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Petites Misères de la vie conjugale/2/12

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LES AVEUX.


Un matin, Adolphe est ultra-câliné. Le trop heureux mari cherche les raisons de ce redoublement de tendresse, et il entend Caroline qui, d’une voix caressante, lui dit : ─ Adolphe ?

— Quoi ! répond-il effrayé du tremblement intérieur accusé par la voix de Caroline.

— Promets-moi de ne pas te fâcher ?

— Oui.

— De ne pas m’en vouloir…

— Jamais ! Dis.

— De me pardonner et de ne jamais me parler de cela…

— Mais dis donc !…

— D’ailleurs, tous les torts sont à toi…

— Voyons !… ou je m’en vais…

— Il n’y a que toi qui puisses me faire sortir de l’embarras où je suis… et à cause de toi !…

— Mais voyons…

— Il s’agit de…

— De ?

— De Justine.

— Ne m’en parle pas, elle est renvoyée, je ne veux plus la voir, sa manière d’être expose votre réputation…

— Et que peut-on dire ? que t’a-t-on dit ?

La scène tourne, il en résulte une sous-explication qui fait rougir Caroline dès qu’elle aperçoit la portée des suppositions de ses meilleures amies, enchantées toutes de trouver des raisons bizarres à sa vertu.

— Eh bien, Adolphe, c’est toi qui me vaux tout cela ! Pourquoi ne m’as-tu rien dit de Frédéric…

— Le grand ? le roi de Prusse ?

— Voilà bien les hommes !… Tartufe, voudrais-tu me faire croire que tu aies oublié, depuis si peu de temps, ton fils, le fils de mademoiselle Suzanne Beauminet !

— Tu sais…

— Tout !… Et la mère Mahuchet, et tes sorties pour faire dîner le petit quand il a congé.

Quelquefois, l’Affaire-Chaumontel est un enfant naturel, c’est l’espèce la moins dangereuse des Affaires-Chaumontel.

— Quels chemins de taupe vous savez faire, vous autres dévotes ! s’écrie Adolphe épouvanté.

— C’est Justine qui a tout découvert.

— Ah ! je comprends maintenant la raison de ses insolences…

— Ah ! va, mon ami, ta Caroline a été bien malheureuse, et cet espionnage dont la cause est mon amour insensé pour toi, car je t’aime… à devenir folle… Non, si tu me trahissais, je m’enfuirais au bout du monde… Eh bien, cette jalousie à faux m’a mise sous la domination de Justine… Ainsi, mon chat, tire-moi de là !

— Que cela t’apprenne, mon ange, à ne jamais te servir de tes domestiques si tu veux qu’ils te servent. C’est la plus basse des tyrannies. Être à la merci de ses gens !…

Adolphe profite de cette circonstance pour épouvanter Caroline, car il pense à ses futures Affaires-Chaumontel, et voudrait bien ne plus être espionné.

Justine est mandée, Adolphe la renvoie immédiatement sans vouloir qu’elle s’explique. Caroline croit sa petite misère finie. Elle prend une autre femme de chambre.

Justine, à qui ses douze ou quinze mille francs ont mérité les attentions d’un porteur d’eau à la voie, devient madame Chavagnac et entreprend le commerce de la fruiterie. Dix mois après Caroline reçoit par un commissionnaire, en l’absence d’Adolphe, une lettre écrite sur du papier écolier, en jambages qui voudraient trois mois d’orthopédie, et ainsi conçue :


Madam !

Vous êt hindigneuman trompai perre msieu poure mame deux Fischtaminelle, ile i vat tou lé soarres, ai vous ni voilliez queu du feux ; vous n’avet queu ceu que vou mairitte, j’ean sui contant, ai j’ai bien éloneure de vou saluair.


Caroline bondit comme une lionne piquée par un taon ; elle se replace d’elle-même sur le gril du soupçon, elle recommence sa lutte avec l’inconnu.

Quand elle a reconnu l’injustice de ses soupçons, il arrive une autre lettre qui lui offre de lui donner des renseignements sur une Affaire-Chaumontel que Justine a éventée.

La petite misère des Aveux, souvenez-vous-en, mesdames, est souvent plus grave que celle-ci.