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Petite Nell/Désappointements

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Verlag Von Raimund Gerhard (p. 51-55).
CHAPITRE XI.
Désappointements.

— Cousine Nellie, j’ai quelque chose pour vous. Et Maxime, la figure radieuse, tendait à petite Nell la lettre si impatiemment attendue.

— Oh ! cousin Max, que vous êtes gentil ; mais vous n’êtes pas allé tout exprès à la poste, j’espère.

— J’avais à faire de ce côté et l’idée m’est venue, en passant, de voir s’il n’y aurait rien pour vous, et voilà ma récompense.

Mais Petite Nell n’avait pas attendu l’explication, elle était remontée quatre à quatre dans sa chambre et avait déchiré l’enveloppe pour en dévorer plus vite le contenu.

— Tiens, c’est drôle, trois pages entières, lui qui n’écrit jamais que deux lignes.

Et elle se pencha sur la petite écriture illisible, qu’elle connaissait si bien, mais elle avait à peine commencé que ses sourcils se rapprochèrent et, quand elle arriva à la dernière page, il n’y avait plus trace de joie sur sa figure. En cet instant, la porte s’ouvrit et tante Olympe entra.

— Mon Dieu, qu’y a-t-il, il est malade, dis, Nellie ?

— Non, tante Olympe, seulement… il m’écrit… il m’écrit qu’il ne passera pas ses vacances avec nous… on lui a offert une place… une famille très riche, qui voyage, et… et il a accepté.

Elle tendit la feuille ouverte à sa tante, prit son chapeau et quitta la chambre. Pauvre Nell, sa déception était si amère, si profonde, qu’elle n’avait pas encore pu verser une larme. Mais il y avait du moins quelqu’un qui la comprendrait, quelqu’un qui l’aimait et qui la consolerait. Elle savait que si sœur Hélène ne pouvait pas la préserver de toute peine, elle était du moins prête à les partager, et cette pensée la faisait aller si vite, qu’elle eut bientôt atteint le jardin du docteur et gravi l’escalier qui conduisait à la chambre de son amie.

— Entrez, Petite Nell, cria la voix joyeuse de sœur Hélène.

Petite Nell ouvrit, mais au lieu de répondre au bon sourire qui l’accueillait, elle éclata en sanglots.

— Oh ! sœur Hélène, il ne viendra pas, il ne peut pas venir.

Mlle Steinwardt s’était levée en pâlissant.

— Est-il malade, dites, ma chérie, comment, par qui l’avez-vous appris ?

— C’est lui qui m’écrit… pour me dire… qu’il a accepté une place de précepteur ; il voyagera tout l’été, il ira en Suède, en Norvège, en Finlande ; et moi qui l’attends depuis si longtemps, je ne le verrai pas.

— Pauvre Petite Nell, cela me fait beaucoup, beaucoup de peine pour vous. Je comprends si bien votre chagrin, mais ma chérie, en y réfléchissant, il me semble pourtant qu’il n’a pas si mal agi, il emploiera utilement ses vacances, tandis qu’ici…

Petite Nell releva vivement la tête.

— Oh ! sœur Hélène, si vous étiez, comme moi, toujours séparée de ce que vous aimez le plus au monde, vous me plaindriez, mais vous ne savez pas ce que c’est, vous…

Elle s’arrêta, son amie la regardait d’un air étrange.

— Moi, murmura-t-elle, je ne sais pas ce que c’est, oh ! Petite Nell, comme vous vous trompez, comme vous êtes injuste et cruelle sans le vouloir.

— Pardonnez-moi, murmura la fillette en se rapprochant, je ne savais pas, sœur Hélène, pardonnez-moi !

Mais sœur Hélène ne semblait pas l’entendre, elle demeurait immobile, les yeux fermés, la tête appuyée sur sa main.

— Je voudrais vous dire quelque chose, murmura-t-elle enfin, mais je ne sais pas si j’en ai le courage, et pourtant je voudrais vous le dire, parce que cela vous aiderait peut-être à prendre patience.

Et, d’une main fébrile, elle détachait de son cou un médaillon retenu à une chaînette d’or et le tendit à Petite Nell.

— Je ne le verrai plus, murmura-t-elle, il est mort, Petite Nell, mort le jour même qui avait été fixé pour notre mariage… Chérie, si vous pleurez ainsi, je ne pourrai rien vous raconter.

C’est une histoire toute simple, reprit-elle au bout d’un instant, nous nous aimions et nous nous étions promis d’être fidèles en attendant de pouvoir nous unir, car sa mère était veuve et lui, l’aîné d’une nombreuse famille ; ce ne fut donc qu’après bien des années d’attente et de séparation que notre mariage pût être fixé. Ah ! j’ai oublié de vous dire qu’il était médecin dans une petite ville assez éloignée de la nôtre ; mais il allait revenir quand… quant au moment de partir il apprit… — elle hésita — qu’un de ses amis, interne à l’hôpital dans la même ville que lui, venait de tomber gravement malade en soignant des cas de diphtérie… naturellement il fit… la seule chose qu’il avait à faire, il alla au secours de son ami.

Elle se tut et pencha la tête sur le médaillon qu’elle avait gardé dans sa main.

— Petite Nell, nous ne nous sommes revus que pour nous dire adieu, mais… son ami était guéri, sauvé par lui, au péril de sa vie. Chérie, ne pleurez pas ainsi, reprit-elle, pendant que ses propres larmes roulaient sur ses joues pâles, je ne vous ai pas raconté cela pour vous faire de la peine, mais pour vous aider à prendre patience ; songez donc, qu’est-ce qu’une séparation lorsqu’on a l’espoir de se retrouver bientôt ?

— Oh ! sœur Hélène, pardonnez-moi, répéta Petite Nell en sanglotant et en caressant les mains de son amie.