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Philosophie de la nature/Introduction du traducteur/1

La bibliothèque libre.
Traduction par Augusto Vera.
Ladrange (Tome 1p. 1-13).
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR.


CHAPITRE PREMIER

REMARQUES PRÉLIMINAIRES


La Philosophie de la nature, nous avons à peine besoin de le rappeler, tient intimement aux autres parties du système de Hégel. Elle suppose surtout, et comme préparation, et comme un moment qu’on a déjà traversé, la logique, de sorte que celui à qui la logique hégélienne ne serait pas devenue, en quelque sorte, familière, ne pourrait saisir qu’imparfaitement sa Philosophie de la nature, le principe fondamental sur lequel elle repose, ainsi que ses démonstrations, la place qu’elle occupe et le rôle qu’elle joue par rapport aux autres parties du système. C’est là un point dont on ne saurait trop se pénétrer.

Comme tout ce qui est sorti de la pensée de ce prodigieux esprit, la Philosophie de la nature renferme des vues neuves et profondes. C’est surtout lorsqu’on la considère du point de vue de l’unité de la science, et de l’enchaînement systématique de ses parties, qu’apparaît la beauté, et je n’hésiterai pas à ajouter l’originalité de cette œuvre. Car il y en a qui contestent à Hégel l’originalité. Ils veulent bien lui reconnaître une puissance merveilleuse de systématisation, mais ils lui refusent l’invention, et à cet égard, Hégel serait inférieur à Schelling. Comme si systématiser n’était pas l’œuvre la plus difficile, la plus profonde et la plus originale de l’esprit ! Comme si ordonner les membres épars de la connaissance, les enchaîner les uns aux autres, les embrasser dans une vaste unité, à l’aide d’un principe et d’une méthode supérieurs, leur communiquer une valeur et un sens qu’ils n’avaient point, y faire pénétrer une vie nouvelle et les transformer, comme si tout cela, disons-nous, n’était pas la plus puissante et la plus haute des créations ! Et qu’est-ce qui fait la beauté de l’univers, qu’est-ce qui en fait l’œuvre à la fois la plus simple et la plus profonde, si ce n’est la forme et l’unité systématiques de ces parties ? Sans doute, les doctrines de Kant, de Fichte, de Schelling, ou, pour mieux dire, toutes les philosophies sont un antécédent et un antécédent nécessaire de la philosophie de Hégel[1] ; mais elles le sont comme l’Orient est un antécédent de la Grèce, comme Pierre Pérugin, Montagna, etc., sont les antécédents de Raphaël, comme Tycho-Brahé, Copernic et Galilée sont les antécédents de Kepler ou de Newton. Est-ce à dire que la Grèce n’est qu’une simple répétition de l’Orient, et que Raphaël, Kepler et Newton ne sont pas des esprits créateurs ? Nul ne s’aviserait d’émettre une pareille opinion. Le génie vraiment créateur, et surtout le génie philosophique, n’est pas, en effet, le génie révolutionnaire qui renie le passé et brise avec la tradition, mais celui qui admet la tradition et les éléments épars, isolés et imparfaits qu’elle lui livre, comme à l’état de germe, et qu’il élève à une plus haute puissance, en leur communiquant une signification plus large et plus profonde, et en les fondant, si l’on peut ainsi dire, dans le creuset de sa pensée. C’est ainsi que le génie devient le représentant de la raison et des siècles, qui sont, eux aussi, l’œuvre de la raison, et qu’il reflète et concentre dans son individualité un passé qui n’est plus, et un avenir qui n’est pas encore. S’il en est ainsi, Hégel n’est pas seulement un des esprits les plus profonds, mais un des esprits les plus inventifs qui aient jamais existé ; et si la puissance d’invention doit se mesurer sur le champ des recherches qu’on a embrassé, Hégel, qui a étendu son regard sur toutes les branches du savoir, en les liant fortement entre elles et en fondant un vrai système[2], a possédé cette puissance au plus haut degré. De fait, laissant de côté sa logique, à qui certes personne ne contestera le mérite d’originalité, et sa philosophie de l’esprit, qui, quoiqu’elle ait un antécédent dans la philosophie de Fichte, prend entre ses mains d’autres proportions et une autre signification, laissant de côté, disons-nous, ces deux parties de son système, et nous renfermant dans celle qui fait l’objet de la présente publication, nous n’hésitons pas à affirmer que celle-ci aussi présente la nature sous un point de vue nouveau et original ; et tout en reconnaissant que c’est la partie de son système qui a des antécédents plus marqués dans la philosophie de Schelling, nous croyons qu’il suffit de rapprocher, même superficiellement, les doctrines des deux philosophes pour voir combien en sont marquées aussi les différences, et combien ce qui, dans Schelling, est à l’état vague, embryonnaire et poétique, prend chez, Hégel la forme arrêtée, démonstrative et développée de la raison. Et cette différence devient plus manifeste encore, lorsqu’on considère sa Philosophie de la nature dans ses rapports avec les autres parties de son système. On pourra mieux voir alors combien elle se rattache intimement à la logique et à la philosophie de l’esprit, et comment elle sort et se développe d’une seule et même pensée. Et c’est là le trait caractéristique de la Philosophie de la nature de Hégel. Nous voulons dire que, par cela même qu’elle constitue la partie intégrante d’un système, elle est, elle aussi, essentiellement un système ; et de la même manière que sa philosophie est la première qui ait systématisé la connaissance, de la même manière et par cette même raison, sa Philosophie de la nature est la première qui nous offre un vrai système.

Pour retrouver une tentative, de systématisation de la science, il faut remonter jusqu’à Platon et Aristote. Mais c’est plutôt une tentative qu’une systématisation, dans le sens rigoureux du mot, que nous offrent les travaux de ces deux philosophes ; car, bien qu’ils aient étendu leurs recherches à toutes les branches du savoir, et qu’ils se soient efforcés de fonder l’unité de la connaissance dans l’unité de son principe et de sa méthode[3], ils ne par-vinrent pas cependant à en lier fortement entre elles les différentes parties, à en suivre et en démontrer la filiation et la loi, et comme la nécessité interne suivant laquelle cette unité s’accomplit. Ainsi, par exemple, Platon s’attache bien, dans le Timée, à démontrer la présence de l’idée dans la nature, mais il ne le fait que d’une manière arbitraire et extérieure ; il confond l’idée mathématique avec l’idée physique, en composant, à l’imitation des pythagoriciens, le feu, l’air, etc., avec des éléments géométriques ; et, bien qu’il pose en principe qu’il faut déduire les idées, au lieu de les déduire et de les démontrer, il les mêle, et il emploie le mythe et l’expression poétique, outre qu’il n’embrasse dans ses investigations que des parties de la nature, et non la nature entière. Les mêmes imperfections peuvent être facilement constatées dans les autres parties de son système[4]. Il en est de même d’Aristote ; car, si Arislote a embrassé dans ses recherches l’universalité des connaissances, il n’a pas su non plus leur donner une forme systématique. On peut même dire que sa doctrine est, à quelques égards, moins que celle de Platon, un système. Et, en effet, bien qu’il poursuive, lui aussi, l’unité de la science, et qu’il cherche à déterminer partout l’élément rationnel des choses, comme l’instrument qu’il emploie de préférence est l’analyse, et que le champ mobile et variable de l’expérience est celui où il se place, quoiqu’il s’y place non pour s’y arrêter, mais pour en dégager l’universel et la loi, il suit, ou que la synthèse lui échappe, ou qu’il ne compose qu’une synthèse artificielle et extérieure, et dont les éléments sont plutôt juxtaposés qu’unis par des rapports réels et intrinsèques. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’a pas démontré le rapport de sa logique et de sa métaphysique ; et que dans les limites mêmes de sa logique non-seulement ne se trouvent pas indiqués les liens qui en unissent les diverses parties, mais il y a des parties qui ne peuvent se concilier entre elles[5]. Quant à sa physique, elle est peut-être la partie de sa doctrine qui offre un ensemble de recherches le plus systématique, en ce qu’Aristote y a embrassé le domaine entier de la nature, et y a nettement marqué ses principales divisions ; et cependant elle n’est pas non plus un système, dans l’acception stricte du mot, parce que ces divisions, ainsi que les matières qu’elles renferment, n’y sont ni déduites ni démontrées[6].

Si Platon et Aristote ne parvinrent pas à organiser la science, on les voit néanmoins s’élever à la conception de l’unité de l’univers, et faire de cette conception comme la base et le principe moteur de leurs investigations. C’est là surtout, outre la beauté de la forme chez Platon, et l’importance de certaines recherches spéciales chez Aristote, de son histoire des animaux, par exemple, ce qui assure à leurs œuvres une vie immortelle, et en fera toujours comme la première nourriture de toute éducation philosophique vraiment sérieuse.

Depuis Platon et Aristote les tentatives les plus importantes qui aient été faites en Grèce dans cette direction sont celles des stoïciens et des Alexandrins. Mais, bien que leurs doctrines offrent des points de vue nouveaux, et que les Alexandrins se soient même appliqués plus fortement que Platon et Aristote, à saisir l’unité de l’être et de la connaissance, leur doctrine considérée comme système, c’est-à-dire comme doctrine qui embrasse et ordonne les diverses branches du savoir, est loin de présenter la même importance, la même étendue et la même richesse de développements que celles de ces deux philosophes.

Si maintenant de l’antiquité nous passons au moyen âge, nous ne trouverons plus des recherches faites dans une intention et avec des procédés vraiment systématiques, mais des Sommes, qu’on pourrait appeler amalgames de connaissances, sortes d’œuvres syncrétiques où se trouvent réunis les éléments les plus disparates, la foi et la raison, le mysticisme chrétien et le rationalisme de l’antiquité, mais où l’on doit cependant reconnaître un travail original et important dans cette même application de la philosophie ancienne au christianisme, travail qui, en perpétuant les traditions et les droits de la science, préparait la voie à la philosophie moderne[7].

Aux sommes du moyen âge succédèrent dans des temps plus rapprochés de nous, les Encyclopédies, dont le De dignitate et augmentis scientiarum de Bacon nous fournit le premier exemple. Si l’on considère la valeur intrinsèque de ce livre, nous croyons qu’on ne la trouvera pas bien grande ; et, en le comparant à la Somme de saint Thomas, on reconnaîtra même que celle-ci l’emporte par l’étendue, la variété et la profondeur des recherches. Mais ce qui en fait, malgré cela, une œuvre remarquable, c’est la pensée qui l’a produit ; car, d’une part, Bacon s’y propose de reconstruire la science sur une base purement rationnelle, et, de l’autre, il s’y efforce d’en ordonner systématiquement les parties. C’est, en d’autres termes, le premier essai de systématisation purement rationnelle dans les temps modernes. Toutefois, ce n’est, ni ne pouvait être qu’un premier essai, ou, pour mieux dire, qu’un premier rudiment, car Bacon ne possédait ni l’étendue des connaissances, ni la méthode, ni la profondeur nécessaires pour fonder un système. Et, d’ailleurs, l’état même de la science ne pouvait le permettre. Parmi les encyclopédies qui ont paru depuis Bacon, il n’en est aucune qui ait, à cet égard, c’est-à-dire en tant que système, plus d’importance que la sienne. Ce sont des recueils, des dictionnaires, des magazines, ou, tout au plus, des essais de classification, où les sciences sont plutôt juxtaposées qu’elles ne sont déduites par une pensée, et par des procédés vraiment philosophiques.

Nous croyons donc pouvoir affirmer que Hégel est le premier qui ait créé un système dans le sens strict du mot, c’est-à-dire une doctrine qui embrasse toutes les parties du savoir dans leurs principes les plus élevés, et où toutes ces parties et tous ces principes sont déduits et démontrés à l’aide d’une méthode supérieure, ou, selon nous, de la vraie et absolue méthode.

Et ce n’est pas déjà un médiocre mérite, ce nous semble, que d’avoir réalisé, ne fût-ce qu’imparfaitement, cette unité de la science qui est cet idéal auquel aspiraient Platon et Aristote, ou, pour mieux dire, qui est l’idéal même de la science. Et il nous semble aussi, et pour cette même raison, que la Philosophie de la nature, qui offre la première véritable systématisation de la nature, aurait dû attirer davantage l’attention non-seulement des philosophes, mais des physiciens, ne fût-ce que pour la discuter et la combattre, si ce n’est pour en faire leur profit. Et qu’il nous soit permis à cet égard de rapprocher l’œuvre de Hégel, et un livre qui a fait, dans ces derniers temps, tant de bruit : le Cosmos de Humboldt, voulons-nous dire. Nous ne sommes pas surpris qu’on ait fait tant de bruit autour de l’œuvre de Humboldt, et que l’œuvre de Hégel soit jusqu’ici demeurée presque ignorée. C’est assez le cours ordinaire des choses ; et nous serions tenté de répéter, à ce sujet, le mot de Bacon, que les corps légers flottent à la surface, tandis que les corps plus compactes et plus solides sont précipités au fond. Nous n’en sommes pas surpris, mais nous nous en plaignons, et nous regrettons surtout qu’il ne se soit pas élevé en Allemagne des voix pour protester en quelque sorte, en faisant ce même rapprochement, et les remarques que ce rapprochement nous a naturellement suggérées. Voyons. Et d’abord, nous avons toujours pensé que l’idée même du Cosmos avait été suggérée à Humboldt par la philosophie de Schelling et de Hégel ; et ce qui a surtout éveillé cette pensée, c’est que, dans le livre de Humboldt, ces deux philosophes brillent par leur absence. Humboldt ne les nomme jamais, ou, pour mieux dire, il les nomme une ou deux fois, mais en en citant des passages insignifiants et qui n ’ont pas même trait à la Philosophie de la nature. Or, peut-on supposer que Humboldt ignorât les travaux de ces deux philosophes sur cette partie de la science ? On nous dira peut-être que Humboldt n’avait pas de sympathie pour la physique spéculative. Soit ; mais alors pourquoi nous parle-t-il des pythagoriciens et du Timée de Platon, par exemple ? S’il y a physique spéculative, c’est bien celle-là. S’il a donc parlé des pythagoriciens, de Platon et d’autres physiciens spéculatifs, tandis qu’il a gardé le silence sur ses deux grands concitoyens, ne serait-ce pas plutôt par la raison qu’on est généreux envers les morts, et qu’on prend ses précautions avec les vivants ? Le lecteur jugera. Ensuite nous avouons que le titre même du livre n’est pas de notre goût, et que nous lui préférons le titre de Philosophie de la nature, comme plus simple et plus vrai. Ce qui nous fait objecter au mot cosmos, c’est d’abord qu’il est ambitieux, et puis qu’il n’est exact sous aucun rapport ; car si Humboldt, en empruntant ce mot aux pythagoriciens, a entendu l’employer dans le même sens où l’avaient employé ces philosophes, la chose ne répond nullement au mot. Et, en effet, par cosmos les pythagoriciens entendaient l’universalité des choses, c’est-à-dire non-seulement la physique, mais la métaphysique, la morale, la politique, etc. Or, ces sciences n’entrent pas dans le plan de Humboldt. Si, d’un autre côté, on doit entendre ce mot dans un sens plus limité, c’est-à-dire dans le sens d’une ordonnance systématique de la science de la nature, dans ce sens non plus il n’y a pas correspondance entre le mot et la chose ; car l’œuvre de Humboldt n’est point un système. Qu’est-ce en effet, que le Cosmos ? C’est un tableau riche, varié et animé de la nature, rehaussé par de vastes connaissances d’érudition. Ce mérite, nous sommes le premier à le reconnaître. C’est beaucoup, nous dira-t-on. Oui, c’est beaucoup si l’on s’en tient au point de vue de l’exposition et de l’art. Mais c’est bien autre chose lorsqu’on le juge du point de vue strictement scientifique, qui est, selon nous, le vrai point de vue auquel il faut se placer en jugeant une œuvre scientifique. Or, considéré sous cet aspect, le Cosmos n’offre ni originalité, ni profondeur. Si nous devions le définir, nous dirions que c’est un livre qui ne peut satisfaire ni ceux qui savent, ni ceux qui ne savent point. Il ne peut satisfaire, voulons-nous dire, ceux qui sont versés dans les matières qui y sont traitées, car il ne leur offre, en quelque sorte, que les éléments de la science. Il ne peut satisfaire non plus ceux qui sont étrangers à ces matières, parce qu’on n’y trouve pas les détails et les développements nécessaires pour les y initier. Vu ainsi, le Cosmos se réduit, à notre avis, à une espèce de Manuel, ou Book of reference, comme disent les Anglais, c’est-à-dire à un livre qui contient des indications utiles, et qui est bon à consulter pour y trouver des renseignements. Ce jugement pourra paraître sévère. Si nous nous trompons, qu’on nous le dise, et qu’on nous le prouve.

Quant à Hégel, la haute valeur scientifique de sa Philosophie de la nature ne fait pas l’ombre d’un doute dans notre esprit, et cette conviction nous allons nous efforcer de la faire passer dans l’esprit du lecteur.

Mais avant d’aborder dans cette introduction les questions qui doivent préparer le lecteur à l’intelligence de la conception hégélienne, nous voulons brièvement indiquer, plutôt que discuter ici, les objections qu’on pourra adresser à Hégel, comme celles qu’on lui a déjà adressées.

Et, premièrement, on pourra lui reprocher son langage et sa phraséologie, que quelques uns ont appelés barbares et inintelligibles. C’est là un reproche qui a été adressé à sa philosophie en général, et que nous avons examiné ailleurs[8] ; et nous ajouterons ici que non-seulement son langage n’est ni barbare, ni inintelligible, mais que lorsqu’on a la clef de ses théories, on le trouve le plus clair, le plus propre et le plus intelligible. La question ne porte donc pas sur son langage, mais sur le fond de sa doctrine, d’une part, et, de l’autre, sur l’appréciation qu’on en fait. Il s’agit, en d’autres termes, de savoir, d’une part, si ses théories sont fondées en raison, et de l’autre, si celui qui les juge est suffisamment préparé pour les juger.

Un autre reproche qu’on lui a fait, c’est que sa Philosophie de la nature contient des inexactitudes et des erreurs matérielles, comme aussi d’avoir ignoré quelques-unes des dernières découvertes. Mais, en vérité, on serait bien sévère envers Hégel si, dans une œuvre aussi vaste que la sienne, ces taches devaient lui être objectées comme une fin de non-recevoir. On serait plus sévère qu’on ne l’a jamais été, non-seulement envers la science, mais envers la nature elle-même ; car il y a l’accident dans la nature, et cela à quelque point de vue qu’on se place ; et cependant on ne prétend pas que la nature ne soit pas un système bien ordonné. Des taches et des lacunes on en découvre partout. Mais dans l’appréciation d’une grande doctrine, dans celle de Hégel, comme dans toute autre, c’est aux grands traits qu’il faut s’attacher, ce sont les principes fondamentaux, la méthode et la conception générale qu’il faut surtout considérer. Devant eux les détails disparaissent en quelque sorte, et si la théorie est vraie, on pourra les rectifier ou les compléter.

Enfin, il y a deux autres objections qu’on pourra adresser à cette Philosophie de la nature, et que les physiciens ne manqueront pas de lui adresser : c’est d’abord que Hégel mêle partout à la démonstration physique des notions et des déterminations logiques ; et ensuite, il y en a qui rejetteront, pour ainsi dire, en bloc sa physique, par la raison qui leur fait rejeter toute physique semblable à la sienne, par la raison, voulons-nous dire, que c’est une physique spéculative, comme ils l’appellent. Nous avons déjà examiné ailleurs ces objections, mais nous y reviendrons dans le cours de cette introduction.

  1. Voy. notre introduction à la Philosophie de Hégel, chap. I, p. 25 et suivantes, et notre livre l'Hégélianisme et la Philosophie, chap.IV.
  2. Voy. Introduction à la Philosophie de Hégel, chap. III et VI, et Introduction à la Logique, chap. XI et XIII.
  3. C'est-à-dire l'idée et la dialectique, ce qui s'applique tout aussi bien à Aristote qu'à Platon, car c'est au fond l'idée et la dialectique qui constituent les principes fondamentaux de leurs doctrines.
  4. Voy. sur ce point mon Introduction à la philosophie de Hégel, chap. IV? § 5, et Hégélianisme et Philosophie, chap. VI.
  5. Voy. Introduction à la Philosophie de Hégel, chap. V, § 4 ; — Introduction à sa Logique, chap. IV, et notre thèse latine, Platonis, Aristotelis et Hegelii de medio termino doctrina.
  6. Voy. Histoire de la philosophie de Hégel, vol. XIV, édition de Berlin, 1842.
  7. Le titre du livre de saint Anselme, Fides quœrens intellectum, représente, comme d'un seul trait, le mouvement intellectuel de cette époque. C'est la foi qui veut s'entendre elle-même, c'est-à-dire qui veut cesser d'être la foi.
  8. Introduction à la Philosophie de Hégel, avant-propos, p. 13 et suiv., et Introduction à sa Logique, Avertissement.