Pernette/Dédicace

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DÉDICACE



aux aïeux




Esse quam videri.




Ce livre et le portrait de mon héros rustique,
L’histoire de ces cœurs simples, forts et pieux,
Je viens les dédier, sur l’autel domestique,
Aux auteurs de mon sang, à mes humbles aïeux ;

À ces chers inconnus sources de ma famille,
À vous dont je suis fier, sachant vos nobles morts,
Au martyr dont ma mère était la noble fille,
À mon vénéré père, à tous ceux dont je sors.


Je leur offre ce chant où leur âme résonne,
Ces fruits de leur vieil arbre et de mon renouveau ;
Et, tressant de mes vers une agreste couronne,
J’enlace au tronc les fleurs que porta le rameau.

J’ai pris d’eux le souci des vertus que je rêve ;
Je sais qu’ils furent bons, s’ils ne furent diserts.
Rien n’éclôt dans les fleurs sans venir de la sève ;
Leur vie a contenu tout l’esprit de mes vers.

Je leur dois le plus pur de ce feu qui m’enflamme,
L’ardeur de la justice et le mépris de l’or.
De tous ces hauts désirs je n’aurais rien dans l’âme,
S’ils n’avaient longuement amassé ce trésor.

Si mon livre a parfois, reflétant leur image,
Suscité dans un cœur des pensers généreux,
Et parlé du devoir dans un noble langage…
Mon livre est un témoin qui dépose pour eux.

Autant que de la mienne il sort de votre veine,
Recevez-le du fils, de l’arrière-neveu,
Aïeux obscurs ! Lutteurs qui fûtes à la peine…
Et soyez à l’honneur, si j’en acquiers un peu.

Grâce à mes vers, peut-être, une courte mémoire
Va tirer ici-bas notre nom de sa nuit ;
Mais s’il s’inscrit, là-haut, dans la solide gloire,
C’est grâce à vos vertus qui s’exerçaient sans bruit.

Je ne suis point de ceux que l’orgueil d’un vain livre
Pousse à l’impiété contre leur vieux blason ;

Bien dire ne vaut pas bien agir et bien vivre ;
C′est par le cœur qu’un homme ennoblit sa maison.

En vous offrant ces vers je n’ai rien fait encore ;
Une seule action vous eût contentés mieux ;
Et ce n’est pas le don de la rime sonore
Que je voudrais transmettre à vos petits-neveux.

O mon père, ô ma mère, ô mes aïeules saintes,
Voici toute ma joie et tout notre avenir,
Ces enfants que j’amène, objets de tant de craintes,
Ces enfants à genoux que vous allez bénir !

Ils vivront, à leur tour, en des temps pleins d’orages ;
Je ne sais quel vent noir s’élève à l’horizon.
Obtenez à ces fils vos paisibles courages,
Et, mieux que le génie, une droite raison.

Qu’ils vivent satisfaits du toit le plus modeste,
Sachant se dominer pour dominer le sort,
Fiers d’un travail obscur, si la liberté reste,
Et prenant l’honneur seul pour but de chaque effort.

Que leurs ambitions s’exercent sur eux-mêmes,
Dans l’amour du devoir et dans l’horreur du mal ;
Soulevant leurs désirs vers les beautés suprêmes,
Qu’un guide intérieur leur montre l’idéal.

Qu’ils évitent ainsi toutes les servitudes ;
Un joug nouveau se forme et s’étend de partout ;
Après les rois, voici les viles multitudes…
Humbles devant Dieu seul, qu’ils se tiennent debout !


Qu’ils sachent résister sans colère et sans haine,
Patients, comme on l’est appuyé sur sa foi :
Qu’ils atteignent l’azur de la vertu sereine,
Et, semblables à vous, qu’ils vaillent mieux que moi !


Montbrison, septembre 1868.