Petit Manuel d’harmonie/De la basse sous la mélodie
§ 11.
DE LA BASSE SOUS LA MÉLODIE.
Maintenant que l’on connait la marche modulante des mélodies majeure et mineure, nous allons exposer, le plus clairement possible, comment on doit procéder pour parvenir à accompagner un chant quelconque par une harmonie pure et nombreuse.
On doit, avant que d’écrire l’accompagnement d’une mélodie, observer :
1° Dans quel ton cette mélodie est écrite.
2° Quelles sont les modulations passagères des phrases principales ou incidentes.
3° Quelles notes du chant peuvent être réelles ou passagères relativement à l’harmonie qu’on supposera devoir les accompagner le plus convenablement ; et, enfin,
4° Quel est le caractère général de la mélodie, son mouvement lent ou vif, sa physionomie particulière.
Car, un chant expressif mais non rhythmé, et par conséquent d’une allure sévère, comporte une harmonie toute différente que celui dont le mouvement animé, spirituel, la désinvolture passionnée ou brillante forment le caractère distinctif.
Pourtant, la plupart des notes d’une mélodie, pouvant être parties intégrantes de plusieurs accords différents, il advient que le compositeur a la faculté d’accompagner cette même mélodie de dissemblables manières, parce que telles notes du chant, qui, par exemple dans un certain parti pris d’harmonie, eussent été passagères, deviennent réelles dans certain autre, et vice versâ.
De plus, une mélodie ou un fragment de mélodie peut, lorsque sa forme s’y prête, être considéré comme étant dans trois tons absolument différents. Dans ce cas, l’harmonie doit changer suivant chaque tonalité nouvelle.
Voici un fragment mélancolique d’une forme très simple, dont les notes réelles ou radicales et passagères sont signalées, et sous lequel trois basses en ut majeur, en la mineur et en fa majeur sont posées alternativement.
N° 1. — D’UT MAJEUR modulant en sol majeur.
Fragment mélodique[1]. |
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Notes réelles ou radicales | |
1re Basse. | |
N° 2. — De LA MINEUR en mi mineur.
Répétition du fragment. |
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Notes réelles ou radicales | |
2e Basse. | |
N° 3. — De FA MAJEUR en commençant par la dominante, passant sur la tonique, et retournant à la dominante.
Répétition du fragment. |
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Notes réelles ou radicales | |
2e Basse. | |
Nota. On a dû bémoliser le si à cause de la tonalité de fa majeur.
Ce fragment mélodique est susceptible de recevoir encore beaucoup d’autres basses, n’importe dans lequel des trois tons d’ut, de la ou de fa il soit censé écrit.
Nous ne saurions trop engager les élèves à imiter le genre de travail dont nous venons de leur offrir trois exemples. Sa pratique habituelle les mettra à même, en très peu de temps d’écrire, avec une très grande facilité la basse de n’importe quelle mélodie ; et, de plus, elle donnera beaucoup de flexibilité à leur style harmonique, parce qu’elle oblige à varier les accords autant de fois que la mélodie est considérée comme étant dans un ton nouveau.
Il sera bien aussi d’analyser des chants connus, de marquer par une abréviation chaque espèce de notes de passage relativement à l’harmonie indiquée par leurs auteurs, et de faire même sous ces motifs un accompagnement nouveau que l’on comparera ensuite avec celui du compositeur émérite.
On pourra aussi créer des chants sur les basses de mélodies célèbres : puis, on les rectifiera d’après les beaux modèles que l’on aura choisi ; ce dernier exercice apprendra l’art de moduler mélodiquement avec facilité et élégance.
Cependant la meilleure basse, et par suite le meilleur accompagnement, est toujours celle qui s’écarte le moins de la série d’accords relatifs au ton principal de la mélodie sous laquelle on l’a placée.
Pour prouver la vérité de cette assertion, voici un air de Mozart sous lequel trois différents genres d’accompagnement ont été écrits, et qui, tous les trois, n’ont entre eux que des rapports de tonalité indispensables avec la basse originale de l’auteur, basse que nous reproduirons plus loin.
AIR DU MARIAGE DE FIGARO, de Mozart. acte II, no 2.
Malgré tout ce que peuvent offrir d’ingénieux les trois variations harmoniques qui précédent, la basse de Mozart que l’on va lire est, à part le mérite transcendant du compositeur, celle qui doit être préférée, parce que, véritable reflet de la délicate mélodie qu’elle accompagne, elle a été conçue presqu’au même instant que cette dernière : car l’harmonie unie au chant se poétise, et un compositeur de génie, tel que l’était Mozart, avait en lui-même une faculté complexe de création : celle de la forme mélodique et de la couleur harmonique qui forment la dualité d’une véritable inspiration musicale.
Basse originale de l’Air de Mozart.
N. B. Cette basse, étant presque toujours fondamentale, nécessite absolument le complément harmonique des parties intermédiaires. (Voir la partition de Mozart.)
Voici, pour terminer cette importante section, une suite de petites
leçons mélodiques dans chacune desquelles les six notes de passage
sont employées suivant l’ordre de la nomenclature donnée page 95.
Le lecteur, après avoir marqué d’une petite croix les notes radicales
ou portant accord, ajoutera une portée inférieure sur laquelle il écrira
la basse chiffrée.
N° 1. — Notes de passage simples.
N° 2. — Appoggiatures.
N° 3. — Anticipations.
N° 4. — Syncopes.
N° 5. — Suspensions.
N° 6. — Pédale simple et double employées alternativement.
- ↑ Les notes surmontées d’une croix sont passagères. Cette remarque est faite également pour les numéros 2 et 3.