Perinaïk. Une Bretonne compagne de Jeanne d’Arc. Étude historique, par M. W. Pascal-Estienne (Lefèvre-Pontalis)

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Perinaïk. Une Bretonne compagne de Jeanne d’Arc. Étude historique, par M. W. Pascal-Estienne (Lefèvre-Pontalis)
Bibliothèque de l’École des chartestome 56 (p. 168-171).
Perinaïk. Une Bretonne compagne de Jeanne d’Arc. Étude historique, par M. W. Pascal-Estienne, avec préface de Lionel Bonnemère. 2e édition, revue, corrigée et augmentée. Paris, Chamuel, 1893. In-16, IX-168 pages.


Il n’y a pas à le nier, il existe une « question » de Perrinaïc, ou plus véridiquement de Pierronne de Bretagne, autour de laquelle, depuis quelque temps, se dépense beaucoup de zèle et contre qui s’exerce une polémique excessive peut-être, aux yeux des spectateurs impartiaux du débat.

Les initiés savent, mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler, si brièvement que ce soit, qu’il s’agit d’une femme de Bretagne, du nom constaté de « Pierrone[1] », dont les textes signalent la présence et les dévotions religieuses à Jargeau, auprès de Jeanne d’Arc, en compagnie du célèbre frère Richard, le 25 décembre 1429, trois mois après la fin de la campagne du Sacre, puis mentionnent la capture à Corbeil, par le gouvernement anglo-bourguignon, au moment même où la Pucelle reparaissait aux environs de la capitale, vers les derniers jours de mars ou le début d’avril 1430, enfin relatent le procès, le témoignage en faveur de Jeanne d’Arc prisonnière, la condamnation au bûcher et l’exécution à Paris, le 3 septembre suivant[2]. Une œuvre récente, où M. N. Quellien, en compatriote et en héritier de Brizeux[3], entreprenait, sans nulle prétention érudite, de restaurer le souvenir oublié de l’humble Bretonne[4], avait ouvert à ce sujet, en 1892[5], une discussion continuée depuis[6], et dont les diverses et multiples manifestations échappent de plus en plus au domaine de la critique. L’étude qui donne lieu à cette présente analyse exige cependant, par son apparence au moins, un examen et une vérification sommaires.

On ne voit malheureusement pas le droit que l’auteur peut invoquer à prendre la parole en un pareil débat, ni l’appoint utile que ce travail doit ajouter aux indiscutables mais trop courtes notions que l’histoire possède sur le personnage énigmatique de Pierronne de Bretagne.

Cette étude, qui se présente, non pas comme œuvre d’imagination, dont l’appréciation intrinsèque cesserait de relever du domaine de l’érudition, mais bien comme démonstration historique appuyée de références et de preuves, offre en effet le tort fondamental de citer et de présenter, comme événements vérifiés, des images et des fictions tirées de l’œuvre délicate à laquelle il vient d’être fait allusion, et dont le poète même qui les créa prenait soin de laisser voir l’origine et la portée. C’est ainsi qu’entre autres, tout le récit de la vie de Pierronne, jusqu’à la constatation de sa présence à Jargeau, le jour de Noël de l’an 1429 (chap. II, p. 31-40), récit qui pourrait faire croire à quelques documents nouveaux récemment acquis à la critique, ne repose à proprement parler sur rien. Il en est absolument de même de tout ce qui est dit au sujet de la statue de la forêt de Coat-an-Nos en Bretagne[7], soi-disant consacrée au souvenir de Pierronne (chap. VIII, p. 151-154). Une gracieuse et manifeste rêverie littéraire ne peut autoriser un historien à affirmer, surtout en termes d’une précision vraiment abusive, l’existence d’un monument d’une aussi imaginaire et déroutante iconographie[8].

Également invraisemblable est l’interprétation, toute personnelle d’ailleurs, décernée à deux témoignages archéologiques sur la signification desquels s’étend un commentaire par trop hasardé. — On connaît le portail du transept méridional de Notre-Dame de Paris, qui regarde la Seine, édifié en 1257 par l’architecte Jean de Chelles (pourquoi l’appeler Jean de Sceaux, p. 133, n. 2 ?), ainsi que l’établit l’inscription célèbre gravée sur le soubassement. Or, dans les sculptures des quatre médaillons du côté gauche, dont l’identification exacte, il faut le reconnaître, peut prêter à diverses conjectures, l’auteur veut nettement distinguer quatre scènes se rapportant au supplice historique et à la réhabilitation gratuitement supposée de Pierronne (chap. VI, p. 129-142). Le portail où sont tracées ces sculptures, sans aucune hypothèse possible de raccord ou d’incrustation postérieure, datant de 1257, on peut estimer que toute discussion, même élémentaire, sur ce point, cesserait de demeurer sérieuse[9]. — Il en est de même pour la médaille en plomb, attribuée jusqu’ici, avec une autre, malgré certaines hésitations, au souvenir de Jeanne d’Arc[10], et dont cette nouvelle théorie veut transporter l’assignation à Pierronne (chap. VII, p. 145-150). On ne voit à cela aucune espèce de raison : aussi bien l’auteur n’en fournit-il pour ainsi dire pas. Les arguments par lesquels on serait en droit de combattre l’attribution de ce témoignage à la Pucelle peuvent parfaitement subsister, sans pour cela constituer des raisons à l’appui de cette thèse aventurée, une longue chevelure et une robe mi-ouverte (p. 150) ne suffisant pas, à ce qu’il semble, pour caractériser Pierronne de Bretagne et la différencier de toute autre représentation féminine quelconque.

Cette nouvelle paraphrase n’apporte donc aucun élément dont la critique ait à tenir compte. Elle risquerait seulement de prêter des raisons, sérieuses cette fois, opposables au touchant mouvement qui se manifeste pour tirer de l’oubli la fidèle et vaillante associée de la grande libératrice de la France[11], dont le rang est marqué dans la liste des héros ignorés de la reconquête nationale. À la suite de pareilles exagérations, concluant du particulier au général, n’a-t-on pas presqu’avancé, sinon assuré, que Pierronne de Bretagne n’avait jamais existé ! Souhaitons cependant, pour l’intégrité de son renom, que le zèle d’apologistes historiques mieux intentionnés qu’informés ne vienne pas fournir d’arguments ni d’armes équivoques contre le souvenir ému auquel sa mémoire a droit.


Germain Lefèvre-Pontalis.


  1. Journal d’un Bourgeois de Paris (voir note suivante). La forme «  Périnaïk » paraît avoir été créée par M. de la Villemarqué (Myrdhinn ou l’enchanteur Merlin, livre III, ch. II. Paris, 1862, in-8o, XI-435 p., p. 324).
  2. Journal d’un Bourgeois de Paris, 1431, 4 juillet. (Éd. Tuetey, p. 270-272 : fragment dans Quicherat, Procès de Jeanne d’Arc, t. IV, p. 473-474.) — Jean Nider, Formicarium, livre V, ch. VIII. (Éd. de 1516, Strasbourg, in-4o, 90 fol., fol. 82, col. 1 : fragment dans Quicherat, Procès, t. IV, p. 502-504.) — Journal d’un Bourgeois de Paris, 1430, 3 septembre. (Éd. Tuetey, p. 259-260 : fragment dans Quicherat, Procès, t. IV, p. 467.)
  3. N. Quellien, Chansons et danses des Bretons. Paris, J. Maisonneuve et Ch. Leclerc, 1889, in-8o, III-300 p. (Cf. compte-rendu par Jean Kaulek, Bibl. de l’École des chartes, t. L, 4e-5e livr., juillet-octobre 1889, p. 463-464.)
  4. N. Quellien, Perrinaïc. Une compagne de Jeanne d’Arc. Paris, Fischbacher, 1891, in-8o, 43 p.
  5. En rendant compte de cette œuvre, d’un caractère uniquement littéraire (Bibl. de l’École des chartes, t. LIII, 1re-2e livr., janvier-avril 1892, p. 162-164), j’avais signalé et éclairé l’un par l’autre, pour la première fois à ce qu’il semble, ces textes indiscutables, connus d’ailleurs depuis longtemps. Compte-rendu sur la nature duquel, soit dit en passant, l’auteur de la présente étude (p. 91, n. 4, et p. 157) paraît avoir aventuré une complète méprise, en considérant et en critiquant comme opinion de fond une simple inexactitude d’analyse, commise au sujet de l’endroit précis du supplice de Pierronne à Paris. Cette imputation s’étant trouvée répétée depuis, sans plus ample contrôle, dans diverses publications qu’il serait trop long de citer, et risquant de continuer à l’être, il a paru nécessaire de remettre les choses au point.
  6. J. Trevedy, le Roman de Perrinaïc. Vannes, Lafolye, 1894, in-8o, 48 p. (Extrait de la Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, de janvier, février, avril 1894.) — E. Jordan, Perrinaïc, dans Annales de Bretagne, d’avril 1894 (p. 424-428). — Arthur de la Borderie, Une prétendue compagne de Jeanne d’Arc, dans le Correspondant du 10 juin 1894 (p. 898-912). — L’étude de M. Trevedy contient une bibliographie assez complète des articles ou opuscules consacrés à la question jusqu’en mai 1894.
  7. Coat-an-Nos, Côtes-du-Nord, comm. et cant. de Belle-Isle-en-Terre, arr. de Guingamp.
  8. Cette fiction a été, depuis, encore sérieusement soutenue par M. Lionel Bonnemère (Perinaïk, dans l’Ouest artistique et littéraire du 15 juin 1893).
  9. Cette méprise avait été, en même temps, spontanément adoptée par Mlle Pauline de Grandpré (Perrinaïc, dans l’Univers du 26 avril 1893), et a été encore défendue par M. Lionel Bonnemère (loc. cit.).
  10. Résumé de la discussion dans Vallet de Viriville, Notes sur deux médailles de plomb relatives à Jeanne d’Arc. Paris, 1861, in-8o, 30 p. (Extrait de la Revue archéologique, avril et mai 1861, nouv. série, t. III, p. 380-392 et 425-438.)
  11. Voir ce qu’en dit, sur ce point, Vallet de Viriville, Procès de Jeanne Darc, p. LXIV-LXV.