Petrus Borel le lycanthrope/Journalisme

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Petrus Borel le lycanthrope : sa vie, ses écrits, sa correspondance, poésies et documents inédits
René Pincebourde (Bibliothèque originale) (p. 106-122).



VI

JOURNALISME.


Pétrus Borel avait écrit Madame Putiphar loin de Paris, au Baizil, en Champagne, près du château de Montmort ; il était dans un moment de production, de fièvre créatrice. Il avait promis deux ou trois autres romans à son éditeur, il avait composé un drame en cinq actes, le Comte Alarcos, non reçu et encore inédit. On pourra l’imprimer et le publier un jour.

Pétrus voulait demeurer le plus longtemps possible en province, dans son retrait, cherchant, pensant, travaillant. Mais le pays était marécageux, et les fièvres eurent raison de sa fièvre. Il quitta la Champagne, son drame et son roman en poche, et revint. À Paris ? Non. En quittant la rue d’Enfer, il avait juré de n’habiter plus Paris. Il s’établit à Asnières, il étudia encore, il travailla toujours.

Madame Putiphar n’obtint qu’un succès médiocre. On peut trouver dans le Journal des Débats un article fort violent de M. Jules Janin sur ce livre. Le futur auteur des Gaîtés champêtres, amoureux des séductions soyeuses du XVIIIe siècle, ne pouvait agréer, on l’avouera, ce XVIIIe siècle de verrous et de bastilles que lui présentait l’auteur de Madame Putiphar. « Si je parle de votre livre, dit-il à Pétrus Borel qui lui demandait un article, je le comparerai tout simplement aux œuvres du marquis de Sade. — Comparez ! » dit Pétrus. Jules Janin ne se le fit pas dire deux fois. Lorsque M. Bertin vit l’article en question. « Holà ! Jules, dit-il au critique, tu veux donc que nous ayons un procès ? — Nous n’aurons pas de procès, répondit Jules Janin. L’auteur le veut ainsi. — Étrange auteur ! fit M. Bertin. »

Le demi-succès de son livre avait encore assombri Pétrus, intimement persuadé d’avoir fait un chef-d’œuvre. La maladie d’ailleurs le minait sourdement. Son humeur de loup-garou, sa lycanthropie coutumière devint plus farouche encore. Il fonda, moins pour vivre que pour passer sa bile sur les hommes et les choses, le Satan, un petit journal armé en guerre qui se fondit bientôt dans le Corsaire et devint le Corsaire-Satan, journal vif et mordant, aux crocs aigus, qui savait happer et faire la plaie large. Pétrus donnait aussi, çà et là, aux journaux, aux revues, aux magazines, à l’Artiste, au Livre de beauté, des articles, des nouvelles, un pamphlet sur l’Obélisque de Louqsor dans le livre des Cent et un de Ladvocat, des monographies, des factums.

Il avait fondé jadis, après la publication de ses Rhapsodies, un journal mensuel qui s’appelait la Liberté des Arts. Le journal, créé à l’aide de cotisations, avait vécu tant bien que mal un peu à l’aventure et sans faire tapage. Gérard de Nerval y avait donné des vers — mieux que cela, des poëmes tout entiers. M. A. Borel d’Hauterive s’y déguisait sous le pseudonyme de Mattéphile Lerob, Boissard de Boisdenier, Bruno Galbaccio, Wattier le paysagiste, Jeanron, furent aussi du groupe de la Liberté des Arts. Champavert une fois publié, l’éditeur Renduel avait fourni à Pétrus une singulière occupation. Il s’agissait de confectionner, au plus juste prix, à l’usage des préfets, des maires et de je ne sais quels fonctionnaires de province… des discours pour les distributions de prix. Petrus Borel, sans perdre son sérieux, prenait la plume et gravement plongeait dans cette littérature d’agrégés universitaires ou de comices agricoles.

La publication d’une curieuse traduction de Robinson Crusoé, l’édition avec préface nouvelle de Napoléon apocryphe, occupaient les entre-romans de Borel. Au reste, il n’était point guéri du journalisme. La Liberté des Arts était depuis longtemps morte et oubliée, et il aspirait à fonder une feuille nouvelle. Celle-ci se nomma la Revue pittoresque[1]. C’était une de ces publications composées à la mode anglaise, comme le Magasin pittoresque, ou plutôt l’Écho des feuilletons, en firent éclore beaucoup. Le roman, la nouvelle, les traductions de livres étrangers y tenaient la plus large place. Mais Pétrus Borel y accueillait aussi les vers, en ouvrant les colonnes à deux battants. C’est lui qui écrivait, avec un soupir au bout de sa plume :

« Quand on songe que si Marot revenait, il ne trouverait pas, parmi tant de papier qui chaque jour se remplit d’encre grasse, une petite superficie, grande comme la main, pour imprimer un naïf rondeau ou une maligne épigramme ! »

Pétrus Borel fit mieux. Comme la fantaisie, la poésie, la curiosité, la préciosité, — toutes choses qu’il aimait, — n’étaient pas logées aussi bien qu’il l’eût voulu dans la Revue pittoresque, il fonda, tout à côté, dans le bureau même, une annexe à l’usage des gens de goût, un refuge, comme il dit, ouvert aux écrivains d’art et de goût, il l’appela l’Âne d’or. Il le baptisa non plus du nom de journal, ou de revue, ou de magazine, l’Âne d’or devint un écrin littéraire, et pour parrains il lui donna « les Lucien, les Apulée, les Érasme, les Quevédo, les Boccace et les Saint-Evremond de notre âge. » Puis ce jacobin de Borel trouva moyen d’anoblir son nouveau recueil. Il avait sous la main, pour blasonner l’Âne d’or, deux d’Hozier tout trouvés, son frère d’abord, puis le comte F. de Grammont, qui avait déjà composé les armoiries et les devises des héros de Balzac. Grâce à eux, l’Âne d’or eut ses armes, ainsi lisibles :

D’azur à l’âne d’or passant ; l’écu sommé d’une couronne de feuilles de chardon et de perles alternées, et timbré d’un casque ailé posé de trois quarts, la visière ouverte, avec les lambrequins des émaux de l’écu ; pour cimier, une étoile d’argent ; pour supports : à dextre, un dragon de sinople armé et lampassé de gueules, colleté et enchaîné d’or ; à senestre, une syrène de carnation ; et pour devise : Aurea patientia ex mente divinâ.

Car, ajoute Borel, la patience est en effet l’apanage des plus nobles esprits.

Pétrus Borel avait commencé dans ce recueil la publication d’une série d’articles fort curieux, les Intérieurs célèbres. J’en détacherai ce fragment à la fois piquant par la forme et par le fond. Il s’agit, en effet, des Jardies et d’Honoré de Balzac.


la maison de m. balzac

Un de nos écrivains les plus laborieusement féconds, nous voulons dire M. de Balzac, s’était fait bâtir, il y a quelques années, une petite maison des champs sur la rive du chemin de Versailles et sur le sommet d’un coteau fort peu modéré. — Mais malheureusement l’édifice fut placé par mégarde sur un terrain végétal assis lui-même sur un lit d’argile et de glaise, si bien que le soir, après avoir resplendi des derniers feux du soleil couchant, il arrivait que la maison descendait doucement le long de la colline, pendant le repos de la nuit, et qu’au lever du jour elle se trouvait tout au bas de la pente, dans le ravin, et chaque matin il fallait remonter la maison à sa place, au moyen d’un câble ou d’un cabestan.

Bâtir une maison, même sur le sable, même sur la glaise, est une chose facile ; mais la meubler, c’est là le chien-dent, comme on dit au village. Les tapisseries et les meubles sortent tout payés du cerveau des romanciers : aussi leurs héroïnes et leurs personnages sont-ils habituellement fort bien nippés. — La vie réelle offre des tapisseries moins commodes.

Dans ce manoir tout neuf, qui semblait, comme font certains gamins sur les rampes des montées, jouer à écorche-derrière sur le coteau, on ne voyait donc, pour toute garniture, quoiqu’il fût assez vaste, qu’une soupière pleine de café à l’eau ou à la crème, deux rames de papier, et quelques hôtes ou collaborateurs mangeant des oignons du clos et des épinards ; — car le maître tenait pour opinion, du moins alors, que l’oignon donne de l’essor à l’esprit le plus épais, et que les épinards ne sont pas le balai de l’estomac, mais le fouet de l’imagination. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce régime mettait souvent ces pauvres gens en alerte, et les forçait, la nuit, sinon à se relever, attendu qu’en cette académie rurale on ne se couchait pas — à faire toutefois de fréquentes sorties dans la plaine.

Notre illustre plume avait tracé elle-même le plan de sa maison, et dans le trouble d’une possession nouvelle et d’une préoccupation éthérée, hélas ! elle avait oublié un lieu sans nom dans un journal, mais bien nécessaire dans une maison.

Dans le cabinet de travail du maître, une nudité plus grande encore régnait de toutes parts. — Il n’y avait rien, absolument rien, que lui, notre grand romancier et son auréole. Il se contentait avec raison de le remplir de sa gloire.

Recette. — Prenez un romancier célèbre, mettez-le dans un hôtel vide, et vous avez aussitôt un hôtel garni.

Il est vrai de dire pourtant qu’on voyait dans une pénombre, et placé sur une cheminée ignorant encore l’usage du feu comme certaines peuplades de l’Australie, un buste en plâtre de quatre francs dix sous, représentant l’autre grand homme — c’est-à-dire Napoléon.

Sur le socle on lisait, écrit au crayon de la main même du vaste orateur, hardiment mais avec modestie, ces paroles significatives et impériales :

« Accomplir par la plume ce qu’il voulut accomplir par l’épée, et ne pas mourir à Sainte-Hélène ».

Au rez-de-chaussée étaient semés, çà et là, dans les celliers et les salles d’attente, cinq ou six futailles ou tonneaux vides ; dans les uns, l’illustre écrivain nourrissait pastoralement des lapins ; dans les autres il serrait ses manuscrits et ses livres. Mais, que de fois, plongé dans ces rêveries abstraites, ces chiffres immenses, ces distractions si naturelles aux grands penseurs, lui arrivait-il, se trompant de tonneau, de mettre ses livres avec ses lapins et ses feuilles de choux avec ses livres !

M. Arago prit bien un jour, à l’Institut, la queue d’un de ses vieux confrères, poudré à blanc, pour la queue d’une comète.

Ce morceau, plein de raillerie emmiellée, pourra donner une idée de la manière dont Pétrus Borel entendait le journalisme. J’aurais pu citer des pages beaucoup plus amères, où l’auteur ne se contente pas de sourire en montrant les dents. Mais que reste-t-il de ces morsures ? Laissons là ces querelles d’une heure, ces luttes d’un matin, ces personnalités et ces attaques. Nous allons retrouver Pétrus tout aussi gai, beaucoup plus charmant, dans les deux articles qu’il a donnés aux Français peints par eux-mêmes, et qui peut-être sont les deux physionomies ou physiologies, comme on disait alors, les plus remarquables du livre. La première physionomie est celle du croque-mort. Elle est écrite avec une verve funèbre, une ironie glaciale, qui rappellent les joyeux blasphèmes de Champavert.

Vous êtes à fumer gaiement avec des amis et vous attendez quelques rafraîchissements. — Pan ! pan ! On cogne à votre porte : « Qui est là ? — C’est moi, monsieur, qui vous apporte la bière. — Est-elle blanche ? — Oui monsieur. — Bien : déposez-la dans l’antichambre et revenez chercher les bouteilles demain. » L’homme obéit et se retire. Mais quelle est votre surprise quand, accourant sur ses pas, vous vous trouvez nez à nez avec un cercueil !

Ces sortes de plaisanteries égayaient beaucoup Pétrus. Aussi, à la page suivante, décrivant avec des couleurs fantastiques la fête des croque-morts à la Toussaint, il s’en donne cette fois à cœur-joie, il jongle, pour ainsi dire, avec l’horrible.

Il fallait voir, écrit-il, avec quelle magnificence inouïe se célébrait autrefois le jour des morts. C’est la fête des Pompes, c’est le carnaval du croque-mort ! Qu’il semblait court ce lendemain de la Toussaint, mais qu’il était brillant !… Dès le matin, toute la corporation se réunissait en habit neuf, et, tandis que MM. les fermiers, dans le deuil le plus galant, avec leur crispin jeté négligemment sur l’épaule, répandaient leurs libéralités, les verres et les bouteilles circulant, on vidait sur le pouce une feuillette. Puis un héraut ayant sonné le boute-selle, on se précipitait dans les équipages ; on partait ventre à terre, au triple galop, et l’on gagnait bientôt le Feu d’Enfer, guinguette en grande renommée dans le bon temps. Là, dans un jardin solitaire, sous un magnifique catafalque, une table immense se trouvait dressée (la nappe était noire et semée de larmes d’argent et d’ossements brodés en sautoir), et chacun aussitôt prenait place.

Cette fois, plus de barrière, plus de frein, plus d’obstacle à sa fantaisie mortuaire. Il rit, il gambade, il grimace, les os et les têtes de morts à la main.

On servait la soupe dans un cénotaphe, — la salade dans un sarcophage, — les anchois dans des cercueils ! — On se couchait sur des tombes, — on s’asseyait sur des cippes ; — les coupes étaient des urnes, — on buvait des bières de toutes sortes ; — — on mangeait des crêpes ; et sous le nom de gélatines moulées sur nature, d’embryons à la béchamelle, de capilotades d’orphelins, de civets de vieillards, de suprêmes de cuirassiers, on avalait les mets les plus délicats et les plus somptueux. — Tout était à profusion et en diffusion ! — Tout était servi par montagnes ! — Au prix de cela les noces de Gamache ne furent que du carême, et la kermesse de Rubens n’est qu’une scène désolée. — Les esprits s’animant et s’exaltant de plus en plus, et du choc jaillissant mille étincelles, les plaisanteries débordaient enfin de toutes parts, — les bons mots pleuvaient à verse, — les vaudevilles s’enfantaient par ventrée. — On chantait, on criait, on portait des santés aux défunts, des toasts à la Mort, et bientôt se déchaînait l’orgie la plus ébouriffante, l’orgie la plus échevelée. Tout était culbuté ! Tout était saccagé ! Tout était ravagé ! Tout était pêle-mêle. On eût dit une fosse commune réveillée en sursaut par les trompettes du jugement dernier. — Puis, lorsque ce premier tumulte était un peu calmé, on allumait le punch ; et à sa lueur infernale quelques croque-morts ayant tendu des cordes à boyau sur des cercueils vides, ayant fait des archets avec des chevelures, et avec des tibias des flûtes tibicines, un effroyable orchestre s’improvisait, et la multitude se disciplinant, une immense ronde s’organisait et tournait sans cesse sur elle-même en jetant des clameurs terribles comme une ronde de damnés.

Ne croiriez-vous pas lire le Sabbat des Djiinns de Victor Hugo, ou cette introduction des Nuits du père Lachaise où M. Léon Gozlan nous montre les employés des pompes funèbres banquetant avec des gaietés de Goliaths en plein choléra ?

Dans la même publication, les Français de Curmer, Pétrus Borel signa le portrait du Gnaffe, — une fantaisie où l’argot se mêle à l’érudition, le détail technique à la préciosité, le déboutonné au pédantisme. Oui, Borel est quelquefois pédant. Lorsque Déborah arrive à Antibes, dans Madame Putiphar, il ne manque pas d’ajouter : « Antibes, ἀντίπολις, ἀντίβιος, la vieille colonie marseilloise assise à l’extrémité de la Provence, au pied des Alpes maritimes, sur le beau rivage de la mer de Ligurie. » Dans le Gnaffe, il nous soutient que le mot a une étymologie brillante et une origine hellénique. Gnaffe viendrait de γναφεύς, cardeur ou peigneur, et dérisoirement « racleur de vieux cuirs ». En anglais, dit Borel, to gnaw signifie ronger. Plus loin, il prétend qu’on doit dire d’une chose superbe : c’est grandiose, et d’un ivoire de Dieppe, par exemple, c’est petit diose. Un homme qui se blesse à la main, d’après la grammaire de Borel, n’est pas estropié, mais estromain.

Il commençait déjà, le malheureux, à rechercher à tout prix et partout cette chose qui doit venir à vous d’elle-même, l’originalité ! La tournure naturelle menaçait de s’effacer ; le torticolis commençait. Un affaissement général et comme une désespérance complète s’étaient d’ailleurs emparés de lui. Tout lui échappait, tout lui manquait à la fois. Les déceptions marchaient, couraient à la file. Un moment, il plaça sur la Société générale de la Presse, fondée par Dutacq, bien des espérances. Il prit le titre de rédacteur en chef du journal de Dutacq. Mais la fortune lui souriait peu. Ses appointements ne lui furent jamais payés. La Société fit faillite et Pétrus Borel se trouva sur le pavé.

M. Albert de la Fizelière, qui dirigeait alors l’Artiste, me contait qu’un jour il vit arriver dans sa chambre, pâle, triste, sombre ou honteux, Pétrus Borel qui lui apportait une Nouvelle. Ce n’était plus alors ce brillant et ce bouillant des poudreuses soirées d’Hernani. Le front se dégarnissait, les yeux étaient caves, attristés, la taille courbée. Dans son regard, dans son geste, dans sa voix, on devinait bien des naufrages. — À côté de ses amis d’autrefois, Gautier, Gérard, Edouard Ourliac, qui le raillait à présent, lui, le voltairien devenu catholique, Maquet, Boulanger, bien d’autres emportés par le succès, Pétrus demeuré seul ressemblait à quelque matelot abandonné dans une île déserte pendant que ses compagnons voguent en pleine mer !

La nouvelle que Pétrus apportait parut en effet dans l’Artiste. Elle s’appelait Miss Hazel[2]. Un récit à l’eau de rose écrit par une dame qui l’eût destiné à un journal de modes, voilà ce que signait à présent Champavert.

Théophile Gautier le rencontre un jour sur le boulevard, promenant sa pâleur et son ennui. « Écoute, lui dit-il, je puis te trouver un emploi. — Lequel ? dit Pétrus. — Tu as toujours aimé la vie sauvage et libre. Que dirais-tu d’un poste en Algérie ? — Rien. Je partirais. » Gautier alla trouver Mme de Girardin, et l’on obtint pour Borel la place d’inspecteur de la colonisation de Mostaganem.

À peine cette nomination était-elle insérée au Moniteur que le National se mit à rire. Champavert inspecteur ! Le lycanthrope fonctionnaire ! Le National publia un article mordant dont Pétrus se plaignit à Armand Marrast. — Hélas ! cette mauvaise humeur fut la cause d’un deuxième article beaucoup plus acerbe. Cette fois, Pétrus, irrité, furieux, envoie des témoins à Armand Marrast. On doit se battre le lendemain ; sur le terrain, les témoins interviennent et réconcilient les adversaires. Tout est bien. Mais le National continue et les railleries persistent.

« Cette fois, dit Pétrus, je ne prendrai pas de témoins bourgeois ! »

Des bourgeois au menton glabre ! Sa vieille haine vivait toujours.

Il ramassa, au coin de la rue, deux commissionnaires savoyards, deux portefaix, et les expédia aux bureaux du National avec ordre de demander raison pour lui à M. Marrast de toutes ses attaques. Marrast fut pris d’un accès d’hilarité, renvoya ces témoins qu’il n’acceptait pas. L’affaire traîna. Pétrus Borel partit sans obtenir de satisfaction.

C’était en 1846. Il ne devait plus revoir la France.

  1. Revue pittoresque, musée littéraire illustré par les premiers artistes. Bureaux, 10 bis, rue Geoffroy-Marie. Couverture bleue avec encadrement gothique, rinceaux, écus, armoiries, etc. On trouve, parmi les noms des rédacteurs, ceux de Sainte-Beuve, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, le comte de Grammont, Ch. de la Rounat, G. de la Landelle, etc. M. Émile de la Bédollière y publia la première traduction parue en France des Souvenirs d’un médecin du docteur Samuel Warren. Célestin Nanteuil, Gavarni, Tony Johannot, H. Monnier, étaient les principaux « illustrateurs » du recueil.
  2. Elle avait été publiée dans la Revue pittoresque (2e série, 4e livraison).