Petite Nell/L’Orage

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Verlag Von Raimund Gerhard (p. 55-59).

CHAPITRE XII.

L’orage.

— Aurais-tu la bonté de me dire ce que tu regardes avec cet air benêt et ces yeux écarquillés ? Y aurait-il quelque chose de changé à ce poteau de télégraphe ?

En adressant ces paroles à son fils, oncle Nestor allongeait le cou dans la direction du poteau. Pour toute réponse, Maxime se remit au travail.

— Ce n’est pas une réponse, ça, reprit maître Nestor d’une voix orageuse, quand on a l’usage de la parole, il faut s’en servir.

— Je ne regardais rien, répondit Maxime.

— Rien ! alors tu rêvais tout éveillé ; tu ne me feras pourtant pas croire que l’on peut rester quatre minutes immobile, sans regarder ni penser à rien.

— Mes pensées sont à moi, murmura le jeune homme d’un air sombre.

— Tu as raison, mais si elles sont à toi, toi, tu es à moi, et je ne veux pas que mon fils se mette à rêver tout éveillé. Mais, je sais d’où ça vient, ces airs-là, je vois clair, et tante Olympe aussi, elle m’en a déjà parlé.

— Alors, puisque vous le savez, pourquoi me le demandez-vous ? répondit Maxime, en se détournant pour s’essuyer le front.

— Parbleu, reprit maître Nestor d’une voix un peu moins rêche, nous savons bien, ta tante et moi, que nous ne pourrons pas toujours te garder sur nos genoux, que tu es en âge de te marier.

Maxime garda le silence.

— Ah ! ça, j’espère que tu n’as pas fait un mauvais choix, reprit le père d’un air soupçonneux.

— Vous n’avez rien à craindre, murmura le jeune homme.

Oh ! comme il l’aimait, cette jolie fleur délicate, qui ne ressemblait en rien aux belles fleurs rouges que tante Olympe lui proposait, comme il l’aimait, comme il l’admirait, d’autant plus fort qu’il n’osait le dire à personne, à elle moins qu’à toute autre ! Et pourtant, il se sentait capable de tous les sacrifices pour obtenir un sourire, un regard d’approbation.

Oh ! comme il saurait être bon, doux, dévoué, oui, il saurait, quoique simple vigneron, être envers elle aussi délicat, aussi attentif qu’un grand seigneur envers sa châtelaine. Ne lui avait-elle pas souvent dit qu’il ne ressemblait en rien à ses amis, et il avait vu dans ses beaux yeux sincères qu’elle en était contente. Un roulement sourd, comme le son lointain du tonnerre, le tira tout à coup de sa rêverie. Au-dessus de lui, le ciel était noir et menaçant.

D’un pas encore un peu alourdi, il se dirigea vers la place où son père travaillait.

— Nous n’avons que le temps de nous sauver, dit celui-ci, voici la pluie, dans deux minutes nous serons trempés jusqu’aux os.

En disant ces mots, le paysan jeta ses outils sur son épaule et prit les devants du côté de la maison, pendant que son fils, un peu moins pressé, le suivait à quelques pas. Comme ils approchaient, ils virent Petite Nell et tante Olympe se diriger en courant du côté du jardin.

— Dépêche-toi, Maxime, cria la brave femme, tu nous aideras à dépendre la lessive, voici l’orage.

— Bien, tante, je viens à l’instant.

La minute d’après, il s’aidait à remplir, de beaux draps blancs, d’immenses corbeilles, qu’il portait ensuite dans la maison comme s’il se fût agi d’une brassée de foin.

— Ah ! je suis contente, soupira tante Olympe quand la dernière corbeille fut rentrée, sans toi ma lessive était perdue ; il ne reste plus qu’à enlever les cordeaux ; Nellie t’aidera, elle sait comment on s’y prend.

Maxime obéit, et se mit en devoir de détacher les cordes, dont Petite Nell faisait des écheveaux bien réguliers.

— Entendez-vous ? fit-il en s’arrêtant brusquement.

— Mais oui, qu’est-ce que c’est ? quel drôle de bruit !

— C’est la grêle, répondit Maxime, Dieu nous préserve !

Il n’avait pas achevé de parler qu’une lueur étrange, suivie d’un craquement formidable, déchira l’atmosphère et la colonne de grêle s’abattit sur eux. — Dans le pavillon, cria-t-il, vite, vite.

Et il saisit sa cousine par le bras et l’entraîna au fond du jardin.

— C’est horrible, dit Petite Nell, est-ce que cela va durer longtemps, cousin Max ?

— J’espère que non, avez-vous peur ? Vous êtes si pâle.

— Peur ? Non, mais je suis encore étourdie ; je ne savais plus où était le pavillon, mais je n’ai pas même songé à avoir peur, probablement parce que vous étiez là.

Maxime sourit.

— Et pourtant, cousine Nellie, je ne pouvais vous préserver ni de la foudre ni de la grêle.

— C’est égal, ne savez-vous pas qu’il y a des personnes qui vous inspirent un tel sentiment de sécurité que, même au milieu des plus grands dangers, l’on est tout à fait tranquille, tandis qu’avec d’autres, au contraire, on se sent toujours inquiet, même sans raison.

Maxime ne répondit pas ; puisque sa présence rassurait Petite Nell, il n’en demandait pas davantage ; la protéger, la porter au travers de tous les périls, voilà son rêve de bonheur.

Il s’était appuyé contre l’ouverture du pavillon, regardant, sans la voir, la campagne, soudainement blanchie comme au cœur de l’hiver.

— Cousin Max, on vous appelle, fit tout à coup Petite Nell, c’est la voix d’oncle Nestor ; je crois que nous pouvons aller maintenant, la grêle a presque cessé.

— Attendez, fit-il, j’irai vous chercher un parapluie.

— Oh ! cela ne vaut pas la peine.

Et elle s’élança en courant du côté de la maison, pendant que son cousin, beaucoup moins pressé, s’en allait tout lentement à la rencontre de son père.

— Eh bien, fit celui-ci en le rejoignant, où étais-tu pendant l’orage, je t’ai cherché partout.

— Dans le pavillon, où nous n’avons eu que le temps de nous réfugier pour ne pas être assommés.

— Qui, nous ?

— Cousine Nellie et moi.

— Je t’appelais, poursuivit maître Nestor, pour venir faire avec moi l’inspection des vignes et juger des dégâts, qui ne sont pas minces, j’en ai peur.

Et comme Maxime ne répondait pas, son père lui jeta un regard de dessous ses gros sourcils.

— Ça n’a pas l’air de beaucoup t’inquiéter, fit-il, à voir ta mine béate, on dirait qu’au lieu de grêle il vient de tomber des napoléons.