Petit cours d’histoire de Belgique/p04/ch2

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Maison d'édition Albert De Boeck (p. 76-82).



CHAPITRE II

Notices sur les princes qui ont favorisé
les communes.


§ 1. — Comté de Flandre.


1. Robert de Jérusalem (1092-1111). — Ce prince fit admirer sa valeur à la première croisade, où il fut surnommé l’Épée des chrétiens et le fils de saint Georges.

Au retour, il combattit victorieusement l’empereur d’Allemagne et le comte de Hainaut. — Il se noya dans la Marne, à Meaux, un pont qu’il défendait s’étant écroulé sous son cheval.

2. Thierry d’Alsace (1128-1168) devint comte de Flandre à la mort de son cousin Charles le Bon. La noblesse soutenait un prince Normand, mais Thierry triompha de son rival avec l’appui des villes. Il leur témoigna sa reconnaissance par des chartes nouvelles.

Il prit part à la deuxième croisade.

Charles de Poperinghe, 1147 ; de Nieuport, 1163.

3. Philippe d’Alsace (1168-1191) eut une administration remarquable.

1o Il obtint de l’archevêque de Cologne, la libre navigation du Rhin, pour les Gantois ;

2o Il accorda leur première charte à Orchies et à Damme, — de nouvelles franchises à Bruges et à Gand, — et la suppression du servage dans les châtelleries de Bruges, d’Alost et de Courtrai ;

3o Enfin il améliora les lois pénales et mérita le nom de premier législateur de Flandre.

Il mourut de la peste à la troisième croisade.

La châlellerie de Bruges s’appela de ce moment le Franc de Bruges. — Charte à Ypres, 1174 ; à Gand, 1176 ; à Alost, 1176 ; à Hesdin, 1179 : à Damme, 1180 ; à Biervliet, 1183 ; à Audenarde, 1188 ; à Aire, 1188 ; à 1190.

4. Baudouin de Constantinople (1195-1205). — Voir page 57).

5. Jeanne de Constantinople (1205-1244). — Elle remplaça son père Baudouin IX, en 1205, et s’unit bientôt à Ferrand de Portugal. Ce prince, allié à l’empereur d’Allemagne et au roi d’Angleterre, attaqua le roi de France, Philippe-Auguste. Mais celui-ci remporta une victoire décisive à Bouvinnes, en 1214, et Ferrand expia sa révolte par une captivité de treize ans.

La comtesse Jeanne augmenta les privilèges des villes et créa des établissements de bienfaisance.

Elle dota richement les hôpitaux de Bruges, d’Ypres, d’Audenarde, de Gand ; il existe encore à Lille, sous le

nom d’Hôpital-comtesse, un établissement édifié par ses soins.

Marguerite de Constantinople (1244-1280). — Cette princesse épousa, jeune encore, le grand-bailli de Hainaut, Bouchard d’Avesnes, issu d’une illustre famille et lui-même chevalier accompli. Deux fils naquirent de cette union. Mais ensuite la comtesse Jeanne, prétextant que le bailli avait autrefois été destiné à la prêtrise, fit annuler son mariage, et Marguerite dut abandonner son malheureux époux sur l’ordre du pape, qui la menaçait d’excommunication.

Elle se remaria peu après à un seigneur bourguignon, Guillaume de Dampierre. En 1244, la mort de sa sœur Jeanne la rendit comtesse de Flandre et de Hainaut.

Animée d’une haine étrange contre les enfants de son premier mariage, elle prétendit laisser tous ses biens aux Dampierre. Il s’ensuivit une lutte terrible entre les d’Avesnes et les Dampierre. Finalement, le roi de France, Saint Louis, pris comme arbitre, décida que les Dampierre auraient la Flandre et les d’Avesnes le Hainaut. Jean d’Avesnes ainsi dépouillé, car les deux comtés devaient lui revenir, en mourut de douleur (1257).

Marguerite de Constantinople, bien que surnommée la Dame noire, eut une administration digne d’éloges. À l’instar de sa sœur, elle favorisa les communes. Elle rendit annuelles les fonctions des échevins, mit à meilleur cattel[1] les serfs de ses domaines propres, et fonda des établissements de bienfaisance.

§ 2. — Duché de Brabant.


1. Henri le Guerroyeur (1190-1235). — Le règne de ce prince se partage en deux parties de durée presque égale, mais de caractère essentiellement différent. D’humeur batailleuse, il fut successivement aux prises avec tous ses voisins. Mais à partir de 1214, le duché jouit d’une paix profonde, et, par les chartes si nombreuses qu’il accorda aux villes, Henri se plaça au premier rang des fondateurs de nos libertés[2].

Il gratifia de chartes Gembloux, 1187, Vilvorde, 1192, Léau, 1213, Wavre, 1222, Diest, 1228, La Hulpe, 1230. — Il créa des villes en Campine : Bois-le-Duc, Arendonck, Turnhout, Hérenthals, Hoogstraeten. — Il concéda des privilèges à de simples villages : Marilles, Dongelberg, etc. — Le servage fut supprimé en de nombreux endroits autour de Jodoigne et de Tirlemont. Enfin les libertés des grandes villes, de Louvain, de Bruxelles et d’Anvers, furent notablement accrues.

On le voit, ce prince remarquable apporta une immense amélioration au sort des populations tant rurales qu’urbaines.

2. Henri II le Magnanime (1235-1248). — Par son testament, il déclara supprimée la mainmorte dans tous ses domaines personnels.

Cette charte est peut-être la plus importante de celles qui marquent, au XIIIe siècle, le progrès des libertés publiques[3].

3. Jean Ier (1268-1294).a) Jean Ier le Victorieux, fut l’un des représentants les plus illustres de la chevalerie.

Champion de sa sœur Marie, reine de France, il fit envoyer au gibet un favori du roi, nommé Pierre La Brosse, qui avait faussement accusé la princesse.

Il rendit son nom glorieux par la conquête du Limbourg. Deux princes se disputaient le duché : Adolphe de Berg, neveu du duc défunt, et Renaud de Gueldre, qui en était le gendre. Le premier vendit ses droits au duc de Brabant, et alors le second céda les siens à Henri III de Luxembourg. Mais Jean Ier remporta une éclatante victoire à Woeringen, le 5 juin 1288, et son chevaleresque adversaire trouva la mort dans le combat.

b) Le duc Jean favorisa les villes brabançonnes par de nouvelles franchises. Il publia des lois, les landkeuren, qui punissaient les moindres délits avec une sévérité excessive. — Poète lui-même, Jean Ier protégea les belles-lettres. — Il mourut à la fleur de l’âge, d’une blessure reçue dans un tournoi.

4. Jean II (1294-1312), fils de Jean Ier, accorda aux Brabançons les lois de Cortenberg qui créaient la célèbre Assemblée de Cortenberg, formée de quatre seigneurs et de dix députés des villes.

5. Jean III (1312-1355), leur concéda la charte flamande

et la charte wallonne, toutes deux relatives à l’administration financière.

Joyeuse-Entrée (1356). — À la mort de Jean III, les villes de Brabant dressèrent un tableau détaillé de leurs libertés, et elles exigèrent de Wenceslas de Luxembourg, successeur de Jean III, qu’il en jurât l’observation. Cette constitution si remarquable — la Joyeuse-Entrée — fut jurée par tous les ducs de Brabant jusqu’en 1794.

Elle déclarait indissoluble l’union du Brabant et du Limbourg ;

Elle exigeait le consentement du pays pour les guerres offensives, les traités d’alliance et les cessions de territoire ;

Elle obligeait le duc à maintenir la sécurité des routes et la liberté du commerce ;

Enfin elle garantissait la propriété et la liberté individuelle. Cette charte est la plus célèbre de notre histoire.

§ 3. — Principauté de Liège.


Albert de Cuyck. En 1198, les Liégeois obtinrent de leur évêque, Albert de Cuyck, une charte qui les rendit « le peuple le plus libre du monde ». Elle déclarait le domicile absolument inviolable, et entourait des plus précieuses garanties les biens et la liberté.

Clauses principales de cette charte célèbre :

1o L’évêque ne peut exiger des Liégeois le service militaire que pour la défense du pays. Encore fera-t-il d’abord la guerre à ses frais pendant quinze jours avec ses vassaux fieffés ;

2o Le domicile du bourgeois est inviolable : « Pauvre homme à Liège, en sa maison est roi ». Ni maïeur ni échevins n’y peuvent pénétrer, pas même pour y saisir un malfaiteur ou reprendre un objet volé ;

Un bourgeois ne peut être arrêté que sur l’ordre des échevins ; il ne peut être jugé que par eux ;

3o Jamais on ne confisquera les biens d’un bourgeois, fût-il même condamné à mort.

Enfin nul impôt ne sera établi sans le consentement des bourgeois.

Progrès de la démocratie liégeoise. — Cependant cette charte laissait tout le pouvoir à douze échevins inamovibles, choisis par l’évêque parmi les nobles ou Grands. Mais au XIIIe siècle, les Petits aspirèrent à intervenir dans l’administration de la ville, et de là résultèrent des luttes ardentes.

En 1303, les échevins furent dépouillés de presque tous leurs droits à l’exception de l’administration de la justice. Leurs attributions passèrent au Conseil de la commune, formé de jurés élus chaque année et présidés par deux maîtres à temps, tous généralement choisis dans la haute bourgeoisie.

En 1312, de nouveaux troubles ensanglantèrent la ville de Liège et deux cents nobles furent brûlés par les Petits dans l’église de Saint-Martin. La paix d’Angleur accorda aux métiers le droit d’élire un des maîtres à temps et la moitié des jurés.

Paix de Fexhe, 1336. — À l’avènement de l’évêque Adolphe de la Marck, en 1313, les Petits reprirent les armes, mais on conclut bientôt la célèbre paix de Fexhe, qui fut la vraie charte constitutionnelle de la principauté ;

1o Toutes les franchises des bonnes villes étaient confirmées ;

2o Désormais les lois ne pourraient être modifiées que par le Sens du Pays, c’est-à-dire par l’assemblée des trois États, chapitre, noblesse et villes, d’accord avec l’évêque.

Tribunal des XXII, 1343. — Le chapitre de Saint-Lambert était le gardien des lois. Mais en 1343, pour mieux assurer le respect de la légalité, on créa le Tribunal des XXII, « unique en son espèce en Europe ». Composé de quatre nobles, quatre chanoines et quatorze bourgeois, il devait punir les officiers du prince qui oseraient violer les lois du pays.

Triomphe de la démocratie. — En 1384, les nobles abandonnèrent d’eux-mêmes leurs derniers privilèges, et tout le Conseil de la commune fut élu par les métiers.

  1. C’est-à-dire quelle supprima la mainmorte, se réservant seulement le droit au meilleur meuble ou cattel du serf décédé.
  2. Wauters.
  3. Wauters.