Petites Misères de la vie conjugale/2/11

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LE TYRAN DOMESTIQUE.


— Ma chère Caroline, dit un jour Adolphe à sa femme, es-tu contente de Justine ?

— Mais, oui, mon ami.

— Tu ne trouves pas qu’elle te parle d’une façon qui n’est point convenable ?

— Est-ce que je fais attention à une femme de chambre ? il paraît que vous l’observez, vous ?

— Plaît-il ?… demande Adolphe d’un air indigné qui ravit toujours les femmes.

En effet, Justine est une vraie femme de chambre d’actrice, une fille de trente ans frappée par la petite vérole de mille fossettes où ne se jouent pas les amours, brune comme l’opium, beaucoup de jambes et peu de corps, les yeux chassieux et une tournure à l’avenant. Elle voudrait se faire épouser par Benoît, elle a dix mille francs ; mais à cette attaque inopinée, Benoît a demandé son congé. Tel est le portrait du tyran domestique intronisé par la jalousie de Caroline.

Justine prend son café, le matin, dans son lit, et s’arrange de manière à le prendre aussi bon, pour ne pas dire meilleur, que celui de madame. Justine sort quelquefois sans en demander la permission, elle sort mise comme la femme d’un banquier du second ordre. Elle a le bibi rose, une ancienne robe de madame refaite, un beau châle, des brodequins en peau bronzée et des bijoux apocryphes.

Justine est quelquefois de mauvaise humeur et fait sentir à sa maîtresse qu’elle est aussi femme qu’elle, sans être mariée. Elle a ses papillons noirs, ses caprices, ses tristesses. Enfin, elle ose avoir des nerfs !… Elle répond brusquement, elle est insupportable aux autres domestiques, enfin ses gages ont été considérablement augmentés.

— Ma chère, cette fille devient de jour en jour plus insupportable, dit un jour Adolphe à sa femme en s’apercevant que Justine écoute aux portes ; et, si vous ne la renvoyez pas, je la renverrai, moi !…

Caroline, épouvantée, est obligée, pendant que monsieur est dehors, de chapitrer Justine.

— Justine, vous abusez de mes bontés pour vous : vous avez ici d’excellents gages, vous avez des profits, des cadeaux : tâchez d’y rester, car monsieur veut vous renvoyer.

La femme de chambre s’humilie, elle pleure ; elle est si attachée à madame ! Ah ! elle passerait dans le feu pour elle, elle se ferait hacher ; elle est prête à tout faire.

— Vous auriez quelque chose à cacher, madame, je le prendrais sur mon compte.

— C’est bien, Justine, c’est bien, ma fille, dit Caroline effrayée ; il ne s’agit pas de cela ; sachez seulement vous tenir à votre place.

— Ah ! se dit Justine, monsieur veut me renvoyer… Attends, je m’en vais te rendre la vie dure, vieux pistolet !

Huit jours après, en coiffant sa maîtresse, Justine regarde dans la glace pour s’assurer que madame peut voir toutes les grimaces de sa physionomie ; aussi Caroline lui demande-t-elle bientôt : ─ Qu’as-tu donc, Justine ?

— Ce que j’ai, je le dirais bien à madame, mais madame est si faible avec monsieur…

— Allons, voyons, dis ?

— Je sais bien, Madame, pourquoi monsieur veut me mettre lui-même à la porte : monsieur n’a plus confiance qu’en Benoît, et Benoît fait le discret avec moi…

— Hé bien ! qu’y a-t-il ? A-t-on surpris quelque chose ?

— Je suis sûre qu’à eux deux ils manigancent quelque chose contre madame, répond la femme de chambre avec autorité.

Caroline, que Justine observe dans la glace, est devenue pâle ; toutes les tortures de la petite misère précédente reviennent, et Justine se voit devenue nécessaire autant que les espions le sont au gouvernement quand on découvre une conspiration. Cependant les amies de Caroline ne s’expliquent pas pourquoi elle tient à une fille si désagréable, qui prend des airs de maîtresse, qui porte chapeau, qui fait l’impertinente…

On parle de cette domination stupide chez madame Deschars, chez madame de Fischtaminel, et l’on en plaisante. Quelques femmes entrevoient des raisons monstrueuses et qui mettent en cause l’honneur de Caroline.


AXIOME.

Dans le monde, on sait mettre des paletots à toutes les vérités, même les plus jolies.


Enfin l’aria della calumnia s’exécute absolument comme si Bartholo le chantait.

Il est avéré que Caroline ne peut pas renvoyer sa femme de chambre.

Le monde s’acharne à trouver le secret de cette énigme. Madame de Fischtaminel se moque d’Adolphe, Adolphe revient chez lui furieux, fait une scène à Caroline et renvoie Justine.

Ceci produit un tel effet sur Justine, que Justine tombe malade, elle se met au lit. Caroline fait observer à son mari qu’il est difficile de jeter dans la rue une fille dans l’état où se trouve Justine, une fille qui, d’ailleurs, leur est bien attachée et qui est chez eux depuis leur mariage.

— Dès qu’elle sera rétablie, qu’elle s’en aille ! dit Adolphe.

Caroline, rassurée sur Adolphe et indignement grugée par Justine, en arrive à vouloir s’en débarrasser ; elle applique sur cette plaie un remède violent, et elle se décide à passer par les fourches caudines d’une autre petite misère que voici :