Petits Mémoires littéraires (Monselet)/Chapitre VIII

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CHAPITRE VIII

Arrestation de l’auteur. — Les cantates et Du Boys.

On me fait voir une livraison illustrée de l’Histoire du second empire, par M. Taxile Delord, où je figure dans une gravure hors texte, intitulée : Arrestation de M. Charles Monselet.

C’est une façon comme une autre de prendre place dans l’histoire, et contre laquelle je n’ai pas à protester, le fait étant d’une exactitude absolue. Je ne demande qu’à rectifier certains détails d’une mise en scène arrangée par le dessinateur d’une manière un peu trop arbitraire.

J’ai été arrêté en effet, sous le règne de Napoléon III, dans l’hiver de 1853. Pourquoi ? Je ne l’ai jamais su, mais je m’en doute. Je faisais alors le Courrier de Paris dans le feuilleton de l’Assemblée nationale, qui n’était pas bien en cour. On voulait frapper les journalistes en général ; on s’y prit un peu au hasard, comme on va le voir.

« Le gouvernement, — dit M. Taxile Delord, — ne voulant pas avoir l’air de frapper uniquement sur les journalistes légitimistes, mit la main sur MM. Chatard et Charreau père, de l’Estafette ; Théodore Pelloquet, du National ; Venet, Monselet, Vergniaud, Étienne Gérard, appartenant à divers journaux. Un Polonais, M. Tanski, ancien rédacteur du Journal des Débats, fut également incarcéré. M. Walewski et M. de Rothschild le réclamèrent vainement ; il resta plusieurs jours en prison, ainsi que M. Monselet. »

C’est la vérité, mais sur cette vérité le dessinateur a brodé des détails tout à fait de son invention. Il a voulu reproduire, tel sans doute qu’il le concevait, le tableau de mon arrestation. La scène se passe dans une chambre, la mienne, j’aime à le supposer. Un commissaire de police, ceint de son écharpe, vient d’y faire invasion, accompagné d’un agent en bourgeois et de quatre soldats armés de leurs fusils.

Un jeune homme, qui n’est autre que moi-même, se tient debout dans l’attitude parfaitement justifiée de l’étonnement. Il vient de quitter une petite table ronde où il prenait son repas ; sa serviette est encore passée dans son gilet. Devant lui est assise une femme, en robe à sept ou huit volants et en manches bouillonnées, qui se cache la figure dans un mouchoir.

Au besoin, et bien que je fusse alors garçon, on peut croire que cette personne est une épouse légitime. Mais on peut croire aussi beaucoup d’autres choses. Ces volants surtout me chiffonnent. — Je sais bien encore que le couple ainsi représenté pouvait être tout préparé et tout habillé pour aller passer la soirée au théâtre, par exemple. Moi-même, je suis en toilette de ville, en habit noir, très correct en somme.

On voit que je fais tout mon possible pour excuser le dessinateur, lequel est M. Régamey, un artiste de talent, qui n’a, je le présume, aucun motif pour me livrer au ridicule (c’est bien assez des soldats) ou de faire planer sur moi un soupçon d’immoralité. Mais il est vraiment trop contraire à la vérité pour que j’accepte son dessin, si bien composé qu’il soit.

Je m’en vais lui raconter comment les choses se sont passées.

Ce n’est pas chez moi, dans ma chambre, que j’ai été l’objet d’une arrestation politique, mais dans une compagnie d’amis, une dizaine environ, tous gens estimables. Nous voilà loin du tête-à-tête avec une dame.

J’y dînais, c’est vrai. — Et à ce propos je ne peux m’empêcher de remarquer avec quelle fatalité l’élément gastronomique s’est toujours trouvé mêlé aux principaux événements de ma vie. Tout m’arrive à table. Il n’y a pas de mon fait autant qu’on pourrait le croire. Je suis né sous une étoile particulière.

Il m’est impossible de nier l’éloquence du jour de cette arrestation mémorable : c’était un dimanche gras. Paris était en fête ; des masques remplissaient et agitaient la ville. Seule, la police poursuivait ses sombres projets. — J’ai plaint souvent la police, et particulièrement ce jour-là, où il lui eût été si facile de prendre part à la gaieté générale et de se fondre dans le tourbillon du carnaval. Pauvre police !

Mais quoi ! des ordres supérieurs !

Il lui fallait obéir à des mandats lancés de la préfecture, à des consignes mystérieuses, se rattachant à un ensemble d’intimidation. Le dimanche gras semblait même merveilleusement choisi aux meneurs de cette razzia incohérente.

À dix heures donc on frappa brusquement à la porte du logis, où le dîner suivait son cours honnête et joyeux.

Un commissaire, des soldats, — comme dans la gravure. « Que personne ne bouge ! » Personne n’y songeait, ne se sentant pas coupable.

Le commissaire de police procéda, séance tenante, à une perquisition minutieuse. Il trouva chez notre hôte deux pistolets en mauvais état, un fusil sans batterie, des brochures politiques et une statuette de la Liberté, petit module.

En dépit du mince résultat de la saisie, nous fûmes tous conduits à la Conciergerie. Nous y passâmes la nuit dans un parloir dallé — c’était au moins une attention, un procédé auquel nous fûmes sensibles.

Voilà, mon cher monsieur Régamey, le récit de mon arrestation rétabli dans toute sa vérité historique. Cette vérité ne vaut peut-être pas votre joli tableau d’intérieur.

Que voulez-vous ? Je tiens à mon attitude politique.

J’ajouterai quelques mots pour ceux de mes lecteurs curieux de connaître la suite de cette aventure, qui me montre à eux sous un jour nouveau et imprévu.

Le lendemain matin, on m’installa dans une cellule qui n’avait rien de lugubre. Il me fut permis de faire venir ma nourriture du dehors (on va railler encore) et d’écrire à qui je voudrais.

Après déjeuner, M. Boudrot, commissaire aux délégations, me conduisit en voiture à mon domicile, afin que je fusse témoin des recherches qu’on voulait y faire. Deux agents étaient avec nous. Je laisse à deviner l’effet produit dans ma maison : on dut penser que j’étais devenu un grand criminel.

Deux heures de remue-ménage à travers mes papiers n’ayant amené aucun résultat, on me ramena à la préfecture avec le même cérémonial. J’étais fondé à croire à ma mise en liberté immédiate ; je me trompais comme un innocent que j’étais : il me restait encore à comparaître devant un juge d’instruction.

Par malheur, les juges d’instruction n’étaient pas faciles à trouver en ce moment. On était, comme je l’ai dit, dans les jours gras. Lundi gras, mardi gras se passèrent, le mercredi des cendres pareillement ; point de juges d’instruction. Je commençais à devenir véritablement perplexe.

Je m’étais lié avec mon geôlier, qui m’avait prêté des livres de sa bibliothèque particulière, pour me distraire, entre autres le Chevalier d’Harmental, par Alexandre Dumas. Le jeudi, les juges ne se souciaient pas encore de rentrer en fonctions. Vendredi, je recommençais pour la troisième fois le Chevalier d’Harmenlal, lorsque enfin on vint m’avertir qu’un juge d’instruction m’attendait pour m’interroger.

Ce magistrat me connaissait. Il s’écria en me voyant, autant qu’un magistrat peut s’écrier, et dit :

— Tiens ! qu’est-ce que vous venez donc faire chez nous ?

Chez nous était adorable !

— J’allais vous le demander, lui répondis-je.

Au bout de cinq minutes, il signait l’ordre de ma délivrance. Incarcéré le dimanche, j’étais rendu à la liberté le vendredi.

J’appris que les conspirateurs mes co-détenus avaient été relâchés le même jour.

Il ne faudrait pas se hâter de croire cependant que ma libération eût été le simple fait de la volonté du juge d’instruction.

J’ai su plus tard que les démarches combinées de Méry et de Madame Judith, de la Comédie française, n’y avaient pas été étrangères.

Et maintenant, ô Thémis, qu’auriez-vous pu faire de moi ? « La grande foudre des cieux ne bombarde pas une laitue ! » comme dit Gringoire dans Notre-Dame de Paris


Dans notre monde de lettrés d’autrefois, nous nous souvenons encore de Jean Du Boys.

Il faisait partie, avec Charles Bataille et Amédée Rolland, de cette petite bande qui s’était emparée de l’Odéon, sous la première direction de M. de la Rounat, et qui y faisait représenter des drames bâclés en collaboration et en trois semaines.

Entre temps, on acceptait de menus travaux qui faisaient « aller la marmite ». Ce fut ainsi qu’un ministre éperdu demanda un jour une cantate à Du Boys. C’était alors la mode des cantates ; on célébrait l’empire et l’empereur, et l’on touchait pour cela une médaille en or de six cents francs environ.

Philoxène Boyer, qui n’avait aucune espèce de conviction en dehors de la poésie, s’est souvent miré dans ces médailles-là.

Avant de s’exécuter, Du Boys prit conseil de ses amis, qui, vu l’importance de la somme, furent d’avis qu’il y avait lieu à faire céder momentanément ses principes. Il les reprendrait plus tard.

Le jour où Du Boys vit le coursier d’un dragon s’abattre, blanc d’écume, à son seuil, en lui apportant la magique médaille d’or, ce jour-là fut un beau jour pour la petite bande. Il fut résolu, séance tenante, qu’on mangerait ce disque éclatant, ce qui était le seul moyen d’en atténuer la signification politique.

Cependant Du Boys souleva timidement quelques objections.

Son père, son excellent père d’Angoulême, lui avait écrit pour lui demander de lui envoyer la médaille, dont il voulait orner son salon. Il laissait entendre, le digne père, qu’il lui renverrait la valeur en argent. Ne devait-il pas, lui, Jean Du Boys, obéir à ce vœu respectable, qui ne lésait d’ailleurs en rien ses intérêts ?

La petite bande garda le silence. Le sentiment de la famille n’était pas entièrement étouffé en elle.

Seul, un familier éleva la voix en ces termes :

— Écoutez-moi, dit-il ; je sais un moyen de tout concilier et de tirer deux moutures de ce seul sac. Du Boys peut avoir à la Monnaie une très fidèle reproduction en cuivre de sa médaille, qu’il envoie cette reproduction à l’auteur de ses jours. Quant à l’original, je l’engage fortement à en opérer le lavage chez le premier orfèvre venu. Il sait ensuite ce qu’il lui reste à faire.

La petite bande éclata en applaudissements.

— C’est un dieu qui a parlé par cette voix ! dit, Lemercier de Neuville attendri.

Il fut fait comme il avait été décidé. Le père de Jean Du Boys reçut sans méfiance une copie resplendissante du glorieux trophée, tandis que le trophée lui-même fit les frais d’une exquise ripaille.

Puis vint la chute du gouvernement impérial et la dispersion de la petite bande. Passons. M. Du Boys existe toujours ; il a perdu son enfant, mais il a gardé sa médaille. Il ne la regarde jamais sans entrer en fureur contre les gens de l’empire.

— Tous escrocs ! s’écrie-t-il ; tous voleurs ! Voyez plutôt : n’avaient-ils pas donné à mon pauvre Jean une médaille en cuivre au lieu d’une médaille en or ? Honte et bassesse ! Je m’y suis trompé longtemps moi-même, jusqu’au jour où la rouille et le vert-de-gris s’y sont mis. C’est un voisin qui m’en a fait apercevoir… Je l’avais payée six cents francs à mon fils. Oh ! les coquins de l’empire ! les filous !