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Petite Nell/Sourire et Tristesse

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Verlag Von Raimund Gerhard (p. 29-34).
CHAPITRE VII.
Sourire et Tristesse.

Comme il suffit parfois d’une goutte d’eau pour sauver la plante qui va se flétrir, il suffit aussi souvent d’un regard affectueux, d’une parole tendre pour rendre la vie au cœur qui s’en va mourir.

Le sourire de sa garde-malade avait été pour Petite Nell la goutte d’eau bienfaisante.

Immobile, dans son grand lit, elle pensait, elle pensait aux longs jours, aux longues nuits de sommeil enfiévré qu’elle venait de traverser ; elle pensait à sa grande solitude, à ses continuelles anxiétés au sujet de son frère ; elle se rappelait que, dans son angoisse, elle avait souhaité s’endormir pour toujours.

Et voilà qu’elle venait de s’éveiller, non plus la pauvre petite fille désolée dont elle se souvenait si bien, mais riche, riche d’une nouvelle affection, et, les mains jointes, le cœur rempli d’un joyeux étonnement, elle remerciait Dieu du beau réveil qu’il lui avait préparé.

Elle voulait vivre, maintenant, elle voulait essayer d’être pour son frère, malgré la distance, tout ce que sa mère lui avait recommandé. Elle voulait tâcher de se rendre utile, d’aider tante Olympe, de vaincre sa répugnance pour les travaux du ménage, de faire plaisir à tous, même à oncle Nestor, si c’était possible.

Et, pendant qu’elle songeait ainsi, Petite Nell suivait des yeux tous les mouvements de sa garde-malade, qui allait et venait sans bruit dans la chambre, mettant tout en ordre, pour recevoir la visite du médecin.

— Sœur Hélène !

Mlle Steinwardt se retourna.

— Pourquoi vient-il si souvent ? demanda la fillette, à présent je suis presque guérie.

— Je ne crois pas qu’il vienne plus souvent que ce n’est nécessaire, répondit la garde-malade, en se rapprochant du lit ; n’aimez-vous pas ses visites, Petite Nell ?

— Oh ! si…, je ne sais pas, il me fait toujours peur.

— Peur ! mon frère vous fait peur ? Il faut être une petite sauvage comme vous pour dire une chose pareille.

— Mais ce n’est pas de ma faute ; pourquoi fronce-t-il le sourcil comme quelqu’un qui va se mettre en colère ?

Sœur Hélène avait relevé la tête, sa belle figure, habituellement pâle, s’était subitement colorée.

— Mon frère ne se fâche jamais, Petite Nell ; il n’y a pas au monde un être meilleur et plus inoffensif ; vous le sauriez déjà si vous le connaissiez mieux, et ce que vous appelez froncer le sourcil n’est… n’est que…

Un coup frappé à la porte vint l’interrompre, et celui qu’elle défendait si chaleureusement parut sur le seuil.

Petite Nell avait raison ; le visage du nouveau venu était singulièrement grave et ses sourcils noirs, rapprochés l’un de l’autre par une contraction habituelle, augmentaient encore la sévérité de son expression ; sa bouche, que recouvrait une moustache brune, ne semblait pas faite pour le sourire ; seuls, ses yeux, des yeux gris, pénétrants, mais pleins de bonté, donnaient un démenti formel à toute sa figure.

Il tendit la main à sa sœur et s’approcha de Petite Nell.

— Bien, dit-il, plus de fièvre ; si cela continue, Mlle Daval pourra se lever quand elle voudra, à la condition toutefois de ne pas se fatiguer ni de prendre froid ; tu y veilleras, Hélène.

En disant ces mots, il se leva et rejoignit sa sœur près de la fenêtre.

— Dans un jour ou deux, continua-t-il, vous pourrez descendre au jardin, c’est là que les forces reviennent le plus vite ; et cela ne te fera pas de mal non plus, tu n’as guère bonne mine.

— Qu’est-ce que cela fait, je ne me sens pas même fatiguée.

Il eut un imperceptible sourire.

— Cela ne m’étonne pas, ce sera pour plus tard, quand tu auras le temps, ajouta-t-il, en prenant son chapeau.

— Oh ! comme tu es pressé, attends encore un peu ; comment se porte Gritli ?

— Bien, mais elle me menace à chaque instant de partir, si tu ne rentres pas bientôt ; elle dit que si elle avait connu tes intentions, elle ne t’aurait jamais suivie.

Mlle Hélène se mit à rire.

— Pauvre Gritli, il faut qu’elle prenne patience encore quelques jours ; est-ce qu’elle te soigne bien ?

— Naturellement, parce que je suis ton frère.

— Donc, nous nous lèverons aujourd’hui, et après-demain nous descendrons au jardin.

— C’est cela, et, continua-t-il en se tournant vers Petite Nell, si rien ne survient d’ici à une huitaine de jours, vous pourrez nous congédier tous les deux, garde-malade et médecin.

Puis, s’adressant à sa sœur : — Ne veux-tu pas faire quelques pas avec moi, Hélène ?

— Volontiers ; je serai de retour dans deux minutes, Petite Nell.

Mais, soit que les deux minutes lui eussent paru très longues, soit autre chose, quand Mlle Steinwardt rentra, elle trouva sa petite malade assise sur son lit et sanglotant de toutes ses forces.

— Ma chère, chère petite, qu’est-ce qu’il y a ?

— Il a dit… dans huit jours ! sanglota Petite Nell, et je serai de nouveau toute seule, et je ne vous verrai plus.

— Oh ! n’est-ce que cela ! s’écria gaiement sœur Hélène ; mais nous nous verrons chaque jour, si vous voulez.

— Ce ne sera plus la même chose, fit Petite Nell, au milieu de ses larmes.

— Heureusement non, aimeriez-vous à passer toute votre vie dans ce lit ?

— Je ne sais pas, peut-être, si vous vouliez rester près de moi.

Sœur Hélène sourit.

— Et mon frère, que deviendrait-il ? pensez combien il est seul maintenant ; il n’a pas été égoïste, lui, et vous ne voulez pas l’être non plus.

Et comme la réponse se faisait attendre :

— Au lieu de nous désoler, reprit-elle, nous devons être reconnaissantes envers Dieu ; pensez, Petite Nell, comme notre vie va être différente, maintenant que nous nous connaissons.

— Oh ! s’écria la fillette, vous, vous n’avez pas besoin de moi.

— Vous croyez, eh bien, vous vous trompez ; j’ai, au contraire, grand besoin de vous et de votre amitié.

La figure de Petite Nell devint rayonnante.

En cet instant la porte s’ouvrit et tante Olympe entra, radieuse, une lettre ouverte à la main.

— Il faut te dépêcher de te guérir, Nellie, Louis sera ici dans une semaine au plus tard.

— Louis !… Une vive émotion colora les joues de la fillette. Oh ! quel bonheur !… mais… est-ce qu’il parle de ses examens, tante Olympe ?

— Non, mon enfant, il n’en dit rien, et c’est le meilleur signe qu’il les a passés et bien passés, sans cela il l’écrirait ; tu n’as pas besoin de pâlir ainsi, petite, Louis connaît son devoir. À présent, je vais te chercher quelque chose à manger.

— Ce n’est pas nécessaire, je n’ai pas du tout faim, murmura Petite Nell.

— Si, si, il le faut, tu dois avoir de belles couleurs pour fêter l’arrivée de Louis.

La fillette ne répondit pas, elle appuya sa tête sur l’oreiller et ferma les yeux.