Pensées et Fragments inédits de Montesquieu/X

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Texte établi par Le baron Gaston de Montesquieu, G. Gounouilhou, imprimeur-éditeur (IIp. 497-531).


X

RELIGION

I. Idées religieuses.— II. Paganisme.— III. Judaïsme. IV. Christianisme. — V. Mahométisme. — VI. Surnaturel.

I. IDÉES RELIGIEUSES.

2110 (825.I, p. 532). — Ce qui me prouve la nécessité d’une révélation, c’est l’insuffisance de la Religion naturelle, vu la crainte et la superstition des hommes : car, si vous aviez mis aujourd’hui les hommes dans le pur état de la Religion naturelle, demain ils tomberoient dans quelque superstition grossière.

2111 (452.I, p. 391). — Un jeune homme qui, par 1o ses raisonnements, n’est capable de prouver sa religion, ni de la détruire, se donne l’air d’en faire des railleries. Je dis qu’il se donne un air : car les railleries semblent supposer qu’il a raisonné, qu’il a examiné, qu’il a jugé ; enfin, qu’il est sûr de son fait.

2112(481. I, p. 402). — On dispute sur le Dogme, T. u. 63 et on ne pratique point la Morale. C’est qu’il est difficile de pratiquer la Morale et très aisé de disputer sur le Dogme.

2113(Sp., f° 472 v°). — Sur la Religion.— Quand je crois ce que je pense, je cours risque de me trom- ? per. Mais, quand je crois ce qu’on me dit, j’ai deux craintes : l’une, que celui qui me parle se trompe ; l’autre, qu’il ne veuille me tromper.

2114(956. II, f° 2 2).— Nous n’avons pas la Religion] de la première main, mais peut-être de la 1o dixième.

2115* (981. II, f° 28). — Prophéties. — Si elles sont obscures, on dit qu’elles ne s’appliquent pas. Si elles sont claires, on dit qu’elles ont été faites après coup.

2116*(1o1o.ii, f°37). — Dans les points peuimpor- ’* tants de controverse, querelles où la Religion se fait la guerre à elle-même.

2117* (1454. II, f»213 v°). — Dieu est comme ce monarque qui a plusieurs nations sous son empire : elles viennent toutes lui porter le tribut, et chacune 2o lui parle sa langue. (Religions diverses.)

2118 (Sp., p. 322). — L’argument de M. Pascal : « Vous gagnez tout à croire et ne gagnez rien à ne pas croire », très bon contre les athées. Mais il n’établit pas une religion plutôt qu’une autre. 35

2119(420.I, p. 38o).— Le célèbre argument de M. Pascal est bien bon pour nous donner de la crainte, non pas pour nous donner de la foi. Épicure a fait des Dieux pour n’être pas traité comme 5 Socrate. Il vouloit (disoit-il) délivrer les hommes du joug de la Religion ; mais la Religion payenne n’étoit point un joug.

2120(413.I, p. 374). — Nous voulons toujours fixer les manifestations de la puissance de Dieu. Nous la 1o fixons à une terre ; nous la fixons à un peuple, à une ville, à un temple, —Elle est partout.

2121 (877. II, f° 4). — C’est l’idée de l’unité de Dieu qui a fait recevoir si aisément la Religion chrétienne et mahométane. Quand on dit qu’il y a plu

l5 sieurs Dieux, il faut savoir ce que c’est que ces plusieurs Dieux. Quand on dit qu’il n’y en a qu’un, il suffit de savoir qu’il n’y en a qu’un : cela dit tout.

2122 (23. I, p. 17). — Les Dieux sont également 2o chargés du soin de tous les hommes ; ils ramènent

les Grands à l’égalité par les malheurs.

2123(96.I, p. 88). — Si les Dieux étoient tels qu’on nous les dépeint, ils devroient rougir de leurs caprices.

25 2124 (434.I, p. 385). — Admirable idée des Chinois, qui comparent la justice de Dieu à un filet si grand que les poissons qui se promènent croyent être en liberté ; mais réellement ils sont pris. Les pécheurs croyent, de même, qu’ils ne seront pas punis de Dieu ; mais ils sont dans le filet.

2125(629.I, f°453). — La religion qui damneroit 5 un homme pour aller à la chasse feroit que des chasseurs qui auroient, sans cela, été honnêtes gens ne prendroient plus la peine de l’être.

2126 (Sp., f ° 415 v°). — Je remarque aussi que les hommes sont naturellement portés à espérer et à 1o craindre, et je le prouve par la facilité que les religions étrangères, comme la chrétienne et celle des Indiens (qui ont toutes les deux un Enfer et un Paradis), ont trouvé à s’établir au Japon, et le zèle et l’amour avec lequel on les a reçues. 15

2127(229. I, p. 246). — Une religion qui offriroit des récompenses sûres dans l’autre vie verroit disparoître ses dévots à milliers.

2128 (1o85. II, p. 67 v°). — On auroit dû mettre l’oisiveté continuelle parmi les peines de l’Enfer ; il 2o me semble, au contraire, qu’on l’a mise parmi les joyes du Paradis.

2129(1o82.II, f 67 Vo). — Une preuve que l’irréligion a gagné, c’est que les bons mots ne sont plus 25 tirés de l’Écriture, ni du langage de la Religion : une impiété n’a plus de sel.

II. PAGANISME.

2130(417.I, p. 376). — Le Paganisme devoit nécessairement être. Mettez-moi des Mexicains ou Péruviens imbus de la Religion chrétienne cent ans sans 5 livres et sans prédicateurs, ils seront bientôt idolâtres : car nous sommes portés à fixer les idées que nous avons de grandeur, de supériorité, de merveilleux, sur quelque sujet particulier : outre que la flatterie le feroit tout de même.

1o 2131*(1544. II, f°244 v°). — Inconvénients arrivés à la Chine par l’introduction des sectes de Foë et de Lao-Chium : les guerres et les exécutions sanglantes qui en naquirent. Un empereur de la Chine fut obligé de faire mourir à la fois cent mille bonzes. Le

15 peuple chinois vivoit sous une morale, la plus parfaite et la plus pratique qu’aucun peuple qu’il y (sic) eût dans cette partie de la Terre. On l’alla entêter, lui et ses empereurs, des illusions d’un quiétisme et d’une métempsycose qui défendoit de faire mourir

2o jusqu’aux criminels mêmes et faisoit consister tous les devoirs de la Morale à nourrir des bonzes.

2132* (1561. II, f° 45o). — Toutes les religions introduites à la Chine ne sont point reçues comme religions nouvelles, mais comme suppléments à l’an25 cienne : Confucius, en laissant le culte des Esprits, a laissé une porte ouverte à ces suppléments.

2133 (Sp., f° 415 v°). — [Je remarque] que les fêtes du Japon sont plutôt civiles que sacrées, plus employées à la joye et à se visiter qu’aux exercices religieux : car ils ont une idée, qui me plaît beaucoup, que les Dieux se plaisent à voir les hommes 3 gais dans leurs jours de fêtes.

2134* (870. II, f° 2 v°). — Chez les Pédaliens, nation des Indes, il n’y avoit point d’ordre de prêtres institués, est-il dit dans le même extrait [de Lilius Gyraldus], page 76 ; mais celui qui passoit pour le plus 1o prudent immoloit les victimes. —C’étoit les quakers de ce temps-là.

2135 (729. I, p. 488). — Ces cérémonies des Égyptiens et autres peuples,. de porter en procession des membres humains ou des testicules, étoient contre 15 la pudeur ; mais elles n’étoient point absolument contre le bon sens. Des peuples qui ne croyoient point la création pensoient que la génération étoit le principe de tout, et ils adoroient cette faculté générative de la Nature, qui devoit être leur Dieu. Io Aussi mettoit-on Priape dans les jardins, comme le Dieu de la fécondité des plantes et de toute la nature.

2136*(868. II, f° 2). — Dans mon extrait du même auteur [Lilius Gyraldus], page 73, il dit que, chez les Lindiens, il y avoit de la piété à vomir des 25 exécrations contre Hercule, et on croyoit que, plus on lui disoit d’injures, plus il en étoit honoré. —Cela fait bien voir que les Payens croyoient honorer les Dieux en relevant leurs vices, soit qu’ils vinssent de la force ou de l’adresse. On a donc eu tort de critiquer Homère là-dessus, qui ne suivoit que sa théologie. L’adresse et la force sont une marque 5 de puissance, et c’est la puissance que les Payens honoroient dans leurs Dieux.

2137 (365.I, p. 354). — Les Anciens donnoient aux Dieux l’attribut principal (?) d’immortels. Ils ne disoient pas : les Dieux bons ; les Dieux puissants ; mais les Dieux immortels. C’est qu’ils regardoient cette qualité comme la qualité distinctive.

2138(416.I, p. 376). — La principale différence du système payen au nôtre, c’est que nous croyons les intelligences d’un ordre inférieur créées, et que les Payens, qui n’avoient pas d’idée de la création, les croyoient engendrées.

2139* (866. II,f°2). — Lilius Gyraldus dit que le Temple de Diane de Perse, à Castabalis, étoit fort renommé, parce que les vierges qui servoient dans ce temple marchoient nus pieds sur des charbons ardents, sans se faire aucun mal. Plusieurs auteurs disent que la même chose est arrivée sur le Mont Sorax, à une certaine famille de Hirpins, au Temple de Féronie. (Pline, Solin et Servius.) Pausanias assure ayoir vu ce miracle. — La preuve par le feu est donc bien ancienne.

2140* (869. II, f° 2 v°).— Les Arabes immoloient sur les autels du Dieu inconnu, est-il dit dans mon extrait de Lilius Gyraldus, page 73. — Les Athéniens n’étoient donc pas les seuls qui eussent une pareille Divinité.

2141* (860. II, f° 1). — Les supplications se fai- 5 soient du provenu des biens des condamnés. C’est pour cela qu’on les appeloit supplicia ; c’est pour cela aussi que les choses sacrées étoient appelées tantôt vénérables, tantôt exécrables : de bonis execrandorum. Ces confiscations se faisoient par le ministère 1o du grand-pontife, mais par ordre du consul ou du magistrat ; et il falloit, dit le même Gyraldus, que le peuple y assistât : sans cela la confiscation auroit été vaine. — Et cela nous trace encore une idée de la distinction des deux puissances chez les Romains, 15 dont j’ai parlé dans mon ouvrage1.

2142* (862. II, f° 1). — Les Romains voulurent que le nom latin de la ville de Rome fût inconnu, comme on le voit dans Plutarque, qui en cherche la raison. Gyraldus cherche quel étoit le nom du Dieu tutélaire 2o de Rome, et il croit que c’est Ops consiva. — Et c’est une grande sottise : ce n’étoit plus un nom dès que personne ne le savoit. — Pour le nom de la Ville, on l’ignore absolument, dit Gyraldus.

Chez les Hébreux, le nom de l’Ineffable n’étoit pas i3 caché, puisqu’il étoit écrit dans tous les livres. Il étoit seulement, par respect, défendu de le pronon

1. Voyez mon extrait de Lilius Gyraldus, sur ces confiscations, page 72. cer. Mais, chez les Romains, le nom étoit inconnu : c’est-à-dire, ce n’étoit pas un nom1.

2143* (863. II, f° 1 v°). — Les Romains, dit Lilius Gyraldus, évoquoient les Dieux tutélaires des villes qu’ils assiégeoient, soit qu’ils ne crussent pouvoir prendre la Ville autrement, soit qu’ils crussent que c’étoit un sacrilège de faire les Dieux captifs2.

Or, de tout cela, je conclus que les Romains et les Payens n’avoient pas cette idolâtrie grossière 1o de croire que leurs statues fussent des Dieux : car ils voyoient bien que, quoiqu’ils en eussent évoqué la Divinité, les statues restoient toujours après la prise de la Ville, et ils ne comptoient pas, sans doute, que les statues s’en allassent.

2144* (864. II, f° 1 v°). — Lilius Gyraldus (page 17) cite Festus qui dit que le simulacre de la Pudicité étoit le même que celui de la Fortune. — Est-ce que les Romains croyoient que la pudeur n’étoit pas une vertu naturelle, et qu’on ne pouvoit l’obtenir que par un effet du hasard ?

2145* (867. II, f° 2). — Barbata Venus : parce que les femmes romaines furent attaquées d’une certaine maladie qui leur fit tomber tous les cheveux. (Extrait de Lilius Gyraldus, page 54.) « Dans le temps que j’écris ceci, dit l’auteur, il court une

1. Voyez mon extrait de Lilius Gyraldus, page 73.

2. Voyez ce qui est dit sur tout ceci dans mon extrait de Lilius Gyraldus, page 73. maladie qui fait tomber le poil aux hommes et aux femmes. On dit que ce mal vient du commerce avec les femmes. »

C’est sans doute la v Il faut voir quand vivoit

Lilius Gyraldus. 5

2146* (871. II, f° 3). — Cicéron, dans son livre II4 des Loix, rapporte ce passage du Livre des Pontifes : « Sacrum commissum, qt1od neque expiari poterit, impie commissum esto ; quod expiari poterit, publici sacerdotes expianto. » Il y avoit donc chez les Payens 1o des crimes inexpiables, et c’est apparemment làdessus qu’est fondé le récit de Zosime, pour envenimer les motifs de la conversion de Constantin.

2147* (1677. III, f° 28). — Dans une conversation entre M. de Fontenelle, M. Yorke et moi, M. de Fon- 1= tenelle me demanda d’expliquer l’origine de l’idée de la pureté et de l’impureté des corps, qui portoient une souillure sur l’âme.

Voici l’explication que je donnai. •

L’origine de la pureté et de l’impureté des choses 2o vient de ce qu’il est naturel d’avoir eu de l’aversion pour les choses désagréables à nos sens. La boue, un corps mort, un chien, les mois des femmes, tout cela a dû nous paroître souiller le corps de ceux qui le touchoient. Or, dans des temps où l’on n’avoit 23 guère d’idée de la nature de l’âme et de sa distinction réelle avec le corps, distinction qui n’a été guère bien établie que depuis Descartes, on pouvoit naturellement croire que ce qui souilloit le corps souilloit aussi l’âme et mettoit l’être qui étoit touché, à une espèce d’état de péché et le rendoit désagréable à Dieu, comme la souillure nous rendoit désagréables les uns aux autres. Mais, quand l’âme a été bien 5 distinguée du corps, on a bien vu qu’il n’y avoit que le corps qui étoit souillé.

L’idée de M. de Fontenelle est différente, et elle est très ingénieuse, si elle n’est pas solide. Il dit que cela vient de ce que les meurtriers étoient ordinai rement tachés de sang ; que, dans les premiers temps où les hommes étoient habillés de peau, il falloit beaucoup laver pour effacer le sang ; que ceux qui étoient impurs, c’est-à-dire tachés de sang, étoient des meurtriers, et que les hommes s’accoutumèrent

1 5 à lier ces deux idées : du crime et de la souillure, et passèrent ainsi d’une idée à l’autre.

On parla ensuite des sacrifices, et je dis que l’idée des sacrifices venoit de ce que, Dieu étant maître de tout, on ne peut lui rien donner qu’en se privant.

M. Yorke dit que cette idée venoit des sacrifices humains ; que l’on avoit cru qu’un homme pouvoit prendre sur lui tous les péchés des autres, et qu’on avoit ensuite cru que les bêtes que l’on sacrifioit s’en chargeoient de même.

Je crois aussi que l’on a pu croire que des Divinités se plaisoient à l’odeur du sang des victimes, et de leur chair brûlée, et de leur fumée.

2148* (969. II, f° 25). — Le Paganisme étoit pour lors dans sa décadence. Fondé sur les délires des poètes, il étoit incompatible avec toute sorte de sectes de philosophie et de connoissances humaines. L’ignorance l’établit dans l’Orient et le porta chez les Grecs. Mais, comme il est impossible qu’un pays soit florissant sans qu’il y ait une infinité de gens qui, jouissant de la félicité, cherchent à cul- 5 tiver leur esprit et à acquérir des connoissances, il arriva qu’en Grèce on commença à s’attacher à la Philosophie. Les Athéniens, qui virent qu’on alloit ôter au peuple la crainte des Dieux, condamnèrent Protagoras et Diagoras, firent mourir Socrate 10 et bannirent Aristote. Plutarque nous dit que tous les physiciens étoient regardés comme athées, parce qu’en apprenant au peuple que les astres n’étoient que des corps, mus par des mouvements réguliers, ils détruisoient l’idée des Divinités que ’5 le Paganisme y avoit attachées.

Cicéron, qui, le premier, mit dans sa langue les dogmes de la philosophie des Grecs, porta un coup mortel à la religion de Rome. Elle commença à souffrir une espèce de guerre civile. On vit, dans io l’Empire, la secte de Pyrrhon douter de la Religion et celle d’Épicure la tourner en ridicule. Celles de Platon, de Socrate et d’Aristote, éclairèrent l’esprit, et celle de Zénon corrigea les mœurs.

C’est dans ces circonstances que le Christianisme 25 se répandit dans l’Empire, et je ne puis m’empêcher de faire quelques réflexions sur cet établissement, qui peut-être n’ont pas été faites par les apologistes de la Religion chrétienne.

Si la Religion chrétienne n’est pas divine, elle est 3o certainement absurde. Comment donc a-1-elle été reçue par ces philosophes qui abandonnoient le Paganisme précisément à cause de son extravagance ? Quoi ! Ces philosophes, qui soutenoient que le Paganisme étoit injurieux à la Majesté divine, 5 acceptent l’idée d’un Dieu crucifié, depuis qu’ils avoient appris aux hommes l’immutabilité, l’immensité, la spiritualité, la sagesse de Dieu ? Quelle idée révoltante que le supplice d’un Dieu ! Elle l’étoit bien plus que toutes les monstrueuses opinions du

1o Paganisme, qui ne regardoient que des êtres supérieurs à nous, mais imparfaits. Le Paganisme s’est établi parce qu’il a eu d’abord une origine raisonnable, et que son extravagance n’est venue que peu à peu. Mais, pour la Religion chrétienne, tout

15 ce qu’il y a de révoltant pour l’esprit humain, il a fallu d’abord le dire. Cérinthe et Ébion sont une preuve qu’on l’a dit. Arius, qui ne nia jamais la divinité de Jésus-Christ, mais seulement sa consubstantialité, fait voir que cette divinité étoit l’opinion

2o commune. On a donc commencé par proposer un Dieu crucifié. Mais cette idée de la Croix, qui est devenue l’objet de notre respect, n’est pas, à beaucoup près, si accablante pour nous qu’elle l’étoit pour les Romains. Il y a plus : il n’y avoit

25 pas de peuple si vil dans l’esprit des Romains que les Juifs. Tous les ouvrages sont pleins de l’ignominie dont ils les couvroient. C’est, cependant, un homme de cette nation-là qu’on leur proposa à adorer ; ce sont des Juifs qui l’annoncent, et des

3o Juifs qui se donnent pour témoins. Les Évangiles sont publiées (sic), et elles sont acceptées par les Pyrrhoniens, qui disent qu’il faut douter de tout ; par les Naturalistes, qui croyent que tout est l’effet des figures et des mouvements ; par les Épicuriens, qui se moquent de tous les miracles du Paganisme ; enfin, par le monde éclairé, par toutes les sectes * de philosophie. Si l’établissement du Christianisme chez les Romains n’étoit que dans l’ordre des choses de ce Monde, il seroit, en ce genre, l’événemeDt le plus singulier qui fût jamais arrivé.

2149(265.I, p. 278). — Il semble que les Payens ’° devoient regarder comme un plus grand crime de n’adorer qu’un Dieu, que les Chrétiens ne regardent celui d’en adorer plusieurs ; parce que celui qui en adore plusieurs ne détruit pas la divinité du vrai Dieu totalement ; mais, chez les Payens, un homme ’5 qui n’auroit adoré qu’un Dieu offensoit tous les autres.

2150 (414.I, p. 375). — Les temples des Payens étoient petits. Ils n’avoient guère de culte en commun ; chacun faisoit ses sacrifices et ses prières 2o en particulier. Point de sermons à entendre ! Peu de sacrifices communs !

2151 (438.I, p. 387). — Les Romains qui bâtirent des temples à la Pudicité patricienne et à la Pudicité plébéienne ne pouvoient croire que la pudicité a5 de leurs femmes fût une Déesse. Ils n’honoroient donc que la Providence en tant qu’elle donne aux femmes la vertu de la pudicité. — Polignac.

2152 (393.I, p. 364). — Un libertin pourroit dire que les hommes se sont joué un mauvais tour en renonçant au Paganisme, qui favorisoit les passions et donnoit à la Religion un visage riant.

5 III. JUDAÏSME.

2153* (168.I, p. 139). — tDixit insipiens in corde suo : « Non est Deus. » — Cela ne s’applique aux athées que dans un sens étendu ; cela veut dire dans le sens littéral : « Non est Jehovah ! > Il est parlé là 1o des nations qui méprisoient le Dieu d’Israël, et qui disoient qu’il étoit un Dieu imaginaire. Les Chaldéens n’étoient point sujets à l’athéisme, et il n’est parlé, en aucun endroit de l’Écriture, de cet énorme attentat.

15 2154(374.I, p. 359). — Une marque que l’intolérance est un dogme de la religion des Juifs, c’est qu’au Japon, où il y a (je crois) soixante-dix sectes, il n’y a aucune dispute entre elles sur la prééminence ; quoique le Deiro (sic) soit le chef

2o d’une secte et considéré par l’Empereur plus que le Pape ne l’est par nos roix.

Je ne sache pas qu’il y ait des disputes à la Chine entre les sectes différentes1. Il y en a bien contre les Chrétiens : car nous commençons par dire :

25 « Toutes religions sont mauvaises, excepté la nôtre. »

1. *Le père Du Halde rapporte l’ouvrage d’un lettré contre les sectateurs de FoS.

2155 (560. I, F 438). — Ce que c’est que l’enthousiasme ! Pendant que les Juifs furent guidés par là, ils détruisirent avec une poignée de monde toutes les armées syriennes. Mais, lorsqu’après des succès si éclatants, ils se furent rendus maîtres de Jéru- 5 salem et eurent formé une principauté et donné la souveraineté à Simon, sous Hyrcan, son successeur, Antiochus Sidétès, beaucoup plus foible que ses prédécesseurs, s’empara de la Judée, assiégea Jérusalem, fut sur le point de la prendre, et on fut 1o obligé de lui payer un tribut et de lui donner 5oo talents. C’est que, pour lors, on ne défendoit plus que les intérêts du Prince.

2156(558.I, f°437 v°). — Les Juifs, par leur seul enthousiasme, se défendirent mieux contre les 15 Romains, que tous les autres peuples qui furent engloutis dans cet empire (sic).

2157* (1564. II, f° 451 v°). — Deutéronome, chap. xxv1n.— t Reducet te Dominus classibus in Egyp

tum ; ibi venderis inimicis tuis in servos s nos et 2o

ancillas, et non erit qui emât. » — Effectivement les Romains ne se soucioient pas beaucoup des Juifs pour esclaves, dit Égésippe. Ainsi, après la prise de Jérusalem, beaucoup à vendre, peu d’acheteurs. Josèphe dit qu’il en mourut 12,000 de faim pendant i5 qu’on séparoit ceux qui travailloient aux travaux publics, d’avec ceux qui devoient être vendus.

Il est impossible de présenter aux yeux des menaces et des promesses plus frappantes que celles du Législateur, à moins d’employer celles de l’autre vie. — Voyez le chap. xxvm du Deutéronome, sur la fin.

2158* (2o51. III, f° 340). — Vous voyez, dans Pro3 cope (Guerre des Goths, livre Ier), le zèle et l’amour avec lequel les Juifs défendirent Naples pour les Goths contre Bélisaire. Vous voyez, dans les Lettres de Cassiodore, avec quelle équité Théodoric les traite. On voit, dans la vie du roi Bambai et dans

1o les histoires qui concernent la Narbonnaise (que l’on appeloit Judœorum Prostibulum), combien les Juifs avoient été accrédités chez les premiers roix visigoths. Tous les Goths étoient ariens. Or, par la nature du dogme capital, les Juifs ne devoient pas

15 avoir un si grand éloignement pour les Ariens que pour les Catholiques, et, de même, les Ariens pouvoient mieux tolérer les Juifs que les Catholiques.

2159 (913. II, f° 13). — Les Juifs sont à présent sauvés : la superstition ne reviendra plus, et on ne

2o les exterminera plus par principe de conscience.

2160 (266. I, p. 278). — Il faudroit faire une ville juive sur la frontière d’Espagne, dans un lieu propre pour le commerce, comme à Saint-Jean-de-Luz ou à Ciboure. Ils y passeroient en foule et achèveroient

25 de porter toutes les richesses qu’ils ont, dans ce royaume. Leur donner seulement les mêmes privilèges qu’ils ont à Ligourne, ou même plus, si on vouloit.

2161 (2148. III, f° 352). — La Religion juive est bien ancienne ; elle n’est plus à la mode.

IV. CHRISTIANISME.

2162(92. I, p. 85). — Les premiers Pères, dans leurs apologies, ont moins prouvé le Christianisme 5 que détruit le Paganisme, et ils ont bien fait de s’y prendre ainsi, rien n’étant plus propre à faire embrasser une religion nouvelle que la connoissance de l’absurdité de l’ancienne : car la plupart des hommes, ne voulant pas vivre sans religion, 1o reviennent à celle qui reste.

Deux autres choses rendirent l’établissement du Christianisme solide : la longueur du règne de Constantin ; la brièveté de celui de Julien.

Les Payens étoient peu propres à contester les ô miracles de l’Écriture : les miracles des Platoniciens étoient sans nombre, et presque toutes les sectes des philosophes étoient tournées vers la crédulité la plus puérile.

Il est vrai que les apologies des Chrétiens 1o n’étoient guère vues des Payens. Les termes méprisants dont ils se servoient quand ils parloient d’eux auroient été bien imprudents si leurs ouvrages avoient été vus des Payens. Les apologies des Chrétiens étoient faites pour les persuader eux- i5 mêmes.

Eusèbe, dans sa Démonstration évangélique, est (à ce qui me paroît) le premier qui ait mis le système de notre religion dans tout son jour.

2163* (876. II, f» 4). — Les nouveaux Chrétiens, nourris dans l’idolâtrie, avoient l’esprit encore

5 rempli ou des Dieux qui avoient quitté le Ciel pour venir vivre parmi les hommes, comme Apollon, Neptune, etc., ou des hommes qui avoient été élevés au rang des Dieux. C’est ce qui facilita l’établissement de la vérité du mystère de la Trinité.

’o Mais on ne s’en tint pas aux vérités. A mesure que le Christianisme se dépouilloit des superstitions juives, il se chargeoit des payennes, de la même manière que les liqueurs perdent l’odeur qu’elles avoient contractée dans le vase où elles ne sont

15 plus, pour prendre celle du vase où elles sont. Si la Religion s’établit jamais à la Chine, la Religion chrétienne orientale sera bien différente de l’occidentale.

2164*(148.I, p. 13o). — « Obediteprincipibtts etiant 2o dyscolisl » Et certainement un Chrétien qui se sera révolté contre un Empereur, parce qu’il aura été idolâtre, faisoit mal, parce que la constitution de l’État étoit que l’empire devoit être entre les mains des princes idolâtres.

25 2165* (1457. II, f°214). — Je trouve dans Tertullien le dogme de l’obéissance passive. «Jésus-Christ nous dit, dit-il : « Ne jugez point les autres, afin que »vous ne soyez pas jugés. » Or, qui est celui qui ne juge point un autre, si ce n’est celui qui est assez patient pour ne pas se défendre ? »

2166*(1 562. II, f°45o). — Tant de gens qui ont pris à la lettre les déclamations des Pères se sont imaginé que toute l’attention des Empereurs avoit 5 été occupée à empêcher les progrès de la Religion chrétienne. C’étoit la moindre de leurs affaires ; à peine y pensoient-ils. On a beau parler du crédit des prêtres payens ; ce crédit étoit très petit de luimême, et les ouvrages de Lucien sont une preuve 1o que les philosophes les avoient décriés d’une façon à ne pouvoir jamais se relever. La plupart des persécutions étoient occasionnées par des accidents particuliers, et il en devoit beaucoup arriver dans un empire où régnèrent tant de tyrans. Nos écri- 15 vains ont ramassé tous les faits et ont fait un corps d’histoire de toutes les souffrances des leurs. Mais il est toujours vrai de dire que, dans un État où une partie étoit sans cesse proscrite par une partie, où la soif de l’or, de la vengeance et du sang, faisoit 2o qu’on ne cherchoit la plupart du temps que des coupables, la Religion ne fut souvent plutôt le prétexte que la cause de tant de meurtres.

Je sais bien que les premiers Chrétiens ne défendirent point leur cause propre ; qu’ils rendirent 25 témoignage non pas de leur innocence, mais de leur foi. Mais je dis que les Empereurs n’avoient point de zèle pour leur religion ; que la plupart étoient des monstres, qui n’avoient aucun plan ; que Néron ne voulut que rejeter sur eux ses crimes et sa folie, 3o et que Dioclétien même ne les persécuta d’abord que comme criminels d’État ; que Dèce ne les persécuta que comme ayant été attachés à Philippe, et Licinius, comme trop attachés à Constantin, et peut5 être, de même, Valère et Maximin, que par jalousie de Constantin. Et ce fut une occasion aux gouverneurs de faire mille injustices et d’écouter mille délations.

2167 (2072. III, f° 343). — Les premiers Chrétiens, 1o dans l’Empire romain, paroissoient aussi extraordinaires que les quakers, aujourd’hui.

2168* (204.I, p. 198). — Constantin fit une faute en consentant que la juridiction ecclésiastique que les Chrétiens avoient établie entre eux du temps 15 des Empereurs payens fût autorisée.

Les Chrétiens ne pouvoient guère aller plaider devant les Payens pour leurs procès : car ils auroient donné mauvaise idée de la charité qui étoit parmi eux.

»o 2169(443.I, p. 38g). — Constantin parla au concile de Nicée pour la divinité de Jésus-Christ : cet empereur étoit comme les Juifs, qui vouloient avoir un roi, comme les Nations ; lui, il vouloit avoir un Dieu, comme les Nations. Lorsqu’il fut question de déclarer si la Vierge étoit mère de Dieu, le peuple

25 d’Éphèse s’empressa en faveur de cette déclaration : cela lui faisoit plus de plaisir. Les vérités divines ont toujours trouvé dans les esprits comme des semences qui les faisoient germer et portaient à les croire.

2170 (1 108. II, f° 74 v°). — Les théologiens font un chapitre : De Simplicitate Dei ; et, en tournant la page, on voit le titre : De Deo uno et trino. —J’ai 5 ouï faire cette réflexion à M. Coste.

2171 (478.I, p. 401).—Je disois, sur les horreurs et les tyrannies des Empereurs romains, turcs et des Perses’, qu’il est admirable que la Religion chrétienne, qui n’est faite que pour nous rendre heureux 10 dans l’autre vie, nous rende encore heureux dans celle-ci. Un roi ne craint plus que son frère lui enlève sa couronne : le frère n’en a point la pensée. Cela vient de ce que les sujets en général sont devenus plus obéissants, et les princes, moins cruels. 15

2172(551.I, f°436). — Bien que la Religion chrétienne n’ait pas fait beaucoup de princes vertueux, elle a néanmoins adouci la Nature humaine : elle a fait disparoître les Tibère, les Caligula, les Néron, les Domitien, les Commode et les Héliogabale. »°

2173 (Sp., f° 410). — Une preuve que le Christianisme ne nous a point beaucoup corrigés, en général, c’est que nous admirons encore les paroles et les sentences des Anciens qui font la peinture des vices. Il faut donc que cette peinture soit vraye, rf

1. J’ai mis cela dans le Journal. puisque nous la sentons. Nous n’avons donc pas changé ; mais ce sont quelques particuliers que le Christianisme a changés, et non pas la masse.

2174 (847.I, p. 541). — On peut juger par la sou5 mission que l’on a naturellement pour son confesseur, combien il a été facile d’aller à la soumission pour le Pape.

2175(437.I, p. 387). — Il suffisent de condamner Calvin parce que ses principes détruisent la liberté,

10 de condamner Pélage parce que les siens détruisent la grâce, sans aller chercher grâces suffisantes, ni congrues, pour expliquer le comment. Il suffit de dire : « Il est certain par l’Écriture que Dieu me fait des commandements. Je suis donc libre : car il

15 seroit dérisoire qu’il me fît des commandements si je ne Tétois pas. » — Polignac.

2176(2096. III, f° 348). — Un Chrétien est ordinairement celui qui sait l’histoire de sa secte (un Catholique, un Calviniste, un Luthérien) ; mais non celui 20 qui observe les préceptes de sa secte. C’est comme on est espagnol ou françois : on est d’une patrie ; mais on ne sait point préférer le bien de cette patrie au sien.

2177(2218. III, f° 464’vo). —Le Protestant et le 15 Catholique pensent de la même manière sur l’Eucharistie ; il n’y a qu’à ne pas se demander l’un à l’autre comment Jésus-Christ y est.

2178* (144.I, p. 129). — On objecte contre la constance des martyrs ce qui est arrivé aux Juifs pendant qu’ils étoient dans la prospérité. Chaque bonheur amenoit avec soi une chute. Mais, depuis qu’ils ont été les plus misérables peuples de l’Univers, ils ont 3 été aussi fermes qu’ils ont été inconstants.

Progrès du Luthéranisme et du Calvinisme malgré l’Inquisition.

2179 (602.I, f° 447 v°). — Dans les premiers temps, on n’entendoit par hérétique que celui qui avoit une 1o opinion particulière. Mais, dans l’amertume des disputes, le mot d’hérétique signifia tout ce que la Terre a de plus horrible, et l’Enfer, de plus monstrueux.] ;Mais, depuis que, par l’établissement du Luthéranisme et du Calvinisme, ces religions ont 15 été tolérées dans des pays et ont toléré dans d’autres, on s’est contenté de se haïr beaucoup, sans se haïr jusqu’à l’extravagance.

2180 (515.I, p. 419). — On met au docteur Luther l’époque de la Réformation. Il falloit bien qu’elle 2o vînt. Si ce n’avoit pas été Luther, ç’auroit été un autre. Les sciences et les lettres apportées de Grèce avoient déjà ouvert les yeux sur les abus. Il falloit bien qu’une cause pareille produisît quelque effet. Témoin de cela : c’est que les conciles de Constance i5 et de Bâle avoient introduit une espèce de réformation.

2181(917. II, f° 14). — Luther, ayant pour lui les Princes, ne pouvoit leur faire goûter une autorité qui n’auroit point de prééminences extérieures, et Calvin, ayant pour lui des peuples obscurcis dans la monarchie ou des peuples vivant dans des répu bliques, ne pouvoit guère établir des dignités et des prééminences dans la Religion.

C’est que le Luthéranisme s’étoit établi par les roix du Nord, et le Calvinisme, dans les États populaires et dans ceux où de certaines gens cherchoient à le devenir1.

Chacune de ces deux religions se croyoient (sic) la plus parfaite : la calviniste se jugeant plus conforme à ce que Jésus-Christ avoit dit, et la luthérienne, à ce que les Apôtres avoient fait.

Les disputes sur la Religion firent que le gouvernement ne fut plus une constitution pour vivre selon les loix, mais une conjuration de ceux qui pensèrent d’une façon, contre ceux qui pensoient d’une autre : sorte de mal que nous devons à nos temps modernes, et dont les politiques anciens ne nous parlent pas.

2182* (881. II, f° 4 v°). — «Je suis d’une secte» qui ne prend de part aux diverses calamités des hommes que par la tendre compassion qu’elle en a, et par sa i5 patience. Dans les temps malheureux qui agitoient notre île, elle savoit s’affliger et jamais se plaindre. « Comme elle peut souffrir les maux, elle sait jouir des biens, et le sentiment qu’elle a du bonheur

1. *Mis dans les Loix.

2. Je faisois parler un quaker au roi d’Angleterre. qu’elle possède sous le règne de Votre Majesté ne peut être séparé d’un sentiment de recqnnoissance envers celui qui conduit le cœur des Roix. >

2183 (519.I, p. 420). — Je disois : « La Religion catholique détruira la Religion protestante, et, ensuite, 5 les Catholiques deviendront Protestants. »

2184(421.I, p. 38o). — N’est-il pas vrai que l’auteur de la nature regarde d’un autre œil Denys-leTyran, qui pille les temples, et Antonin et Trajan, ces princes pieux et si zélés pour le Paganisme ? 1o Donc, quand la Religion chrétienne seroit fausse, il faudroit la garder, parce que nous plairons plus à la Divinité que si nous la violions.

V. MAHOMÉTISME.

2185* (778. I, p. 507). — La tradition mahométane ’3 contenant la raison pour laquelle Mahomet défendit l’usage du vin n’est pas plus vraye que n’ont coutume d’être les autres traditions populaires. Diodore, sur les affaires de Démétrius, dit que les Arabes buvoient de l’eau de tout temps ; et, du temps de 3o Niger, les Romains, vaincus par les Arabes, disant : « Nous n’avons point de vin ; nous ne pouvons pas combattre ; — Erubescite, inquit Imperator, qui vos vincunt aquam bibunt. > — Il faut examiner cela dans Diodore. >

2186 (2157. III, f° 353). — Les Mahométans ont tous les jours devant les yeux des exemples d’événements si inattendus, de faits si extraordinaires, d’effets du pouvoir arbitraire, qu’ils doivent être naturellement 5 portés à croire la doctrine d’un Destin rigide, qui conduit tout1. Dans nos climats, où le pouvoir est modéré, nos actions sont ordinairement soumises aux règles de la prudence, et notre bonne ou notre mauvaise fortune est ordinairement l’effet de notre

1o sagesse. Nous n’avons donc pas la pensée d’une fatalité aveugle. Dans les romans d’Orient, vous voyez les hommes incessamment conduits par cette fatalité aveugle et ce destin rigide.

« Les Persans, est-il dit dans une note des Mille

15 et un Jour (tome II, page 18), faite par M. Pétis de La Croix, croyent que tout ce qui doit arriver jusqu’à la fin du Monde est écrit sur une table de lumière, appelée louh, avec une plume de feu, appelée calamazer, et l’écriture qui est dessus se nomme caza

1o ou cadar, c’est-à-dire la prédestination inévitable2. »

’2187(948. II,f°2ov°). — Les califes Abassides ayant voulu rétablir le Temple avec plus de magnificence, les Docteurs répondirent (est-il dit dans la Vie de Mahomet, par Boulainvilliers) que celui qui avoit 25 établi le Temple en ce lieu l’avoit laissé plusieurs siècles dans sa pauvreté naturelle ; que l’or et les pierres sont également les créatures du même souverain.

1. ’Mis dans le roman.

2. Bon pour mettre dans ma préface.

Je dis que c’est la première fois que les ecclésiastiques ont refusé de l’argent. C’est le fait le plus singulier de l’histoire.

2188(559.I, f° 437 Vo). — Le titre d’unitaire, que les Califes donnèrent à leurs soldats, servit beau- b coup à augmenter leur zèle.

2189 (723. I, p. 486). — Ce furent les Mahométans (Maures d’Espagne) qui portèrent les sciences en Occident. Depuis ce temps-là, ils n’ont jamais voulu reprendre ce qu’ils nous avoient donné. 1o

Sous le vingt-septième (sic) calife, Al Mamoun, les Arabes commencèrent à étudier les livres grecs et fondèrent plusieurs académies en Afrique1.

2190 (83.I, p. 77). — L’affolement avec lequel les Mahométans voyent les courtisanes et les danseuses 15 fait bien voir que le sérieux du mariage les ennuye.

VI. SURNATUREL.

2191* (22.I, p. 16). — L’idée des faux miracles vient de notre orgueil, qui nous fait croire que nous sommes un objet assez important pour que l’Être 1o suprême renverse pour nous toute la nature ; qui nous fait regarder notre nation, notre ville ou notre

1. *Je crois que la destruction du califat a détruit les sciences chez les Mahométans. armée, comme plus chère à la Divinité. Ainsi nous voulons que Dieu soit un être partial, qui se déclare sans cesse pour une créature contre l’autre et se plaît à cette espèce de guerre. Nous voulons qu’il 5 entre dans nos querelles aussi vivement que nous, et qu’il fasse, à tous moments, des choses dont la plus petite mettroit toute la nature en engourdissement. Si Josué, qui vouloit poursuivre les fuyards, eût demandé que Dieu arrêtât réellement le Soleil, 1o il auroit demandé d’être anéanti lui-même : car, si le Soleil s’arrête réellement1, et non pas de la manière dont on l’explique, il n’y a plus de mouvement, plus de tourbillon, plus de Soleil, plus de Terre, plus d’hommes, plus de Juifs, plus de Josué.

15 2192(46.I, p. 52). — Il ne faut pas s’étonner que toutes les religions fausses ayent toujours eu quelque chose de puéril ou d’absurde. Il y a cette différence entre les religions et les sciences humaines que les religions viennent du peuple de la première main et

2o passent de là aux gens éclairés, qui les rédigent en système ; au lieu que les sciences naissent chez les gens éclairés, d’où elles se peuvent répandre dans le peuple.

2193 (54. I, p. 57). — L’entêtement pour l’astro logie est une orgueilleuse extravagance. Nous

croyons que nos actions sont assez importantes

pour mériter d’être écrites dans le grand-livre du

1. Cet exemple est mal cité : car on ne peut guère entendre là l’Écriture qu’à la lettre. Ciel. Et il n’y a pas jusqu’au plus misérable artisan qui ne croye que les corps immenses et lumineux qui roulent sur sa tête ne sont faits que pour annoncer à l’Univers l’heure où il sortira de sa boutique (ou bien : que, dans une heure, il sortira de sa 5 boutique).

2194(227. I, p. 246).— Consécration des crocodiles en Égypte. — Défense de naviger (sic) sur les fleuves en Perse. — Destruction des maisons touchées par un Infidèle dans quelques endroits des Indes. 1o

2195 (694.I, p. 476). — Les Romains faisoient graver sur leurs anneaux des figures qu’ils croyoient avoir de certaines vertus particulières. S’ils vouloient se faire aimer, ils y mettoient les Grâces ; une Gorgone, s’ils vouloient se faire craindre. Pour 15 se mettre à l’abri des accidents, ils portoient la figure de l’Empereur. Ainsi ils prenoient un des grands exemples qu’il y ait eu sur la Terre de l’inconstance de la Fortune, comme un type ou même une cause de son immutabilité1. 1o

2196 (644. I, f° 456 v°). — Le célèbre auteur du Tableau-jie l’Inconstance des Démons et des Sorciers, qui fait veiller un homme qui disoit qu’il avoit été au Sabbat et n’avoit pas bougé de son lit ! Il dit que

le Diable avoit mis un corps fantastique à sa place. 25 La force du préjugé empêchoit ce juge de se rendre

1. Voyez ce que j’ai mis dans mes relations sur l’Italie. à la seule preuve que ces accusés pouvoient avoir de leur innocence.

2197 (516. I, p. 419). — Dans une petite vie de saint Jean-Népomucène, écrite dans un livre bleu, 5 il est dit qu’une dame ayant méprisé le culte de ce saint il s’en vengea en ce qu’au sortir de l’Église un vent s’éleva, qui ne fit d’effet que sur cette dame ; que ce vent fit lever ses jupes, de façon qu’elle montra son c à toute l’assemblée.

2198(293.I, p. 313). — J’ai ouï dire que, dans l’histoire des possédées de Loudun, on trouve un diable très fin. Poussé par la force des exorcismes, il se réfugioit d’une partie à l’autre, alloit de la faculté concupiscible à la faculté irascible. Enfin, ne sachant où aller, il alla et sauta dans la bouche de l’exorciste, qui étoit un Jésuite, qui décrit le ravage que ce diable-là faisoit dans son corps, ravage effroyable, mais que son âme étoit toujours dans une tranquillité, d’où, comme dans un port, elle voyoit les ravages de ses sens.

2199 (822.I, p. 53o). — La Vie de Marie Alacoque a cela de particulièrement impertinent que c’est un homme de sang-froid, lequel est supposé avoir du sens, puisqu’il étoit évêque, qui rapporte les plus 25 grandes niaiseries du Monde : apparitions, conversations, mariages, trocs de cœurs et autres fadaises ; au lieu que sainte Thérèse, Madeleine de Pazzi et autres parlent de ce qu’elles ont vu, de ce qu’elles ont senti : ce sont leurs extases propres, leurs ravissements. Or, on pardonne à quelqu’un de décrire les choses qui l’ont affecté ; mais on ne pardonne pas cela à un froid conteur.

2200(263.I, p. 273). — Un couvent de moines placé 3 à Bagnères ou Barèges feroit bien ses affaires dans un temps d’ignorance de la Physique et de la Religion. Quelles sources de richesses ! D’ailleurs quelle vertu que celle jointe à la puissance de la Nature et celle de la confiance ? 1o

2201 (836.I, p. 535). — Ce que M. Van Dale dit de la friponnerie des prêtres sur les oracles ne me paroît nullement prouvé. Il y a grande apparence qu’ils étoient déçus eux-mêmes. J’en juge par le miracle du sang de saint Janvier, que je puis prouver 15 n’être point une fourberie. Les prêtres sont de bonne foi ; Naples est dans la bonne foi ; et cela ne peut pas être autrement. En fait de crédulité générale et successive, il faut que les ministres soyent trompés. Ce que dit M. Schot du trépied de Delphes, »o qui parloit par le vent qui sortoit de la montagne, et entroit dans le creux de cette machine, et étoit apparemment augmenté ou diminué par quelque ressort caché, ne me paroît pas probable, à moins que la prêtresse ne fût elle-même trompée (c’est *5 dans le Journal littéraire de novembre et décembre 1714). Il pou voit arriver naturellement que la prêtresse, dans sa fureur, fût séduite elle-même par la persuasion des présents qu’on avoit faits au temple, ou par l’inclination à la flatterie, ou enfin se prévenant elle-même pour un homme plutôt que pour un autre. Mais que cela pût être fabriqué par friponnerie, cela ne se peut dans aucun siècle. Il peut bien y avoir un premier fripon ; mais une succession continuelle et secrète de fripons, sous ombre de religion, cela ne se peut ou n’est pas vraisemblable.

Nota : M. Hickman explique la fiole du sang de saint Janvier par de l’huile d’anis bien rectifiée, mêlée avec (je crois) de bon esprit de vitriol bien rectifié ; ce qui la rend si susceptible des changements du chaud et du froid, que l’attouchement suffit. Or, cela fut regardé comme miraculeux avant l’invention des thermomètres, et l’on crut que cela étoit

15 sang, parce que cela étoit rouge.

Il y a contre moi l’histoire du Livre de Daniel, de la fourberie des prêtres de Darius Medus. Je ne sais si elle se trouve dans un livre canonique. Sans cela, elle auroit bien l’air d’une histoire faite à plaisir ; et on voit, par le peu de succès de ces prêtres, combien il étoit aisé de les convaincre : en un mot, c’est un fait singulier. Mais les hommes sont plus aisément dupes qu’imposteurs ; surtout lorsqu’il faut un grand nombre de gens pour cela. La raison est que le nombre des complices nuit pour l’imposture ; mais le grand nombre de complices sert pour la prévention et la crédulité, et la favorise.

2202 (1648. III, f° 7 v°). — Milord Bath m’a dit que, dans la guerre que faisoient le duc de Marlbo3o rough et le prince Eugène en Flandre, un joueur, qui devint fou et dévot, pensa qu’il ne pouvoit jouer que contre Jésus-Christ. Il perdit contre Jésus-Christ 10,000 florins et, voulant payer, alla trouver les Jésuites, qui lui dirent qu’étant de la Compagnie de Jésus ils recevroient l’argent. Il le compta, prit sa b quittance, et s’en fut. Quinze jours après, il revint et dit qu’il avoit rejoué et avoit gagné à JésusChrist 20,000 florins. Les Jésuites ne voulurent pas payer. Procès, et, par le crédit des généraux, les Jésuites furent obligés de rendre ce qu’ils avoient reçu. 1o

2203 (1224. II, f° 95 v»). — M. de Fontenelle me disoit qu’il croyoit que les prédictions tirées des entrailles des victimes venoient de ce que les peuples allant en colonies, voulant s’arrêter en un lieu, examinoient auparavant les entrailles des ani- 15 maux pour voir si l’air et le terroir étoient sains, et que, de là, on a pu facilement passer à regarder un certain état d’entrailles, ou un autre, comme un bon ou comme un mauvais présage. Idem, du vol des oiseaux. Quand ils venoient d’un endroit à un autre, 1o on conjecturoit que c’étoit pour chercher à se nourrir, et, par conséquent, que ce lieu étoit meilleur que ceux d’où ils venoient. De là, le bon augure suivoit naturellement. — Je dis : « Il y a encore une autre cause pour l’égorgement des victimes : les 35 nations guerrières (et c’est le plus grand nombre) ont dû imaginer un Dieu qui leur ressembloit, qui se plaisoit dans le sang, qui étoit cruel comme elles, qui demandoit le sang des victimes, qui demandoit le sang des ennemis, le sang des citoyens, etc. »

2204*(1676. III, f° 27).—Je disois qu’il étoit très naturel de croire qu’il y avoit des intelligences supérieures à nous : car, en supposant la chaîne des créatures que nous connoissons, et les différents 5 degrés d’intelligence, depuis l’huître jusqu’à nous, si nous faisions le dernier chaînon, cela seroit la chose la plus extraordinaire, et il y auroit toujours à parier 2, 3, 400 mille ou millions contre un, que cela ne seroit pas, et que, parmi les créatures, ce fût nous qui eussions la première place, et que nous fussions la fin du chaînon, et qu’il n’y a point d’être intermédiaire entre nous et l’huître, qui ne pût raisonner comme nous. Il est vrai que nous sommes les premiers parmi les êtres que nous connoissons. Mais, quand nous en concluons que nous sommes les premiers des êtres, nous triomphons de notre ignorance, et de ce que nous ne connoissons pas la communication de notre globe à un autre, ni même tout ce qui existe dans notre globe.

M. de Fontenelle a là-dessus une très jolie idée. Il dit qu’il peut être que les intelligences qui ont donné occasion à toutes les histoires de communication avec les êtres inconnus ne peuvent pas vivre longtemps dans notre globe, et qu’il en est comme des plongeurs qui peuvent aller dans la mer et ne peuvent pas vivre dans la mer. Ainsi la communication avec les Esprits aériens, par exemple, aura été courte ; elle aura été rare ; mais elle aura été faite quelquefois.