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Petite Nell/Pauvre Maxime

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Verlag Von Raimund Gerhard (p. 47-51).


CHAPITRE X.


Pauvre Maxime.

Deux ans avaient passé, et Petite Nell demeurait encore chez tante Olympe ; car sa tante lui avait demandé, comme une faveur, de rester auprès d’elle jusqu’au moment où elle irait rejoindre son frère, et Petite Nell n’avait pu refuser ; tante Olympe était encore si défaite par une attaque de l’influenza.

— Vois-tu, ma fille, lui avait-elle dit, depuis cette drôle de maladie, je sens que j’ai perdu ma vigueur et je ne serais pas fâchée de te voir rester avec nous, au moins jusqu’à l’établissement de Louis ; à ce moment Maxime sera sûrement marié, car il y a longtemps qu’il a fait son choix ; il n’était pas plus haut qu’une botte, que déjà il trouvait Anna Davy tout-à-fait de son goût. Mais tu comprends bien, que si je souhaite te voir rester avec nous, ce n’est point par intérêt, mais parce que je t’ai réellement prise en amitié. Et il faut aussi que je te dise, que je sens bien profondément tout ce que tu as fait pour moi, pendant cette maladie.

— Oh ! tante Olympe !

— Oui, ma fille, c’est vrai, tu ne t’es pas épargnée, je le sais, et Maxime ne cesse de me le répéter ; pas plus tard que ce matin, il m’a montré les pièces que tu as encore trouvé le temps de mettre à son veston et il a déclaré n’avoir jamais vu de si jolis points.

Petite Nell se mit à rire.

— Mais, dit-elle, c’est lui qui a travaillé, si vous l’aviez vu, tante, il faisait presque tout l’ouvrage de la maison, même les repas, et jamais il ne m’a permis de passer une nuit tout entière auprès de vous.

— Oui, oui, je sais, c’est un bon enfant, qui aime à faire plaisir à tout le monde ; mais pour en revenir à ce que nous disions, Nellie, j’espère que tu te décideras à rester avec nous.

— Je resterai, tante.

— Bien, ma fille, je suis sûre que tu ne le regretteras pas.

Il n’y avait dans la vie de Petite Nell qu’un seul vrai nuage, qu’un seul point noir : les longs intervalles que son frère mettait entre ses lettres, et qui chaque fois la jetaient dans des inquiétudes que tante Olympe trouvait parfaitement déraisonnables. Un nouvel été s’approchait, les vacances étaient là, il ne pouvait plus tarder. Et, dans cette attente, elle ne tenait plus en place, chaque pas sur la route la faisait accourir, les yeux brillants d’espoir, les joues toutes roses, et puis elle rentrait un peu plus lente, un peu moins rose ; ce que voyant, le brave Maxime avait des démangeaisons de s’en aller secouer son cher cousin, pour lui rappeler qu’il avait une sœur qui attendait impatiemment de ses nouvelles.

— Ne pensez-vous pas, tante, demanda-t-il un soir qu’il veillait seul avec elle dans sa petite cuisine, que s’il le voulait, mon cousin pourrait écrire beaucoup plus souvent à sa sœur ?

— Qu’est-ce qui te fait faire cette réflexion, mon fils ?

— Elle m’a dit ce matin qu’elle ne comprenait plus rien à son silence, car elle est sûre que les vacances ont commencé.

— C’est sans doute qu’il veut nous surprendre, répondit tante Olympe. Dans une année il aura son brevet.

— Et cousine Nellie, s’en ira-t-elle alors pour tout de bon ?

— Sans doute, mais j’espère bien que tu nous aideras à la remplacer.

— La remplacer, moi ? fit Maxime en levant sur sa tante deux bons yeux honnêtes et tout étonnés.

— Bien sûr, en me donnant une gentille nièce à sa place.

— Oh ! fit-il en rougissant, est-ce cela, tante ? Alors je serais bien embarrassé, car il y a des siècles que je n’ai adressé la parole à une fille du village.

— Et pourquoi ça, mon garçon ?

— Probablement parce que je n’avais rien à dire.

— Autrefois, tu marquais une grande préférence pour Anna Davy.

— Oui, autrefois, quand nous allions à l’école, mais à présent c’est passé, de son côté comme du mien.

Tante Olympe ne répondit pas d’abord, elle compta premièrement les mailles de son tricot, puis releva la tête et remonta ses lunettes sur son front.

— Quand on cesse de trouver une chose ou une personne de son goût, dit-elle enfin, en regardant son neveu bien en face, c’est généralement parce qu’une autre chose ou une autre personne nous plaît davantage.

— Eh bien, ce n’est pas le cas pour ce qui me concerne, répondit Maxime, il n’y a pas en ce moment dans tout le village une fille qui me plaise plus qu’une autre… Tiens, déjà neuf heures, il faut que j’aille, mais ça me fâche de n’avoir pas de lettre à lui porter.

— Elle l’aura demain, fit tante Olympe un peu sèchement.

Maxime ne répondit pas.

— À quoi penses-tu ? ajouta-t-elle.

— Je cherchais à m’expliquer quelque chose. Je me demandais ce qui fait la différence entre une dame, une vraie, et une campagnarde.

— La différence, tu es encore simple, c’est que l’une habite la ville et l’autre la campagne.

Maxime sourit.

— Non, fit-il, ce n’est pas ça. Mademoiselle Steinwardt et cousine Nellie habitent aussi la campagne et sont encore plus simplement habillées que les filles d’ici, et pourtant elles ont toujours l’air de vraies dames. Voyez, par exemple, cousine Nellie balayer le plancher ou laver la vaisselle, jamais ses mains…

— Je crois, vraiment, que ses mains t’ont jeté un sort, interrompit tante Olympe, tu en as parlé dès le jour de son arrivée.

— C’est que je n’en avais jamais vu d’aussi mignonnes.

— Je conviens, reprit la paysanne, que Nellie n’est pas mal ; pourtant il y a chez nous nombre de filles plus jolies, plus fraîches. Nellie ne sera jamais une paysanne, elle est trop délicate, trop fine ; sa place n’est pas parmi nous.

— Il faut que j’aille, fit Maxime, en se levant.