20 cemvirs précipitoient de la Roche Tarpéienne. Dans la suite, cela fut relâché à l’exil et relégation. »

Il me semble que toutes ces peines de la Loi des XII Tables avoient été modérées par la loi Porcia, qui défendoit de faire mourir un citoyen romain.

a5 255* (1912. III, f° 146). — Ces Lois des XII Tables avoient bien des peines de mort. C’étoit sans doute

1. II» volume Geographica, Lettres édifiantes, page 305 v°.

2. I1» volume Geographica, page 2.S6 y°. un reste des loix royales, dont la République modéra la rigueur. Celui qui avoit mis le feu à un monceau de blé, puni de la peine du feu. Il y en avoit même de superstitieuses: on croyoit qu’on pouvoit enchanter un champ ; « Si quis malum car- 5 men incantasset venenumque faxit, parricida esto1. »

256* (1761. III, f° 67). — Adultère. — L’adultère, par les anciennes mœurs des Romains, étoit sévèrement puni. « Ex injuriis enim privatorum publica res maxime vexatur: per labeni alieni thori ita <° exasperantur animœ ut Civitatem distrahant in seditionem. » Ils croyoient donc que la pudicité contribuoit beaucoup à la tranquillité publique. Ils permirent au mari qui trouvoit sa femme en adultère de la tuer ; comme on voit dans la harangue de i5 Caton, à (sic) Aulu-Gelle, livre Ier, chapitre xxvm. Mais, par la loi Cornelia, de Siccariis, le mari qui tuoit sa femme étoit puni2.

On établit la punition contre le mari dans la monarchie, où l’on n’a que faire de veiller à la 20 chasteté des femmes.

257* (1858. III, p. 109). — Infamie. — A Sparte, il fut question, après Leuctres, si l’on imposeroit la note d’infamie prescrite par la Loi à ceux qui s’étoient fuis (sic) : car la Loi les déclare inhabiles 23 pour aucune charge. C’est infamie de leur donner aucune femme ou en prendre d’eux. Qui les ren

1. Voyez article 38, page 24, de mon extrait de Gravina.

2. Gravina, article 86, livre III, page 46. contre en chemin peut les frapper, s’il veut, et il faut qu’ils le souffrent, baissant la tête. Robe rapiécée ; rasés à demi. Agésilas fit dormir la Loi un jour 1. Cette sorte de note étoit bien déprimante et bien 5 capable d’établir la valeur et le courage.

’258*(180,o. III, f° 128 v°). — Duel. Suicide. — La loi de Platon (livre IX des Loix) vouloit qu’on ensevelît sans aucun honneur ceux qui se tuoient eux-mêmes. Notre loi canonique leur refuse la sépulture, aussi 10 bien qu’à ceux qui sont tués en duel2. Ces loix font très bien de punir par l’infamie des crimes la plupart du temps commis par orgueil.

259* (1818. III, f° 88 v°). — Romains. — On peut exterminer par les loix, comme on extermine par i 5 l’épée. En i50 ans de temps, les Empereurs romains détruisirent toutes les anciennes familles romaines. Une de leurs plus grandes tyrannies fut celle de leurs loix.

260* (1Gg3. III, f°37v°). — Des Loix qui extermi20 nent la Famille. — C’est l’usage en plusieurs lieux d’Orient d’exterminer la famille du coupable. Dans ces pays, on ne regarde les femmes, les enfants, que comme des instruments et des dépendances de la famille. On les confisque comme, parmi nous, on confisque les biens ; ils sont une propriété du père ou du mari.

1. Plutarque, Vie d’Agésilas.

2. Voir la loi canonique au chapitre il.

261*(1850. III, f° io6v°). — Le Prince, qui fait des loix civiles, peut bien accorder des lettres de grâce, parce qu’il peut remettre l’exemple, et que la condamnation même est un exemple, et que les lettres de grâce sont de même un exemple. 5

262* (1837. III, f° 102). — Aristote censure les inégalités des richesses des femmes à Lacédémone, et il en accuse Lycurgue, qui avoit bien défendu à un citoyen de vendre son fonds ou d’acheter celui d’un autre, mais avoit permis de le laisser par tes- 10 tament.

Si cela étoit1, Lycurgue, qui avoit tant cherché à établir l’égalité, auroit contredit grossièrement ses loix, et il seroit bien extraordinaire qu’avec un principe pareil de corruption sa république eût ô subsisté si longtemps sans être corrompue, et qu’avec un tel principe d’inégalité les fortunes y eussent été si longtemps égales.

Il vaut mieux dire, avec Plutarque, que le principe de l’inégalité fut introduit par un des éphores. 20

263* (1735. III, f°52). — Qu’on examine bien le sort des grandes monarchies qui, après avoir étonné par leurs forces, ont étonné par leur foiblesse. C’est que, lorsque, dans la rapidité du pouvoir arbitraire

1. Je croirois plutôt ce que dit Plutarque (Vie d’Agis et de Cléomène), où ce fut un Épitadius qui fit passer cette loi. Aristote, qui écrivoit pour attaquer le système des loix de Lycurgue, ne put (sic) pas être regardé comme impartial. 11 avoit besoin de prouver que ces loix étoient mauvaises. ou despotisme, il reste encore une étincelle de liberté, un état peut faire de grandes choses, parce que ce qui reste des principes est mis en action. Mais, lorsque la liberté est entièrement perdue, 5 après un tel degré de force, on voit un égal degré de foiblesse. C’est que l’amour des choses bonnes et des choses grandes n’est plus ; c’est que, dans chaque profession, il est établi, — que dis-je?—il est quelque fois ordonné de ne la point faire ; qu’on est

10 découragé en général, et qu’on est découragé en détail ; que la noblesse est sans sentiments ; les gens de guerre, sans intérêt ; les magistrats, sans zèle ; les bourgeois, sans confiance ; le peuple, sans espoir. Chose singulière! tout roule et tout est dans

15 l’oisiveté ; chaque citoyen a un état, et personne n’a de profession ; de chaque sujet, on veut le corps, et non l’esprit et le cœur. C’est pour lors qu’une monarchie montre toute sa foiblesse, et qu’elle en est surprise elle-même.

ao 264*(1710. III, f°42 v°). — Romains. — Scipion donnant la paix aux Carthaginois, dans la seconde guerre punique, exigea d’eux qu’ils ne pourroient prendre à leur solde de troupes mercenaires de la Gaule, ni de la Ligurie1.

265* (1756. III, f° 65 v°). — « On n’a jamais eu tant de besoin de se fortifier qu’à présent que l’on a découvert tant de genres telorum, tormentorum et

1. Appien, in Libycis, page 30. machinarum ad urbium expugnationes. » — On ne les avoit donc pas du temps de Lycurge1.

266* (1817. III, f° 85). — Des Loix dans le Rapport qu’elles ont avec cette Partie de la Police qui entre dans l’Administration politique.— Nos états médio- 5 cres font que les hommes se conservent malgré la vexation et passent d’un pays à un autre ; au lieu que, dans les grands états, les hommes et les peuples périssent sans ressource: ils sont enveloppés dans la tyrannie. 10

De plus, les Princes ne croyent rien perdre. Je citerai, entre bien des exemples, l’action d’Auguste, qui donna à ses soldats tous les biens de dix-huit ou vingt villes d’Italie, dont il ne pouvoit pas même se plaindre. Les Romains, se jugeant être le Monde i5 entier, croyoient ne rien perdre en détruisant des villes ; ils pensoient ne faire autre chose qu’ôter à leurs sujets pour donner à leurs sujets, sans se priver des uns, ni des autres. Aujourd’hui, nous voyons très bien que, quand nous ruinons une de 20 nos villes, c’est comme si nous l’allions bâtir chez nos ennemis.

267* (1879. III, f° 117 v°). — La Chine. — La Chine, par la nature du pays, ne peut guère se diviser en plusieurs états, à moins qu’elle ne se divise comme 25 un fief, et pour faire des parties d’un même corps. Il n’y a, comme nous avons dit, aucun pays dans le

1. Je ne sais d’où est ce passage. Monde, où la subsistance des hommes soit si peu assurée et si précaire. Il n’y a donc aucune province qui puisse penser pouvoir se passer deux ans du secours de l’autre. Le besoin est une chaîne qui les 5 lie toutes et les maintient sous un empire.

On voit des loix où les Empereurs défendent aux roix d’arrêter le cours des rivières qui vont dans un autre royaume ; ce qui les feroit périr.

L’Empire, séparé de trois côtés par la mer, des 10 déserts et des montagnes, ne peut avoir d’ennemis que du côté du nord. Cela a fait établir le siège de l’empire dans le Nord. Or les provinces du Nord sont infiniment plus belliqueuses que celles du Midi, et leurs peuples, plus courageux. Le Midi ne peut donc 13 que difficilement se séparer du Nord.

268* (1880. m, f° 118). — Chapitre Vi. — Par quelle Raison la Chine, malgré sa vaste Etendue, a été obligée de tempérer quelquefois son Despotisme. — L’Empire n’eut pas d’abord une trop

20 grande étendue ; ce qui fit que le luxe et les richesses y gâtèrent moins les princes. Ils ne possédoient que les provinces du Nord, provinces les moins délicieuses, où la mollesse est moindre, où l’on est plus porté au travail, et où, par conséquent, les

25 mœurs sont plus simples.

Tout le Midi étoit dans la barbarie. Ce furent la prospérité et le bonheur du peuple chinois qui engagèrent les Barbares à rechercher de vivre sous leur domination. (On ne voit guère de conquête

30 dans l’histoire de la Chine.)

La Chine est située dans un climat où, comme nous le dirons, on est porté naturellement à l’obéissance servile. Ainsi, quoique les circonstances dont nous allons parler, eussent dû la conduire au principe du gouvernement républicain, elle ne fut point 5 une république.

La Chine est un gouvernement mêlé, qui tient beaucoup du despotisme, par le pouvoir immense du Prince ; un peu de la république, par la censure et une certaine vertu fondée sur l’amour et le res- 10 pect paternel ; de la monarchie, par des loix fixes et des tribunaux réglés, par un certain honneur attaché à la fermeté et au péril de dire la vérité. Ces trois choses bien tempérées et des circonstances tirées du physique du climat l’ont fait subsister ; i5 et, si la grandeur de l’Empire en a fait un gouvernement despotique, c’est peut-être le meilleur de tous.

Le huitième empereur de la deuxième dynastie réprime les peuples de la partie méridionale, qui 20 pilloient ses provinces. — Le Midi n’étoit donc pas soumis ’.

Le onzième empereur de la troisième dynastie: quelques nations du Midi séparées de la Chine par le fleuve Yang-Kiang ayant ravagé l’Empire furent »5 réprimées. — Les provinces du Midi n’étoient donc pas à l’Empire2.

Les empereurs de la troisième dynastie régnent assez sagement. C’est que les temps étoient difficiles ;

1. II» volume Politica, Du Halde, 126.

2. II9 volume Politica, page 13i. leur autorité, bornée: les princes tributaires demandant à être ménagés ; l’Empire, moins étendu1. Il faut bien que sa grandeur Tait affoibli : car ce n’est que depuis qu’il est de cette étendue qu’il a été 5 subjugué deux fois par les Tartares, qui y ont fondé la vingtième et la vingt-deuxième dynastie. Auparavant, les Tartares, dans les discordes affreuses des guères civiles, y avoient fait quelques incursions ou invasions, et jamais d’établissements.

10 269* (1757. III, f° 65 v°). — Les empereurs de la Chine abrègent leurs jours2.

270* (1849. III, f° 106). — Cette espèce de dépendance qu’établit la maison carlienne fut autrefois établie à la Chine, et l’on ne voit pas que cette i 5 sorte de gouvernement ait eu de mauvais effets. Cela faisoit un corps de monarchie, au lieu d’un état despotique. C’est aussi l’Allemagne.

271* (1774. III, f° 69 v°). — Meng-Tsée ou de Mencius, 4e Livre du IId Ordre (dans le père Du Halde,

20 tome II), rapporte comment on punissoit autrefois les princes feudataires. Pour la première faute, on les abaissoit d’un degré ; pour la seconde, on retranchoit de leurs revenus ou de leur territoire ; pour la troisième, on envoyoit une armée pour les déposer ;

î5 souvent même, on chargeoit de cette déposition les roix voisins.

1. II0 volume Politica, page 133.

2. Voyez mon 20 volume Geographica, page 174.

Cette dernière police s’observe encore en Allemagne 1.

’272* (1753. III, f° 65). — Pourquoi les livres chinois brûlés? C’est que les lettrés défendoient l’ancienne constitution2. 5

273* (1725. III, f° 46). — Les princes jouent dans la politique au jeu de Phryné. Elle étoit à table avec des femmes fardées ; on joua ce jeu où chaque convive ordonne à son tour ce que tous les convives doivent faire ; elle ordonna que l’on portât de 10 l’eau, et qu’on se lavât le visage. Phryné resta dans sa beauté naturelle, et tout le reste devint hideux.

274* (1746. III, f° 5g v°). — Pour la Force offensive: «On a vu ci-dessus que la grandeur de l’État le déterminoit au despotisme. Les conquêtes, qui for- i5 ment cet agrandissement, mènent donc, par une voye naturelle, à cette forme de gouvernement.

» Il faut ici nous rappeler toutes les horreurs du despotisme, qui verse incessamment ses calamités sur le Prince et sur les sujets ; qui, comme le Dra- 20 gon, se dévore lui-même ; qui tyranise le Prince avant l’État, l’État avant les esclaves ; qui, sur la ruine de tous, fonde la ruine d’un seul, et, sur la ruine d’un seul, fonde la ruine de tous. Il faut voir la pâleur et la frayeur sur le trône du despote, tou- s5 jours prêt à donner la mort ou à la recevoir, rendu

1. II» volume Geographica, page 212.

2. Voyez Lettres édifiantes, 2e volume Geographica, p. 3Î2 v°. stupide par la crainte avant de l’être devenu par les plaisirs. Or, si cet état est affreux, que dirons-nous de l’aveuglement de ceux qui travaillent sans cesse à se le procurer, et qui prennent tant de peine pour 5 sortir d’une situation dans laquelle ils sont les plus heureux de tous les princes, pour devenir les plus misérables. »

275* (1734. III, f° 5i). — Lorsque la conquête est médiocre, l’État peut rester ou devenir monarchi

10 que. Il faut que le conquérant cherche à maintenir sa conquête par des forteresses.

Les forteresses, comme nous l’avons dit, appartiennent plus au gouvernement monarchique, parce qu’elles sont opposées au gouvernement militaire.

i5 De plus, elles supposent une grande confiance dans les Grands, puisqu’on leur donne un si grand dépôt. Elles supposent même une plus grande confiance dans le Peuple, puisque le Prince a moins à craindre.

o Quand je parle ainsi des forteresses, je ne parle pas d’un petit tyran qui, maître d’une ville, y bâtit une forteresse, qui le rend plus cruel encore. Il est lui-même son gouverneur. Le gouverneur despotique et militaire se trouve également et dans le petit

25 prince d’une ville, et dans le maître d’un vaste empire.

Vitiza, roi des Goths, démolit toutes les forteresses d’Espagne ; Gilimer, roi des Vandales, détruisit toutes celles d’Afrique. Aussi ces deux états 30 furent-ils conquis, pour ainsi dire, en un jour. Au lieu d’affoiblir les peuples vaincus, ils avoient affoibli l’empire.

Je crois que ce qui fit prendre aux Goths et aux Vandales ce mauvais parti, c’est que, sortant d’un pays où l’on ne connoissoit point les forteresses, ils 5 regardèrent celles qu’ils trouvèrent dans leurs conquêtes comme des moyens d’échapper à leur violence, non comme des moyens propres à arrêter les étrangers.

276* (1902. III, f° 136). — Conquêtes. — Les con- 10 quêtes ôtent naturellement la faculté de conquérir. Je regarde un conquérant comme un jeune homme ardent dans un sérail, qui fait tous les jours de nouvelles acquisitions aux dépens des premières, jusqu’à ce qu’elles lui deviennent toutes inutiles. i5

277* (1731. III, f° 50). — On a loué la valeur qu’Alexandre fit paroître dans sa conquête des Indes. Je voudrois plutôt qu’on louât sa conduite: comment il enchaîna les Indes avec la Perse, avec la Grèce ; comment il poursuivit les meur- 20 triers de Darius jusque dans la Bactriane et les Indes mêmes ; comment il eut l’adresse de commencer par soumettre le pays qui étoit au nord des Indes, et de revenir, pour ainsi dire, par les Indes ; comment il descendit le long des fleuves 2b pour n’être point arrêté à leur passage ; comment il songea à faire communiquer ses conquêtes avec ses conquêtes.

Ce projet du commerce des Indes qu’Alexandre avoit fait faire par Babylone et le Sein Persique, les Ptolomées le firent sur la Mer Rouge, comme tout le monde sait.

278* (1708. III, f°42). — Romains. — Examinez les 5 Romains dans les temps où on leur donnoit des couronnes d’herbe, et dans ceux où ils recevoient des couronnes d’or. C’est encore une expérience de toute l’histoire que les récompenses qui ont fait faire de plus grandes choses sont celles qui réelle10 ment étoient de plus vil prix1.

279* (1740. III, f° 55). — Du superbe Ouvrage des Romains. — Si l’on pouvoit douter des malheurs qu’une grande conquête apporte après soi, il n’y auroit qu’à lire l’histoire des Romains.

i5 Les Romains ont tiré le Monde de l’état le plus florissant où il peut (sic) être ; ils ont détruit les plus beaux établissements, pour en former un seul, qui ne pouvoit se soutenir ; ils ont éteint la liberté de l’Univers et abusé ensuite de la leur, affoibli le

20 Monde entier, comme usurpateurs et comme dépouillés, comme tyrans et comme esclaves.

280* (1790. III, f° 74). — Strabon dit que la plupart des institutions des Crétois ne subsistent plus, cum, ut in reliquis fit provinciis, pleraque romanis con25 stitutionibus gubernentur-.

Je sais bien mauvais gré aux Romains d’avoir

1. Cela n’a pu entrer dans le livre de la Conquête.

2. Strabon, livre X, page 741. détruit les institutions de presque tous les peuples de la Terre, pour établir les leurs.

281* (1729. III, P 47). — Des Armées. — Lorsque les armées ont affoibli le peuple vaincu, les terreurs qui ont cessé de venir de la part du peuple conquis 5 viennent du côté des armées, et voici les moyens que l’on a pris pour les contenir dans la fidélité.

On sépare l’armée, et on la dispose en plusieurs, pour que, selon l’expression de Tacite, elles ne se communiquent ni leurs forces, ni leurs vices1. 10

L’expérience a encore fait voir que l’oisiveté rend les soldats séditieux, « Par des expéditions fréquentes, dit Tacite, les légions de la Bretagne apprirent à haïr leurs ennemis, et non pas leurs capitaines2. »

Lorsque l’armée sera devenue riche par la con- i5 quête, elle tombera dans la dissolution ou dans la désobéissance. La dureté du métier de soldat est incompatible avec le luxe et les richesses. Alexandre, partant pour les Indes, fit brûler tout le bagage de ses soldats. Thamas-Kouli-Kan, conquérant des 20 mêmes Indes, obligea les siens de rapporter tout leur or. Ce sont des entreprises très hardies.

Les Empereurs romains retenoient une partie de la paye des soldats3, avec les drapeaux de l’armée, pour gage de leur fidélité ; on "ne leur (sic) donnoit qu’au 25 licenciement. Je ne vois pas que cela ait produit de

1. Nec vitiis, nec viribus miscebantur. (Histoires, livre Ier.)

2. Doctœ crebris expeditionibus hostem potius odisse. (Histoires, livre I«r.)

3. Histoire de l’Univers de Pufendorf. grands effets. Les soldats savoient qu’en se révoltant ils seroient encore mieux les maîtres de ce trésor.

Il est très dangereux de ne point payer l’armée: elle se mutine d’abord, et, par un nouveau malheur, 5 elle s’excuse, et on n’ose la punir.

Lorsque la totale diversité de loix, de manières et de mœurs, n’empêche pas (sic) les mécontents de passer d’une armée à une autre, les séditions sont moins fréquentes. Quand il ne peut y avoir de

10 désertion, les mécontents restent, cachent leur haine, ou la font éclater1.

282* (1737. III, f° 53 v°).—Je lisois dans la Cyropédie que Cyrus rejeta l’usage de ces chariots venus de Troye, dont on se servoit dans les combats, parce

11 que, pour un seul combattant, il falloit... hommes et... chevaux. En lisant ceci, je faisois cette réflexion: sans ces chariots de Troye, nous n’aurions pourtant pas eu le poème d’Homère, qui consiste tout dans les actions et les discours de ces héros, sur ces

20 chariots, par le moyen desquels ils sont toujours distingués de la populace de l’armée. Pour un bon poème épique, il est indifférent que l’armure générale soit bonne, pourvu que celle des personnages principaux le soit.

»5 De même, le système de la chevalerie.

283* (1809. III, f°82). — On mit le butin de Veïes entre les mains des questeurs, au mécontentement

1. Cela a été supprime du livre de la Force offensive. des soldats qui avoient tout ensemble de l’admiration et de la haine pour la vertu de Camille1.

C’est qu’on commença au siège de Ve’fes à donner une paye aux soldats.

On distribua à chaque homme libre sept arpents 5 de terre des Veïens, pour leur donner plus de désir d’avoir des enfants2.

Il me semble que les Romains distribuoient tantôt sept, tantôt cinq arpents.

284*(1703. III, f°4i). — Romains. — Sur le change- 10 ment qui fut fait du temps de l’Empire, de diviser, dans les charges, les fonctions militaires et civiles, il faudra mettre cette réflexion que, dans une république, il seroit dangereux de diviser les fonctions civiles des militaires ; qu’il faut que les fonctions i5 militaires ne soient qu’un accessoire de la magistrature civile, qu’un homme se sente citoyen plutôt que soldat, magistrat plutôt qu’officier, consul ou sénateur plutôt que général. Mais, dans une monarchie, il faut que ces qualités soyent séparées ; que 10 le corps militaire fasse un corps séparé ; et cela est également nécessaire aux sujets et au Prince : aux sujets, pour avoir des magistrats civils ; et au Prince, pour mettre sa défense entre les mains d’officiers militaires. »5

285* (1906. III, f° i39). — Liberté politique. — L’abbé Dubos, dans son Histoire de la Monarchie

1. Page 48, extrait de Tite-Live, livre V (lome II, page 43).

2. Page 66, extrait de Tite-Live, livre V (tome II, page 45). françoise, tome Ier, chapitre vi (page 5g, i" édition), dit qu’il ne sache pas qu’avant Constantin, non seulement aucun empereur, mais qu’il doute même qu’aucun roi étranger eussent (sic) séparé, dans

5 leurs officiers, les fonctions civiles d’avec les fonctions militaires.

Il n’a point donc lu ce que Socrate, dans Xénophon, dit de la monarchie des Perses, où deux officiers différents gouvernoient ordinairement les pro

io vinces, et les inconvénients que l’on a remarqués lorsque cela n’étoit pas.

Il n’a donc pas lu ce que dit Diodore de la monarchie des Égyptiens, où les prêtres ont le civil, tandis que la milice forme un corps séparé.

i5 II dit ensuite, après Cassiodore (Variarum, titre vin, n° 3), que cette distinction fut dans la monarchie de Théodoric, en Italie, roi des Ostrogoths. Il ajoute qu’on voit, par quelques endroits de Procope, que cet usage y fut maintenu. Mais il

o dit qu’il fut abrogé dans les Gaules par Clovis et ses successeurs.

Il dit qu’on verra par plusieurs faits, dans la suite de son histoire, que, sous ces princes, les ducs et d’autres officiers militaires se mêloient des affaires

25 purement civiles et principalement des affaires de finance ; qu’il étoit naturel qu’à cet égard nos roix mérovingiens suivissent l’usage de leur nation, qui ne connoissoit point la méthode de séparer l’autorité souveraine entre deux représentants dans une

30 même contrée.

Il ne sait donc pas ce que Tacite dit si bien (De Moribus Germanorum) de la différence des fonctions de Roi, chez les Germains, lequel avoit l’autorité civile, d’avec les fonctions du Duc, qui avoit les militaires ; ce qui est la clé des commencements de la monarchie françoise. 11 est bien vrai que 5 c’étoit la Noblesse et le Clergé qui, sous la première et la seconde race, avoient la judicature et les finances, parce que le Tiers-Etat n’étoit rien ; que les ducs, les comtes, etc., administroie-nt la justice. Mais remarquez que l’Europe étoit une 10 aristocratie.

M. l’abbé Dubos ne commence la division des deux pouvoirs que sous Louis XII. Mais ne faudroitil pas plutôt la commencer du temps où l’ignorance de la Noblesse donna la plupart des fonctions civiles i5 au Tiers-État? Il dit que la distinction vint de Louis XII et ses successeurs, qui firent plusieurs ordonnances pour ôter à ceux qui avoient le pouvoir militaire dans un certain district, de se mêler des matières de justice. De tout ce qu’il dit là- 20 dessus, il n’y a rien de fondé, si ce n’est qu’il n’y avoit point dans l’Empire, depuis le changement de Constantin, deux états: l’un, de la robe ; l’autre, de l’épée, exclusifs l’un de l’autre : de sorte que celui qui avoit pris l’un ne pouvoit plus prendre 25 l’autre ; que l’empereur Avitus, qui fut d’abord préfet du prétoire, fut ensuite maître de la milice et passa, comme dit Sidonius, des tribunaux de justice dans les camps. Il est vrai qu’autrefois la distinction étoit dans les charges, et qu’aujourd’hui elle est 3« dans les états.

286* (1852. III, f° 107). — Sénatus-Consultes. — Le Sénat étant devenu une cour de judicature, il n’eut guère d’autorité que pour faire les loix civiles. Ainsi le nombre des sénatus-consultes fut très grand.

5 287* (1749. III, f° 63 v°). — Je dis ceci, sachant très bien que les hommes sont toujours fort embarrassés lorsqu’il s’agit de gouverner les hommes.

Je parle aux magistrats comme un honnête homme parle à un honnête homme. Si l’on est obligé de 10 sortir de la Loi, il faut, du moins, y rentrer le plus tôt qu’il est possible. Si l’on est obligé de faire des choses qui, par leur nature, ne sont pas bonnes, il faut les faire le moins mal qu’il est possible.

288* (1712. III, f°43). — Dictateur. — Devant lui, i5 les loix étoient dans le silence, et le Souverain baissoit la tête. Il auroit été un tyran, s’il n’avoit été choisi pour un temps court, et si sa puissance n’avoit été bornée à l’objet pour lequel il avoit été choisi. Dictateur. — Remède extrême dans les maux 20 extrêmes. C’étoit une Divinité qui descendoit du Ciel pour le dénouement des choses embrouillées.

289*(1807. III, f°8i v°). — Celui qui avoit tué un tyran pouvoit demander ce qu’il vouloit, outre le prix =5 des Jeux olympiques1. Il étoit beau qu’un prix donné par toute la nation des Grecs fût donné ainsi, et qu’elle se chargeât de récompenser le vengeur d’une ville.

290* (1819. III, f° 88 v°). — Lèse-Majesté. — Jurisconsulte « Paulus pœna legis Corneliœ plectendum esse ait quisquis monetam quœ effigiem Principis impressam haberet, nec adulterina esset, accipere detractaret. > C’est que, comme observe Ammien- 5 Marcellin, sitôt qu’un prince étoit élu, l’usage étoit de faire battre de la monnoye en son nom.

La loi de Constantin qui condamnoit au feu ceux qui refusoient sa monnoye regarda peut-être que ce crime auroit quelque rapport avec celui de lèse- 10 majesté.

291*(1842.III, f° 104). — Un officier françois, prisonnier de guerre, ayant dit que le temps viendroit qu’il se laveroit les mains dans le sang vénitien, ils (sic) le firent pendre, et on lui donna des coups de cou- i5 teau sous les pieds, afin que la place fût baignée de son sang: circonstance plus cruelle que le supplice

Cette parole téméraire ou indiscrète, qui pourroit être le sujet d’un crime de lèse-majesté prononcée contre un monarque, ne sauroit être prononcée 20 contre le Peuple, parce qu’un seul homme ne peut pas exterminer un peuple. D’ailleurs, cette parole ne vouloit dire autre chose sinon qu’ayant fait la guerre contre les Vénitiens il la feroit encore ; ce qui étoit une chose légitime aux François. 25

292* (1781. III, f° 71 v°). — La magie ayant été décréditée, elle est dégénérée en sorcellerie, qui

1. Histoire du Gouvernement de Venise, par le sr de La Houssaye, page 358, et de l’extrait, page 70. est, parmi nous, le merveilleux du peuple. C’est l’accusation qui fait le crime et tous les autres de cette espèce. Les peuples ne les doivent qu’à la conduite de leurs magistratures, « Il faut bien,

5 disent-ils, que la magie existe, puisque le Législateur, dans la sagesse duquel je me confie, a fait une loi pour la punir. Il faut bien que cet acte de magie ait été fait, puisque les juges, qui apportent dans leurs jugements la plus grande attention dont la

o Nature humaine soit capable, l’ont décidé ainsi. >

293* (1806. III, f° Si V°). — L’appel est favorable à la liberté : il est bon que le juge criminel qui fait les premières procédures et le juge civil qui fait les premières instructions craignent d’être réformés.

5 294* (î85i. III, f° 106 v°). — Opposition. — L’intercession ou opposition n’étoit pas impunie au Sénat de Rome, si elle étoit téméraire: « Cum enim in rem non esset publicam, aut remittere cogebantur eam, autpœnam aliquando subire. » César (De Bello civili) dit: « De tribunis Plebis gravissime fuisse decrelurn. »

L’abus des loix de Pologne, c’est qu’elles n’ont pas puni le téméraire opposant.

295*(1ç ;io. III, f° 145). — Tributs. — Plus les tri5 buts sont forts, plus les honnêtes gens fuyent d’en faire la levée. Plus les tributs sont forts, moins les honnêtes gens se font scrupule de les frauder. Vous dites que vos sujets chargés travailleront mieux. — Je vous entends. — Vous voulez faire un voyage de long cours avec des rames, et non pas des voiles1.

Croire augmenter la puissance en augmentant les tributs, c’est croire, suivant l’expression d’un auteur 5 chinois, rapporté par le père Du Halde (Sur les Délateurs, tome IIe, page 503), pouvoir agrandir une peau lorsqu’on l’étend jusqu’à la rompre.

296* (1901. III, f° 136). — Plumes vénales. — Des plumes vénales, à un ministère qui n’en a pas besoin, 10 ont prétendu prouver en France que, malgré les acquisitions de tant de provinces, l’État n’y levoit pas plus aujourd’hui que sous François I"2. Si cela étoit vrai, cela prouveroit une grande servitude. Mais cela n’a pas été dit pour l’approuver (sic), mais i5 pour l’établir:

Malheureux écrivains, présent le plus funeste Que puisse faire aux roix la colère céleste.

297* (1793. III, f, 74 v°). — Le peuple d’Allemagne est un bon peuple. Machiavel nous dit que, de son 20 temps, lorsque les magistrats des villes vouloient faire quelque imposition, chacun mettoit dans un sac la partie de son revenu portée par la taxe. Le Magistrat avoit de la confiance dans le Peuple, et

1. Pour mettre à la tête du livre: « César, De la Guerre civile (Voir la citation): « Cujus modo rei nomen reperiri poterat, hoc satis esse ad cogendas pecunias. » 2. Voir cela. une preuve qu’elle n’a pas toujours été trompée, c’est la continuation de cette pratique. J’ai ouï dire que cela s’observe encore aujourd’hui à Dantzig1.

298* (1846. III, f° io5 v°). — IIe volume Geogra5phica:—Appauvrissement des provinces attribué au changement des gouverneurs en intendants. Ils sont comme les nôtres, qui ne songent qu’aux trésors, et point aux peuples. Les gouverneurs ménageoient la province, qui (sic) regardoient comme

10 leur patrimoine. Dépeuplement qui s’en est suivi. On ne craint rien des intendants. Us obtiennent leurs places à force de présents et à force de faire valoir davantage la recette. Il faut tenir parole et entretenir les patrons2.

i5 Ces intendants ressemblent beaucoup aux nôtres.

299* (1848.III, f° 106). — Ier volume Geographica: — On attribue les abus du gouvernement des Espagnols dans les Indes au changement des gouverneurs, qui se fait tous les trois, cinq ou sept ans3. *o Mais il seroit dangereux de les laisser plus longtemps. Il faut donc des loix sages, qui préviennent les inconvénients de les changer.

300* (1878. III, f° 116 v°). — Pour le livre XIII, chaa5 pitre xvin : Du Secours que l’Etat peut tirer des Traitants. — Dans les monarchies, le Prince est

1. Voir bien cela, et dans quel lieu cela s’observe encore.

2. Chardin, page i50.

3. Page 371, Frézier. comme les particuliers, qui ont du crédit en raison composée de leurs richesses, de leur conduite et des préjugés de leur condition.

Un monarque qui ne s’est pas rendu indigne du crédit public en a, pourvu qu’il puisse connoître 5 qu’il en a, et qu’il ne pense pas que ses traitants puissent lui en donner.

Les biens d’un grand état sont si immenses, en comparaison de ceux d’un ou de quelques particuliers, que, lorsque ces deux crédits s’allient, celui 10 du particulier n’est plus rien. Si le Prince a du crédit, il en donne au particulier ; s’il n’en a pas, il fait perdre au particulier celui qu’il avoit.

Les traitants ne peuvent procurer de crédit au Prince que sur les mauvais marchés qu’ils lui font i5 faire. C’est l’argent qu’ils tirent des coffres du Prince qui a ce crédit, et cet argent, si on l’avoit gardé, l’auroit eu tout de même.

J’ai vu de grands seigneurs avoir souvent besoin du crédit d’un valet qui avoit mis 50 écus à cou- =o vert. Tel sera le Prince qui aura pour ressource ses traitants.

301* (1877. III, f° 115 v°). — Pour le livre XIII, chapitre xxi : Pratique dangereuse. — Lorsque le Prince commence par recevoir des traitants et leur 25 donne à reprendre sur ses sujets, il met à la porte de chacun d’eux un ennemi, qui se fortifie par les larmes, et que la misère semble encourager. Le préfet du prétoire, dit Ammien-Marcellin (livre XVII), ayant promis de suppléer à tout ce qui manqueroit 30 à la capitation dans la Gaule, Julien dit qu’il perdroit plutôt la vie que de le souffrir : car il connoissoit les plaies incurables que ces sortes de provisions font aux provinces (elles causèrent, dit le 5 même auteur, la ruine de l’Illyrie), et, des rôles d’augmentation lui étant présentés, il les jeta par terre. Ammien-Marcellin, qui écrit ceci, dit (livre XVI) que, lorsque ce prince entra dans la Gaule, on payoit 25 écus d’or par tête ; quand il s’en retourna,

to il n’y en avoit plus que 7, pour toute sorte d’impositions. Or, ceux qui connoissent l’état des finances des Romains, dans ces temps-là, savent bien qu’on n’étoit point en état de perdre. La diminution ne fut donc point sur la taxe, mais sur les frais de la

15 levée, et, de ces deux règlements, l’un fut l’heureux effet de l’autre.

302* (1882. III, f° 120 V). — Sur les Livres du Climat. — Voyez ce que c’étoit que les républiques des Indes, lors de l’arrivée d’Alexandre. Voyez dans

10 Diodore (livre III, page 296) les loix des Indiens, qui ont beaucoup de rapport avec ce qu’on nous en dit aujourd’hui, tant pour la différence des castes, des conditions, la douceur de l’esclavage, la propriété des terres au Souverain, etc. Voyez ce qu’il

25 en dit aussi livre IIe, page 246. Ce qu’il dit, qu’on n’y a jamais vu de famine, est bien changé. Aussi n’y parle-t-on point de riz. — Cela fait bien voir que ce que les Nouvelles ecclésiastiques ont dit sur ce que j’ai dit contre la douceur du gouvernement des 30 Indes forme une censure fort peu éclairée.

303* (1796. III, f° 77). — Caractère des Loix dans certains Climats. — Deux roix éthiopiens, qui régnèrent dans différents temps en Égypte, y abolirent la peine de mort. Il falloit que cela fût établi de même dans leurs pays. Ces princes régnèrent avec 5 toute sorte d’humanité, de justice. Les relations que nous avons aujourd’hui d’Éthiopie nous montrent plus de douceur, dans ce gouvernement, et une meilleure police que dans quelque autre pays que ce soit de l’Afrique. 10

304*(1730.III, f°48 v0).— Climat.— Conquêtes des Chinois et des Mogols1. — Toute la différence est que les Tartares ne fondèrent l’empire du Mogol qu’après avoir reçu le Mahométisme, et que le Japon i5 fut conquis avant cette époque.

Il faut expliquer ceci.

Ces deux empires furent fondés par une invasion des Tartares (*) 2. Les conquérants se rendirent propriétaires des fonds de terre, et le Prince ou Général les donna comme des espèces de fiefs. Il paroissoit a0 naturel qu’ils ne fussent point héréditaires. Comme ils étoient distribués à l’armée, et que c’étoit au Prince à choisir ses officiers et ses soldats, il sembloit que la récompense des places ne devoit pas être plus héréditaire que les places mêmes. C’est 2a l’idée de toute armée conquérante: ce fut la manière

1. J’ai mis dans mon recueil pour des dissertations toutes les autorités nécessaires pour prouver ceci.

2. Nota que la note du signe sur le mot Tartares est à la fin de l’article. de penser de nos Francs, de tous les Goths, qui conquirent l’Empire romain. Mais, en Occident, on sentit bientôt que des terres tenues ainsi précairement deviendroient incultes ; l’esprit de liberté ins

5 pira l’esprit de propriété ; nos fiefs devinrent héréditaires. Cela ne se put faire en Asie, parce que l’esprit de liberté n’y régnoit point. Les fiefs restèrent à vie ou plutôt continuèrent à être donnés ou ôtés par la volonté capricieuse du Prince. Bientôt

0 l’esprit précaire détruisit dans l’Indolestan (sic) les villages, les paysans, les terres, et le rendit le plus grand désert du Monde.

La même chose seroit arrivée au Japon, si le climat et la religion n’y avoient mis des différences1.

5 305* (1916. III, f° 147 v°). — Dans un chapitre fait sur l’Égypte, j’avois mis:

« Les esclaves avoient la Loi pour sûreté de leur

1. (*) On ne peut douter que le Japon ne soit une conquête tartare. Même gouvernement et même constitution que celle du Mogol, fondée par les Tartares. Les Japonois sont originaires de Tartane, comme les Mogols. Le Deiro se rapporte entièrement au Grand.Lama des Tartares. Les jongleurs ou chasseurs de Diables ou de maladies sont communs au Japon, comme chez les Tartares. Gengis-Kan fit jeter ses ennemis dans une chaudière bouillante, supplice commun chez les Japonois. Les deux peuples ont à peu près les mêmes dogmes ; ils sont aussi peu attachés au culte, et, à l’égard des dogmes, ils ont une égale indifférence. Les Tartares ne disputent jamais sur la Religion ; les Japonois, non plus. Avant le Christianisme, la liberté de religion y étoit entière. De même, les Tartares, par principe de conscience, les protègent toutes. Quoi que disent les histoires des Chinois, ce qu’on voit aujourd’hui prouve bien qu’ils n’auroient jamais été capables de conquérir le Japon. De plus, il n’y a nul rapport entre ces peuples. vie. Elle punissoit de mort le maître même qui la leur auroit ôtée. Ils n’étoient pas citoyens ; mais ils étoient des hommes’.»

306* (1838. III, f° 102 v°). — Le Sênatus-Consulte Syllanien, à Rome, contre les Esclaves. — C’est à des 5 loix si sévères que l’on devoit à Rome ces actions de fidélité, de vertu, de courage, de la plupart des esclaves romains. Vous les voyez se tuer après avoir tué leur maître par son ordre. Mais la Loi les auroit fait mourir tout de même2. 10

307* (1782. III, f°72).—Esclaves affranchis. Multitude de nouveaux pauvres qui ne Tétoient pas auparavant. Ce fut une révolution que fit le Christianisme.

308* (1909. III, f° 143). — Femmes et Eunuques. — On a remarqué à la Chine qu’il étoit moins perni- i5 cieux que le Prince se livrât à ses femmes qu’à ses eunuques5. Quand il s’est une fois abandonné à ceux-ci, ils se rendent le maître de sa personne. Les abus et les excès de leur gouvernement font qu’on se soulève. Le Prince voudroit-il y remédier, il ne ao le peut plus : ses ordres ne peuvent plus passer au dehors. Cela forme des guerres civiles, et, si le parti opposé aux eunuques est vainqueur, le Prince est confondu dans la ruine des eunuques.

1. Voir si cette réflexion vient de moi ou de Diodore.

2. Voyez ici ces loix.

3. Voyez dans le père Du Halde un ouvrage du lettré TangKing-Tchuel, fait sous la dynastie des Mings.

Mais, quand le Prince est gouverné par ses femmes, le mal est moins grand. Leurs intérêts ne sont point les mêmes ; elles ne peuvent s’unir ; elles se détruisent. Les eunuques les décréditent. Leurs des5 seins sont moins suivis, moins profonds, moins réfléchis, plus téméraires. Enfin, il est rare que, dans un monarque, la foiblesse du cœur fasse autant de maux que la foiblesse d’esprit1.

Dans un ouvrage du lettré Tang-King-Tchuel, fait o sous la dynastie des Mings, que nous a donné le père Du Halde, on trouve ces belles réflexions:

« Quand un prince se livre aux eunuques, il regarde comme étrangers les gens vertueux, habiles et zélés, qu’il a à sa cour. Ils se retirent. Le Prince ouvre-t-il 5 les yeux et cherche-t-il les secours des officiers du dehors? Ils ne savent comment faire : car le Prince est comme en ôtage. Si l’entreprise des officiers du dehors ne réussit pas, un ambitieux trouve le moyen d’envelopper le Souverain dans la cause des eunuques, et il séduit le cœur des peuples en exterminant ces canailles. »

Se livrer aux femmes est un moindre mal: car, si le Prince se reconnoît, le mal se peut guérir. Mais, si, par une confiance outrée, il s’est livré à ses eunuques, il ne peut revenir sans se perdre.

Depuis l’empereur Hoen-Ling jusqu’à Hien-Ti, l’Empire se gouvernoit ou plutôt se bouleversoit au gré des eunuques.

i. Il ne faudra pas faire ce chapitre si général ; mais l’attribuer seulement à la Chine.

309* (1789. III, f° 73 v°). — Le premier Romain qui répudia sa femme, ce fut à cause qu’elle ne portoit point d’enfants ; le second, parce qu’elle avoit voilé sa tête, ou qu’elle n’avoit pas voilé sa tête (je ne sais pas bien lequel des deux) ; le troisième, parce 5 qu’elle assistoit aux jeux funèbres.

Vous voyez, dans ces trois causes, combien les mœurs étoient d’ailleurs pures1.

310* (1788. III, f° 73 v°). — Climat. — Voyez dans les fragments de Nicolas de Damas, recueillis par 1° Constantin Porphyrogenète, combien la coutume d’envoyer étrangler les gouverneurs des provinces, sur le moindre soupçon, est ancienne en Orient. Le gouvernement demande cette sévérité, et le climat détruit le gouvernement. i5

311*(1816. III, f°86). — De la Grandeur de la Capitale. — Une ville trop grande est extrêmement pernicieuse dans une république: les mœurs s’y corrompent toujours. Lorsque vous faites entrer un million d’hommes dans un même lieu, on n’y 20 peut plus exercer que cette police qui donne du pain à un citoyen, et qui l’empêche d’être égorgé. Mettez les hommes où est le travail, et non pas où est la volupté.

Dans les états despotiques, la capitale s’agrandit 25 nécessairement. Le despotisme, qui presse et pèse plus dans les provinces, détermine tout vers la

1. Plutarque, page (de l’extrait) 251. capitale. C’est, en quelque façon, le seul asile qu’il y ait contre la tyrannie des gouverneurs. Le Prince y est un astre singulier : il échauffe de près et brûle de loin. Le malheur est que tant de monde ne s’y 5 assemble que pour périr tout à la fois par une guerre, des maladies, une famine.

Dans cet état, tous les principes sont destructeurs, et toutes les conséquences.

La plus déplorable situation est lorsque la capi10 taie, qui attire tout le monde des provinces, se détruit de son côté. Constantinople est dans ce cas1. Les maladies épidémiques, que l’on y néglige, font périr le peuple ; on a beau y amener des colonies, la Ville n’augmente pas. i5 Dans une monarchie, la capitale peut augmenter de deux manières: ou parce que les richesses des provinces y attirent des habitants (c’est le cas où est un certain royaume maritime) ; ou parce que la pauvreté des provinces les y envoye (dans ce derao nier cas, si l’on n’a l’œil sur les provinces, le tout sera également ruiné2).

Une monarchie qui a des règles et des loix n’est pas ruinée par la capitale. Elle peut même en tirer sa splendeur. Le Prince a mille moyens pour a5 remettre l’équilibre et ramener le peuple dans les provinces ; et, pour ne parler que de ceux qui viennent d’abord dans l’esprit, qu’il diminue dans

1. Madrid est dans le même cas. Les accouchements n’y sont pas heureux. J’en ai parlé dans mes Réflexions.

2. Voyez (I»r volume [de] mes Pensées, page 223) les raisons pourquoi les villes d’Asie peuvent être plus peuplées. les provinces ces impôts sur les denrées, et qu’il les augmente dans la capitale ; qu’il laisse finir les affaires dans les tribunaux des provinces, sans les appeler sans cesse à ses conseils ou à ses tribunaux particuliers ; qu’il renvoye en leurs postes tous 5 ceux qui ont des emplois et des titres de quelque espèce qu’ils soyent, dans les provinces ; et qu’il fasse cette réflexion que, plus il y a de gens qui quittent un lieu, plus de gens encore désirent d’en sortir, parce que ce qui reste a moins d’agréments. 10

Il y a dans la ville de Naples 50,ooo hommes qui n’y font absolument rien. Ces misérables ruinent les provinces, parce qu’ils n’y sont pas ; ils ruinent la ville capitale, parce qu’ils y sont.

Souvent des états qui paroissent très florissants i5 se sont trouvés très foibles: les hommes y étoient mal distribués ; et, pendant que les villes y regorgeoient d’habitants inutiles, la campagne manquoit de ceux qui sont nécessaires. Effet malheureux, que la prospérité même produit! 20

312* (1742. III, f° 56). — Cela n’a pu entrer dans le livre de la Nature du Terrain:

« II n’y a, en Europe et en Asie, de peuples sauvages que ceux qui, par la Nature, sont obligés de l’être: tels sont les peuples de la Laponie et de ï5 la Sibérie. Ils habitent un climat si froid que les arbres mêmes n’y peuvent venir. Ce sont les sauvages qui n’habitent point les forêts. Dispersés dans le terrain le plus ingrat de la Terre, dans un pays ouvert et sans défense, ils forment de petites 30 nations, et ils y seroient libres, s’ils n’avoient été soumis aux princes voisins, non pas par leurs armées, mais par les exacteurs des tributs. »

313* (1743. III, f° 56 v°). — Ammien-Marcellin, qui 5 place des anthropophages vers la Moscovie, dit que les peuples se retirèrent de leur voisinage par crainte et par horreur de cette nourriture ; ce qui fait que ce pays, jusqu’aux Sères, est désert. Ceci pouvoit bien être la cause de ce dépeuplement qui

1 o est dans toute la Grande-Tartarie, et subsiste encore

aujourd’hui. Et je dirai que les peuples qui vivent de leur chasse peuvent être plus facilement anthropophages 1.

314* (1716. III, f° 44). — Nature du Terrain. — Il i 5 y a trois sortes de pays : pays de bled, pauvre ; pays de vignobles, nombreux et pauvre ; pays de pâturages, peu nombreux et riche.

Nota que la raison en faveur des pays tempérés vient de ce que les pâturages sont plus abondants, 20 et, par conséquent, plus de gros bestiaux, lesquels sont une grande source de richesses, et de plus grande ressource que le menu bétail.

315* (1839. III, f° io3). — Propriété des terres, mère de tout. La raison pourquoi la Chine a un

2 5 meilleur gouvernement et ne dépérit pas comme

tous les autres états d’Asie, c’est que la propriété

1. N’a pu entrer dans le livre sur la Nature du Terrain. T. L 20 des terres y est établie ; au lieu qu’elle ne l’est ni en Turquie, ni en Perse, ni au Mogol, ni au Japon, au moins totale. La raison pourquoi elle est à la Chine, c’est que le contraire mèneroit à la révolte ; au lieu que, dans les autres états, elle ne mène qu’à 5 l’insensible anéantissement.

316*(1847. III, f° io5 v°). — L’esclavage des paysans en Allemagne fait bien voir que c’est une conquête de peuples qui ne cultivoient pas les terres.

317* (1722. III, f° 45 v°). — A la page 207, mettre 10 la réflexion que, dans la Basse-Allemagne, Bohème..., les paysans sont serfs et ont une langue différente.

318* (1903. III, f° i36 v°). —Esprit général.— C’est surtout une grande capitale qui fait l’esprit général d’une nation ; c’est Paris qui fait les Fran- i5 çois : sans Paris, la Normandie, la Picardie, l’Artois, seroient allemandes comme l’Allemagne ; sans Paris, la Bourgogne et la Franche-Comté seroient suisses comme les Suisses ; sans Paris, la Guyenne, le Béarn, le Languedoc, seroient espagnols comme 2° les Espagnols.

319* (1911. III, f° 145 v°). — Législateurs. — Lycurgue a fait tout ce qu’il a pu pour rendre ses citoyens plus guerriers ; Platon et Thomas Morus plus honnêtes gens ; Solon, plus égaux ; les législa- 25 teurs juifs, plus religieux ; les Carthaginois, plus riches ; les Romains, plus magnanimes.

320* (1827. III, f°98 v°). — Ses (sic) loix peuvent encore avoir une origine de conformité qu’il faut savoir. Comment peut-on appliquer une loi si l’on ne sait pas le pays pour lequel elle a été faite, et 5 les circonstances dans lesquelles elle a été faite? La plupart de ceux qui étudient la jurisprudence suivent le cours du Nil, se débordent avec lui, et en ignorent la source.

321* (1775. III, f° 70). — Chinois et Japonois. — »o Très peu de rapport dans les coutumes ; même tour de génie ; manière, tout diffère. Le Chinois est paisible, modeste, judicieux, trompeur et avare ; le Japonois est soldat, remuant, dissipé, soupçonneux, ambitieux et plein de grands projets. La religion i 5 des Buddeos (sic), qui est commune aux Japonois et aux Chinois, n’est venue au Japon que très tard et par le canal de la Corée. — Kaempfer1. Ils peuvent fort bien être venus par la Tartarie.

  • o 322*(1717. III, f°44 v°). — Mœurs et Manières. — Constantin Porphyrogénète ordonne que l’on cache aux Barbares les belles femmes. Il n’en faut pas davantage pour changer les mœurs et les manières d’une nation.

-5 323* (1724. III, f° 46). — Les législateurs chinois ont donné pour les mœurs la musique, comme les Grecs. Ils ne se sont pourtant pas copiés.

1. Volume Ier, page 91.

324* (1785. III, f°72v°). — Les Tartares, sans rien changer à la forme de l’ancien gouvernement des Chinois, les ont obligés de se conformer à celle de leurs vêtements1.

C’est pour qu’on ne sentît pas la différence du 5 nombre.

325*(1787. III, f° 73). — Au Mogol, chacun, profession du père ; filles qui ne se marient point, parce qu’elles ne trouvent point de parti dans une autre profession, qu’ils (sic) croyent moins noble. 10

De plus, la misère fait que l’on ne peut se placer chez un maître. On n’a que l’instruction paternelle2.

326* (1907. III, f° 141 v°). — Mœurs. — J’ai ouï dire que la loi d’Espagne3 qui confisque l’argent que l’on passe en fraude à Cadix s’expliquoit ainsi: i5 « Nous donnons le tiers à l’infâme dénonciateur. » Il n’y a point de plus forte preuve de l’honnêteté publique que les paroles de cette loi. Il semble que la loi souffre elle-même, et qu’elle s’indigne de devoir la punition d’un coupable à la perte des 20 mœurs.

Les loix des proscriptions, qui renversèrent la loi Valérienne, les Semproniennes et la Porcie, et qui, tout à coup, ôtèrent cette sûreté que le peuple romain avoit continuellement défendue contre ses a5 magistrats même, ne furent pas moins fatales aux

1. Du Halde, tome II, page 89.

2. Page 296 vo, II» volume Geographica, Bernier.

3. Savoir le fait. mœurs. Elles mirent en liberté toute l’atrocité des âmes : elles annonçoient des récompenses pour tous ceux qui porteroient la tête d’un proscrit, ou qui découvriroient les lieux où il s’étoit caché.

5 327* (1921. III, f° 149). — Mœurs corrompues. — C’est pour lors qu’un honnête homme passe sa vie dans une espèce d’étonnement ; qu’il est, pour ainsi dire, seul dans le Monde ; que tous les liens d’humanité l’effarouchent, parce qu’il ne trouve aucun

o homme dont il voulût être protégé, aucun dont il voulût être le protecteur, aucun homme sociable qu’il voulût avoir pour ami, aucune femme dont il voulût être le mari, aucun enfant dont il voulût être le père.

5 328* (1732. III, f° 50 v°). — Les heures où notre âme employe le plus de force sont celles qu’on destine à la lecture ; parce qu’au lieu de s’abandonner à ses idées, souvent même sans s’en apercevoir, elle est obligée de suivre celle des autres.

o Eh bien! nous passons notre vie à lire des livres qui ont été imaginés pour les enfants. Et comment ne serions-nous pas frivoles, puisque nous le sommes dans les choses mêmes dont l’effet naturel seroit de nous empêcher de l’être?

^ 329* (1736. III, f5 53).— Une preuve de ce que je dis, c’est que les nations chez lesquelles l’ignorance est établie par un tribunal particulier sont aussi celles qui ont fait les plus grandes fautes en fait de politique, et cela ne peut pas être autrement. Quand ceux qui sont gouvernés sont dans l’ignorance, il faudroit que ceux qui gouvernent eussent à chaque instant une inspiration particulière pour n’y être pas eux-mêmes, puisqu’ils sont du corps 5 de la Nation, et qu’ils ne sont pas, ce que Caligula prétendoit être, des bergers qui ont de l’intelligence, qui conduisent des troupeaux qui n’en ont pas.

Quand on considère la plupart des hommes de notre nation, on est toujours dans l’admiration de 10 voir tant d’esprit et si peu de lumières, des bornes si étroites avec tant de force pour les passer.

330* (1867. III, f° 112). — Il y a des nations où, pour les hommes, il sembloit que la Nature avoit tout fait, et qui semblent s’y refuser. Elle sembloit i5 les avoir mis au-dessus des autres, et ils se mettent au-dessous. On n’a jamais vu tant d’esprit et si peu de lumières. Mais, comme le cœur conduit l’esprit, l’esprit, à son tour, conduit le cœur. Il faut donc perfectionner l’esprit. 20

331* (1936. III, f° i53 v°). — Comment les avantages anciens ont été compensés par d’autres ; comment l’esprit militaire est resté dans les armées et a disparu du gouvernement civil ; comment l’esprit militaire n’a point étouffé l’esprit de ai commerce ; comment les ministres habiles ont conservé l’esprit de la monarchie et ont évité de le choquer, et même de le laisser s’affaiblir ; comment ils ont regardé cet esprit comme le plus sacré trésor de l’État, comme sa force, comme son âme, avec lequel (sic) tout peut vivre, sans lequel tout peut s’engourdir ; comment, en fait de gouvernement, le plus, c’est presque toujours le moins, et le moins, 5 presque toujours le plus ; comment les gens habiles, dans notre monarchie, ont vu ce qu’il falloit faire avant d’avoir vu ce qu’on pouvoit faire ; les raisons qui ont fait que cette monarchie a toujours vu croître sa prospérité ; celles qui pourroient faire que 10 cette prospérité seroit éternelle Mais je suis

332* (1924. III, f° 149 v°). — Il pourroit être que, dans les choses étrangères et éloignées, les ministres de la puissance exécutrice ne leur découvriroient que ce qu’ils voudroient, et avec les couleurs qu’ils * 5 voudroient. Il n’en étoit pas de même à Athènes, où, le Peuple se réservant, en quelque façon, la puissance exécutrice, les orateurs étoient toujours au fait des choses. Mais on n’en étoit guère mieux. Ici les déclamateurs seroient des dupes, et là ils étoient des fripons.

Un peuple pareil ne se calmeroit point par la guérison des maux actuels: il lui faudroit toute sorte de remèdes, de précaution contre ceux qu’il pourroit craindre1.

aS 333* (1892. III, f° 129). — Dans le spleen, on sent de la difficulté à porter son corps, comme on en auroit si l’on étoit obligé de porter le corps d’un autre.

1. Nota : Je n’ai point mis cela dans l’Esprit des Loix, dans les chapitres de l’Angleterre.

334* (1904. III, P 137). — Bienséances. — Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas parlé des bienséances. Elles sont les manières établies pour écarter l’idée du mépris de son état, ou de ses devoirs, ou de la vertu. Elles sont rigides, et chez les peuples qui 5 ont de mauvaises mœurs, et chez ceux qui les ont bonnes. Chez les uns, elles sont établies pour gêner les vices, et, chez les autres, pour empêcher qu’on ne les soupçonne. Dans les unes (sic), les bienséances sont de l’innocence ; dans les autres, 10 elles ne sont que des justifications.

Elles sont la seule hypocrisie qui soit permise ; elles sont un léger hommage que le vice rend à la vertu. On ne veut pas paroître meilleur qu’on n’est, mais moins mauvais qu’on n’est. Elles ne trompent i5 personne et attestent plutôt la conscience générale que la conscience de chacun.

Un homme, qui n’étoit pas à beaucoup près si sublime que M. de La Rochefoucault, faisoit cette

réflexion : «Je ne sais pas pourquoi M me 20

fait tant de compliments quand il veut mettre son chapeau sur le lit de ma femme, et m’en fait si peu lorsqu’il veut coucher avec elle. » Effectivement, on est bien surpris. Mais, quelque déréglée que soit une nation, elle met (sic) toujours ses bien- a5 séances, quelquefois plus fortes à proportion des derèglements.

335* (1778. III, f° 71). — Je suis obligé de tenir les côtes, et je voudrois voguer en pleine mer.

336* (1694. III, f° 38). — Que dans le Fond tout est Échange (Livre du Commerce). — Pour sentir ceci, il faut penser qu’une nation négocie avec une nation. Celle-ci envoye du vin et reçoit du bled. Qu’a fait la b monnoye ? Elle a, dans la suite continuelle des divers marchés qui se sont faits, été la commune mesure et du bled et du vin. Si cet état a envoyé moins de vin qu’il n’a reçu de bled, l’argent a fixé le terme où cette nation a reçu assez de bled pour son vin, c’est-à-dire

10 a fixé le moment où les échanges de part et d’autre étoient justes, c’est-à-dire où cette même nation a reçu assez de bled pour son vin. Que si elle reçoit encore du bled, la monnoye n’a plus cette même fonction à faire. Il faut que l’argent soit donné comme troc, et

» 5 non plus comme signe. En un mot, dans la (sic) solde qui se fait toujours en argent, l’argent ne doit plus être considéré comme signe, mais comme marchandise. Il suit de là qu’un état qui ruine les autres se ruine lui-même, et que, s’il manque à la prospérité

3.0 comm[un]e, il manque à la sienne. La raison en est claire. Un état ruiné ne peut faire d’échanges avec les autres ; les autres ne peuvent pas non plus faire d’échanges avec lui. Ce qui fait que l’on ne sent pas bien cela, c’est que l’on ne sent bien que le

»5 mal qui nous vient de la perte du commerce immédiat. Toutes les nations tiennent à une chaîne et se communiquent leurs maux et leurs biens.

Je ne fais point une déclamation ; je dis une vérité: la prospérité de l’Univers fera toujours la nôtre ;

30 et, comme dit Marc-Antonin: « Ce qui n’est point utile à l’essaim n’est point utile à l’abeille. »

337* (180o. III, f° 78 v°). — Commerce. — Qu’il est souvent utile aux Peuples qui cultivent les Arts que d’autres les cultivent aussi. — L’établissement des manufactures chez des nations qui n’en avoient pas ne doit point si fort alarmer celles qui en ont. Les premières achètent peu ; mais, si elles établissent 5 des manufactures, elles seront bientôt en état de se procurer celles qu’elles ne peuvent imiter, et qui entreront d’abord dans leurs besoins.

Les Hongrois étoient pauvres. Ils n’avoient point de manufactures ; ils n’achetoient que trois ou to quatre habits dans leur vie ; ces habits étoient d’un très vil prix et sembloient n’avoir été faits que pour l’épargne. Que la Hongrie trouve ou qu’on lui donne quelque moyen de s’enrichir, on y verra bientôt toutes les marchandises de l’Univers. 15

338*(1799.III,f°78).— Commerce. — Les conquêtes sont plus propres à établir partout les mêmes mœurs qu’à en donner de bonnes.

Ce fut un des inconvénients de la conquête de l’Univers par les Romains que ce nombre infini 20 de peuples qu’ils soumirent prirent les mœurs romaines, et que chaque peuple perdit le caractère original qu’il tenoit de son esprit général. Les conquêtes des Espagnols dans l’Amérique ont métamorphosé en Espagnols tous les peuples de 25 cette partie du Monde.

Il y a bien de la différence entre les mœurs que le commerce inspire, et celles qu’une vaste conquête force de prendre.

339* (1883. III, f° 121 v°). — Livre XX. Sur le Commerce. — De la Prohibition de certaines Marchandises. — Lorsqu’une raison particulière engage un état à défendre l’entrée de quelque marchandise, 5 il est ordinairement plus à propos d’y mettre un impôt considérable que de la prohiber: cela ôte une certaine idée d’inimitié et avertit moins pour les représailles. L’État remplit à peu près son objet. Il augmente ou diminue l’impôt selon les circonsi o tances et peut aisément revenir au point dont il est parti. Enfin, l’État trouve un avantage dans l’impôt.

Il n’en est pas de même lorsqu’on juge à propos d’interdire la sortie d’une marchandise. Une chose pareille choque si fort les vues ordinaires et l’objet i b naturel du commerce, elle est, en général, si contraire à la prospérité de l’État, qu’elle ne peut avoir lieu que dans le cas où la raison qui y détermine est d’une souveraine importance ; et, pour lors, la prohibition entière vaudra mieux qu’un = 0 impôt sur la marchandise. Il n’est point question de tempéraments ; c’est une affaire de rigueur.

Telles sont les loix d’Angleterre qui défendent la sortie des laines, des chevaux entiers, des béliers non coupés, etc.1.

a= 340* (1884. III, f° 122 v°). — Commerce. — Il est naturel à la France de souffrir plutôt le commerce en Hollande qu’ailleurs. Elle a un lien général avec la France, qui est celui du commerce, et les liens qu’elle

1. Voir si la défense de ces deux articles est vraye ou exacte. Quelqu’un m’a dit que non, pour les béliers et les chevaux. a avec l’Angleterre sont des liens particuliers, tels que l’alliance du Stathouder, l’argent qu’elle a dans les fonds publics, etc. D’ailleurs, il est de l’intérêt de la France de pouvoir, dans de certaines occasions, mettre sur pied une armée navale. Elle trouve 5 en un quart d’heure tout ce qu’il lui faut pour cela, parce que la Hollande est le magasin général. L’argent y est si commun que tout ce qu’on y porte est d’abord acheté. Ainsi la France y trouve tout dans un moment et évite les longueurs d’aller cher- 10 cher bien loin, en Norvège et ailleurs ; et, d’ailleurs, la France peut toujours faire la guerre deux ans avant que la Hollande ne se déclare.

341*(i885. III, f° r23). — Il n’y a rien de si bète, en fait de commerce, que les Parisiens. Ce sont des i5 gens d’affaires qui, enrichis tout à coup et aisément, trouvent tout facile pour s’enrichir encore. Ils croyent même qu’ils doivent leurs richesses à leur esprit. Ils sont même incités à entreprendre le commerce par les marchands des villes maritimes. 20 Ceux-ci leur proposent de grands projets, où ils entrent pour très peu, mais gagnent une commission très forte sur le tout. Et, quand ils perdroient tout ce qu’ils y ont mis, ils gagneroient six ou sept fois plus pour la commission, outre qu’ils disposent de" très gros fonds.

La Compagnie d’assurance, à Paris (en 1750), n’a pas le sens commun ; il m’est visible qu’elle ne peut pas réussir.

i° Dans les ports de mer, une société de mar chands se joint pour faire des assurances. Ils connoissent leur besogne et s’éclairent les uns les autres ; ils savent si le vaisseau sur lequel on assure est bon ou mauvais, si l’équipage est bon ou mau

5 vais, si le capitaine est expérimenté ou sage, s’il est un ignorant ou un étourdi, si les chargeurs sont suspects, sont de bonne réputation, ou peuvent être soupçonnés de fraude, si le voyage doit être long, si la saison se présente bien ou non ; ils savent tout,

o parce que chacun s’instruit. A Paris, on ne sait rien, et, pour que la Compagnie y sût tout cela, elle perdroit autant, pour les frais des lettres et des correspondances, qu’elle gagneroit par la prime. D’ailleurs, c’est une sottise de faire un fonds de

5 3 millions. Il ne faut point de fonds, et même il doit naturellement y avoir de l’argent dans la caisse, puisque la prime entre d’abord, et que ce n’est que dans la suite que les pertes et les avaries se payent.

3° Il arrivera que les bonnes assurances se feront dans les ports de mer, et qu’on ne se pourvoira à Paris que pour les mauvaises. Les marchands qui, par leurs correspondances particulières, auront des nouvelles qui rendront l’affaire périlleuse se pourvoiront vers la Compagnie, qui ne les saura pas.

5 Dans les ports de mer, quoiqu’on ne mette point de fonds, la Société des assureurs assure sur son crédit, et, sachant que tous les assureurs ne manqueront pas à la fois, on est tranquille, comme s’il y avoit de l’argent dans la caisse ; et l’argent dans la caisse

o ne tranquillise pas. Car qui peut savoir l’état particulier de cette caisse?

342* ( 1894. III, f° 129 v°). — Commerce. — J’ai ouï dire que les Anglois tirent, par la Moscovie, des soyes de Perse, à beaucoup meilleur marché qu’ils ne les retiroient par le Sein Persique et Gomroun. Elles viennent par la voye d’Archangel, les glaces s et les traîneaux, à beaucoup moins de frais qu’en faisant le tour du cap de Bonne-Espérance ; d’autant mieux que les provinces où il y a plus de soye sont éloignées du Sein Persique, et, par conséquent, s’y vendent (sic) plus cher ; au lieu que les provinces de 10 Guilan et de Mazenderan sont près de la Mer Caspienne. Ainsi le trajet de la Perse équivaut en quelque façon au trajet de la Moscovie.

La défense de la sortie des soyes de l’Espagne, dans la dernière guerre que l’Angleterre a eue avec i5 l’Espagne, les fit songer à se procurer plus aisément les soyes de Perse ; et les Anglois prétendent que, s’ils ôtoient tous les droits sur les soyes, elles ne leur coûteroient pas plus cher que ne coûte à nos manufacturiers celle du crû du Royaume ; ce qui ne a0 peut être que parce que nous n’en avons pas assez dans le Royaume, ce qui fait que le prix se fixe sur le prix des soyes étrangères1.

343* (1886. III, f° 12 5).— J’ai ouï dire que, dans nos îles de l’Amérique, on commençoit à employer 23 plus de chevaux et de mulets qu’on ne faisoit autrefois, au moins à Saint-Domingue, et il y a des terres qui ont assez de profondeur pour souffrir le labour.

1. Écrit à Paris, ce 8 novembre 17DO. Les mulets mangent moins que les chevaux et travaillent plus.

Les Nègres sont si naturellement paresseux que ceux qui sont libres ne font rien, et la plupart sont .

5 entretenus ou nourris par ceux qui sont serfs, ou demandent l’aumône, ou sont misérables. On employe d’ailleurs les chevaux à porter le sucre au port.

On espère toujours un meilleur commerce après la paix. Mais, l’année après la paix, les denrées

10 baissent ordinairement, parce que, le commerce devenant libre, personne ne se presse d’acheter.

344* (1801. III, f° 79). — Commerce. — Ce que dit Aristote, que, toutes les fois qu’on a des laboureurs, on a des nautoniers1, n’est plus vrai aujourd’hui. i5 II faut un grand commerce, c’est-à-dire une grande industrie, pour avoir une marine. Il n’est plus possible qu’un peuple passe tout-à-coup, comme les Lacédémoniens, de la guerre de terre à la guerre de mer.

20 Enfin, l’opinion des Anciens, que l’âme de ceux qui se noyoient dans la mer périssoit, parce que l’eau en éteignoit le feu, étoit très propre à dégoûter de la navigation. Il y avoit des gens qui, dans le danger du naufrage, se tuoient d’un coup d’épée2.

J5 345*(1803. III, f° 79 v°). — Commerce. — La situation des ports des Hollandois et de la plupart des peuples de la Mer Baltique, où les ports ont peu de

1. Politique, livre VI, chapitre VI.

2. Je crois que cela se trouve dans Pétrone. fond, et où les navires sont obligés d’entrer dans des

rivières et bas-fonds, fait que les navires sont plats

et larges de fond ; au lieu que la construction des navires françois et anglois, qui ont de bons ports, fait qu’ils sont aigus ; de sorte qu’ils entrent profondé- 5 ment dans l’eau et y entreront, par exemple, plus que les hollandois ou les moscovites, comme de 70 à 30.

346* (1804. III, f° 80). — Commerce. — Un des grands avantages de notre commerce à (sic) celui des Anciens est la promptitude de nos voyages de 10 mer. Nous avons perfectionné l’art à présent, comme ils l’avoient perfectionné eux-mêmes. Un nombre infini d’observations nous ont fait connoitre tous les chemins de la mer que nous connoissons. Ils ne pouvoient commercer sur les marchandises qui i5 périssent et ne se conservent que peu.

347* (1713. III, f°43). — Le czar Pierre Ier a joint la Mer Noire à la Mer Caspienne, par un canal qui va du Tanaïs au Volga. Mais il faudroit joindre des nations à des nations, et non pas des déserts à des déserts. a0

348* (1887. III, f° 12(3). — Histoire du Commerce. — La navigation de la Méditerranée et de la Mer Noire étoient (sic) les seules qu’on connût ; celle de l’Océan étoit impraticable : la boussole n’avoit pas encore réuni l’Univers. î5

Les voyages qu’un marchand de Constantinople ou de Smyrne font (sic) dans deux mois, faisoient, dans ce temps, l’admiration du monde et étoient chantés par tous les poètes. Ainsi il ne faut pas s’étonner de voir tant de défectuosités dans les anciennes histoires, et tant d’empires et de royaumes dans l’oubli.

5 Il n’en étoit pas comme à présent que tous les peuples sont si liés que l’histoire de l’un éclaircit toujours celle des autres.

Chaque grande nation se regardoit presque comme la seule : les Chinois croyoient que leur

10 empire étoit le Monde ; les Romains se croyoient les monarques de l’Univers ; l’impénétrable continent de l’Afrique, celui de l’Amérique, formoient toute la Terre pour ses conquérants. La philosophie ne faisoit que décourager ceux

i5 qui auroient voulu tenter quelques découvertes: elle enseignoit que, de cinq parties de la Terre, il n’y en avoit que deux habitables, et que ceux qui étoient dans l’une ne pouvoient pas pénétrer jusque dans l’autre.

"Cependant, tous les obstacles ont reculé devant

les voyageurs. Souvent on s’est garanti des ardeurs du Soleil en

se mettant au milieu de la zone torride, et souvent

on s’est sauvé du grand froid en approchant de 25 plus près du pôle. Souvent on a trouvé, sur une

même montagne, la zone torride, d’un côté, et la

zone glaciale, de l’autre. La Mer a donné des passages où l’on croyoit

qu’il n’y avoit que des terres, et de grands conti30 nents ont paru dans les lieux où l’on ne soupçon

noit que de vastes mers.

Les éclipses des astres ont été une source de connoissances, et ce que les hommes croyoient ne s’être passé dans le Ciel que pour les intimider n’y paroissoit que pour les conduire.

349*(17i4. III, f°43 v°). — Ce furent les conquêtes 5 d’Alexandre qui firent connoître l’Orient à l’Occident ; ce furent les guerres des Carthaginois et des Romains qui firent connoître l’Occident à lui-même. Le passage d’Annibal par les Pyrénées, la Gaule, les Alpes, portoit avec lui un étonnement qui mar- 10 que la nouveauté de l’entreprise. ll est bien vrai que les Gaulois avoient passé les Alpes avant Annibal ; mais cela ne montre pas moins le peu de communication, puisque, ces montagnes une fois passées, on ne se communiqua plus. ,5

Tout ce qu’Homère nous raconte des dangers de la navigation d’Ulysse: des Circés, des Lestrigons, des Cyclopes, des Sirènes, de Charybde et de Scylla, étoient des fables répandues dans le Monde et établies par des navigateurs qui, faisant le a0 commerce d’économie, vouloient dégoûter les autres peuples de le faire après eux.

350* (1745. III, f°57v°). — Il y a une chose singulière. On avoit fait autrefois le tour de l’Afrique. Cependant, cette navigation fut oubliée au point z5 que, du temps de Ptolémée, le géographe1, qui vivoit en Egypte, on ne connoissoit qu’une petite

i. Livre IV, chapitre VII, et livre VIII, tab. iv de l’Afrique. partie de l’Océan, auprès de la Mer Rouge, jusqu’au Promontoire Prassum, et on en connut encore moins du temps d’Arrien i, qui bornoit cette mer au Promontoire Raptum. Hérodote savoit2 que l’Afrique 5 ne tenoit à la terre que par l’isthme que l’on appelle aujourd’hui l’isthme de Suez*.

Il savoit qu’en partant de l’Egypte, par la Mer Rouge, on étoit revenu, par l’Océan et la Méditerranée, en Égypte. Il le savoit (dis-je), et Ptolémée, i o le géographe, qui vivoit à Alexandrie, ne le savoit pas. Il est certain que, sous les Roix grecs, il passoit pour constant que la mer d’Afrique, après un certain terme, n’étoit pas navigable. Juba est le seul de tous les auteurs de ce temps-là qui ait soupçonné i 5 qu’on pouvoit aller du bord oriental de l’Afrique jusqu’à l’occidental4. Enfin, on voit que les Grecs d’Égypte se contentoient de la navigation des Indes, et de faire le commerce de l’Afrique par terre. Quand on dit que les Anciens connoissoient une 2° chose, il faut savoir de quel peuple ancien on veut parler. Ce que les Perses savoient, les Grecs ne le savoient pas ; ce que les Grecs savoient dans un temps, ils l’ignoroient dans un autre. L’écriture a porté d’un peuple à un autre les découvertes des a5 hommes ; mais l’art de l’imprimerie en a scellé, pour ainsi dire, la connoissance. Les Anciens faisoient

1. Périple de la Mer Érythrée. Il vivoit sous Adrien.

2. Livre IV.

3. Voir en quel temps et où vivoit Ptolémée. — Voir aussi Arrien, Périple de la Mer Érythrée.

4. A Cerné. des pas de géant, et ils reculoient tout de même ; ils écrivoient sur le sable, et nous écrivons sur l’airain.

M. Huet, dans son Histoire du Commerce, pose des faits que je ne trouve nullement prouvés. Il dit que les Iduméens défendirent à toutes les nations de 5 naviger sur la Mer Rouge avec plus d’un vaisseau1. Il dit qu’une flotte partie d’Alexandrie est arrivée dans la Mer Rouge. Ce fait paroît être faux: elle partoit bien d’Alexandrie, mais n’arrivoit qu’àCoptos. Enfin, il cite Arrien (Périple de la Mer Erythrée), comme ro décrivant avec exactitude et la Mer Rouge, et le commerce qui se faisoit aux Indes ; et qu’un certain pilote hasarda le premier d’abandonner les côtes.

351* (17-S9. III, f°66). — Comment la Zélande couvrit la mer de ses vaisseaux ; comment la i5 nécessité causée par les vexations des Espagnols, en Europe, obligea les Hollandois d’aller chercher leur subsistance au loin. D’où il arriva qu’ils détruisirent le commerce des mêmes Espagnols.

352* (1888. III, f° 127 v°). — Je voyois la liste des 20 marchandises que les négociants d’Europe portent tous les ans à Smyrne ; je voyois avec plaisir que ces bonnes gens prenoient 40o balles de papier pour plier du sucre, et ne prenoient que 30 balles de papier pour écrire. ab

353* (1690. III, f° 35). — Des Banques publiques et

1. Voir ce fait. des Compagnies de Commerce. — Pourrai-je, à l’exemple de Giannone, qui a fait VHisioire civile du Royaume de Naples, donner ici celle du royaume d’Alger? Cette histoire est si courte qu’elle ne 5 pourra guères ennuyer le lecteur. Il est vrai qu’elle est très peu variée. Quelques milliers de douzaines de coups de bâton donnés sous un règne plus que sous un autre y font toute la différence des événements. Il n’y a qu’un fait qui puisse être transmis

10 à la postérité.

Le dey Méhémet-Géry étoit un jeune homme. Il avoit un esclave chrétien qui l’entretenoit souvent des richesses et du commerce de quelques états d’Europe. Cela le frappa ; il s’indigna de voir qu’il

15 étoit maître absolu d’un grand pays, et qu’il n’avoit point d’argent. Il fit d’abord étrangler son premier ministre, qui lui avoit dit, en haussant les épaules, qu’il n’étoit pas plus pauvre que ses prédécesseurs, et qu’il ne pouvoit pas non plus être plus riche. ll

  • o choisit un nouveau visir, qui lui parla ainsi dans le divan:

« Tu m’as mis dans le ministère à la place d’un homme qui ne savoit faire ses affaires, ni les tiennes. Voilà deux nuits que je passe à former *5 un projet qui signalera à jamais ton règne. Il s’agit d’établir une banque à Alger, afin que tout l’argent du pays se trouve dans un dépôt public. Toute la difficulté consiste à engager les marchands à l’y porter: car ce sont des coquins, qu’ils (sic) ont 3° toujours peur qu’on ne leur fasse quelque insulte ; de mauvais sujets, qui n’oublient rien pour te priver de ce qu’ils ont, et qui te verroient traîner dans les rues avant de t’offrir 10 ducats. Il y a des expédients pour tout. Je les ferai enlever tous dans une nuit, on les chargera de chaînes, et ils recevront tous les jours cent coups de bâtons 5 jusqu’à ce qu’ils ayent déclaré leur argent. Nous leur donnerons à la place un papier qui sera signé par les six plus anciens officiers de la milice. Je ne doute pas que nous ne donnions un furieux échec aux banques d’Europe, qui ne peuvent guère 10 se soutenir, parce que les négociants qui les forment morguent (?) sans cesse le Gouvernement et sont, sans courage, insolents comme des janissaires ; au lieu que nos gens seront très souples. Si ce projet réussit, j’en ai un autre qui fera encore plus i5 d’honneur à la nation algérienne. C’est d’établir une Compagnie des Indes. Tes femmes seront couvertes de pierreries, et tu verras couler chez toi des fleuves d’or. — Mahomet, serviteur du Dieu puissant, soit à ton aide! > 20

Il s’assit. Un vieux conseiller se leva, et, après avoir mis ses mains sur sa poitrine, incliné son dos, baissé sa tête, il dit d’une voix plus basse:

« Seigneur, je n’approuve point le projet de ton ministre : si la milice savoit que tu eusses de l’ar- 25 gent, elle t’étrangleroit le lendemain. »

Il s’assit, et le Dey congédia l’assemblée.

354* (1739. III, f° 54 v°). —_5«r le Crédit public dans le Gouvernement populaire. — Ceux qui gouvernent sont ordinairement plus ménagers de 30 l’argent public, parce qu’ils le sont plus du leur: ils ont moins de passions, moins de fantaisies et, par conséquent, moins de besoins.

Dans le gouvernement d’un seul, la ruine du 5 crédit public peut venir d’une action imprudente, d’un avantage momentané ou d’un mauvais conseil.

Dans le gouvernement populaire, elle vient du désespoir de ceux qui voyent la chûte de la République: on se sauve dans l’esquif, parce que le »o navire va périr.

355* (1 738. III, f° 54). — Des brebis pour monnoye, comme firent d’abord les Romains1. Mais, depuis que les Mahométans ont fondé des empires, cette loi y détruit le commerce, qui s’y trouve ruiné par

»5 la Religion et par la constitution de l’État.

La loi de Mahomet, qui confond le prêt avec l’usure, étoit bonne pour les pays d’Arabie, et étoit bonne comme la loi des Juifs, qui fut donnée dans ce pays. Les Arabes ne connoissent guère

  • ° l’argent ; ils font leurs payements en bestiaux, comme font encore les Tartares.

356* (1719. III, f°44 v°). — On trouve par la fonte des médailles que l’affoiblissement des monnoyes d’argent commença à Julien ; celui des monnoyes 35 de cuivre, à Caracalla2.

Il y a, cependant, un fragment de Dion, dans l’Extrait des Vertus et des Vices, livre LXXVII,

1. D’où viennent les mots de peculium et de peculatus.

2. Voyez Savote. page 309, qui dit que Caracalla donnoit, au lieu d’argent, du plomb couvert d’une lame d’argent, et, au lieu de l’or, du cuivre doré. Les médailles, qui prouvent que le premier fait est vrai, prouvent que le second est faux. 5

357* (1750. III, f° 64). — La loi de France qui ne permet pas que l’intérêt excède le sort principali est une loi égyptienne, faite par Bocchoris, législateur des Égyptiens, sur les contrats2, et elle est très humaine. 10

358* (1808. III, f° 81 v°). — Chez les grands peuples, les femmes ne purent être communes. Cavade, roi de Perse, fit une loi pour rendre toutes les femmes communes3. Cela souleva toute la Nation, et on le déposa4. i5

359* (1766. III, f° 68). — Pourquoi les frères, les pères et les enfants ou filles ont-ils tant d’horreur pour l’inceste, si ce n’est parce qu’on représente les fables de Thyeste, d’Œdipe et de Maccharée, qui avoit pollué ses sœurs, qui donnent de l’horreur ao à tout le monde5?

Platon se contredisoit donc lui-même en bannissant les poètes de la République.

1. Voir dans quelles occasions elle ne le permet pas.

2. Diodore, livre 1°’, partie II, chapitre m.

3. Sur quelque idée (je crois) du Manichéisme. — Voir cela.

4. Histoire de Procope, Pièces diverses, page 243.

5. Platon, Des Loix, page 40, et S41 de l’auteur, et (de l’extrait) 177.

360* (1791. III, f° 74). — Plutarque (Vie de Dion): Le vieux Denys épousa deux femmes en même temps: l’une, locrienne, et l’autre, syracusienne. De la Locrienne, il eut trois enfants ; et, de la Syra5 cusienne, quatre: deux garçons et deux filles. Le fils de celle-ci épousa sa sœur.

Ce n’étoit donc pas les Athéniens seuls qui épousassent deux femmes, et chez qui les frères épousassent leurs sœurs.

’o 361* (1895. III, f° i30 v°). — Décemvirs. — Zonare dit: « Decemviros pauca quœdam in hasce tabulas sua auctoritate adscripsisse, non ad concordiam, sed majores dissensiones pertinentia. > Aussi, dans cette table y défend-on le mariage

15 entre Plébéiens et Patriciens. L’auteur (sic) traite Zonare d’ignorant à cet égard et cite le passage de Tacite: « Finis XII Tabularum juris œqui. T>

Nota encore qu’il pourroit être que Zonare avoit des preuves de cela, qui ne nous restent plus ; de

a«» plus, le passage de Tacite n’est point contradictoire avec ce que dit Zonare.

362* (1840. III, f0 io3). — Tacite, De Moribus Germanorum: « Sororum filiis idem apud avunculum qui apud patrem honos. » *5 Cela marque un peuple qui n’est pas corrompu. Chez les premiers Romains, les cousins germains se regardoient comme frères ; ce qui venoit de ce que les enfants restoient dans la maison et s’y marioient. La corruption fait que les intérêts deviennent plus particuliers et rend l’amour de la famille moindre.

Tacite continue: « Quelques uns même regardent ce nœud [comme] plus saint. Hœredes tamen successoresque sui cuique liberi, et ntillum testamentum. »

Là où il y a moins de luxe et plus de pauvreté, les familles s’aiment davantage, et les parents éloignés sont plus unis que dans les monarchies, où chacun veut vivre pour soi et ne chercher que les commodités de la vie.

363* (1792. III, f° 74 v°). — A la Chine, où le principe fondamental est l’amour des pères, les loix engagent à peupler. Aussi le père Du Halde dit-il (tome II, page 119, Histoire de la Chine): « Un père est sans honneur s’il ne marie pas ses enfants ; un fils manque au devoir de fils s’il n’a pas de postérité. » Mais la police permet aux pères de vendre et d’exposer leurs enfants, et c’est une chose que la nécessité a exigée pour réparer l’effet trop étendu de cette morale et de ces loix.

364*(ig42.III, f° 157). — Seroit-ce une pensée trop hardie de dire que cette bénédiction particulière par laquelle Dieu multiplia la race des Patriarches tenoit aux idées que leur donnoit la vie pastorale. La Terre étoit ouverte à tous, et, quand le nombre des enfants croissoit, on leur donnoit une certaine partie de bétail, ce qui augmentoit la famille, sans la surcharger ; et, chaque famille formant un petit empire, l’augmentation de la famille faisoit la sûreté de la famille. Ne pourroit-on pas dire que Dieu, voulant bénir le peuple israélite, plaça ses récompenses sur une chose que les Israélites croyoient être et sentoient être leur bonheur? Sans 5 doute que Dieu nous a manifesté de plus grands desseins et une plus grande économie. Mais ne pourroit-on pas admirer sa sagesse là-même où l’on semble considérer les choses d’une manière humaine? Le grand nombre d’enfants étoit chez les

» o Israélites le signe d’une bénédiction particulière de Dieu. Il n’est aujourd’hui que le signe d’une bénédiction générale. Dieu attribuoit une bénédiction particulière à une chose qui étoit liée chez les Israélites à l’idée de leur sûreté. Aujourd’hui, il n’at

, 5 tribue pas une bénédiction particulière à une chose qui est si souvent liée aux idées de notre orgueil.

J’ajouterai que cette bénédiction particulière convenoit encore à un peuple choisi pour être séparé de tous les autres ; qui, quand il seroit établi, devoit

20 se maintenir par sa grandeur, et, quand il seroit dispersé, avoit à rendre à jamais un grand témoignage.

365* (1817. m, f°88). — Propagation de l’Espèce. — Élien cite une loi des Thébains, qua capitis

-5 poena sancitur civi infantem exponenti aut in solitudinem abjicienti, et, si un homme étoit si pauvre qu’il ne pût nourrir son enfant, il devoit, dès qu’il étoit né, le porter aux magistrats, qui le donnoient à nourrir à un homme qui en devenoit le maître.

30 Cette loi a été établie en Écosse.

366* (1747. III, f° 60 v°). — Nombre des Habitants. — Cinquante millions d’habitants pourroient vivre sans peine dans le royaume de France1.

La terre donne toujours à proportion de ce qu’on 5 en exige. La fécondité des lieux qui sont dans le voisinage des villes nous doit faire juger de ce qu’on pourroit espérer des autres. Les troupeaux s’augmentent avec le peuple qui en prend soin.

Le bled de l’Afrique n’est point aux Africains ; celui du Nord n’est point aux peuples du Septentrion : il est à tous ceux qui veulent le changer avec le produit de leurs arts.

Plus vous aurez d’ouvriers en France, plus vous ferez de laboureurs en Barbarie. Mais un laboureur nourrira dix ouvriers.

La mer est inépuisable en poissons ; on ne manque que de pêcheurs, que de flottes, que de négociants.

Si les forêts s’épuisent, ouvrez la terre, et vous aurez des matières combustibles.

Que de philosophes et de voyageurs ont fait des découvertes devenues inutiles, parce que, dans la situation présente, l’industrie ordinaire suffit pour les besoins.

2 5

Les philosophes n’ont pas trouvé ces choses pour nous ; elles ne seront bonnes que lorsqu’il y aura sur la Terre un grand peuple.

Pourquoi envoyez-vous dans le Nouveau-Monde tuer des bœufs, seulement pour avoir la peau?

1. Il n’y en a que 14 millions. Pourquoi laissez-vous aller à la mer tant d’eaux qui auraient pu arroser vos terres? Pourquoi laissezvous dans vos terres des eaux qui auroient pu aller à la mer?

5 Les bêtes, qui ont toutes des intérêts séparés, s’entrenuisent toujours. Les hommes seuls, faits pour vivre en société, ne perdent rien de ce qu’ils partagent.

J’ai mille avantages à vivre, non pas dans un i© grand état, mais dans une grande société.

La faim ne se fait pas moins sentir dans les pays peu peuplés que dans les autres. Souvent même elle fait plus de ravages ; parce que, d’un côté, le commerce ne leur procure pas promptement les i5 secours étrangers, et que, d’un autre, la pauvreté les empêche d’en jouir.

367* (1748. III, f° 62). — Nombre des Habitants. — Romulus et Lycurge donnèrent une certaine quantité d’arpents à chaque chef de famille ; je suppose *© que cela fut 5 arpents1.

A ce compte (en supposant la lieue de 3,ooo pas géométriques), une lieue carrée auroit g millions de pas géométriques carrés. Mettez les pas géométriques de 50o pieds ; en lattes de 7 pieds, cela fera *5 6,428,572 lattes carrées, qui, divisées en 512, feront 12,556 arpents dans une lieue carrée, et, à 5 arpents par famille, feront 2,51 1 familles dans une lieue carrée, qui vivront du sol de la terre.

1. Je verrai cela. Or, la Catalogne ayant environ 24 lieues de 3,ooo pas géométriques, en réduisant sa figure en carré, et (sic) longueur, et (sic) hauteur, elle a 576 lieues carrées ; c’est-à-dire, dans le plan des Romains et Grecs, à 5 arpents par famille, pourroit 5 contenir 576 fois2,51 1 familles: 1,446,336 familles ; c’est-à-dire plus qu’on n’en n’a (sic) trouvé, dans ces jours-ci, dans toute l’Espagne.

A quoi, vous pouvez ajouter tout le peuple qui vit d’industrie, qui, dans une nation ainsi policée, 10 iroit au tiers, pour le moins, soit esclaves, soit libres.

Il est vrai que les terres incultes sont possédées par le Clergé, qui les a rendues incultes par la propriété qu’il en a acquise ; et qui empêche de i5 les cultiver par la possession qu’il en a, n’y ayant guère de droit que par l’empêchement qu’il met que d’autres ne les cultivent.

Mais, dans ce cas, il faudroit mettre le règlement de Platon, que personne ne peut succéder à 20 d’autres maisons, et que, dès qu’un paysan auroit une succession d’un autre partage, on le donnât au plus proche parent: outre que 5 arpents sont suffisants pour nourrir le maître, et qu’ils sont suffisants pour l’occuper et en recevoir toute la culture 25 possible.

Les loix des Romains ne furent pas si sages que celles de Platon, et elles permirent (ou l’on souffrit) que des citoyens, sous des noms empruntés, acquissent les héritages propres des citoyens, ce 30 qui étoit éluder la loi. Mais, si cette loi n’avoit pas été éludée, Rome n’auroit (sic) pas tombé dans la corruption ».

368* (1812. III, f, 82 v°). — Nombre des Habitants. — Plus la terre est dévastée, plus les empires s’y 5 agrandissent ; comme nous avons dit ailleurs que plus les empires s’agrandissent, plus le pays est dévasté.

369* (1752. III, f 64 V0). — Les Goths, reçus par Valens dans l’Empire, dévastèrent la Thrace, la

10 Macédoine et la Thessalie, contrée qui est telle et si grande, et in ea tam multa aratra terram versant, ut nulla oratione earum fertilitas exprimi possit -. Ce pays, à la réserve de quelques forteresses, est si dévasté, ut incoli, adiri amplius non possit.

15 II est encore chez les Turcs tel que l’auteur le décrit.

370*(184i. III, f° io3 v°). — Le soldat perpétuel a dépeuplé le Nord, et l’Allemagne, et l’Espagne. Indes (sic) ont dépeuplé l’Espagne et peuplé la ao Hollande, l’Angleterre et la France, par un commerce particulier qu’elles leur ont donné.

371* (1813. III, f° 83). — La grande communication des peuples a répandu et répand tous les jours des maladies destructrices.

1. Nota que ce que j’appelle arpent est notre journal.

2. Excerpta de Legationibus, ex Historia Dexippi, Atheniensis, Pièces diverses, page 406.

372* (170o. III, f°40). — On a ouï parler du jeu de Phryné. Elle étoit dans un grand festin ; on joua ce jeu où chaque convive commande à son tour aux autres ce qui lui plaît. Elle avoit remarqué que des femmes qui étoient au festin étoient fardées. 5 Elle fit apporter de l’eau, prit un linge, et s’en lava le visage. Ces femmes parurent hideuses et pleines de rides ; Phryné resta avec l’éclat de sa beauté naturelle. Voilà la Religion et la Superstition.

373* (1715. III, f° 44). — Comme nous avons dit 10 que le principe du Gouvernement se corrompt, le principe de la Religion peut se corrompre aussi: tandis qu’il est piété, le Ciel n’a rien fait de mieux ; quand il devient superstition, la Terre n’a rien enfanté de pire. i3

374* (1844. III, f° io5). — Religion. — Dans la caste des laboureurs, lorsqu’on se fait percer les oreilles, ou qu’ils se marient, ils doivent se faire couper deux doigts de la main et les présenter à l’idole, si l’on n’aime mieux faire présent de deux doigts d’or 20 à la Divinité1.

Il est singulier que ce soit ceux qui ont le plus besoin de leurs doigts qui les fassent couper. Cela est tiré de l’idée qu’on ne peut donner à Dieu qu’en se privant.

375* (1779. III, f° 71 v°). — Comme les loix de 2 b quelque religion que ce soit sont de nature à ne

1. Seizième Recueil [des] Ltttres édifiantes, page i32. pouvoir être changées, il faut qu’un législateur sage ne renverse pas, mais élude celles qui sont préjudiciables.

376* (1834. M, f° 100 v°). — Dans le recueil des s anciens traités de M. Barbeyrac, article 35, année 848 ou environ avant Jésus-Christil est dit:

« Traité entre les Locriens venus de Grèce et les Siciiliens d’Italie. — Les Locriens abordèrent dans ce coin d’Italie, près du cap de Zéphyrium, possédé 10 par les Siculiens. Là, ils firent alliance et jurèrent que, tandis qu’ils marcheroient sur cette terre, [et qu’] ils auroient leur tête sur leurs épaules, ils posséderoient le pays en commun. Les Locriens avoient mis de la terre de leur pays dans leurs i5 souliers et des têtes d’ail sur leurs épaules, sous leurs habits. >

On voit, dans ces temps-là, une infinité de serments éludés de la même façon: l’ignorance produit la superstition, et la superstition, qui porte à ;o honorer les Dieux d’une manière outrée, porte aussi à s’en jouer.

La superstition est la mère du sens littéral, ennemie du sens spirituel.

Dans un temps d’une pareille ignorance, les i5 enfants de Clovis (je crois) voulant violer le serment qu’ils faisoient sur les châsses des saints, firent tirer secrètement les reliques hors des châsses 3.

t. Page 192 v° de mon extrait.

2. Tiré de mon volume PoHt.-Hist., page 192 \°, et ig3. T. j. î4

377* (1843. III, f° 104 v°). — Le Serf (sic) a des autels auxquels il y a des temples dont on n’oseroit enlever les voleurs même. Les ennemis qui s’enfuyent, s’ils peuvent embrasser une statue des Dieux ou se jeter dans un temple, sont assurés de leur vie. 5 Mais le superstitieux, etc.

C’étoit bien le cas raisonnable des asiles que de sauver la vie au vaincui.

378* (1699. III, f° 40). — Nous pouvons considérer Dieu comme un monarque qui a plusieurs nations 10 dans son empire : elles viennent toutes lui porter leur tribut, et chacun lui parle sa langue.

379* (1777. III, f° 70 v°). —J’avoue que, parlant ainsi de Constantin, j’ai peur qu’on ne me mette au nombre de ceux contre qui Orose a écrit, qui accu- i5 soient la Religion chrétienne d’avoir perdu l’Empire, et qu’on ne m’impute de n’avoir consulté que Zozime, notre ennemi déclaré. Mais il me semble que les actions de Constantin ne sont guère disputées, et que Zozime et les panégyristes de Constantin s’ac- 20 cordent assez dans les choses, quoiqu’ils les regardent différemment. Quand les Pères disent que Constantin avoit un grand amour pour la Religion chrétienne, c’est justement ce que Zozime dit lorsqu’il l’accuse d’avoir abandonné le Paganisme. Lors- 23 qu’ils disent que Constantin avoit beaucoup de respect pour les évêques, cela revient à ce que Zozime

t. Page 120, et (de l’extrait) page 128. dit qu’il en étoit toujours entouré. La vérité est couverte par la louange et par la satire, et il faut la dévoiler.

Constantin fit un nouveau plan, comme Auguste 3 en avoit fait un.

380* (1711. III, f°42 v°). — Cela n’a pu entrer dans la Religion:

«Julien prenoit une peine bien inutile. Des traits de lumière avoient paru dans l’Univers. La philoo sophie s’étoit établie, et, s’il avoit renversé le Christianisme, il auroit bien pu établir une troisième religion, mais non pas rétablir la payenne. »

381* (1783. III, f° 72). — Schisme des Grecs. — Les Papes s’étoient déjà jetés du parti des princes

5 d’Occident, et, par là, les uns et les autres avoient fait leurs affaires. Cela fit que les Grecs firent schisme et regardèrent la puissance des Papes comme dangereuse, en ce qu’elle étoit étrangère. Cela mit une grande haine entre les nations des

o deux rites.

Charlemagne avoit mis le Pape comme une barrière contre les Grecs.

382* (1784. III, f° 72 v°). — Phocas i, qui se vit mal avec son clergé, établit la primauté du Pape. .5 Ce fut un soulagement que l’autorité du Pape, contre la tyrannie des Patriarches. Il y avoit sans

1. Voyez l’Histoire byzantine. cesse des schismes sur les intrusions prétendues ou vrayes.

383* (1751. III, f° 64 V0). — On ne peut douter que les richesses données au Clergé n’ayent contribué à éteindre cette foible lumière qui apparut de temps 5 en temps. Les richesses excessives d’un corps sont toujours suivies d’une ignorance excessive, parce que ce corps cherche toujours à cacher la foiblesse de ses titres.

384*(1812.III, f°82v0). — Religion. — On a per- 10 mis1 aux moines et aux prêtres une espèce de concubinage2.

La force du climat.

Naturam expellor furca...

385* (1765. III, f° 68). —Justinien. — Lorsque la i5 fête de Pâques des Juifs tomboit avant celle des Chrétiens, il ne leur permettoit pas de la faire au temps prescrit par la Loi3.

Cette idée de certaines préférences et honneurs (sic) que l’on donne à sa religion sur une 20 autre est tirée des idées humaines et révolte inutilement les esprits.

386*(1875. III, f° 114v°).— La France doit soutenir la Religion catholique, qui est incommode

1. Dans les Indes espagnoles.

2. Frézier, volume Geographica, page 376.

3. Procope, Histoire secrète, Pièces diverses, page 148. à tous les autres pays catholiques et ne lui fait aucun mal. Par là, elle conserve sa supériorité sur les autres pays catholiques. Si elle devenoit protestante, tout deviendroit protestant.

3 387* (1811. III, f° 82 v°).— Vos vero, novo genere ambitus, adorationem miseria captatis*. Moines.

388* (1764. III, f° 67 v°). — Parce que Dieu s’étoit réservé un gouvernement immédiat, Moïse ne fit 10 qu’un même code pour ses loix et sa religion. Mahomet, non plus.

389* (1825. m. f° 90). — Il faut remarquer qu’il n’en est pas des loix civiles comme des loix de la Religion. Il est difficile de passer d’une religion

» 5 dans une autre, parce que des raisons de commodité ne sont pas assez fortes pour y déterminer et vaincre de si grands motifs. Mais, en fait de loi civile, on peut aisément préférer de vivre sous une autre loi, parce que les raisons de commodité y font tout.

  • o Ainsi, en Italie, les Lombards et, ensuite, les Allemands et les François devinrent-ils romains.

390*(18i4.III, f°83). — De la Nature des Choses qui dépendent du Droit des Gens. — Les choses qui dépendent du Droit des gens sont de nature à ne 35 pouvoir être réglées que par une force ou par une suspension de force, c’est-à-dire les traités.

1. Quintilien.

Elles se pourroient encore régler par une méchanceté supérieure. Mais, comme il est aussi nécessaire à l’Univers que les nations se conservent, qu’il est nécessaire à chaque nation que ses citoyens ne soyent pas détruits, il a fallu, parmi les nations 5 policées, rejeter ces moyens. Ainsi il est contre la nature du Droit des gens d’empoisonner les puits et les fontaines, d’assassiner un monarque dans sa cour, enfin, de faire toutes les choses qui ne dépendent ni de la force, ni des conventions. io

La guerre suppose la défense naturelle. Ainsi le Droit des gens établit qu’on déclare la guerre, avant que de la faire. De là vient la sûreté pour les hérauts, qui sont les ministres du Droit des gens, en temps de guerre. i5

La guerre demande une convention, qui la termine. Pour faire cette convention, il faut des ministres. Ces ministres sont les ambassadeurs.

L’objet de la guerre, c’est la paix. Il faut donc qu’on puisse la faire. Les ministres du Droit des 20 gens, en temps de paix, sont les ambassadeurs.

On ne connoissoit autrefois d’ambassadeurs que ceux qui étoient envoyés à quelques peuples par occasion. L’invention des postes, du change, l’extrême communication des peuples, la grande 23 connoissance qu’ils ont de leurs affaires, les uns des autres, ont fait qu’ils ont voulu les connoître davantage. De là, l’établissement des ministres continuellement établis dans les diverses cours.

Ces ministres sont des espions ; mais ils le sont 30 entre des amis, et, ce qu’exige les loix de l’amitié entre des amis présents (se plaindre, s’éclaircir, se rassurer, former ses (sic) soupçons, les quitter) se fait, par le moyen des ambassadeurs, entre des amis éloignés.

5 II n’est guère d’usage, aujourd’hui, qu’un prince qui fait la paix demande des otages. C’étoit une pratique constante chez les Romains ; ce qui venoit de ce qu’ils regardoient la victoire comme emportant avec elle un droit de sujétion ; ce qui n’est point

» o l’idée d’aujourd’hui.

Le Droit des gens finit la guerre par des traités. Quand les grands princes les violent sans sujet, ils font voir qu’ils ne sont pas assez grands, et qu’ils ont beaucoup de choses à espérer et à craindre.

  • S Quand ils les observent, ils font voir qu’ils sont si grands qu’ils ne dépendent que d’eux-mêmes.

391* (190o. III, f° 135). — Ceci a été ôté, pour raison, du chapitre xxiv du livre XXVI : Des Loix considérées dans l’Ordre, etc.

a° «Que s’il arrivoit qu’un état s’abandonnât luimême et ne fît point de loi politique pour conserver son indépendance ou prévenir le partage, et qu’une telle négligence pût mettre les autres nations en péril, il ne faut pas douter que, dans ce cas, il

as ne fallût régler cette succession, non pas par la Loi politique, mais par le Droit des gens, qui veut que les diverses nations fassent tout ce qu’elles peuvent pour se conserver, et qui ne souffre pas que leur ruine dépende de la négligence d’une nation parti30 culière. >

392* (1770. III, f* 69). — Je vais traiter du rapport que les loix politiques ont avec les loix civiles, qui est une chose que je ne sache pas que personne ait faite avant moi.

. 393* (1754. III, f° 65). — Je ne dis pas que le chan- 5 gement suive toujours, et que, lorsque l’on détruit le gouvernement politique, on détruise d’abord le gouvernement civil. Je dis qu’il seroit naturel que cela fût ainsi, et que cela est ainsi chez les peuples qui ont eu de bons législateurs. 10

394* (1918, III, f° 148). — Extrait de Coringius, page 53 : — Démêlé entre Martin et Bulgarus: si l’Empereur avoit la propriété ou l’empire.

Frédéric croyoit avoir succédé aux anciens empereurs romains, comme l’abbé Dubos a cru que i5 Clovis avoit succédé aux anciens empereurs romains.

395*(1835. III, f° 101 v°). — Intendances. — Comment ils ont raccommodé les grands chemins? On a employé une autorité prompte, alors qu’on ne pou- 20 voit en employer une trop lente. On a confondu la promptitude dans l’exécution .

S’il est vrai que les ouvrages publics doivent être promptement exécutés, l’entreprise qu’on en fait ne sauroit être trop mûrement réfléchie."

396* (1821. III, f° 89 V0). — Bonne disposition de l’Ordonnance de 1735, article 76, qui abroge l’usage des clauses dérogatoires. En effet, ces clauses étoient une liberté bien précieuse de pouvoir changer de volonté jusqu’à la mort, surtout dans le cas du testament, bien différent des donations, où l’on

5 contracte, pour ainsi dire, avec le donataire.

Bonne disposition de l’Ordonnance, de l’article 37 de la nouvelle ordonnance, qui abroge l’usage des testaments mutuels. Autrefois, ils subsistoient, malgré un second testament, lorsque l’un n’avoit pas

10 dénoncé à l’autre la révocation ; ce qui étoit très iuste.

397* (1822. III, f° 89 v°). — Bonne disposition de la Coutume de Normandie, qui casse le testament lorsque le testateur ne survit pas trois mois. Il i5 faudroit pourtant diminuer ce terme, surtout si le testateur n’est pas alité ; ce qui même est sujet à l’équivoque.

398* (1794. III, f° 75). — Il y a des loix principales et des loix accessoires, et il se forme, dans chaque 30 pays, une espèce de génération de loix. Les peuples, comme chaque individu, ont une suite d’idées, et leur manière de penser totale, comme celle de chaque particulier, a un commencement, un milieu et une fin.

23 Cette matière n’auroit point de bornes si je n’y en mettois. J’ai pris un exemple qui est de l’origine et de la génération des loix des Romains sur les successions, et cet exemple servira ici de méthode. Je n’ai point pris la plume pour enseigner les loix, mais la manière de les enseigner. Aussi n’ai-je point traité des loix, mais de l’esprit des loix.

Si j’ai bien donné la théorie des loix romaines sur les successions, on pourra, par la même méthode, voir la naissance des loix de la plupart des peuples. 5

Il est naturel de croire que les jurisconsultes, donnant leurs décisions sur la propriété des biens sont partis de l’état où étoient les choses dans la constitution d’alors, et qu’ainsi les Romains donnant des loix sur les successions, ils les ont données 10 en conséquence de la loi politique, qui avoit fait un partage égal des terres.

399* (1795. III, f° 76). — Utilité de la Connoissance des Choses passées. — Il faut connoître les choses anciennes non pas pour changer les nouvelles, mais i5 afin de bien user des nouvelles.

C’est un principe certain que les opinions générales de chaque siècle sont toujours outrées. C’est qu’elles ne sont devenues générales que parce qu’elles ont beaucoup frappé les esprits. Or, pour 20 les remettre dans l’ordre de la Raison, il faut examiner la figure que faisoient, dans les autres siècles, les opinions dominantes de celui-ci ; ce qui peut les rendre très utiles, d’un côté, en employant le feu qu’elles inspirent, et l’action qu’elles donnent, pour 25 le bien, et, de l’autre, en les empêchant de répandre des préjugés pour le mal.

Les livres précédents ont conduit à celui-ci, où je donnerai un petit essai de l’histoire des loix de la France, comme je viens de donner l’histoire de ?o quelques loix romaines. Je voudrois bien que l’on fît de meilleurs ouvrages sur les loix de chaque pays. Pour bien connoître les temps modernes, il faut bien connoître les temps anciens ; il faut suivre = chaque loi dans l’esprit de tous les temps. On n’a point semé des dents de dragon, pour faire sortir les hommes de dessous la terre, afin de leur donner des loix.

400*(1937. III, f°i54). — En lisant les codes des 10 loix des Barbares, je cherchois la jurisprudence dans son berceau.

401*(1938. III, f° i54v°). — Quand Michel-Ange vit pour la première fois le Panthéon, il dit qu’il le mettroit en l’air. J’imiterai, en quelque sorte et à ma 25 manière, ce grand homme. Ces loix antiques, qui gisent à terre, je les exposerai à tous les regards.

402*(1881.III, f° 120 v°). — Armoriques. —Je crois que le père Hardouin fut bien content, lorsque, dans une ode d’Horace, il découvrit les Jacobins. Ce ao ne dut pas être un moindre plaisir pour M. l’abbé Dubos, lorsqu’il vit pour la première fois le rôle que la république des Armoriques alloit jouer dans le Monde.

403*(1939. III, f° i54v°). — Chez les nations guer25 rières, et qui ignoroient l’art de l’écriture, on fut obligé de faire des formules de tous les divers actes qui devoient se passer dans l’état civil, et c’est dans ces formules que l’on trouve surtout la différence des loix primitives et des loix ajoutées. Voilà la source des loix mérovingiennes! On trouve quelques lumières dans les capitulaires des roix carliens ; mais c’est une source stérile, qui ne donne que quelques 5 règlements pour le sacerdoce et pour l’empire, fastidieusement répétés et plus propres à nous donner une idée de l’économie du gouvernement d’alors que des loix civiles ; d’autant plus que les roix les laissèrent presque toutes sans les toucher. On 10 arrive, et il semble que le corps entier de la jurisprudence s’abat, et que tout tombe sous les pieds. Un fleuve majestueux entre sous la terre et se perd. Attendez un moment ; vous le verrez reparoître et rendre ses eaux à ceux qui ne le cherchoient plus. i5 Reddit quœsitas jam non quœrentibus undas 1.

404*(1826. III,f°90 v°). — Je mettrai ici les différents caractères des loix de ces divers peuples:

« Les loix saliques remplirent très bien leur objet. Elles distinguèrent les divers cas avec une grande 20 précision. Si quelqu’un voloit un cochon de la première ou deuxième portée, il payoit 3 sols ; si c’étoit de la troisième, il en payoit i52.

» La composition des loix saliques ne suivit pas toujours, dans le vol, le prix de la chose volée. Ainsi, 25 pour trois moutons ou plus, on payoit 1,40o deniers, et, pour cinquante ou plus, 2,50o. Comme elle faisoit toujours rendre la chose volée, et qu’elle

1. De l’empereur Néron.

2. * Loi salique, titre II, §§ i« et 2. * n’établissoit la composition que pour le tort reçu, elle pensoit que, pour fixer ce tort, il ne falloit point suivre la proportion de la grandeur du vol, c’està-dire la proportion des richesses de celui qui avoit 5 été volé.

» Elles pesèrent extrêmement les circonstances. Si l’on voloit un épervier sur un arbre, 3 sols ; s’il étoit enfermé sous clef, 45 sols 1. La Loi considéroit, d’un côté, la sûreté de la maison, et, de l’autre, un

o épervier, sur un arbre, sembloit avoir recouvré sa liberté naturelle.

» La Loi des Ripuaires a cela de particulier qu’elle s’accorde un peu plus avec la Loi romaine que la Loi salique2 ; que ses compositions sont ordinai

5 rement plus douces que celles de la Loi salique. » Lorsqu’un homme mettoit le feu à une maison, il payoit 60o sols de composition, outre le dommage et les frais ; et, s’il nioit d’avoir commis le crime, il juroit avec soixante et douze témoins. Si le cri

0 minel étoit un esclave, il ne payoit que 36 sols,

1. « Loi salique, titre VII, §§ ier et 3«. »

2. « Entre autres exemples, les sols saliques sont de 40 deniers ; les sols ripuaires sont de 12 deniers, secundum antiquam consuetudinem, dit le titre XXXVI, c’est-à-dire selon l’usage des Romains, qui mettoient 12 onces à l’as.

» La Loi des Ripuaires paroît conforme aux loix romaines en ce que, si homo Regi infidelis extiterit, confiscation (titre LXIX, page 80), et le titre LXXIII (sic), d’un voleur pendu pour s’être parjuré, point de confiscation ; ce qui est conforme aux loix romaines, qui n’admettoient la confiscation que pour les crimes de lèse-majesté (pages 80 et 81 du dit extrait).

» Ceci prouve encore contre le système de l’abbé Dubos : les Saliens n’étoient donc pas si amis des Romains que les Ripuaires. > outre le dommage et les frais du procès ; et, s’il nioit, le maître juroit avec six.

» Cette loi est singulière en ce que l’esclave payoit moins que l’ingénu. Mais c’est qu’on suivoit, non pas la proportion des facultés, mais la nature 5 de la chose, et l’on vouloit que le maître ne fût pas ruiné par le crime de son esclave, en payant au delà de sa valeur.

» Mais ce qu’il y avoit de bien discordant, c’étoit la différence du nombre des témoins nécessaires 10 à l’ingénu pour jurer, lorsqu’il vouloit nier, et le nombre de ceux qu’il falloit à l’esclave. Il étoit ridicule de suivre en cela la proportion de la composition, puisque, dans l’un et dans l’autre cas, la nécessité de prouver étoit la même. Mais c’est que ô l’esclave étoit sensé n’avoir guère de parents ni d’amis.

» Le titre XLIX de la Loi des Ripuaires est entièrement conforme aux formules de Marculfe ; ce qui me fait penser que cette loi fut pour le moins aussi 20 universellement reçue que la Loi salique, et même plus: témoin la procédure pour le combat.

» La justice et l’impartialité des loix des Bourguignons est admirable. Je rapporterai ce qu’elle statue sur l’hospitalité. 25

» On sait que l’hospitalité étoit une chose commune chez les Germains, « et qui modo kospes fuerat monstrator hospitii, > dit Tacite. Lorsque les Bourguignons eurent fondé une monarchie, il fallut régler les abus qui pouvoient provenir de l’exercice 30 de ce droit. La Loi veut que, lorsqu’on aura reçu un particulier qui voyage pour les affaires publiques, chaque habitant du village lui rembourse sa quotepart pour la dépense ; elle veut que ce droit d’hospitalité ne soit pas même refusé à ceux qui voyagent 5 pour leurs affaires particulières ; que celui qui le refuserait paye 3 sous d’amende, et que, si un Bourguignon, au lieu de recevoir un hôte, lui montre la maison d’un Romain, il paye, outre les 3 sous d’amende, encore 3 sous de composition pour le

io Romain. Si celui qui est reçu fait dans la maison quelque ravage, la Loi veut qu’il paye neuf fois la valeur de la chose. Tout le Code des Bourguignons est plein de bon sens « Je remarquerai ici la conformité de la loi que je

1 ^ cite avec ce que nous dit Tacite des Germains: « Qui modo hospes fuerat monstrator hospitii ; » ce qui nous fait voir que cet auteur avoit une parfaite connoissance de ces mœurs.

« Le titre XLIII de la Loi des Bourguignons est tout tiré de la loi romaine sur la forme des testaments et des donations. Les Germains, qui n’avoient point de testaments de biens, ni de donations, quand

i. « Ces loix des Bourguignons étoient extrêmement sages: elles ne songeoient qu’à rendre au corps de l’État cette union que la conquête en avoit ôté.

» Romana puella, si sine parentum [suorum] voluntate aut conscientia, se Burgundionis conjugio sociaverit, nihil se de parentum facultate noverit habituram.

» Les mariages des Bourguignons avec les Romaines étoient donc permis ; mais on vouloit empêcher les Bourguignons d’épouser les femmes romaines sans la volonté de leurs pères (titre XII des dites loix, § 5). » ils furent établis, prirent les dispositions de la Loi romaine, et les Bourguignons choisirent d’autant plus volontiers cette loi qu’une pareille conduite pouvoit leur concilier l’esprit des peuples vaincus. 5

» Additamentum Legis Burgundionum, sur le vol d’un chien et d’un épervier (titre X et XI), loi très singulière, et qui marquoit la simplicité de ces peuples (pages 122 et 123 de l’extrait).

» La Loi des Visigoths avoit bien rencontré en 10 ordonnant que les courtisanes fussent données en servitude à un homme pauvre. L’infamie de la profession ne pouvoit être mieux punie que par l’infamie de la condition1.

» Les veuves qui, à la mort de leur mari, pre- i5 noient l’habit de religieuse et mettoient, sous cet habit, des bandes repliées pour preuve qu’elles n’avoient pas quitté l’habit du monde, étoient obligées par la Loi de garder l’habit et la continence monastique, parce que, dit le Prince, il faut juger a0 par l’habit extérieur2. La raison de la loi n’est pas plus sensée que la loi même : c’étoit par la volonté qu’il falloit juger.

» Nous trouvons, dans les loix des Allemands, les crimes et les délits punis par les mêmes compositions que dans les loix saliques ; aussi bien que les amendes ou freda qui se payoient au Public. Les peines corporelles n’étoient point en usage. Tout y suit l’esprit des premiers Germains.

1. «Livre III, titre iv, f 17.»

2. «Loi des Visigoths, livre III, titre V, §4.»

» Cette Loi des Allemands est très humaine1. Elle veut que, si une fille allemande libre se marie à un esclave de l’Église, et qu’elle se sente de la répugnance pour la vie servile, elle peut (sic) s’en aller. 5 Mais, si elle demeure trois ans sans réclamer, elle et ses enfants seront esclaves. La loi de ces peuples regardoit la liberté comme aussi naturelle que le mariage. Le lien de la Nature étoit plus fort que le lien de la volonté, qui n’étoit devenu lien de la

i « Nature que par la volonté. Cette réclamation a du rapport à celles que nous faisons contre les vœux monastiques dans les cinq ans. Mais notre réclamation suppose la violence et en demande la preuve ; au lieu que la Loi des Allemands, fondée

» 5 sur la fragilité, en dispensoit. Une femme libre, qui a souffert la servitude pendant trois ans, qui a consenti de voir si longtemps son âme abattue, qui n’a point trouvé un moment où elle ait pu former un sentiment généreux, s’est rendue indigne de la se liberté.

» La Loi des Allemands est partout très douce. Ces loix sont bien plus douces que les loix des Visigoths. Il pourroit être que ces peuples du Nord, transportés dans les pays du Midi, auroient eu * 5 besoin de loix plus sévères.

» Enfin, toutes ces loix respirent la douceur. Telles sont ces peines pécuniaires contre celui qui néglige le commandement du Duc ou du Centurion: 12 sous ; 6 sous ; 3 sous2.

1. « g 18. »

2. « Loi des Allemands, § 29 (sic). »

» La Loi des Allemands admettoit les preuves négatives, comme celle des Ripuaires1.

» Même douceur de la Loi des Allemands si le fils du Duc se révolte contre son père dans le temps qu’il est en état de monter à cheval. Chez ces 5 nations, monter à cheval étoit la plus grande capacité pour le gouvernement.

» La Loi des Allemands établit le combat2. Quand un homme libre en accuse un autre de grands crimes devant le Duc ou devant le Roi, et que l’accusateur 10 ne prouve pas et se contente de dire que le crime a été commis, l’accusé pourra se justifier par le combat. Il me semble que la loi du combat se trouve beaucoup modérée par cette loi. Quoi qu’il en soit, elle permettoit le combat comme la Loi des Ripuai- i5 res ; mais elle n’en admit point les abus. Ainsi elle n’avoit pas lieu pour les crimes de moindre conséquence.

» Dans le titre LU de la Loi des Allemands, il paroît que c’est une bien mauvaise action d’épouser la 20 fiancée d’un autre. Cette loi s’accorde très bien avec celle des Visigoths.

» La Loi des Allemands donnoit une grande facilité pour les répudiations: le mari donnoit une composition de 40 sous. 25

» Ces loix des Allemands ont attention au tort fait au Public par la diminution des familles. Si un homme libre est tué, et qu’il laisse des enfants, on paye 160 sous pour son weregilde, et, s’il ne laisse

1. « Loi des Allemands, %(sic) 24 et 30. »

2. J’en ai mis les citations dans Y Esprit des Loix. point d’enfants... On sent la raison de la Loi : c’est une famille de moins. Aussi cette même loi défendelle avec grande attention le transport des esclaves dans les pays étrangers. Le grand nombre de peu5 pies sorti de la Germanie faisoit qu’on vouloit réparer ceux qui restoient.

» Voyez astérisque dans mon extrait, page 197, sur le caractère de la Loi des Bavarois, au titre VII, §i5.

0 » Deux loix bien singulières dans la Loi des Bavarois! Ce qui prouve la correction qu’on a faite à la Loi des Bavarois, c’est qu’au titre XIV, § 8, on cite l’Ancient Testament. » La Loi des Saxons admet aussi les preuves néga

5 tives 1.

» Loi générale de ces peuples barbares contre ceux qui fiançoient, ravissoient les filles fiancées à un autre2.

» La Loi des Saxons admettoit aussi la preuve par 0 le combat3.

» Ici, une femme libre vendue, la composition n’est pas plus forte que pour un homme 4: c’est 60o sous, tant pour un homme noble, que pour une femme noble.

5 » La Loi des Angles avoit sans doute été corrigée,

1. « Caput § 1".»

2. « Loi des Saxons, §9.»

3. « § 15 et (de l’extrait) page 218. »

4. «Loi des Angles, titre Ier, § i«, et titre X, § 3. Il est vrai que cela n’a lieu que pro fœmina nundum pariente, vel qute parère desiit ; nam, ri sit pariens, trois fois Coo sous (Ibidem). » puisqu’on y voit l’établissement des donations ou des testaments. Libero homini liceat hœreditatem suam eut voluerit tradere 1 ; ce qui étoit contraire au droit des Germains, comme nous le voyons dans Tacite: « ... nullum testamentum, etc. »

» On remarque dans la Loi des Frisons que l’on 3 commence à y compter par livres le taux des compositions2. Les Frisons étoient placés sur de grandes rivières, et aboutissoient à de grandes nations, et pouvoient avoir un grand commerce, comme les peuples qui habitent ces pays aujourd’hui3. 10

» Il me semble que cette solution en livres n’emporte pas plus d’argent que la fixation en sols dans les loix des autres peuples. Ainsi ma remarque sera inutile.

» Cette loi nous fait voir les Frisons gouvernés par ib un duc, sous le Roi.

» Gomme la Loi des Saxons nous fait voir les Saxons!

» Celui qui vend un homme libre hors du pays comportât... ac si... interfecisset*. » 20

405* (1927. III, f° i50v°). — Sans aucune restriction, limitation, interprétation, la couronne, dans trois races consécutives, a passé aux mâles, et, dans la troisième, toujours à l’aîné des mâles.

1. t Titre XIII. »

2. « Titre XV.»

3. «Voir pourtant le rapport de ces compositions en livres avec les compositions des autres peuples en sols. »

4. « Loi des Frisons, titre XXI. »

406* (1933. III, f° i52 v°). — Me voici arrivé au livre XXIX, et je ne l’ai point commencé sans faire de nouveaux sacrifices et avoir bâti un temple à l’Ennui et à la Patience.

5 407*(17i8. III, f°44 V°). — L’abbé de Saint-Pierre dit: « Il faut choisir d’honnêtes gens ; > comme on dit, lorsqu’on enrôle: * Il faut prendre un homme de 5 pieds, 6 pouces.»

408* (1876. III, f° 115). — Pour la Composition des 1 o Loix1. — L’abbé de Saint-Pierre, qui étoit le meilleur honnête homme qui fut jamais, ne sait, pour chaque inconvénient, dire autre chose si ce n’est qu’il faut assembler dix honnêtes gens. On diroit que c’est un major qui choisit des soldats, et qui dit: « Il 15 faut qu’ils ayent 5 pieds, 8 pouces. » Il faut que les loix commencent par travailler à faire des honnêtes gens, avant de penser à les choisir. Il ne faut pas commencer par parler de ces gens-là. Il y en a si peu que cela ne vaut pas la peine.

a° 409* (10,3i. III, f° iÔ2). — Les évêques y avoient déjà mis toutes les loix que nous voyons établies en Espagne dans le Tribunal de l’Inquisition. Mais les évêques n’en profitèrent pas tant qu’ils pensoient. Les moines arrivent et se saisissent de la aS dévotion des peuples. Le peuple bigot court à eux et les trouve plus catholiques que les évêques. Ils

1. Continuation des Matériaux qui n’ont pu entrer dans l’ « Esprit des Loix ». deviennent les inquisiteurs et soumettent les évêques même à leur autorité.

C’est le sort de ceux qui abusent du pouvoir que l’on en abuse bientôt contre eux-mêmes, et, comme l’injustice passe en d’autres mains, il 5 sera éternellement de la sagesse des hommes d’avoir de la modération et de se réfugier dans l’équité.

410* (1934. III, f i53). — Lorsqu’une loi paroît bizarre, et qu’on ne voit pas que le Législateur ait 10 eu intérêt à la faire telle (ce qu’on peut présumer lorsque cette loi n’est fiscale ni tyrannique), on doit croire qu’elle est plus raisonnable qu’elle ne paroît, et qu’elle est fondée sur une raison suffisante. La loi de Gengis-Kan défendoit aux Mogols d’appro- i5 cher des eaux pendant le tonnerre. Il vouloit empêcher que les Mogols, dans un pays où le tonnerre est très fréquent, se mettoient (sic) d’abord dans l’eau, ne se noyassent1.

411*(1922.III, f° 149). — Des Loix nouvelles.—iLes a0 loix nouvelles prouvent l’attention de ceux qui gouvernent. Mais l’exécution des loix anciennes la prouveroit encore mieux. Je ne voudrois pourtant pas blâmer les Romains des grands changements qui arrivèrent dans leur jurisprudence : ils changé- î5 rent le gouvernement, et il fallut que leurs loix civiles suivissent leurs loix politiques.

1. Voyez Pétis de La Croix, Vie de Gengis-Kan.

412* (1869. III, f° 113). — Savoir dans quel cas un abus peut devenir la loi, et la correction, devenir un abus.

413* (1767. III, f° 68 v°). — Un gouvernement est 5 comme une somme de chiffres. Otez en un, ou ajoutez en un, vous changerez la valeur de tous. Mais, comme on sait au juste la valeur de chaque chiffre, on n’est pas trompé. Au lieu qu’en politique on ne peut jamais savoir 10 quel sera le résultat des changements qu’on fait1.

414* (1769. III, f°68). — Un petit changement dans les lois civiles produit souvent un changement dans la constitution. Il paroît petit et a des suites immenses. Par exemple, le transport du pouvoir

1 S d’une partie de l’État à une autre, par le changement du cens.

Un chariot qui a quatre roues peut aller avec trois, même avec deux ; mais il faut les disposer autrement. De même, le changement dans les loix civiles des

  • ° Chinois, en permettant l’entrée des étrangers.

415* (1780. III, f° 71 v°). — Quand on ôte quelque liberté naturelle, il faut que l’avantage visible que l’on en retire console de la perte de cette faculté.

Quand une chose bonne a un inconvénient, il est 25 ordinairement plus prudent d’ôter l’inconvénient que la chose.

1. Page 19, IIe volume Politica.

416*(1727. III,f°46V°). — Tacite, qui nous a laissé cet excellent traité De Moribus Germanorum, où nous voyons encore nos mœurs peintes et nos loix décrites... Il seroit à souhaiter que quelqu’un nous eût laissé un traité De Moribus Gothorum, parce 5 que ce sont des nations primitives, et que nous ne les trouvons décrites que lorsqu’elles se sont mêlées entre elles ou avec les peuples soumis.

417* (1691. III, f* 37). — Il est très remarquable que, comme les Goths furent vaincus en Italie, par 10 les Romains, par le désavantage de leurs armes, ils furent, par la même raison, exterminés dans les Gaules par les François. Ceux-ci avoient une arme qui leur étoit particulière ; c’étoit la hache, qu’ils jetoient avec une adresse singulière, et qui brisoit i5 toutes les armes défensives. Ils avoient encore des espèces de javelots courts, appelés ancones1, dont ils se servoient avec beaucoup de succès.

418* (1733. III, f° 50 v°). — Les principales raisons de la supériorité des François sur les autres peuples ao furent que, depuis la destruction des Romains, il n’y avoit pas un seul état en Europe qui eût une assiette ferme ; que tout les aida, et la Religion même : les Gaulois ne pouvant vivre sous des tyrans ariens, et l’Italie ne pouvant souffrir les oppresseurs a 5 des Pontifes romains. Enfin, le genre de leurs armes et leur agilité leur donna de l’avantage contre la

1. Agathias, livre Ier. cavalerie gothe, dont nous avons tant parlé dans l’ouvrage précédent.

419* (1941. III, f° 156). — On dit que les diverses femmes de Charlemagne étoient successives ; il fau

5 droit chercher aussi un moyen pour prouver que les trois reines et les concubines de Dagobert, qui étoit aussi pieux que lui1, vinrent de main en main et se succédèrent. Je n’attaque point la sainteté de Charlemagne, parce que je ne sais point

o le terme de la miséricorde sur ceux qui ont violé les loix de l’Évangile, en suivant les loix de leur pays.

Je ferai ici une conjecture. Frédégaire2 dit que, le maire Warnachaire étant mort, et Godin, son

s fils, ayant épousé sa belle-mère, le Roi entra en fureur, disant qu’il avoit violé les canons. Mais je ne crois pas que ce roi aimât assez les canons pour envoyer, à cette occasion, une armée contre lui. Le Roi ordonna qu’on lui fît prêter serment de fidé

«» lité. L’action de Godin étoit donc un attentat politique, et son mariage incestueux blessoit une certaine prérogative royale. J’en ai parlé dans mon Esprit des Loix, au livre (je crois) sur la Nature du Terrain ou au livre des Fiefs, à l’occasion de la

’5 pluralité des femmes des roix francs.

420* (1697. III, f° 3g). — Charlemagne. — Je ne puis m’empêcher de former ici des regrets sur une

1. Voyez la Chronique de Frédégaire, sur l’an 628.’

2. Sur l’an 626. table d’argent, d’un plus grand poids que les autres de son (sic) palais (dit Charlemagne dans son testament), d’un art plus exquis, et où l’on voyoit, en trois globes, le Monde figuré.

Plût à Dieu qu’il eût confié à l’airain des choses 5 dont l’avarice a depuis fait des secrets. Nous y verrions l’exacte position des peuples après le mouvement de tant de nations, la situation des villes ; et, ce que nous ne faisons que conjecturer, nous le saurions. 10

421* (1721. III, f° 45 v°). — Défaite des Huns par Charlemagne, en 788 et 789. — Destruction des Lombards par Charlemagne, en 777. Il confirma la donation que son père avoit faite à l’Église romaine. Le royaume des Lombards avoit duré 20o ans. i5

422* (1829. III, f° 99 v°). — Lorsqu’on pense à ces trois princes : Pepin, Charles-Martel et Charlemagne! Sous eux, la Nation toujours victorieuse ne vit plus d’ennemis. Mais, après eux, il arriva ce que l’on avoit vu dans l’Empire romain, lorsqu’après 20 Marius, Sylla, Pompée, César, Rome n’eut rien à soumettre ; il arriva ce qu’après Alexandre on avoit vu chez les Grecs: les Francs se détruisirent euxmêmes par des guerres civiles.

423*(1832. III, f° 100 v°). — Les Normands ayant désolé tout le Royaume, une espèce d’anarchie qui venoit du malheur public mit le comble au malheur public. On élut Hugues Capet.

424* (1695. III, f° 38 v°). — Hugues Capet. — Son nom est perdu dans les temps qui se sont perdus eux-mêmes et sont dans la nuit, le silence, les ténèbres et l’oubli.

5 425* (1696. III, f° 39). — Hugues Capet. — C’est se connoître bien peu en flatterie que de mêler des fables dans une généalogie la plus constamment établie que nous connoissons. Hugues Capet n’étoit point de la maison carlienne ; il étoit de la sienne.

1 o Sitôt que ce genre de grandeur pût être distingué, lui, son père et son ayeul parurent dans la grandeur. Sitôt que la perpétuité des fiefs servit à distinguer la grandeur des maisons, celle-ci paroît avec les grands fiefs, et elle a cet avantage que,

  • S toujours grande dans son cours, elle n’a d’origine que l’abîme de ces temps où régnent la nuit, les ténèbres et l’oubli.

426* (1828. III, f° 99). — On trouve, dans le Code des Lombards, des loix contre ceux qui portoient »o des armes enchantées. Elle se rapportent à peu près au temps où l’armure devint plus pesante chez les Francs. Il peut y avoir eu des armes de si bonne trempe qu’elles parurent tirer leur force de quelque enchantement. Cela donna l’origine à un *5 nombre infini de romans, qui ont été la matière de ceux que l’Arioste et les autres ont transmis jusqu’à nous ; d’autant plus ridicules aujourd’hui que les armes à feu ont fait disparoître tous les paladins.

427* (1830. III, f° 99 v°). — Agobard, dans une lettre à Louis-le-Débonnaire, se plaint de ce que les canons des conciles de France, faits par de si saints évêques, étoient regardés par beaucoup de gens comme superflus et inutiles, parce qu’ayant 5 été faits sans la participation du Pape les canonistes romains n’en faisoient pas mention.

Mais, si le mal étoit déjà si grand, que dut-il être dans les siècles qui suivirent?

428*(1928. III, f° i50v°).—M. Du Tillet dit fort 10 bien que la Cour des Pairs fut établie par Louis-leJeune pour juger des affaires de son domaine, de celles qui concernoient la dignité des prairies, et autres grandes causes.

Cette cour n’eut point pour objet de réformer les i5 sentences qui émanoient de la juridiction des seigneurs, mais de corriger leurs prévarications et leurs dénis de justice.

C’est pour cela que les seigneurs eux-mêmes étoient ajournés en personne, pour répondre de la 20 sentence, et qu’ils couroient le risque d’une amende envers le Roi. Mais, quand saint Louis eut aboli les combats en matière civile, on commença à appeler de la sentence en matière civile même. Pour lors, il parut extraordinaire que les seigneurs fussent 25 ajournés pour répondre.

429* (1929. III, f° 151 v°). — Il me paroît que, dans les affaires criminelles, on employoit le serment pour les affaires inconnues, le duel pour les incertaines, la guerre pour les certaines ; que, dans les affaires civiles, on employoit le serment pour les affaires de nulle conséquence ; que, pour les autres, on employoit le témoignage, et le combat, quand 5 le témoignage étoit nié, et aussi le combat, en cas d’appel.

430*(1930. III, f" 15i v°). — Serment sur des Châsses vides. — Extrait de la Continuation de Frédégaire, page 92.

ro C’est le temps où l’on ne craignoit plus le parjure, et où l’on en craignoit encore les malheurs.

431* (1932. III, f° i52 v°). — Jugement de Dieu ou Divination par un Passage des Psaumes, des Prophètes, des Evangiles. — Mais, comme il y a dans » 5 les Prophètes et les Psaumes plus de malheurs et de menaces que dans quelque livre qu’il y ait, les malheureux n’y trouvoient guère de consolation. Chramne et Mérovée, fils de Chilpéric, consultèrent ainsi 1.

  • o 432* (1704. III, f° 41 v°). — Vous me dites qu’à la fin de ma carrière, il faudra que je chante la conquête de Clovis et le gouvernement de Charlemagne. Mais quel est cet autre qui a vaincu à Fontenoy, et qui demande la paix?

a* 433*(183i. III, f° 100). — J’aurois encore bien des

1. Extrait de Grégoire de Tours, pages 33, 34. choses à dire ; mais j’aurois peur que cela ne devint une matière de pure érudition. Je voudrois parler non pas à la mémoire de mes lecteurs, mais à leur bon sens, et l’on a plus tôt fini quand on parle au bon sens qu’à la mémoire. J’aimerois mieux ensei- 5 gner à considérer les loix dans leur origine, qu’à faire un livre sur l’origine des loix.

434*(2052. III, f°340 v°). —J’ai toujours été frappé, en lisant les codes des loix des Barbaresi, du peu d’attention ou sévérité qu’elles ont contre le parri- 10 cide ; de sorte que ce crime est presque confondu avec les autres violences, et je vois dans Cassiodore2 que Théodoric voulut dans un cas pareil que l’on punît le parricide selon la Loi romaine. A mesure que ces Barbares devenoient plus romains, ib ils concevoient plus d’horreur pour le parricide. Or je trouve, en quelque façon, la cause de cette manière de penser des peuples barbares, dont les mœurs se tenoient toutes ; je la trouve (dis-je) dans Procope (Guerre des Goths, livre IIe), où il dit, en ao parlant des Hérules : quand quelqu’un d’entre eux languissoit ou vieillissoit, il étoit contraint de faire requête à ses proches de le faire mourir ; un autre qu’un parent l’occisoit ; après quoi, ses parents mettoient le feu au bûcher et le brûloient3. 25

Voyez combien tout ceci se rapporte aux autres

1. j’ai tiré ceci pour en faire un chapitre pour la fin du XVIII» livre.

2. Livre II, lettre 14.

3. Voyez mon vieux extrait de Procope, page aSg. mœurs des Germains. On présentoit requête aux parents, à cause du droit qu’ils avoient pour la sûreté de la vie de leurs parents. Il sembloit qu’on ne pouvoit pas disposer de sa vie sans eux. C’étoit s un étranger qui donnoit la mort, mais du consentement des parents ; sans quoi ils auroient pu prendre la vengeance.

XII. DÉFENSE DE L’« ESPRIT DES LOIX »

435-437. — Choses Que Je N’ai Pas Mises Dans. i Q Ma « Défense ».

435* (20o6. III, f° 309). — Ceux qui font des ouvrages d’esprit doivent s’imaginer qu’ils seront jugés par leurs pairs. Tout l’avantage qu’un écrivain a naturellement sur ses lecteurs, c’est qu’il a plus * 5 réfléchi qu’eux sur la matière dont il traite. Mais, si ceux-ci ont réfléchi à leur tour, ils se trouvent sous(sic) les mêmes termes. Il faut que l’amour-propre apprenne un grand secret: il parle devant l’amourpropre. Quoi! parce qu’un auteur seroit vain, il trouveroit des lecteurs modestes? et, de ce qu’il seroit avantageux, on pourroit conclure qu’il ne seroit pas foible? La candeur d’un écrivain est cette rougeur charmante des jeunes personnes qui, si la nature avoit un art, seroit son art. Cherchons à a5 nous faire aimer, si nous voulons nous faire lire. S’il est vrai qu’un homme ait de l’esprit, que cet esprit s’allie avec les autres esprits ; et, s’il ne peut pas s’allier avec eux, qu’il soit comme une pierre précieuse qui sépare l’or d’avec l’or.

« Qualis gemma micat quœfulvum dividit aurum. »

Grand Dieu! comment seroit-il possible que nous 5 eussions toujours raison? et que les autres eussent toujours tort? Les bons esprits trembleront donc de décider, et les autres auront reçu, en dédommagement, le plaisir de l’affirmative.

436* (20o7. III, f° 30g v°). — Le talent de la décla- 10 mation est le plus commun de tous ; les jeunes gens qui veulent écrire commencent toujours par là, soit que leurs maîtres ayent trouvé plus de facilité à prendre ce style, soit que leurs disciples en ayent trouvé davantage à le recevoir. Voyez, je vous prie, ii Démosthènes : dès qu’il ne foudroye pas, il est simple ; tel que le Ciel, il est presque toujours serein, et il ne tonne que par intervalle.

437*(20o8. III, f° 310). — Remarquez, je vous prie, l’esprit de la Religion chrétienne. Elle veut perpé- 20 tuellement qu’on s’humilie, et elle défend perpétuellement d’humilier les autres ; elle déteste l’orgueil et la vanité, et elle vous défend également de concourir à l’orgueil et à la vanité des autres, et à la choquer, par la raison qu’en choquant la vanité 23 des autres la vôtre trouve des délices qu’elle n’approuve pas en vous. Car, à l’égard des autres, l’orgueil qu’on veut mortifier reprend des forces, par la considération du dessein que l’on en a, et ce n’est pas un moyen sûr de le déraciner que de le faire souffrir. L’orgueil pressé par l’orgueil prendroit des forces et le repousseroit à son tour.

5 L’orgueil voudroit-il contredire l’orgueil? Ils ne feroient que se justifier l’un et l’autre. La modestie le fait défendre (?).

La Religion chrétienne exige de nous deux choses: l’une charmante ; l’autre terrible: d’aimer les autres,

o et de nous haïr nous-mêmes. Dieu ne veut rien de nous que nous-mêmes.

Les injures peuvent être le témoignage de la rudesse générale d’une nation, quelquefois de sa liberté et de sa naïveté même.

5 Dans ce cas, la charité chrétienne en seroit moins blessée, parce qu’il seroit indécis si elles seraient l’effet des mœurs générales ou d’une violence particulière. Mais, dans une nation où les citoyens, liés déjà par les loix, se sont encore liés par les égards,

o et où, par conséquent, les injures supposent que celui contre qui elles sont dites est si coupable qu’on a été obligé de franchir toutes les barrières, elles blessent extrêmement la charité chrétienne. Ainsi les Grecs et les Romains offensoient moins

’5 que nous, avec des paroles plus offensantes. Dans de pareilles nations, la charité chrétienne en seroit moins blessée.

Si le cœur les a dites, ou si les mœurs les ont laissé dire ; si c’est la conscience publique ou la

30 particulière qui doivent se faire des reproches.

Fin.

438* (20o5. III, fo 308 v°). — J’avois mis à la fin de ma réponse au père Berthier sur Athènes1:

« Ces messieurs aiment beaucoup les combats, mais ils sont légèrement armés. »

XIII. LYSIMAQUE 5

439* (563.1, f° 438 v°). — Lysimaque. — Autant que j’ai eu confiance aux Dieux dans l’adversité, autant les crains-je dans ma fortune.

440 (1666. III, f° i5). — Les loix se turenta ; la nécessité parla ; et nous y obéîmes. to

441* (2161. III, f° 354).— Choses qui n’ont pu entrer dans le Dialogue de Lysimaque. — Mes sujets sont heureux ; mais, moi, je ne le suis pas. L’État est tranquille, et ma maison est toujours troublée. Tout rit dans mon empire, et je n’ai de chagrin que dans i5 mon palais. Que sais-je les (sic) malheurs qui me seroient arrivés si Callisthène n’avoit sans cesse calmé mon âme! Étrange condition des Roix! Ils n’ont que de grandes passions ; leur force n’est que pour agir ; ils sont toujours foibles pour se défendre. ao O Callisthène! vous me faites craindre les remords, lorsqu’à peine je crains les crimes. Je frémis des horreurs dont vous m’avez sauvé.

1. N’a pu entrer dans ma Défense.

t. N’a pu entrer dans mon discours intitulé : L\simaque.

XIV. ESSAI SUR LE GOUT

442* (108. I, p. 100). — Nous devons1 à la vie champêtre que l’Homme menoit dans les premiers temps cet air riant répandu dans toute la Fable. 5 Nous lui devons ces descriptions heureuses, ces aventures naïves, ces Divinités gracieuses, ce spectacle d’un état assez différent du nôtre pour le désirer, et qui n’en est pas assez éloigné pour choquer la vraisemblance ; enfin, ce mélange de pas

1 o sions et de tranquillité. Notre imagination rit à Diane, à Pan, à Apollon, aux Nymphes, aux bois, aux prés, aux fontaines. Si les premiers hommes avoient vécu comme nous dans les villes, les poëtes n’auroient pu nous décrire que ce que nous voyons

» 5 tous les jours avec inquiétude, ou que nous sentons avec dégoût. Tout respireroit l’avarice, l’ambition et les passions qui tourmentent. Il ne seroit question que de tout le détail fatiguant de la Société. Les poëtes qui nous décrivent la vie champêtre

= 0 nous parlent de l’âge d’or, qu’ils regrettent ; c’est-àdire nous parlent d’un temps encore plus heureux et plus tranquille.

443* (109. I, p. 101). — Il n’y a guère jamais eu de a5 législateur qui, pour rendre ses loix ou sa religion

1. De plusieurs idées que j’avois, voici celles qui n’ont pu entrer dans mon ouvrage sur le Goût et les Ouvrages d’Esprit. respectables, n’ait eu recours au mystère. Les Égyptiens, qui sont les auteurs de toute sainteté, cachoient leur culte avec un très grand soin.

Il étoit défendu chez les Grecs de découvrir les cérémonies de Cérès, et les Romains regardoient 5 comme un sacrilège inexpiable d’avoir révélé les mystères de cette Divinité grecque et ceux des Divinités égyptiennes.

Il y avoit une autre espèce de mystère qui consistoit à cacher le nom de la Divinité qu’on adoroit. 10 Il étoit défendu aux Juifs, sous peine de mort, de prononcer le nom de Dieu, et il étoit défendu aux Romains, sous la même peine, de prononcer celui des Dieux de leur ville, et même le vrai nom de la Ville. .5

La raison de cette défense n’étoit pourtant pas la même pour les deux nations: une crainte religieuse l’interdisoit aux Juifs, et une crainte politique l’interdisoit aux Romains.

Les Juifs regardoient le nom comme le principal ao attribut de la chose. Aussi Dieu qui agissoit toujours conformément aux idées que ce peuple devoit avoir, eut un soin particulier d’imposer un nom aux choses à mesure qu’il les créoit, et de changer le nom des patriarches à mesure qu’ils changeoient de 25 situation et de fortune.

Mais les Romains craignoient que si les étrangers savoient le nom des Dieux de leur ville, ils ne les évoquassent et ne les privassent par là de leur secours et de leur présence. 30

Il y a une autre sorte de mystère religieux qui consiste à attribuer à de certains lieux une sainteté qui doit en exclure les profanes.

Les Chrétiens ont aussi leurs mystères, qui ne consistent pas, comme ceux des Anciens, dans de 5 certaines cérémonies cachées, mais dans une sou mission aveugle de la raison à de certaines vérités révélées.

Ce seroit ici une question : savoir si les mystères des Anciens, qui consistoient à cacher le culte, frap’o poient plus que ceux des Chrétiens, qui consistent à cacher le dogme.

Quoi qu’il en soit, toutes les religions ont eu leurs mystères, et il semble que, sans cela, il n’y auroit point de religion.

i5 444*(uo. I, p. 104).—J’avoue mon goût pour les Anciens. Cette Antiquité m’enchante, et je suis toujours porté à dire avec Pline: « C’est à- Athènes où vous allez. Respectez leurs (sic) Dieux. >

445*(1 11.1, p. 104).—J’aime à voir les querelles des = o Anciens et des Modernes : cela me fait voir qu’il y a de bons ouvrages parmi les Anciens et les Modernes.

446* (112.1, p. io5). — Il y a, dans le système des Juifs, beaucoup d’aptitude pour le sublime, parce qu’ils avoient coutume d’attribuer toutes leurs pen25 sées et toutes leurs actions à des inspirations particulières de la Divinité: ce qui leur donnoit un très grand agent. Mais, quoique Dieu y paroisse agir comme un être corporel, aussi bien que dans le système payen, cependant il ne paroît agité que de certaines passions ; ce qui ôte non seulement le gracieux mais encore la variété du sublime. Et, d’ailleurs, un agent unique ne peut donner de variété: il laisse à l’imagination un vide étonnant, 5 au lieu de ce plein que formoit un nombre innombrable de Divinités payennes.

Le système chrétien (je me sers de ce terme, tout impropre qu’il est), en nous donnant des idées plus saines de la Divinité, semble nous donner un plus 10 grand agent. Mais, comme cet agent ne permet, ni n’éprouve aucune passion, il faut nécessairement que le sublime y tombe. D’ailleurs, les mystères sont plutôt sublimes pour la raison que pour les sens, et c’est des sens et de l’imagination qu’il s’agit 15 dans les ouvrages d’esprit.

Mais ce qui achève de perdre le sublime parmi nous et nous empêche de frapper et d’être frappés, c’est cette nouvelle philosophie qui ne nous parle que de loix générales et nous ôte de l’esprit toutes ao les pensées particulières de la Divinité. Réduisant tout à la communication des mouvements, elle ne parle que d’entendement pur, d’idées claires, de raison, de principes, de conséquences. Cette philosophie, qui est descendue jusqu’à ce sexe qui ne î5 semble être fait que pour l’imagination, diminue le goût que l’on a naturellement pour la poésie. Ce seroit bien pis si quelque peuple alloit s’infatuer du système de Spinoza: car, outre qu’il n’y auroit point de sublime dans l’agent, il n’y en auroit pas Je seulement dans les actions.

447* (113. I, p. 107). — D’affreuses maladies, inconnues à nos pères, ont attaqué la Nature humaine jusque dans la source de la vie et des plaisirs1. On a vu les grandes familles d’Espagne, qui avoient échappé à tant de siècles, périr presque toutes de 5 nos jours : ravage que la guerre n’a point fait, et qui ne doit être attribué qu’à un mal trop commun pour être honteux, et qui n’est plus que funeste.

Les plaisirs et la santé sont devenus presqu’incompatibles. Les peines de l’amour, tant chantées * o par les anciens poètes, ne sont plus les rigueurs ou l’inconstance d’une maîtresse. Le temps a fait naître d’autres dangers, et l’Apollon de nos jours est moins le Dieu des vers que celui de la médecine.

448* (114.1, p. 108). — Homère n’a été théologien 1 s que pour être poëte.

449* (115.1, p. 108). — L’ouvrage divin de ce siècle, Télémaque, dans lequel Homère semble respirer, est une preuve sans réplique de l’excellence de cet ancien poëte.

a<> Je ne suis point du nombre de ceux qui regardent Homère comme le père et le maître de toutes les sciences. Cet éloge est ridicule en faveur de tout auteur ; mais il est absurde pour un poëte.

450* (116. I, p. 108). — M. de La Motte est un aS enchanteur, qui nous séduit par la force des charmes.

1. J’ai mis cela dans ma Différence des Génies. Mais il faut se défier de l’art qu’il employé. Il a porté dans la dispute ce génie divin, ces talents heureux, si connus dans ce siècle-ci, mais que la postérité connoîtra mieux encore.

Made Dacier, au contraire, a joint à tous les défauts 5 d’Homère tous ceux de son esprit, tous ceux de ses études, et j’ose même dire tous ceux de son sexe ; telle que ces prêtresses superstitieuses qui déshonoroient le Dieu qu’elles révéroient, et qui diminuoient la Religion à force d’augmenter le culte. 10

Je ne dis pas que Made Dacier ne méritât cette belle place qu’on lui a donnée dans la République des Lettres, et qu’elle semble avoir obtenue malgré le Destin même, qui l’avoit plutôt fait naître pour faire le bonheur de quelque moderne que pour la i5 gloire des Anciens. Tout le monde a senti le tour (?) et même le feu de ses traductions. Mais elle a fini sa vie dans un siècle où le souverain mérite est de penser juste, et qui, dans le temps qu’il admire une belle traduction de Ylliade, n’est pas moins frappé 20 d’un mauvais raisonnement sur Ylliade.

Ainsi l’on pourroit dire de cette guerre ce qu’on dit dans (sic) celle de Pyrrhus et des Romains: que les Épirotes n’avoient pas vaincu les Romains ; mais que le consul avoit été vaincu par le roi des 2b Épirotes.

451* (117.1, p. 110).—J’avoue qu’une des choses qui m’a le plus charmé dans les ouvrages des Anciens, c’est qu’ils attrapent en même temps le grand et le simple ; au lieu qu’il arrive presque tou- 30 jours que nos modernes, en cherchant le grand, perdent le simple, ou, en cherchant le simple, perdent le grand. Il me semble que je vois, dans les uns, de belles et vastes campagnes, avec leur sim5 plicité, et, dans les autres, les jardins d’un homme riche, avec des bosquets et des parterres.

Je vous prie de voir la plupart des ouvrages des Italiens et des Espagnols. S’ils donnent dans le grand, ils outrent la nature, au lieu de la peindre, 10 S’ils donnent dans le simple, on voit bien qu’il ne s’est pas présenté à eux, mais qu’ils l’ont recherché, et qu’ils n’ont tant d’esprit que parce qu’ils manquent de génie.

452* (1 18.1, p. m). — De tous les genres de poé

i5 sies, celui où nos modernes ont, à mon gré, égalé les Anciens, c’est le poëme dramatique. Je crois en deviner la raison. C’est que le système payen y entre pour beaucoup moins. Cette sorte d’ouvrage est de sa nature le mouvement même. Tout y est

  • o pour ainsi dire en feu. Il n’y a ni récit, ni rien d’historique, qui ait besoin de secours étranger. Tout y est action. On y voit tout ; on n’y entend rien. La présence des Dieux seroit trop choquante et trop peu vraisemblable. C’est plutôt un spectacle

^5 du cœur humain que des actions humaines. Ainsi il a moins besoin de merveilleux.

Je ne dis pourtant pas que le système payen n’y influe pour beaucoup: car très souvent l’esprit et presque toutes les idées principales ou accessoires

30 en dérivent ; témoin le commencement de la Mort T. i, ag de Pompée, où il n’entre pour acteurs ni Dieux, ni Déesses:

Le Destin se déclare, et nous venons d’apprendre Ce qu’il a décidé du beau-père et du gendre. Quand les Dieux étonnés sembloient se partager, Pharsale a décidé ce qu’ils n’osoient juger.

Et cet autre endroit où Cornélie dit, etc.

453* (119.1, p. 113). — Nos modernes sont inventeurs d’un certain genre de spectacle qui, uniquement fait pour ravir les sens et pour enchanter 10 l’imagination, a eu besoin de ces ressorts étrangers que la tragédie rejette. Dans ce spectacle fait pour être admiré, et non pour être examiné, on s’est servi si heureusement des ressorts de la Fable, ancienne et moderne, que la raison s’est indignée 0 en vain, que ceux qui ont échoué à la simple tragédie, où rien ne les aidoit à agiter le cœur, ont excellé dans ce nouveau spectacle, où tout sembloit leur servir ; et tel en a été le succès que l’esprit même y a gagné. Car tout ce que nous avons de 20 plus exquis et de plus délicat, tout ce que le cœur a de plus tendre se trouve dans les opéras de Quinaut, Fontenelle, La Motte, Danchet, Roi, etc.

454* (120. I, p. 114). — On ne voit rien de si pitoyable que les poésies de cinq ou six siècles, zb Cependant, tout devoit contribuer à nous donner de bons ouvrages. Le nombre des poètes étoit innombrable ; la noblesse faisoit profession du métier de poëte ; on faisoit fortune par la poésie auprès des dames et auprès des princes. L’Europe n’a pas pu manquer de génies. Il y avoit, d’ailleurs, de l’émulation. Cependant, on ne voit que de misérables ouvrages, faits par des gens qui n’avoient que des 5 idées prises de l’Écriture sainte1. Mais, dès que l’on commença à lire les Anciens, que l’on eût perdu un siècle à les commenter et à les traduire, on vit paroître des auteurs, et (ce qui me semble faire la gloire des Anciens) on put leur comparer les Mo10 dernes2.

455* (121.1, p. 115). — Il ne faut point entrer avec les Anciens dans un détail qu’ils ne peuvent plus soutenir, et cela est encore plus vrai à l’égard des poëtes, qui décrivent les mœurs et les coutumes, et

25 dont les beautés, même les moins fines, dépendent, la plupart, de circonstances oubliées, ou qui ne touchent plus. Ils sont comme ces palais antiques dont les marbres sont sous l’herbe ; mais qui laissent encore voir toute la grandeur et toute la magnifi

20 cence du dessin.

456* (122.1, p. 116). — Nous reprochons aux Anciens d’avoir toujours relevé la force du corps des héros. Mais, parmi nous, chez qui de nouvelles façons de combattre ont rendu vaine la force du a5 corps, nous représentons encore, dans les ouvrages

1. L’application unique de plusieurs moines à la lecture de l’Écriture a fait faire bien des mauvais ouvrages profanes. On tiroit toutes les étyraologies de l’hébreu, et on rapportoit toutes les histoires à celles des Livres saints. 2 . Voyez page 118. faits pour exciter l’admiration, les héros qui tuent tout, qui renversent tout ce qui s’oppose à leur passage. Tantôt ce sont des géants ; tantôt, des lions ; tantôt, des torrents. Et, pour montrer du merveilleux, on en revient toujours à cette force du 5 corps que nos mœurs, non pas la Nature, nous font paroître méprisable.

457*(123.1, p. 116). — Je suis porté à croire que les épithètes doivent être fréquentes dans la poésie. Elles ajoutent toujours. Ce sont les couleurs, les 10 images des objets.

Le style de Télèmaque est enchanteur, quoique chargé d’autant d’épithètes que celui d’Homère.

458* (124. I, p. 117).— Les Grecs qui insultoient un cadavre suivoient peut-être en cela la nature. i5 Une certaine politesse ou cérémonie, mal placée lorsque la Religion n’en est pas l’origine, a fait que l’on pleure de la mort de son ennemi, dont on est ravi dans l’âme : car, si cela n’étoit pas, on ne le tueroit point, etc. ao

459*(125.1, p. 117). — Je ne sais pas si les Anciens avoient de meilleurs esprits ; mais, par le changement des temps, il est arrivé que nous avons quelquefois de meilleurs ouvrages.

460* (126.1, p. 117). — Mais pour juger des beautés aS d’Homère, il faut se mettre dans le camp des Grecs, non pas dans une armée françoise.

461* (127.1, p. 118). — Nous pouvons aimer à voir la réprésentation des mœurs d’un peuple barbare, pourvu qu’on y trouve les passions qui plaisent, et qui remuent. Nous aimons à voir les mêmes pas^ 5 sions sur un fonds nouveau. Nous aimons bien mieux entendre le vizir Acomat parler de sa manière d’aimer, que Bajazet naturalisé françois.

462(128.1, p. 118). — On ne peut assez s’étonner de la lenteur1 avec laquelle les François sont venus 10 jusqu’à Venceslas et le Cid, et de la rapidité avec laquelle les Grecs ont passé du mauvais à l’excellent. Je crois que nous étions gâtés par les idées de l’Écriture sainte, qu’on vouloit toujours transporter dans les poésies (?).

i5 463(12C). I, p. 119). — Sophocle, Euripide, Eschyle, ont d’abord porté le génie d’invention au point que nous n’avons rien changé depuis aux règles qu’ils nous ont laissées ; ce qu’ils n’ont pu faire que par une connoissance parfaite de la nature et des pas

20 sions.

464 (130. I, p. 119). — Ceux qui ont une légère connoissance de l’Antiquité voyent les défauts d’Homère naître avec les temps qui l’ont suivi.

465* (13i. I, p. 119). — Ayant lu plusieurs criti25 ques2 faites de nos jours contre les Anciens, j’ai

1. Voyez page 115.

2. Voyez page 143.

admiré plusieurs de ces critiques ; mais j’ai admiré toujours les Anciens. J’ai étudié mon goût et examiné si ce n’étoit point un de ces goûts malades sur lesquels on ne doit faire aucun fond. Mais, plus j’ai examiné, plus j’ai trouvé que j’avois raison de pen- 5 ser comme j’avois senti.

466* (132. I, p. 120). — Il faudroit voir, dans la Théogonie d’Hésiode, ce qu’Homère, a ajouté au système des fables.

467* (133. I, p. 120). — Les adultères des Dieux 10 n’étoient point un signe de leur imperfection ; c’étoit un signe de leur puissance1, et on les honoroit en parlant de leurs adultères.

468* (134. I, p. 120). — Les épithètes des poëtes ne viendroient-elles pas de la superstition des 15 Payens, qui croyoient que les Dieux vouloient être appelés d’un certain nom et aimoient à être considérés sous certains attributs? Il falloit donc que les poëtes s’y accommodassent. Les Héros furent traités comme les Dieux. î0

469*(135.1, p. 121). — Il n’y a point de gens qui ayent plus besoin de ne point tomber dans le déshonneur que ceux qui se sont fait une réputation dans le monde par leur savoir, par leur esprit ou par quelque talent. Car, si, malgré ce qu’ils avoient 25

1. On pourrait donner la raison de cela, tirée de la nature de la chose. en leur faveur, leurs mauvaises qualités ont percé, s’ils ont fait revenir contre eux le public qui étoit séduit, il faut qu’elles soient bien grandes, et que le mépris qu’ils ont obtenu leur soit bien légitime5 ment dû, puisque ce n’est qu’après avoir combattu que le peuple le leur a accordé.

XV. ARSACE ET ISMÉNIE

470-476. — Choses Qui N’ont Pu Entrer Dans Mon Roman D’« Arsace Et » D’ * Isménie ».

io 470* (2025. III, f° 317 v°).—J’avois mis, faisant le caractère d’Aspar: « Son esprit étoit naturellement conciliateur, et son âme sembloit s’approcher de toutes les autres. » Cela étoit trop long, et j’ai ôté « et son âme sembloit s’approcher de toutes les autres. »

i5 471*(2026.III,f°317v°). — Quand j’étois en Médie, je ne pouvois avoir un ami, et mes sentiments généreux, au lieu d’élever les âmes, les auroient fait trembler.

472* (2027. III, f° 318). —Je suis né dans la Médie, ao et je puis compter d’illustres ayeux...

A l’âge de quinze ans, mes parents m’établirent. Deux femmes qu’ils me donnèrent me laissèrent toute mon indifférence. Je connoissois les femmes, et je ne connoissois pas l’amour.

Je le connus, cet amour, un jour qu’étant chez une de mes parentes j’y vis une jeune personne d’une beauté ravissante. Mon âme étonnée se sentit frappée pour jamais. Mes yeux languissants se fixèrent sur elle. Je ne sais point si je lui plu ; c’étoit 5 une attention que je n’étois pas en état de faire.

Elle étoit étrangère, et deux vieux eunuques étoient chargés de son éducation. J’allai à eux, et je leur demandai avec larmes Ardaside (sic) en mariage. Ils me firent cent mille difficultés. Je leur proposai 10 tout ; ils furent incorruptibles. Je croyois que je mourrois à leurs genoux ; ils me laissoient mourir.

Quel fut mon étonnement un jour que, dans une tristesse et une langueur mortelle, j’allois chez eux faire parler ma douleur et mes larmes, ils me dirent i5 froidement: « On vous donne Ardaside. Elle est à vous. Vous êtes vertueux, et vous savez aimer. » Ce qu’ils me disoient, je ne pouvois le croire ; je me fis répéter cent fois qu’ils me la donnoient ; je demandai qu’on me menât dans l’appartement d’Ardaside. ao Dieux! qu’elle étoit charmante! Je ne sus que lui dire ; je pris sa main ; je la baisai mille fois. Sa taille, son air, sa beauté, ses regards, son silence, tout me ravissoit. On dressa les actes du mariage. Je voulois tout donner ; on ne vouloit rien. J’allai au Temple ; ab je la menai dans mon appartement, et je crus emporter avec moi l’Univers.

473* (2028. III, f° 3ig).— Une femme qui venoit de la part de la reine des Scythes parut. Elle portoit en présent au Roi une toile d’un travail 30 exquis. « Roi de Bactriane, lui dit-elle, la reine des Scythes a tissu cette toile de ses belles mains. Regarde les choses qu’elle y a représentées. Ici, ce sont des Arméniens que nos Scythes ont percés de 5 leurs flèches terribles ; leurs blessures ne sont pas mortelles, puisqu’ils combattent encore. Là, tu vois un cœur percé de mille traits presque invisibles, et un enfant qui en darde sans cesse de nouveaux ; ce cœur est celui d’Isménie, et il ne guérira jamais. »

io 474# (2029. III, f° 319). — Il lui écrivit cette lettre: « Un jour l’Ormeau dit à la Vigne: « Prenez garde

» que je ne vous couvre de mon ombre. Mais unis

» sez-vous avec moi, et nous monterons ensemble

» jusqu’aux nues. >

i 5 475* (2030. III, f° 319). — Le chef de la seconde bande lui parla ainsi: « Nous formons avec toi un arbre qui a une belle tête : tu en es la tige, et nous en sommes les feuilles. Nous te couvrirons de notre ombre, et nous empêcherons le Soleil de brûler tes

10 racines, et nous monterons ensemble jusqu’aux nues. »

476*(203i. III, f° 319 v°). — Les lions ont une grande force ; mais elle leur seroit inutile si la Nature ne leur avoit pas donné des yeux.