Petites Chroniques pour 1877/Nos places d’eau — Rimouski

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Imprimerie de C. Darveau (p. 107-135).


RIMOUSKI



Le Bic est, après Cacouna, la place d’eau la plus rapprochée, en suivant toujours la rive sud. Il faut faire dix-sept lieues pour y arriver et l’on se trouve à cent-soixante dix milles de Québec, en face d’un fleuve sans cesse s’élargissant et qui prend déjà une allure océanique. Mais ne nous y arrêtons pas encore ; abordons vite le grand centre du bas St. Laurent, trois lieues plus loin, Rimouski, chef-lieu d’une immense région, du plus grand district judiciaire et du plus grand diocèse du Dominion.

Rimouski n’est pas seulement une campagne, c’est une petite ville, et une petite ville qui mérite admirablement ce nom. Figurez-vous que vous êtes sur le bord du fleuve, mais absolument sur le bord, là où sa largeur atteint une douzaine de lieues et d’où le regard aperçoit vaguement la rive nord confondue avec l’horizon, ou baignée dans les flots qu’elle teint d’une longue frange bleue qui semble flotter, se soulever ou s’abattre comme une crinière ondulée. Vous êtes au fond d’une baie de peu de profondeur, qui s’évase largement, et que deux pointes de terre inégales protègent de chaque côté contre la violence des vents du nord-est ou du sud-ouest ; le chemin, un chemin plus beau, plus régulier que les chemins macadamisés les mieux entretenus, passe presque sur la grève, entre deux haies de maisons qui se suivent dru sur une longueur de vingt arpens et qui constituent le cœur même de la ville ; derrière, un côteau dominé par de grands édifices tels que le palais de justice, le collège et le couvent, et recouvert çà et là de villas élégantes que des jardins naissants et d’ingénieuses plantations dérobent plus ou moins au regard. À l’extrémité de gauche, une rivière extrêmement pittoresque, variant de deux à cinq cents pieds en largeur, se fraye sournoisement un chemin dans l’intérieur du pays et va se perdre près de la frontière avec ses truites, ses saumons et ses anguilles qui ont escaladé cascades, écluses et barrages. À l’extrémité de droite, c’est la pointe apparente que fait la baie en se refermant, et qui n’offre aucun relief, mais dont le contour régulier, au dessin ferme et pur, s’harmonise agréablement avec l’ensemble du paysage. En face, à une lieue au large, s’étend la gracieuse, l’élégante île de St. Barnabé, île protectrice qui défend Rimouski des vents du nord, qui reçoit sans distinction rêveurs et pique-niqueurs, également hospitalière à tous, qui ne demande pas mieux que de se faire tondre par les nombreux visiteurs à court de bois, et qui n’a véritablement pas de défauts, malgré ce qu’en disent les baigneurs qui vont se jeter à l’eau sur son rivage, s’y gèlent en une seconde et se plaignent ensuite de ce que l’île ne les réchauffe pas.



Dans Rimouski il y a plusieurs genres de beautés ; la beauté ample, à découvert, sans obstacle devant la vue, beauté libre et souveraine que le majestueux St. Laurent déploie dans son cours. Il y a la beauté pittoresque et gracieuse, nourrie d’inattendus, abondante en détails, pleine de capricieux désordres, de promesses interrompues, de séductions, de détours et de fallacies savamment ménagées pour le plaisir de l’âme et des yeux ; c’est la beauté qu’offrent dans son cours furtif la rivière Rimouski et ses rives tantôt dérobées, tantôt étalées en plein soleil sous la chaude averse des rayons d’été ; çà et là bordées d’épaisses touffes d’arbrisseaux qui jettent une ombre silencieuse sur des eaux profondes et claires comme le cristal, ou bien recevant la dernière ondulation de longues collines qui s’abaissent lentement sous une toison de verdure ; ici, cascade bondissant, à travers les rochers, courant éparse dans trois ou quatre directions, prenant un lit, quittant l’autre, changeant de rive, allant et revenant affolée, jusqu’à ce qu’elle disparaisse tout à coup comme engouffrée au sein de la terre ; là, nappe profonde, calme avec majesté, insouciante des vents qui font frissonner la rive, reflétant sans une ride l’azur sombre du ciel, dormant ainsi depuis des siècles dans une immobilité pleine de sourdes tempêtes, comme si elle attendait l’heure fatale pour les faire éclater ; plus loin, cours facile, sans ambages et sans heurts, se prêtant aux moindres souffles qui tremblent dans l’air et brisant en mille paillettes lumineuses les rayons du soleil dispersés sur son dos. Il y a enfin la beauté simple et harmonieuse du paysage qu’on embrasse en un coup-d’œil, dont tous les détails se révèlent simultanément et se complètent l’un l’autre pour former un ensemble auquel rien ne manque. Ce dernier genre de beauté est surtout propre à Rimouski. Difficilement, en effet, on trouverait ailleurs un endroit qui renferme autant d’harmonie dans la disposition de ses parties, qui ait une assiette plus unie et qui soit d’un dessin plus sobre, plus régulier et plus pur.



Rimouski est l’endroit par excellence au point de vue des tempéraments ; il convient à tous les caractères et à tous les états, à toutes les conditions de l’esprit et du corps. Grâce au cadre qui l’entoure, il combine un air remarquablement doux et tempéré avec l’air âcre et vigoureux de la mer, en sorte que les poitrines robustes et les poitrines délicates s’en accommodent également. Il convient aux gens de la ville qui ont besoin de mouvement, qui veulent sentir la vie autour d’eux, parce que, de toutes les petites villes du Canada, il n’y en a pas une où il y ait autant d’animation et de va-et-vient qu’à Rimouski. Là, tout le monde est sur pied, allant et venant au dehors, foulant à toute heure un magnifique trottoir de cinq pieds de largeur et de deux milles et demi de longueur en ligne droite, trottoir unique, qu’on parcourt sans fatigue et avec reconnaissance pour le maire actuel de l’endroit, M. Louis Gauvreau, homme fort intelligent, homme de progrès, qui connaît le monde et qui n’a accepté sa charge qu’à la condition qu’on le laissât compléter sans délai tout ce qui manquait encore pour faire de Rimouski une véritable petite ville moderne, propre au citadin aussi bien qu’au touriste.

On ne saurait s’imaginer combien il est ravissant de se promener par un beau clair de lune, et à marée haute, sur ce long trottoir qui suit le cours du fleuve et en reçoit les émanations pénétrantes mêlées à la brise parfumée du soir. Tout le monde vient aspirer avec délices cette atmosphère pleine de mâles et vivifiantes caresses. Celui qui a travaillé tout le jour ou qui a calculé pour l’avenir, qui a médité, pensé de longues heures et pleuré peut-être, vient y livrer son front soucieux et chargé de regrets ; la nature, cette grande consolatrice, le calme, le réconforte et lui apporte de nouvelles espérances. Le jeune homme rêveur, qui a encore l’illusion, cette touchante bêtise du cœur où l’on puise une foi sans limite en ce qu’on aime, y vient chercher des inspirations et les secrets merveilleux qui le conduiront à l’âme dont la sienne est éprise. Les jeunes filles, essaim bruyant, peu songeur, volant d’amourettes en amourettes comme l’oiseau de branche en branche, sans se poser nulle part, et pour qui le « doux esclavage » est une métaphore imaginée à leur profit, les jeunes filles aussi y viennent en troupe nombreuse, en troupe redoutable, essayer de discrètes séductions sous le regard bienveillant de la lune et la complicité sereine des étoiles. Les grandes ombres de l’île St. Barnabé qui sommeille au large, celles des pointes, qui se projettent de chaque côté de la ville assoupie, et des collines qui étagent au loin leurs crêtes boisées, se rassemblent comme pour jeter une teinte mélancolique sur le ciel scintillant. On croit les voir s’approcher et vous envelopper, et cependant elles gardent, immobiles, leur forme indécise, vaguement flottante, comme les voiles étendues d’un grand navire qui attend les premiers souffles du vent.


Tout ce qui vit, dans Rimouski, tout ce qui sent, hommes, femmes, vieillards, jeunes gens, fillettes et garçons, quitte au soleil couché les travaux et les soucis, abandonne les maisons et se répand comme un flot pendant deux heures sur le trottoir retentissant. La plage rend mille échos qui répondent à la cadence des pas, aux chuchotements des conversations intimes, et les soupirs de la vague se mêlent à ceux des poitrines dilatées par de longs et tendres aveux.

C’est l’heure des jeunes surtout, de ceux qui ont la vie devant eux, et quelle foule ils sont ! Il n’y a pas d’endroit, certes, dans toute la province, où l’on puisse trouver une aussi brillante génération des deux sexes, aussi nombreuse, aussi cultivée, aussi indépendante d’esprit et, en même temps, qui ait des manières plus aimables et plus courtoises. On peut dire que Rimouski est l’endroit par excellence de la politesse aisée et de l’urbanité cordiale qui s’étend à toutes les relations et les facilite en les protégeant contre la familiarité vulgaire. C’est que tous les citoyens s’y fréquentent, entretiennent entre eux des rapports constants et que les manières, se communiquant ainsi des uns aux autres, se généralisent. À Rimouski, ce qu’on appelle l’échelle sociale est une chose fort indéterminée ; on n’y connaît pas d’inférieurs et un niveau presque uniforme se répand sur toutes les têtes, parce que la plupart des gens, de toute catégorie et de tout état, ont une culture à peu près égale, des façons et un langage qui rendent les distinctions bien difficiles à établir.

À Rimouski, il n’y a personne, sachant lire, qui ne reçoive un ou plusieurs journaux, chose absolument unique dans toute la province. Le nombre des lettres, reçues et expédiées à son bureau de poste, est plus considérable que celui de toutes les paroisses réunies de la rive sud, sur une longueur de cinquante lieues, si l’on en excepte Lévis et Fraserville. Mais les abonnements se bornent un peu trop exclusivement aux journaux de Québec. On est si loin de Montréal ! et l’intérêt que peut inspirer un journal de la métropole canadienne semble diminuer en raison directe du carré des distances, ce qui ne lui en laisse guère à son arrivée à Rimouski.



Pour être vivant, animé, Rimouski n’a pas besoin d’étrangers ; il se suffit à lui-même. Sa population condensée, active, est très sorteuse ; tout le monde est dehors, ce qui porterait aisément l’étranger à se tromper sur le nombre réel des citoyens. Comme à la Rivière-du-Loup, il y a beaucoup de passants, de gens qui sont obligés pour ainsi dire d’arrêter quelques heures, parce que Rimouski est un chef-lieu d’une nature exceptionnelle, le centre d’approvisionnement d’une immense région qui s’étend jusqu’à la Baie des Chaleurs et à la frontière du Nouveau-Brunswick. C’est là aussi qu’arrêtent, tant que dure la navigation, les paquebots de la ligne Allan et qu’ils prennent la malle de toutes les provinces à destination de l’Europe, en même temps que les passagers venus pour traverser l’Océan. C’est là encore qu’ils stationnent à leur retour pour être visités par l’officier de douane et pour déposer la malle européenne ; ils y laissent aussi les passagers d’outre-mer qui veulent prendre l’Intercolonial et se rendre, soit dans les provinces maritimes, soit dans les provinces supérieures.

À cet effet, il a été construit un petit embranchement de deux milles qui, partant de la ligne de l’Intercolonial, aboutit à l’extrémité du quai de Rimouski, quai prodigieux qui a douze arpents de longueur sur trente pieds à peine de largeur, et qui s’avance dans le fleuve comme une véritable batture. Malgré cette longueur, il était à peu près inutile et il n’aurait jamais servi qu’à immortaliser l’incomparable et l’honorable feu M. François Baby, si le gouvernement fédéral ne lui eût fait ajouter au printemps dernier une aile qui garde à l’abri de tous les vents le petit tender dont la fonction est de porter à bord du paquebot, mouillé au large, la malle et les passagers que lui transmet le chemin de fer.

Or, cette fonction se réduit à deux petites courses par semaine, l’une vers le steamer qui part et l’autre vers le steamer qui arrive. Tout le reste du temps, le tender est inactif et son équipage baille sur le quai. Pour cela, le gouvernement paie environ trois cents dollars par mois. On se demande s’il ne serait pas infiniment préférable, tout en étant praticable, que le gouvernement employât un bateau plus grand, dont l’objet serait surtout de relier avec Rimouski les établissements isolés de la rive nord, depuis Tadoussac jusqu’à Manicouagan, une distance d’environ trente-cinq lieues, d’y faire le transport des provisions et effets, et d’en rapporter les produits de la pêche et les fourrures qui sont les seuls articles vendus au dehors par la population de ces établissements. Mais cela dérangerait, paraît-il, le service régulier et précis de la malle ; il peut arriver que le tender soit retardé dans l’une de ses courses par des brouillards ou par un accident quelconque, et alors le steamer océanique serait contraint d’attendre son arrivée. Tous les avantages que l’on retire de l’expédition de la malle jusqu’à Rimouski, par l’Intercolonial, seraient en conséquence perdus et l’on pourrait accuser le gouvernement de subordonner la chose publique à un intérêt local.

Cependant, il semble facile de concilier les deux. Le fleuve, devant Rimouski, a douze lieues de largeur ; qu’on donne au tender les trois premiers jours de la semaine pour visiter, l’un après l’autre, les quatre ou cinq établissements du nord et revenir aussitôt après avoir chargé et déchargé sa cargaison, ce pour quoi il aurait amplement le temps nécessaire. S’il lui arrivait d’être enveloppé de brouillards persistants, il ne serait pas plus retardé que le steamer lui-même, obligé par le même contretemps de rester immobile ; et si le service de la malle en éprouvait quelque inconvénient, cette circonstance serait si rare et si exceptionnelle que l’on aurait sérieusement tort de lui sacrifier un grand avantage positif, assuré à une vaste partie du pays qui manque de moyens de communication. Aussi, les citoyens les plus influents de Rimouski ont-ils pétitionné le gouvernement, il y a quelques mois, pour qu’il leur envoyât un tender capable de porter autre chose que des sacs de lettres et quelques passagers. Ils attendent encore une réponse, ce qui ne veut pas dire que le gouvernement ne s’occupera pas de la chose au premier moment opportun ; il a tout à y gagner du reste, car le commerce de Rimouski avec les chantiers du nord et la circulation des voyageurs le rembourseraient presque des frais auxquels l’oblige l’entretien d’un tender qui reste oisif pendant six jours de la semaine.

Si le tender est forcément oisif, en revanche son équipage ne demande qu’à agir et son capitaine, M. Lavoie, homme aussi affable et complaisant que marin habile, se désole d’une inaction qui ne va guère à un loup de mer et regarde avec amertume la fumée des steamers qui passent à l’horizon, pendant qu’il est obligé de garder dans la soute du sien tout son combustible inutile, inutile même pour faire cuire des beafsteaks et rutiler l’omelette au lard. Il attend, Rimouski attend, le gouvernement attend.

« Savoir attendre » est une grande force, dit le proverbe ; mais c’est une force qui finit par agacer et par rendre maussade.



Rimouski est un des anciens endroits de la province. La première concession qui en fut faite, par le gouverneur de Brisay au sieur de la Cardonnière, remonte à l’année 1688. Huit ans plus tard, M. de la Cardonnière cédait sa seigneurie à René Lepage de Ste Claire qui, le premier, vint s’y fixer. Il y a donc aujourd’hui près de deux siècles que la première maison de Rimouski fut élevée par son premier habitant, qui était en même temps le seigneur de la place.

Ce n’était pas tout d’avoir une maison et de posséder un domaine de deux lieux de front sur deux lieux de profondeur. Il fallait attirer des censitaires sur ce domaine et y amener des colons qui paieraient un sou de rente par arpent défriché, comme cela se faisait parmi les anciens canadiens. Mais il n’y avait pas d’agence d’émigration à cette époque-là ; nos pères comptaient bien plus sur eux-mêmes que sur les autres ; aussi le sieur René Lepage de Ste Claire se hâta-t’il de donner l’exemple sans retard. Il ne fit ni une ni deux ; il avait pour épouse une de ces canadiennes du bon vieux temps qui ne marchandaient pas la progéniture ; elle lui avait déjà donné six enfants ; il lui en demanda encore, et la digne femme lui en apporta dix de plus.

C’était commencer d’un bon train. Mais il en fut malheureusement de la colonie de Rimouski comme de toutes celles d’alors ; l’établissement en fut ardu, pénible, et partant lent. Aussi, plus de soixante ans plus tard, à l’époque de la conquête, n’y avait-il encore à Rimouski qu’une vingtaine de maisons disséminées sur un espace de quatre lieues carrées, et une population ne dépassant pas trois cents âmes.


Si l’on consulte les registres des mariages et naissances qui ont eu lieu dans Rimouski pendant les dix-huitième et dix-neuvième siècles, on voit que la progression est loin d’être régulière. Les écarts sont considérables ; le chiffre des mariages surtout varie, tandis que celui des naissances se soutient avec une certaine allure mathématique qui fait voir que les enfants ne s’empressaient pas de mourir, à peine venus à la lumière, comme ils en ont pris l’habitude depuis bien des années déjà. Ainsi, les mariages se maintiennent pendant près d’un siècle et demi, avec une moyenne extrêmement changeante et languissante à la fois, jusqu’à ce que tout à coup, en 1838, les habitants de Rimouski deviennent furieux ; quarante-cinq d’entre eux se marient cette année-là et il y a deux cent douze naissances. Il fallut trente-quatre ans pour qu’ils pussent se remettre d’une pareille émotion, et ce n’est qu’en 1830 qu’on voit le chiffre des mariages s’élever à quarante-huit, après être descendu dans l’intervalle jusqu’au chiffre absolument méprisable de dix.

On remarquera aussi, en consultant les registres de la paroisse, que le nombre des décès n’était pas du tout en rapport avec celui des naissances. On mourait peu au siècle dernier ; on meurt peu encore aujourd’hui, proportion gardée ; Rimouski est décidément un endroit où les gens ont la vie dure, autant qu’ils ont le cœur tendre ; c’est pourquoi l’on y comptait en 1870 jusqu’à seize individus mariés depuis plus de cinquante ans et qui étaient encore loin d’être blasés. Une année seulement, en 1830, le nombre des sépultures atteignit un chiffre inouï, effrayant. Cent-sept personnes furent enterrées. C’était probablement en prévision du grand choléra qui devait éclater deux ans plus tard : les gens mouraient d’avance afin d’être sûrs d’y échapper.



Rimouski, nous l’avons remarqué plus haut, a une existence assez ancienne, comparée à celle des autres établissements canadiens. Il a été chanté dans des vers immortels qu’on trouve cités dès au début d’un petit volume intitulé « Chronique de Rimouski, » lequel volume a paru il y a quatre ans. On ne peut s’empêcher de reproduire ces vers dans la présente chronique, et on ne pourra s’en empêcher non plus dans toutes les autres chroniques qui suivront sur le même sujet. Les voici dans leur fraîcheur bucolique :

« Aux parages lointains où le fleuve est immense

Immense n’est pas une cheville.

« Non loin des grandes eaux où l’océan commence, »

L’océan commence aux grandes eaux !!… C’est rare.

« Sur un banc de récifs, et dans l’ombre du soir,
L’Île St. Barnabé dessine un long trait noir. »

Ceci n’est pas d’accord avec la peinture qui en est faite par M. J. Charles Taché, et que cite également l’auteur dès la page suivante. Ainsi M. Taché appelle l’Île St. Barnabé une délicieuse corbeille de verdure vive, au sein des eaux du grand fleuve. Il serait difficile de faire dessiner un long trait noir à une corbeille de verdure vive, mais quand on est poëte, on voit aisément, dans ses moments d’inspiration, la nature entière se livrer aux beaux-arts. Dans ces moments-là, la spécialité des Îles, c’est de dessiner. Sachons gré à M. Taché de ne pas faire de vers et de se contenter de trouver le fleuve grand en prose ; poëte, il eût été condamné à le trouver immense tout d’un coup. Mais continuons la lecture de notre ode.

« Il faut jusqu’au détour (quel détour ?) en suivre le rivage,
Par derrière s’élève, au midi, sur la plage »…

Ah ! nous y sommes. C’est le détour du derrière.

« Le bourg de Rimouski, déjà tant orgueilleux
De l’honneur infini d’être l’un des chefs-lieux.»…

Tout est grand dans cette poésie lyrique. Le fleuve est immense, l’honneur est infini ; infini ! pourquoi ? Parce que Rimouski est un chef-lieu ! Il est vrai qu’il est tant orgueilleux, et que, lorsqu’on est tant orgueilleux, et qu’on a un honneur avec cela, cet honneur ne peut être autre qu’infini. Voilà comment les choses s’expliquent.



En veine de faire des citations, l’auteur de la « Chronique » reproduit, quelques lignes plus loin, une description de Rimouski par M. J. M. Lemoine, cet incomparable écrivain qui écrit dans les deux langues, française et anglaise, c’est-à-dire qu’il a trouvé le moyen d’écrire l’anglais avec des mots français, et le français avec des mots anglais. C’est ce tour de force qui fait que le lecteur est toujours dérouté, mais toujours porté à l’indulgence. Si c’est un anglais qui lit : « Ce n’est pas étonnant, se dit-il, que M. Lemoine écrive comme cela ; l’anglais n’est pas sa langue. » Lorsque c’est un lecteur canadien-français : « C’est curieux, pense-t-il, Lemoine est pourtant un nom français ; mais évidemment, l’auteur est anglais. » Entre les deux lecteurs, M. Lemoine s’échappe, comme un homme qui a joué un tour, et il recommence à quelques jours de là sans que le public puisse jamais avoir le mot de l’énigme.

Voici comment il décrit Rimouski, dans son « Album du Touriste » :

« Rimouski, comme chef-lieu d’un grand district judiciaire, comme siége épiscopal, autant qu’à titre d’une des principales stations du chemin de fer intercolonial, jouera, nul doute, dans l’avenir, un rôle important… Deux mesures vitales pour Rimouski sont, érection en eaux profondes d’une jetée… et création d’un hâvre de refuge pour les vaisseaux de long cours. »

Je donnerais tout au monde pour connaître l’inventeur de la pioche dont on peut se servir pour écrire dans un style pareil, pour oser faire des descriptions surtout, genre extrêmement difficile et qui demande un pinceau aussi délicat qu’exercé.

Évidemment l’auteur de la « Chronique » est sans pitié pour ceux qu’il reproduit ; heureusement qu’il rachète cette cruauté dès la page suivante en citant un autre écrivain, celui-là vrai coloriste, qui a peint Rimouski en deux mots saisissants : « Le panorama, dit-il, en est des plus enchanteurs, et mérite grandement d’attirer l’attention de l’étranger amateur de la belle nature. »

Il n’y a pas un autre endroit au monde dont on pourrait dire quelque chose d’aussi précis, qui peigne plus exactement la physionomie de ce que l’on représente et l’impression qui en résulte. Par ces citations le lecteur peut juger de l’ouvrage lui-même, pauvre petit oiseau sans plumes, chétif, qui est éclos on ne sait comment et qui n’a d’autre mérite que le récit de quelques faits isolés, perdus au milieu d’une longue et lourde psalmodie faite en langue canadienne dans le cours de 250 pages.

Mais revenons à notre sujet.



Le nom de Rimouski, paraît-il, est emprunté à la langue des micmacs et veut dire, soit Rivière de Chien, soit Terre à l’Orignal. On voit qu’il y a de la marge entre ces deux interprétations. Le commentateur le plus conciliant trouverait malgré lui qu’une rivière de chien n’est pas absolument la même chose qu’une terre à l’orignal, mais qu’à cela ne tienne ; il y a moyen de s’entendre ; laissons la rivière au chien et la terre à l’orignal, et sauvons-nous des querelles d’étymologie qui sont d’autant plus difficiles à résoudre qu’on leur cherche plus de solutions. Le langage moderne, du reste, est aussi amphigourique, aussi micmac que l’ancien sous ce rapport. Ainsi, lorsque vous dites : « J’ai un mal à la tête de chien, » celui qui vous entend n’est pas plus avancé que si vous lui disiez : « J’ai un torticolis d’orignal qui me visse le cou dans les épaules. » Il en est ainsi de tant d’autres choses que ce n’est vraiment pas la peine de se tourmenter pour en découvrir l’origine.



C’est à cinq milles environ de la ville de Rimouski que se trouve la fameuse Pointe-au-Père d’où un télégraphiste, aux ordres du gouvernement, signale le passage des navires et steamers d’outre-mer. J’écris à dessein Pointe-au-Père, et non pas Pointe-aux-Pères, comme on le fait généralement par erreur. Ce nom vient en effet de la première apparition, sur le rivage de Rimouski, du père Henri Nouvel qui y débarqua, le 7 décembre 1663, et y célébra la première messe qu’on y eût encore entendue. Il n’y a pas lieu cette fois à une savante dissertation étymologique, et le lecteur nous saura gré de rectifier à si peu de frais une petite erreur d’orthographe qui n’a jamais eu de conséquences, mais qui n’en est pas moins une erreur et, à ce titre, doit être signalée pour l’édification des traducteurs de dépêches, espèce d’hommes de lettres que j’estime beaucoup et qui ne me le rendent guère.



Quelques mois après l’arrivée du seigneur René Lepage était venu se fixer à Rimouski un autre colon, du nom de Pierre St. Laurent. Ces deux hommes ont été chacun la souche de deux familles dont on ne compte plus les membres. Rimouski est peuplé tout entier de St. Laurent et de Lepage, et le grain en est resté bon. Ils n’ont pas l’air de vouloir s’éteindre de sitôt : feu Abraham les reconnaîtrait vite pour des gens de sa race ; on dirait qu’ils ont l’instinct de leur mission patriarcale là où la Providence les a conduits ; toute une famille de Lepage en effet porte des noms de patriarches, et cette famille est si nombreuse que l’Ancien Testament n’a pu lui fournir assez de noms ; il a fallu en emprunter au calendrier moderne, ce qui n’a pas été fait sans répugnance, pour des Lepage surtout, les conservateurs les plus endurcis de la province.

Quant aux St. Laurent, ils le disputent non pas, si l’on veut, aux sables de la mer, mais du moins aux oiseaux du ciel. Il y en a de semés partout, de tous les états et de toutes les conditions. Mon hôtelier, celui-là même qui tient l’hôtel Rimouski, en est un. Je vous le recommande entre tous, d’autant plus que si vous alliez à Rimouski sans indication préliminaire, vous ne sauriez lequel choisir des nombreux, trop nombreux hôtels qui s’y trouvent. Celui de M. St. Laurent est le plus ancien et il est le seul qui ait conservé son patronage d’autrefois, qui se maintienne dans des conditions de prospérité relatives. Les autres périclitent, ou s’arrachent, comme on dit ici, péniblement. Leur nombre dépasse de beaucoup les besoins de la localité, et même ceux des voyageurs ; comment, du reste, voulez-vous qu’ils résistent à l’invasion des caboulots, des buvettes improvisées, des bars d’occasion qui se dressent de tous côtés dans la petite ville ?

C’en est un vrai fléau ; on en compte un à toutes les quatre ou cinq portes. Quiconque ne peut réussir, dans l’industrie qu’il exerce, à mettre les deux bouts ensemble, se fait à moitié aubergiste et tient un petit débit de bière et de gin où les jeunes gens vont s’ouvrir l’appétit, après comme avant le repas, ou terminer la soirée par un night cap, sorte de conclusion qui recommence toujours. Jusqu’aux barbiers qui font ce commerce ! Il y en a deux dans l’endroit, et tous deux débitent avec passion. D’une main le rasoir, de l’autre la bouteille ; savonnette et flacon ! « Entrez, messieurs ; que désirez-vous ? Une barbe ou un cocktail ? Ici, l’on rase, ici l’on boit ; on mange même : voici du jambon, voici du saucisson, voici des huîtres ; allez-y. » Comment résister à des Figaros pareils, à des Figaros restaurateurs ? Le barbier aubergiste ? Que reste-t-il à faire à Rimouski après avoir produit un pareil type ?

Il n’y a à peu près que les joueurs d’orgues de Barbarie qui ne tiennent pas de bars, et, encore, on n’en saurait répondre. Cela vient de ce qu’à Rimouski il n’y a pas de licence accordée pour la vente des boissons au détail ; de sorte que tout le monde a le droit d’en vendre et que l’hôtelier n’a pas celui de se plaindre ; il est obligé de subir cette compétition et de tâcher de la vaincre à armes égales, ce qu’il ne peut guère espérer, parce que le patronage est trop restreint et que, du reste, il se porte dans tous les sens, suivant l’inclination du moment.

Les gens de Rimouski ont trouvé instinctivement le meilleur moyen de combattre le commerce des liqueurs fortes ; c’est par l’abus même. Il n’y a pas de restriction ni de pénalité qui vaille ce remède-là. C’est en vertu de ce principe que se fait le traitement des ivrognes dans certains établissements d’Allemagne et des États-Unis. On met de la boisson forte dans tout ce que le malade mange et dans tout ce qu’il boit, et, au bout de quelque jours, il n’y tient plus. L’odeur, le seul aspect de la boisson lui donne des crises ; on continue jusqu’à ce que décidément il aime mieux se laisser mourir que de boire ou manger quoi que ce soit qui contienne une goutte de la maudite liqueur. Alors, il est guéri pour toujours, ou, du moins, pour bien longtemps, et il peut quitter la maison de santé. C’est ainsi que le nombre excessif des endroits où l’on peut boire finira par en donner le dégoût. Ce ne sera plus traiter un ami que de lui offir une chose qu’il peut avoir à toutes les trois ou quatre portes, et quand on n’aura plus de prétexte pour boire inutilement, pas même celui de faire une politesse, on se lassera bientôt d’habitudes qui font perdre le temps, qui détruisent les facultés, abrègent la vie et portent avec elles une foule de vices.

Si aujourd’hui, en l’an de grâce 1877, le nombre des Lepage et des St. Laurent est aussi grand que celui des coquilles sur le rivage, il n’en a pas été toujours ainsi. Ces patriarches ont procédé d’abord avec circonspection et mesure. On voit en effet que, lors de la conquête, plus de soixante ans après sa fondation, Rimouski ne comptait pas encore quatre-vingts personnes, ce qui était tout-à-fait insuffisant pour repousser l’invasion anglaise.

Lorsqu’en 1791, la métropole nous accorda une contrefaçon de régime constitutionnel, le Canada fut divisé en circonscriptions électorales, et l’on donna le nom de Cornwallis au comté qui comprenait alors les trois comtés actuels de Rimouski, de Témiscouata et de Kamouraska. Quatorze députés, dont quatre furent réélus, ont tour à tour représenté ce comté jusqu’à l’union des deux Canadas en 1841. Depuis, il y a eu dix représentants du comté de Rimouski ; les deux qui siègent actuellement sont, l’un au parlement fédéral, M. le Dr. Fiset, l’autre au parlement local, M. Alexandre Chauveau. Tous deux voient leur popularité s’accroître de jour en jour ; appuyés l’un sur l’autre, ils peuvent braver toutes les oppositions, au point qu’on ne sait pas encore quelle est celle qui oserait se produire. Tous deux, appartenant à ce conservatisme mitigé, plein de correctifs et de nuances, qui admet toutes les réformes et tous les progrès qui ne sont pas intempestifs ou violemment poursuivis, conviennent admirablement à un comté qui a presque toujours été conservateur et qui, petit à petit, s’éclaire et se forme aux idées libérales. Sans être un rouge, dans l’acception absolue de ce mot, le Dr. Fiset donne son appui constant au cabinet McKenzie, tandis que M. Chauveau retire sans éclat le sien au gouvernement de Boucherville et facilite la marche de son comté vers des idées plus saines et plus indépendantes. On ne peut que leur souhaiter à tous deux le succès, d’autant plus que c’est chose facile et que ce succès semble assuré pour longtemps. Heureux candidats qui n’auront à craindre que quelques légers mécomptes et quelques nuages furtifs qui se dissiperont dans la sérénité d’un ciel politique fait expressément pour eux !



En 1831, l’ancien comté de Cornwallis fut divisé en trois comtés nouveaux, ceux de Rimouski, de Témiscouata et de Kamouraska. Le comté de Rimouski seul n’a que cinquante-cinq lieues de front sur une profondeur qui atteint parfois soixante milles : cela équivaut à un petit état européen de deux à trois millions d’âmes. Sir Edmund Head, gouverneur du Canada, en fit un district judiciaire en 1857 et la fondation du diocèse eut lieu dix ans après, avec Mgr, l’évêque Langevin pour premier titulaire. Si le comté de Rimouski seul a les dimensions d’un petit état, que dire du diocèse qui comprend en outre l’immense comté de Gaspé, celui de Témiscouata et toute la région du nord depuis la rivière Portneuf, vis-à-vis Rimouski, jusqu’au Labrador ? Ce n’est pas absolument réjouissant que d’avoir une pareille perspective devant soi, lorsqu’on entreprend de faire une tournée apostolique ; heureusement que les Lettres Pastorales peuvent y suppléer, et que l’administration diocésaine va toute seule dans le pays du monde le plus aisé à gouverner religieusement !

Maintenant, il ne me reste plus grand’chose à dire sur le compte de Rimouski et j’aurais à peu près épuisé mon sujet si l’Intercolonial, dont j’entends le roulement s’approcher de seconde en seconde, ne m’apportait une dernière ressource avant que je ne m’envole avec ma chronique vers la métropole, impatient de revoir des murs et de faire respirer la poussière à mes poumons gonflés des senteurs du varech.[1]

Quelle belle, quelle bonne et excellente voie que celle de l’Intercolonial qui s’étend depuis la Rivière-du-Loup ou Fraserville jusqu’à Halifax ! Son parcours, en ligne droite, est exactement de cinq cent soixante milles. On dit qu’elle est la ligne la mieux faite, la plus complète et la plus solide de toute l’Amérique. Elle n’a pas été construite en effet dans un but de spéculation, ni terminée à la hâte afin de rapporter au plus tôt des bénéfices. Elle a été l’œuvre d’un gouvernement qui avait alors pour objet d’en faire une voie militaire avant tout, sans songer que jamais elle pourrait payer même ses frais. Eh bien ! il est arrivé que, dès la première année, le nombre des passagers et le commerce de fret ont suffi pour combler toutes les dépenses, moins quelques milliers de dollars, sur un montant total de sept cent mille piastres.[2]

On ne se figure pas la quantité de fret qui passe tous les jours sur l’Intercolonial, entre Halifax et la Rivière-du-Loup. Ce sont des suites de trains qui n’en finissent plus, et cela quatre fois par jour, deux fois en chaque sens, sans compter l’Express qui ne met que vingt heures à parcourir ses 560 milles. Les rails sont en acier, les ponts élégants autant que solides ; on sent que rien n’a été épargné pour faire de cette ligne un véritable monument de l’industrie moderne ; on n’y reçoit ni les secousses ni les heurts qui sont l’accompagnement habituel de tout voyage sur le Grand-Tronc, et lorsqu’on quitte ce dernier pour prendre l’Intercolonial, c’est comme si l’on sautait d’une charette sur un quatre-roues bien coussiné.

Ce que fera l’Intercolonial pour l’avenir du Dominion, on ne saurait en avoir dès maintenant une trop haute idée. La vallée de la Métapédia, un des futurs greniers du pays, qui était absolument sauvage et déserte il y a quelques années, est maintenant habitée sur la plus grande partie du parcours de la ligne ; les chasseurs et les pêcheurs qui parcouraient autrefois ses magnifiques lacs et ses forêts giboyeuses, commencent à diriger ailleurs leurs pas ; ils ne s’y reconnaissent plus. Le voyage à Halifax, auquel on ne pensait jamais jadis, qui prenait cinq jours il n’y a pas plus de deux ans, qui n’avait aucune espèce d’attrait, est aujourd’hui devenu d’occurrence journalière. Il y a constamment des gens du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse qui se rendent dans nos principales villes, et vice-versa. Nous devenons familiers avec les ressources, les développements et les mœurs de ces provinces maritimes qui ne nous intéressaient jadis que de loin en loin, et dont nous ignorions à peu près la situation politique et commerciale. Une ligne de chemin de fer oblige à connaître la géographie et les conditions générales des pays avec lesquels elle vous met en rapport ; ainsi, grâce à l’Intercolonial, nous allons être désormais en relations constantes avec les provinces maritimes et les îles du Cap Breton et du Prince-Édouard ; et ces provinces éloignées ne nous paraîtront plus comme les extrémités à peine sensibles d’une vaste confédération, mais comme partie intégrante de nous-mêmes, vivant de notre vie, confondues dans des aspirations communes, grandissant et se développant avec nous.

Voilà quel est le résultat déjà fort appréciable d’une ligne qui ne fonctionne que depuis un an, et qui, contrairement à toute attente, deviendra avant longtemps une source de profits pour le trésor en même temps qu’elle est un bienfait incalculable pour toute l’Amérique anglaise. Et que n’a t’on pas fait pour en empêcher l’exécution ! Combien d’hommes éminents dans la politique n’ont pas cessé de la condamner, de la dénoncer dès l’origine comme une cause future de banqueroute, comme la plus grande inutilité, sinon la plus grande absurdité qu’on pût concevoir ! Combien d’anathèmes et de sarcasmes n’ont-ils pas usé contre elle ! L’Intercolonial n’en est pas moins construit ; il a coûté vingt millions ; eh bien ! soyons-en heureux et fiers. Il rapportera en proportion de ce qu’il a coûté ; il va être le grand moteur qui mettra en mouvement tout un système de communications multipliées entre les parties diverses du Dominion ; il va être la grande artère principale de deux provinces importantes, à laquelle se ramifieront bientôt, une foule d’autres artères secondaires dirigées dans tous les sens ; enfin, il va être le véhicule d’un énorme commerce qui ne fera que prendre avec les années des proportions de plus en plus merveilleuses.

  1. Ceci était écrit à Rimouski même, l’été dernier.
  2. Au mois de novembre dernier, 1877, le coût du transport des passagers sur l’Intercolonial a été de $31,363,95, celui du fret $70,156,77 et des malles $6,033,07, ce qui donne une augmentation de $7,565,61 sur le mois correspondant de 1876. Dans cette dernière année, le transport du fret, durant le mois de novembre, n’avait rapporté que $57,335,95, mais celui des passagers, en revanche, avait donné quatre mille dollars de plus que durant le même mois de 1877.