Philosophie zoologique (1809)/Première Partie/Sixième Chapitre

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Première Partie, Sixième Chapitre
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CHAPITRE VI.


Dégradation et simplification de l’organisation d’une extrémité à l’autre de la Chaîne animale, en procédant du plus composé vers le plus simple.


PARMI les considérations qui intéressent la philosophie zoologique, l’une des plus importantes est celle qui concerne la dégradation et la simplification que l’on observe dans l’organisation des animaux, en parcourant d’une extrémité à l’autre la chaîne animale, depuis les animaux les plus parfaits jusqu’à ceux qui sont les plus simplement organisés.

Or, il s’agit de savoir si ce fait peut être réellement constaté ; car alors il nous éclairera fortement sur le plan qu’a suivi la nature, et nous mettra sur la voie de découvrir plusieurs de ses lois les plus importantes à connoître.

Je me propose ici de prouver que le fait dont il est question est positif, et qu’il est le produit d’une loi constante de la nature, qui agit toujours avec uniformité ; mais qu’une cause particulière, facile à reconnoître, fait varier çà et là, dans toute l’étendue de la chaîne animale, la régularité des résultats que cette loi devoit produire.

D’abord, on est forcé de reconnoître que la série générale des animaux distribués conformément à leurs rapports naturels, présente une série de masses particulières, résultantes des différens systèmes d’organisation employés par la nature, et que ces masses distribuées elles-mêmes d’après la composition décroissante de l’organisation, forment une véritable chaîne.

Ensuite on remarque que, sauf les anomalies dont nous déterminerons la cause, il règne, d’une extrémité à l’autre de cette chaîne, une dégradation frappante dans l’organisation des animaux qui la composent, et une diminution proportionnée dans le nombre des facultés de ces animaux ; en sorte que si à l’une des extrémités de la chaîne dont il s’agit, se trouvent les animaux les plus parfaits à tous égards, l’on voit nécessairement à l’extrémité opposée les animaux les plus simples et les plus imparfaits qui puissent se trouver dans la nature.

Enfin, l’on a lieu de se convaincre, par cet examen, que tous les organes spéciaux se simplifient progressivement de classe en classe, s’altèrent, s’appauvrissent et s’atténuent peu à peu, qu’ils perdent leur concentration locale, s’ils sont de première importance, et qu’ils finissent par s’anéantir complétement et définitivement avant d’avoir atteint l’extrémité opposée de la chaîne.

À la vérité, la dégradation dont je parle n’est pas toujours nuancée ni régulière dans sa progression ; car souvent tel organe manque ou change subitement, et dans ses changemens il prend quelquefois des formes singulières qui ne se lient avec aucune autre par des degrés reconnoissables ; et souvent encore tel organe disparoît et reparoît plusieurs fois avant de s’anéantir définitivement. Mais on va sentir que cela n’a pu être autrement ; que la cause qui compose progressivement l’organisation a dû éprouver diverses déviations dans ses produits, parce que ces produits sont souvent dans le cas d’être changés par une cause étrangère qui agit sur eux avec une puissante efficacité ; et néanmoins l’on verra que la dégradation dont il s’agit n’en est pas moins réelle et progressive dans tous les cas où elle a pu l’être.

Si la cause qui tend sans cesse à composer l’organisation étoit la seule qui eut de l’influence sur la forme et les organes des animaux, la composition croissante de l’organisation seroit, en progression, partout très-régulière. Mais il n’en est point ainsi ; la nature se trouve forcée de soumettre ses opérations aux influences des circonstances qui agissent sur elles, et de toutes parts ces circonstances en font varier les produits. Voilà la cause particulière qui occasionne çà et là dans le cours de la dégradation que nous allons constater, les déviations souvent bizarres qu’elle nous offre dans sa progression.

Essayons de mettre dans tout son jour, et la dégradation progressive de l’organisation des animaux, et la cause des anomalies que la progression de cette dégradation éprouve dans le cours de la série des animaux.

Il est évident que si la nature n’eût donné l’existence qu’à des animaux aquatiques, et que ces animaux eussent tous et toujours vécu dans le même climat, la même sorte d’eau, la même profondeur, etc., etc., sans doute alors on eût trouvé dans l’organisation de ces animaux, une gradation régulière et même nuancée.

Mais la nature n’a point sa puissance resserrée dans de pareilles limites.

D’abord il faut observer que, dans les eaux mêmes, elle a considérablement diversifié les circonstances : les eaux douces, les eaux marines, les eaux tranquilles ou stagnantes, les eaux courantes ou sans cesse agitées, les eaux des climats chauds, celles des régions froides, enfin, celles qui ont peu de profondeur, et celles qui en ont une très-grande, offrent autant de circonstances particulières qui agissent chacune différemment sur les animaux qui les habitent. Or, à degré égal de composition d’organisation, les races d’animaux qui se sont trouvées exposées dans chacune de ces circonstances, en ont subi les influences particulières, et en ont été diversifiées.

Ensuite, après avoir produit les animaux aquatiques de tous les rangs, et les avoir singulièrement variés, à l’aide des différentes circonstances que les eaux peuvent offrir, ceux qu’elle a amenés peu à peu à vivre dans l’air, d’abord sur le bord des eaux, ensuite sur toutes les parties sèches du globe, se sont trouvés, avec le temps, dans des circonstances si différentes des premiers, et qui ont si fortement influé sur leurs habitudes et sur leurs organes, que la gradation régulière qu’ils devroient offrir dans la composition de leur organisation, en a été singulièrement altérée ; en sorte qu’elle n’est presque point reconnoissable en beaucoup d’endroits.

Ces considérations que j’ai long-temps examinées, et que j’établirai sur des preuves positives, me donnent lieu de présenter le principe zoologique suivant, dont le fondement me paroît à l’abri de toute contestation.


La progression dans la composition de l’organisation subit, çà et là, dans la série générale des animaux, des anomalies opérées par l’influence des circonstances d’habitation, et par celle des habitudes contractées.

On s’est autorisé de la considération de ces anomalies pour rejeter la progression évidente qui existe dans la composition de l’organisation des animaux, et pour refuser de reconnoître la marche que suit la nature dans la production des corps vivans.

Cependant, malgré les écarts apparens que je viens d’indiquer, le plan général de la nature, et sa marche uniforme dans ses opérations, quoique variant à l’infini ses moyens, sont encore très-faciles à distinguer : pour y parvenir, il faut considérer la série générale des animaux connus, l’envisager d’abord dans son ensemble, et ensuite dans ses grandes masses ; on y apercevra les preuves les moins équivoques de la gradation qu’elle a suivie dans la composition de l’organisation ; gradation que les anomalies dont j’ai parlé n’autoriseront jamais à méconnoître. Enfin, on remarquera que, partout où des changemens extrêmes de circonstances n’ont pas agi, on retrouve cette gradation parfaitement nuancée dans diverses portions de la série générale, auxquelles nous avons donné le nom de familles. Cette vérité devient plus frappante encore dans l’étude que l’on fait de ce qu’on appelle espèce ; car plus nous observons, plus nos distinctions spécifiques deviennent difficiles, compliquées et minutieuses.

La gradation dans la composition de l’organisation des animaux sera donc un fait qu’on ne pourra révoquer en doute, dès que nous aurons donné des preuves détaillées et positives de ce qui vient d’être exposé. Or, comme nous prenons la série générale des animaux en sens inverse de l’ordre même qu’a suivi la nature, en les faisant successivement exister, cette gradation se change alors, pour nous, en une dégradation frappante qui règne d’une extrémité à l’autre de la chaîne animale, sauf les interruptions qui résultent des objets qui restent à découvrir, et celles qui proviennent des anomalies produites par les circonstances extrêmes d’habitation.

Maintenant pour établir, par des faits positifs, le fondement de la dégradation de l’organisation des animaux d’une extrémité à l’autre de leur série générale, jetons d’abord un coup d’œil sur la composition et l’ensemble de cette série ; considérons les faits qu’elle nous présente, et ensuite nous passerons rapidement en revue les quatorze classes qui la divisent primairement.

En examinant la distribution générale des animaux telle que je l’ai présentée dans l’article précédent, et dont l’ensemble est unanimement avoué des zoologistes, qui ne contestent que sur les limites de certaines classes, je remarque un fait bien évident, et qui, seul, seroit déjà décisif pour mon objet ; le voici :

À l’une des extrémités de la série (et c’est celle qu’on est dans l’usage de considérer comme l’antérieure), on voit les animaux les plus parfaits à tous égards, et dont l’organisation est la plus composée ; tandis qu’à l’extrémité opposée de la même série se trouvent les plus imparfaits qu’il y ait dans la nature, ceux dont l’organisation est la plus simple, et qu’on soupçonne à peine doués de l’animalité.

Ce fait bien reconnu, et qu’effectivement l’on ne sauroit contester, devient la première preuve de la dégradation que j’entreprends d’établir ; car il en est la condition essentielle.

Un autre fait que présente la considération de la série générale des animaux, et qui fournit une seconde preuve de la dégradation qui règne dans leur organisation d’une extrémité à l’autre de leur chaîne, est celui-ci :

Les quatre premières classes du règne animal offrent des animaux généralement pourvus d’une colonne vertébrale, tandis que les animaux de toutes les autres classes en sont tous absolument privés.

On sait que la colonne vertébrale est la base essentielle du squelette, qu’il ne peut pas exister sans elle, et que partout où elle se trouve, il y a un squelette plus ou moins complet, plus ou moins perfectionné.

On sait aussi que le perfectionnement des facultés prouve celui des organes qui y donnent lieu.

Or, quoique l’homme soit hors de rang, à cause de l’extrême supériorité de son intelligence, relativement à son organisation, il offre assurément le type du plus grand perfectionnement où la nature ait pu atteindre : ainsi, plus une organisation animale approche de la sienne, plus elle est perfectionnée.

Cela étant ainsi, je remarque que le corps de l’homme possède non-seulement un squelette articulé, mais encore celui de tous qui est le plus complet et le plus perfectionné dans toutes ses parties. Ce squelette affermit son corps, fournit de nombreux points d’attache pour ses muscles, et lui permet de varier ses mouvemens presqu’à l’infini.

Le squelette entrant comme partie principale dans le plan d’organisation du corps de l’homme, il est évident que tout animal muni d’un squelette a l’organisation plus perfectionnée que ceux qui en sont dépourvus.

Donc que les animaux sans vertèbres sont plus imparfaits que les animaux vertébrés ; donc qu’en plaçant à la tête du règne animal les animaux les plus parfaits, la série générale des animaux présente une dégradation réelle dans l’organisation, puisqu’après les quatre premières classes, tous les animaux de celles qui suivent sont privés de squelette, et ont, par conséquent, une organisation moins perfectionnée.

Mais ce n’est pas tout : parmi les vertébrés mêmes, la dégradation dont il s’agit se remarque encore ; enfin, nous verrons qu’elle se reconnoît aussi parmi les invertébrés. Donc que cette dégradation est une suite du plan constant que suit la nature, et en même temps un résultat de ce que nous suivons son ordre en sens inverse ; car si nous suivions son ordre même, c’est-à-dire, si nous parcourions la série générale des animaux, en remontant des plus imparfaits jusqu’aux plus parfaits d’entre eux, au lieu d’une dégradation dans l’organisation, nous trouverions une composition croissante, et nous verrions successivement les facultés animales augmenter en nombre et en perfectionnement. Or, pour prouver partout la réalité de la dégradation dont il s’agit, parcourons maintenant, avec rapidité, les différentes classes du règne animal.


LES MAMMIFÈRES.


Animaux à mamelles, ayant quatre membres articulés, et tous les organes essentiels des animaux les plus parfaits. Du poil sur quelques parties du corps.


LES mammifères (mammalia, Lin.) doivent évidemment se trouver à l’une des extrémités de la chaîne animale, et être placés à celle qui offre les animaux les plus parfaits, et les plus riches en organisation et en facultés ; car c’est uniquement parmi eux que se trouvent ceux qui ont l’intelligence la plus développée.

Si le perfectionnement des facultés prouve celui des organes qui y donnent lieu, comme je l’ai déjà dit, dans ce cas, tous les animaux à mamelles, et qui, seuls, sont véritablement vivipares, ont donc l’organisation la plus perfectionnée, puisqu’il est reconnu que ces animaux ont plus d’intelligence, plus de facultés, et une réunion de sens plus parfaite que tous les autres ; d’ailleurs, ce sont ceux dont l’organisation approche le plus de celle de l’homme.

Leur organisation présente un corps affermi dans ses parties par un squelette articulé, plus généralement complet dans ces animaux que dans les vertébrés des trois autres classes. La plupart ont quatre membres articulés, dépendans du squelette ; et tous ont un diaphragme entre la poitrine et l’abdomen ; un cœur à deux ventricules et deux oreillettes ; le sang rouge et chaud ; des poumons libres, circonscrits dans la poitrine, et dans lesquels tout le sang passe avant d’être envoyé aux autres parties du corps ; enfin, ce sont les seuls animaux vivipares ; car ils sont les seuls dont le fœtus, enfermé dans ses enveloppes, communique néanmoins toujours avec sa mère, s’y développe aux dépens de sa substance, et dont les petits, après leur naissance, se nourrissent, pendant quelque temps encore, du lait de ses mamelles.

Ce sont donc les mammifères qui doivent occuper le premier rang dans le règne animal, sous le rapport du perfectionnement de l’organisation et du plus grand nombre de facultés (Recherches sur les Corps vivans, p. 15), puisqu’après eux on ne retrouve plus la génération positivement vivipare, ni des poumons circonscrits par un diaphragme dans la poitrine, recevant la totalité du sang qui doit être envoyé aux autres parties du corps, etc., etc.

À la vérité, parmi les mammifères mêmes, il est assez difficile de distinguer ce qui appartient réellement à la dégradation que nous examinons, de ce qui est le produit des circonstances d’habitation, des manières de vivre, et des habitudes depuis long-temps contractées.

Cependant on trouve même parmi eux des traces de la dégradation générale de l’organisation ; car ceux dont les membres sont propres à saisir les objets, sont supérieurs en perfectionnement à ceux dont les membres ne sont propres qu’à marcher. C’est, en effet, parmi les premiers que l’homme, considéré sous le rapport de l’organisation, se trouve placé. Or, il est évident que l’organisation de l’homme étant la plus parfaite, doit être regardée comme le type d’après lequel on doit juger du perfectionnement ou de la dégradation des autres organisations animales.

Ainsi, dans les mammifères, les trois coupes qui partagent, quoiqu’inégalement, cette classe, offrent entre elles, comme on va le voir, une dégradation remarquable dans l’organisation des animaux qu’elles comprennent.

Première coupe : les mammifères onguiculés ; ils ont quatre membres, des ongles aplatis ou pointus à l’extrémité de leurs doigts, et qui ne les enveloppent point. Ces membres sont, en général, propres à saisir les objets, ou au moins à s’y accrocher. C’est parmi eux que se trouvent les animaux les plus parfaits en organisation.

Deuxième coupe : les mammifères ongulés ; ils ont quatre membres, et leurs doigts sont enveloppés entièrement à leur extrémité par une corne arrondie, qu’on nomme sabot. Leurs pieds ne servent à aucun autre usage qu’à marcher ou courir sur la terre, et ne sauroient être employés, soit à grimper sur les arbres, soit à saisir aucun objet ou aucune proie, soit à attaquer et déchirer les autres animaux. Ils ne se nourrissent que de matières végétales.

Troisième coupe : les mammifères exongulés ; ils n’ont que deux membres, et ces membres sont très-courts, aplatis et conformés en nageoires. Leurs doigts, enveloppés par la peau, n’ont ni ongles, ni corne. Ce sont de tous les mammifères ceux dont l’organisation est la moins perfectionnée. Ils n’ont ni bassin, ni pieds de derrière ; ils avalent sans mastication préalable ; enfin, ils vivent habituellement dans les eaux ; mais ils viennent respirer l’air à leur surface. On leur a donné le nom de cétacés.

Quoique les amphibies habitent aussi dans les eaux, d’où ils sortent pour se traîner, de temps à autre, sur le rivage, ils appartiennent réellement à la première coupe dans l’ordre naturel, et non à celle qui comprend les cétacés.

Dès à présent, l’on voit qu’il faut distinguer la dégradation de l’organisation qui provient de l’influence des lieux d’habitation et des habitudes contractées, de celle qui résulte des progrès moins avancés dans le perfectionnement ou la composition de l’organisation. Ainsi, à cet égard, il ne faut s’abaisser qu’avec réserve dans les considérations de détail ; parce que, comme je le ferai voir, les milieux dans lesquels vivent habituellement les animaux, les lieux particuliers d’habitation, les habitudes forcées par les circonstances, les manières de vivre, etc., ayant une grande puissance pour modifier les organes, on pourroit attribuer à la dégradation que nous considérons, des formes de parties qui sont réellement dues à d’autres causes.

Il est évident, par exemple, que les amphibies et les cétacés, vivant habituellement dans un milieu dense, et où des membres bien développés n’auroient pu que gêner leurs mouvemens, ne doivent avoir que des membres très-raccourcis ; que le seul produit de l’influence des eaux qui nuiroit aux mouvemens de membres fort allongés, ayant des parties solides intérieurement, a dû les rendre tels qu’ils sont en effet, et que conséquemment ces animaux doivent leur forme générale aux influences du milieu dans lequel ils habitent. Mais relativement à la dégradation que nous cherchons à reconnoître dans les mammifères mêmes, les amphibies doivent être éloignés des cétacés, parce que leur organisation est bien moins dégradée dans ses parties essentielles, et qu’elle exige qu’on les rapproche de l’ordre des mammifères onguiculés, tandis que les cétacés doivent former le dernier ordre de la classe, étant les mammifères les plus imparfaits.

Nous allons passer aux oiseaux ; mais auparavant, je dois faire remarquer qu’entre les mammifères et les oiseaux, il n’y a pas de nuance ; qu’il existe un vide à remplir, et que, sans doute, la nature a produit des animaux qui remplissent à peu près ce vide, et qui devront former une classe particulière, s’ils ne peuvent être compris, soit dans les mammifères, soit dans les oiseaux, d’après leur système d’organisation.

Cela vient de se réaliser par la découverte récente de deux genres d’animaux de la Nouvelle-Hollande ; ce sont :


Les Ornythorinques,…
Les Échidnées,…
Monotrèmes, Geoff.

Ces animaux sont quadrupèdes, sans mamelles, sans dents enchâssées, sans lèvres, et n’ont qu’un orifice pour les organes génitaux, les excrémens et les urines (un cloaque). Leur corps est couvert de poils ou de piquans.

Ce ne sont point des mammifères ; car ils sont sans mamelles, et très-vraisemblablement ovipares ;

Ce ne sont pas des oiseaux ; car leurs poumons ne sont pas percés, et ils n’ont point de membres conformés en ailes ;

Enfin, ce ne sont point des reptiles ; car leur cœur à deux ventricules les en éloigne nécessairement.

Ils appartiennent donc à une classe particulière.


LES OISEAUX.


Animaux sans mamelles, ayant deux pieds, et deux bras conformés en ailes. Des plumes recouvrant le corps.


LE second rang appartient évidemment aux oiseaux : car si l’on ne trouve point dans ces animaux un aussi grand nombre de facultés et autant d’intelligence que dans les animaux du premier rang, ils sont les seuls, les monotrèmes exceptés, qui aient, comme les mammifères, un cœur à deux ventricules et deux oreillettes, le sang chaud, la cavité du crâne totalement remplie par le cerveau, et le tronc toujours environné de côtes. Ils ont donc, avec les animaux à mamelles, des qualités communes et exclusives, et, par conséquent, des rapports qu’on ne sauroit retrouver dans aucun des animaux des classes postérieures.

Mais les oiseaux, comparés aux mammifères, offrent, dans leur organisation, une dégradation évidente, et qui ne tient nullement à l’influence d’aucune sorte de circonstances. En effet, ils manquent essentiellement de mamelles, organes dont les animaux du premier rang sont les seuls pourvus, et qui tiennent à un système de génération qu’on ne retrouve plus dans les oiseaux, ni dans aucun des animaux des rangs qui vont suivre. En un mot, ils sont essentiellement ovipares ; car le système des vrais vivipares, qui est propre aux animaux du premier rang, ne se retrouve plus dès le second, et ne reparoît plus ailleurs. Leur fœtus, enfermé dans une enveloppe inorganique (la coque de l’œuf), qui bientôt ne communique plus avec la mère, peut s’y développer sans se nourrir de sa substance.

Le diaphragme qui, dans les mammifères, sépare complétement, quoique plus ou moins obliquement, la poitrine de l’abdomen, cesse ici d’exister, ou ne se trouve que très-incomplet.

Il n’y a de mobile dans la colonne vertébrale des oiseaux, que les vertèbres du cou et de la queue, parce que les mouvemens des autres vertèbres de cette colonne ne s’étant pas trouvés nécessaires à l’animal, ils ne se sont pas exécutés, et n’ont pas mis d’obstacles aux grands développemens du sternum qui maintenant les rend presque impossibles.

En effet, le sternum des oiseaux donnant attache à des muscles pectoraux que des mouvemens énergiques, presque continuellement exercés, ont rendu très-épais et très-forts, est devenu extrêmement large, et cariné dans le milieu. Mais ceci tient aux habitudes de ces animaux, et non à la dégradation générale que nous examinons. Cela est si vrai, que le mammifère qu’on nomme chauve-souris, a aussi le sternum cariné.

Tout le sang des oiseaux passe encore dans leur poumon avant d’arriver aux autres parties du corps. Ainsi ils respirent complétement par un poumon, comme les animaux du premier rang ; et après eux, aucun animal connu n’est dans ce cas.

Mais ici se présente une particularité fort remarquable, et qui est relative aux circonstances où se trouvent ces animaux : habitant, plus que les autres vertébrés, le sein de l’air, dans lequel ils s’élèvent presque continuellement, et qu’ils traversent dans toutes sortes de directions ; l’habitude qu’ils ont prise de gonfler d’air leur poumon, pour accroître leur volume, et se rendre plus légers, a fait contracter à cet organe une adhérence aux parties latérales de la poitrine, et a mis l’air qui y étoit retenu et raréfié par la chaleur du lieu, dans le cas de percer le poumon et les enveloppes environnantes, et de pénétrer dans presque toutes les parties du corps, dans l’intérieur des grands os, qui sont creux, et jusque dans le tuyau des grandes plumes[1]. Ce n’est néanmoins que dans le poumon que le sang des oiseaux reçoit l’influence de l’air dont il a besoin ; car l’air qui pénètre dans les autres parties du corps a un autre usage que celui de servir à la respiration.

Ainsi, les oiseaux, qu’avec raison l’on a placés après les animaux à mamelles, présentent, dans leur organisation générale, une dégradation évidente, non parce que leur poumon offre une particularité qu’on ne trouve pas dans les premiers, et qui n’est due, ainsi que leurs plumes, qu’à l’habitude qu’ils ont prise de s’élancer dans le sein de l’air, mais parce qu’ils n’ont plus le système de génération qui est propre aux animaux les plus parfaits, et qu’ils n’ont que celui de la plupart des animaux des classes postérieures.

Il est fort difficile de reconnoître, parmi les oiseaux mêmes, la dégradation de l’organisation qui fait ici l’objet de nos recherches ; nos connoissances sur leur organisation sont encore trop générales. Aussi, jusqu’à présent, a-t-il été arbitraire de placer en tête de cette classe tel ou tel de ses ordres, et de la terminer de même par celui de ses ordres que l’on a voulu choisir.

Cependant, si l’on considère que les oiseaux aquatiques (comme les palmipèdes), que les échassiers et que les gallinacés ont cet avantage sur tous les autres oiseaux, que leurs petits, en sortant de l’œuf, peuvent marcher et se nourrir ; et, surtout, si l’on fait attention que, parmi les palmipèdes, les manchots et les pingoins, dont les ailes, presque sans plumes, ne sont que des rames pour nager, et ne peuvent servir au vol, ce qui rapproche, en quelque sorte, ces oiseaux des monotrèmes et des cétacés ; on reconnoîtra que les palmipèdes, les échassiers et les gallinacés doivent constituer les trois premiers ordres des oiseaux, et que les colombins, les passereaux, les rapaces et les grimpeurs, doivent former les quatre derniers ordres de la classe. Or, ce que l’on sait des habitudes des oiseaux de ces quatre derniers ordres, nous apprend que leurs petits, en sortant de l’œuf, ne peuvent marcher, ni se nourrir eux-mêmes.

Enfin, si, d’après cette considération, les grimpeurs composent le dernier ordre des oiseaux, comme ils sont les seuls qui aient deux doigts postérieurs et deux en avant, ce caractère, qui leur est commun avec le caméléon, semble autoriser à les rapprocher des reptiles.


LES REPTILES.


Animaux n’ayant qu’un ventricule au cœur, et jouissant encore d’une respiration pulmonaire, mais incomplète. Leur peau est lisse, ou munie d’écailles.


AU troisième rang se placent naturellement et nécessairement les reptiles, et ils vont nous fournir de nouvelles et de plus grandes preuves de la dégradation de l’organisation d’une extrémité à l’autre de la chaîne animale, en partant des animaux les plus parfaits. En effet, on ne retrouve plus dans leur cœur, qui n’a qu’un ventricule, cette conformation qui appartient essentiellement aux animaux du premier et du second rang, et leur sang est froid, presque comme celui des animaux des rangs postérieurs.

Une autre preuve de la dégradation de l’organisation des reptiles nous est offerte dans leur respiration : d’abord, ce sont les derniers animaux qui respirent par un véritable poumon ; car, après eux, on ne retrouve dans aucun des animaux des classes suivantes un organe respiratoire de cette nature ; ce que j’essayerai de prouver en parlant des mollusques. Ensuite, chez eux, le poumon est, en général, à cellules fort grandes, proportionnellement moins nombreuses, et déjà fort simplifié. Dans beaucoup d’espèces, cet organe manque dans le premier âge, et se trouve alors remplacé par des branchies, organe respiratoire qu’on ne trouve jamais dans les animaux des rangs antérieurs. Quelquefois ici, les deux sortes d’organes cités pour la respiration se rencontrent à la fois dans le même individu.

Mais la plus grande preuve de dégradation à l’égard de la respiration des reptiles, c’est qu’il n’y a qu’une partie de leur sang qui passe par le poumon, tandis que le reste arrive aux parties du corps, sans avoir reçu l’influence de la respiration.

Enfin, chez les reptiles, les quatre membres essentiels aux animaux les plus parfaits commencent à se perdre, et même beaucoup d’entre eux (presque tous les serpens) en manquent totalement.

Indépendamment de la dégradation d’organisation reconnue dans la forme du cœur, dans la température du sang qui s’élève à peine au-dessus de celle des milieux environnans, dans la respiration incomplète, et dans la simplification presque graduelle du poumon, on remarque que les reptiles diffèrent considérablement entre eux ; en sorte que les animaux de chacun des ordres de cette classe offrent de plus grandes différences dans leur organisation et dans leur forme extérieure, que ceux des deux classes précédentes. Les uns vivent habituellement dans l’air, et parmi eux, ceux qui n’ont point de pattes ne peuvent que ramper ; les autres habitent les eaux ou vivent sur leurs rives, se retirant, tantôt dans l’eau, et tantôt dans les lieux découverts. Il y en a qui sont revêtus d’écailles, et d’autres qui ont la peau nue. Enfin, quoique tous aient le cœur à un ventricule, dans les uns, il a deux oreillettes, et dans les autres, il n’en a qu’une seule. Toutes ces différences tiennent aux circonstances d’habitation, de manière de vivre, etc. ; circonstances qui, sans doute, influent plus fortement sur une organisation qui est encore éloignée du but où tend la nature, qu’elles ne pourroient le faire sur celles qui sont plus avancées vers leur perfectionnement.

Ainsi, les reptiles étant des animaux ovipares (même ceux dont les œufs éclosent dans le sein de leur mère) ; ayant le squelette modifié, et le plus souvent très-dégradé ; présentant une respiration et une circulation moins perfectionnées que celles des animaux à mamelles et des oiseaux ; et offrant tous un petit cerveau qui ne remplit pas totalement la cavité du crâne ; sont moins parfaits que les animaux des deux classes précédentes, et confirment, de leur côté, la dégradation croissante de l’organisation, à mesure qu’on se rapproche de ceux qui sont les plus imparfaits.

Parmi ces animaux, indépendamment des modifications qui résultent, pour la conformation de leurs parties, des circonstances dans lesquelles ils vivent, on remarque, en outre, des traces de la dégradation générale de l’organisation ; car, dans le dernier de leurs ordres (dans les batraciens), les individus, dans le premier âge, respirent par des branchies.

Si l’on considéroit comme une suite de la dégradation, le défaut de pattes qui s’observe dans les serpens, les ophidiens devroient constituer le dernier ordre des reptiles : mais ce seroit une erreur que d’admettre cette considération. En effet, les serpens étant des animaux qui, pour se cacher, ont pris les habitudes de ramper immédiatement sur la terre, leur corps a acquis une longueur considérable et disproportionnée à sa grosseur. Or, des pattes allongées eussent été nuisibles à leur besoin de ramper et de se cacher, et des pattes très-courtes, ne pouvant être qu’au nombre de quatre, puisque ce sont des animaux vertébrés, eussent été incapables de mouvoir leur corps. Ainsi les habitudes de ces animaux ont fait disparoître leurs pattes, et néanmoins les batraciens, qui en ont, offrent une organisation plus dégradée, et sont plus voisins des poissons.

Les preuves de l’importante considération que j’expose seront établies sur des faits positifs ; conséquemment, elles seront toujours à l’abri des contestations qu’on voudroit en vain leur opposer.


LES POISSONS.


Animaux respirant par des branchies, ayant la peau lisse ou chargée d’écailles, et le corps muni de nageoires.


EN suivant le cours de cette dégradation soutenue dans l’ensemble de l’organisation, et dans la diminution du nombre des facultés animales, on voit que les poissons doivent être nécessairement placés au quatrième rang, c’est-à-dire, après les reptiles. Ils ont, en effet, une organisation moins avancée encore vers son perfectionnement que celle des reptiles, et, par conséquent, plus éloignée de celle des animaux les plus parfaits.

Sans doute, leur forme générale, leur défaut d’étranglement entre la tête et le corps, pour former un cou, et les différentes nageoires qui leur tiennent lieu de membres, sont les résultats de l’influence du milieu dense qu’ils habitent, et non ceux de la dégradation de leur organisation. Mais cette dégradation n’en est pas moins réelle et fort grande, comme on peut s’en convaincre en examinant leurs organes intérieurs ; elle est telle, qu’elle force d’assigner aux poissons un rang postérieur à celui des reptiles.

On ne retrouve plus en eux l’organe respiratoire des animaux les plus parfaits, c’est-à-dire, qu’ils manquent de véritable poumon, et qu’ils n’ont à la place de cet organe que des branchies ou feuillets pectinés et vasculifères, disposés aux deux côtés du cou ou de la tête, quatre ensemble de chaque côté. L’eau que ces animaux respirent entre par la bouche, passe entre les feuillets des branchies, baigne les vaisseaux nombreux qui s’y trouvent ; et comme cette eau est mélangée d’air, ou en contient en dissolution, cet air, quoiqu’en petite quantité, agit sur le sang des branchies et y opère le bénéfice de la respiration. L’eau ensuite sort latéralement par les ouïes, c’est-à-dire, par les trous qui sont ouverts aux deux côtés du cou.

Or, remarquez que voilà la dernière fois que le fluide respiré entrera par la bouche de l’animal, pour parvenir à l’organe de la respiration.

Ces animaux, ainsi que ceux des rangs postérieurs, n’ont ni trachée-artère, ni larynx, ni voix véritable (même ceux qu’on nomme grondeurs), ni paupières sur les yeux, etc. Voilà des organes et des facultés ici perdus, et qu’on ne retrouve plus dans le reste du règne animal.

Cependant les poissons font encore partie de la coupe des animaux vertébrés ; mais ils en sont les derniers, et ils terminent le cinquième degré d’organisation, étant, avec les reptiles, les seuls animaux qui aient :

― Une colonne vertébrale ;
― Des nerfs aboutissant à un cerveau qui ne remplit point le crâne ;
― Le cœur à un ventricule ;
― Le sang froid ;
― Enfin, l’oreille tout-à-fait intérieure.

Ainsi, les poissons offrant, dans leur organisation, une génération ovipare ; un corps sans mamelles, dont la forme est la plus appropriée à la natation ; des nageoires qui ne sont pas toutes en rapport avec les quatre membres des animaux les plus parfaits ; un squelette très-incomplet, singulièrement modifié, et à peine ébauché dans les derniers animaux de cette classe ; un seul ventricule au cœur, et le sang froid ; des branchies en place de poumon ; un très-petit cerveau ; le sens du tact incapable de faire connoître la forme des corps ; et se trouvant vraisemblablement sans odorat, car les odeurs ne sont transmises que par l’air : il est évident que ces animaux confirment fortement, de leur côté, la dégradation d’organisation que nous avons entrepris de suivre dans toute l’étendue du règne animal.

Maintenant nous allons voir que la division primaire des poissons nous offre, dans les poissons que l’on nomme osseux, ceux qui sont les plus perfectionnés d’entre eux ; et dans les poissons cartilagineux, ceux qui sont les moins perfectionnés. Ces deux considérations confirment, dans la classe même, la dégradation de l’organisation ; car les poissons cartilagineux annoncent, par la mollesse et l’état cartilagineux des parties destinées à affermir leur corps et à faciliter ses mouvemens, que c’est chez eux que le squelette finit, ou plutôt que c’est chez eux que la nature a commencé à l’ébaucher.

En suivant toujours l’ordre en sens inverse de celui de la nature, les huit derniers genres de cette classe doivent comprendre les poissons dont les ouvertures branchiales, sans opercule et sans membrane, ne sont que des trous latéraux ou sous la gorge ; enfin, les lamproies et les gastéro-branches doivent terminer la classe, ces poissons étant extrêmement différens de tous les autres par l’imperfection de leur squelette, et parce qu’ils ont le corps nu, visqueux, dépourvu de nageoires latérales, etc.


Observations sur les Vertébrés.


Les animaux vertébrés, quoiqu’offrant entre eux de grandes différences dans leurs organes, paroissent tous formés sur un plan commun d’organisation. En remontant des poissons aux mammifères, on voit que ce plan s’est perfectionné de classe en classe, et qu’il n’a été terminé complétement que dans les mammifères les plus parfaits ; mais aussi l’on remarque que, dans le cours de son perfectionnement, ce plan a subi des modifications nombreuses, et même très-considérables, de la part des influences des lieux d’habitation des animaux, ainsi que de celles des habitudes que chaque race a été forcée de contracter selon les circonstances dans lesquelles elle s’est trouvée.

On voit par-là, d’une part, que si les animaux vertébrés diffèrent fortement les uns des autres par l’état de leur organisation, c’est que la nature n’a commencé l’exécution de son plan à leur égard, que dans les poissons ; qu’elle l’a ensuite plus avancé dans les reptiles ; qu’elle l’a porté plus près de son perfectionnement dans les oiseaux, et qu’enfin elle n’est parvenue à le terminer complétement que dans les mammifères les plus parfaits ;

De l’autre part, on ne peut s’empêcher de reconnoître que si le perfectionnement du plan d’organisation des vertébrés n’offre pas partout, depuis les poissons les plus imparfaits jusqu’aux mammifères les plus parfaits, une gradation régulière et nuancée, c’est que le travail de la nature a été souvent altéré, contrarié, et même changé dans sa direction, par les influences que des circonstances singulièrement différentes, et même contrastantes, ont exercé sur les animaux qui s’y sont trouvés exposés dans le cours d’une longue suite de leurs générations renouvelées.


Anéantissement de la Colonne vertébrale.


Lorsqu’on est à ce point de l’échelle animale, la colonne vertébrale se trouve entièrement anéantie ; et comme cette colonne est la base de tout véritable squelette, et que cette charpente osseuse fait une partie importante de l’organisation des animaux les plus parfaits, tous les animaux sans vertèbres que nous allons successivement examiner, ont donc l’organisation plus dégradée encore que ceux des quatre classes que nous venons de passer en revue. Aussi dorénavant, les appuis pour l’action musculaire ne reposeront plus sur des parties intérieures.

D’ailleurs, aucun des animaux sans vertèbres ne respire par des poumons cellulaires ; aucun d’eux n’a de voix, ni conséquemment d’organe pour cette faculté ; enfin, ils paroissent, la plupart, dépourvus de véritable sang, c’est-à-dire, de ce fluide essentiellement rouge dans les vertébrés, qui ne doit sa couleur qu’à l’intensité de son animalisation, et surtout qui éprouve une véritable circulation. Quel abus ne seroit-ce pas faire des mots, que de donner le nom de sang au fluide sans couleur et sans consistance, qui se meut avec lenteur dans la substance cellulaire des polypes ? Il faudra donc donner un pareil nom à la séve des végétaux ?

Outre la colonne vertébrale, ici se perd encore l’iris qui caractérise les yeux des animaux les plus parfaits ; car, parmi les animaux sans vertèbres, ceux qui ont des yeux n’en ont pas qui soient distinctement ornés d’iris.

Les reins, de même, ne se trouvent que dans les animaux vertébrés, les poissons étant les derniers en qui l’on rencontre encore cet organe.

Dorénavant, plus de moelle épinière, plus de grand nerf sympathique.

Enfin, une observation très-importante à considérer, c’est que, dans les vertébrés, et principalement vers l’extrémité de l’échelle animale qui présente les animaux les plus parfaits, tous les organes essentiels sont isolés, ou ont chacun un foyer isolé, dans autant de lieux particuliers. On verra bientôt que le contraire a parfaitement lieu, à mesure qu’on s’avance vers l’autre extrémité de la même échelle.

Il est donc évident que les animaux sans vertèbres ont tous l’organisation moins perfectionnée que ceux qui possèdent une colonne vertébrale, l’organisation des animaux à mamelles présentant celle qui comprend les animaux les plus parfaits sous tous les rapports, et étant, sans contredit, le vrai type de celle qui a le plus de perfection.

Voyons maintenant si les classes et les grandes familles qui partagent la nombreuse série des animaux sans vertèbres, présentent aussi, dans la comparaison de ces masses entre elles, une dégradation croissante dans la composition et la perfection de l’organisation des animaux qu’elles comprennent.

ANIMAUX SANS VERTÈBRES.


EN arrivant aux animaux sans vertèbres, on entre dans une immense série d’animaux divers, les plus nombreux de ceux qui existent dans la nature, les plus curieux et les plus intéressans sous le rapport des différences qu’on observe dans leur organisation et leurs facultés.

On est convaincu, en observant leur état, que, pour leur donner successivement l’existence, la nature a procédé graduellement du plus simple vers le plus composé. Or, ayant eu pour but d’arriver à un plan d’organisation qui en permettroit le plus grand perfectionnement (celui des animaux vertébrés), plan très-différent de ceux qu’elle a été préalablement forcée de créer pour y parvenir, on sent que, parmi ces nombreux animaux, l’on doit rencontrer, non un seul système d’organisation perfectionné progressivement, mais divers systèmes très-distincts, chacun d’eux ayant dû résulter du point où chaque organe de première importance a commencé à exister.

En effet, lorsque la nature est parvenue à créer un organe spécial pour la digestion (comme dans les polypes), elle a, pour la première fois, donné une forme particulière et constante aux animaux qui en sont munis, les infusoires par qui elle a tout commencé, ne pouvant posséder ni la faculté que donne cet organe, ni le mode de forme et d’organisation propre à en favoriser les fonctions.

Lorsqu’ensuite elle a établi un organe spécial de respiration, et à mesure qu’elle a varié cet organe pour le perfectionner, et l’accommoder aux circonstances d’habitation des animaux, elle a diversifié l’organisation selon que l’existence et le développement des autres organes spéciaux l’ont successivement exigé.

Lorsqu’après cela elle a réussi à produire le système nerveux, aussitôt il lui a été possible de créer le système musculaire, et dès lors il lui a fallu des points affermis pour les attaches des muscles, des parties paires constituant une forme symétrique, et il en est résulté différens modes d’organisation, à raison des circonstances d’habitation et des parties acquises, qui ne pouvoient avoir lieu auparavant.

Enfin, lorsqu’elle a obtenu assez de mouvement dans les fluides contenus de l’animal, pour que la circulation pût s’organiser, il en est encore résulté, pour l’organisation, des particularités importantes qui la distinguent, des systèmes organiques, dans lesquels la circulation n’a point lieu.

Pour apercevoir le fondement de ce que je viens d’exposer, et mettre en évidence la dégradation et la simplification de l’organisation, puisque nous suivons en sens inverse l’ordre de la nature, parcourons rapidement les différentes classes des animaux sans vertèbres.


LES MOLLUSQUES.


Animaux mollasses, non articulés, respirant par des branchies, et ayant un manteau. Point de moelle longitudinale noueuse ; point de moelle épinière.


LE cinquième rang, en descendant l’échelle graduée que forme la série des animaux, appartient de toute nécessité aux mollusques ; car devant être placés un degré plus bas que les poissons, puisqu’ils n’ont plus de colonne vertébrale, ce sont néanmoins les mieux organisés des animaux sans vertèbres. Ils respirent par des branchies, mais qui sont très-diversifiées, soit dans leur forme et leur grandeur, soit dans leur situation en dedans ou en dehors de l’animal, selon les genres et les habitudes des races que ces genres comprennent. Ils ont tous un cerveau ; des nerfs non noueux, c’est-à-dire, qui ne présentent pas une rangée de ganglions le long d’une moelle longitudinale ; des artères et des veines ; et un ou plusieurs cœurs uniloculaires. Ce sont les seuls animaux connus qui, possédant un système nerveux, n’ont ni moelle épinière, ni moelle longitudinale noueuse.

Les branchies essentiellement destinées, par la nature, à opérer la respiration dans le sein même de l’eau, ont dû subir des modifications, quant à leurs facultés, et quant à leurs formes, dans les animaux aquatiques qui se sont exposés, ainsi que les générations des individus de leur race, à se mettre souvent en contact avec l’air, et même pour plusieurs de ces races, à y rester habituellement.

L’organe respiratoire de ces animaux s’est insensiblement accoutumé à l’air ; ce qui n’est point une supposition ; car on sait que tous les crustacés ont des branchies, et cependant on connoît des crabes (cancer ruricola) qui vivent habituellement sur la terre, respirant l’air en nature avec leurs branchies. À la fin, cette habitude de respirer l’air avec des branchies est devenue nécessaire à beaucoup de mollusques qui l’ont contractée : elle a modifié l’organe même ; en sorte que les branchies de ces animaux n’ayant plus besoin d’autant de points de contact avec le fluide à respirer, sont devenues adhérentes aux parois de la cavité qui les contient.

Il en est résulté que l’on distingue parmi les mollusques, deux sortes de branchies :

Les unes sont constituées par des lacis de vaisseaux qui rampent sur la peau d’une cavité intérieure, qui ne forment point de saillie, et qui ne peuvent respirer que l’air : on peut les nommer des branchies aériennes ;

Les autres sont des organes presque toujours en saillie, soit en dedans, soit en dehors de l’animal, formant des franges ou des lames pectinées, ou des cordonnets, etc., et qui ne peuvent opérer la respiration qu’à l’aide du contact de l’eau fluide. On peut les nommer des branchies aquariennes.

Si des différences dans les habitudes des animaux en ont occasionné dans leurs organes, on en peut conclure ici que, pour l’étude des caractères particuliers à certains ordres de mollusques, il sera utile de distinguer ceux qui ont des branchies aériennes, de ceux dont les branchies ne peuvent respirer que l’eau ; mais de part et d’autre, ce sont toujours des branchies, et il nous paroît très-inconvenable de dire que les mollusques qui respirent l’air possèdent un poumon. Qui ne sait combien de fois l’abus des mots et les fausses applications des noms, ont servi à dénaturer les objets, et à nous jeter dans l’erreur ?

Y a-t-il une si grande différence entre l’organe respiratoire du pneumoderme, qui consiste en lacis ou cordonnet vasculaire rampant sur une peau extérieure, et le lacis vasculaire des hélices qui rampe sur une peau intérieure ? Le pneumoderme cependant paroît ne respirer que l’eau.

Au reste, examinons un moment s’il y a des rapports entre l’organe respiratoire des mollusques qui respirent l’air, et le poumon des animaux vertébrés.

Le propre du poumon est de constituer une masse spongieuse particulière, composée de cellules plus ou moins nombreuses, dans lesquelles l’air en nature parvient toujours, d’abord par la bouche de l’animal, et de là par un canal plus ou moins cartilagineux, qu’on nomme trachée-artère, et qui, en général, se subdivise en ramifications appelées bronches, lesquelles aboutissent aux cellules. Les cellules et les bronches se remplissent et se vident d’air alternativement, par les suites du gonflement et de l’affaissement successifs de la cavité du corps qui en contient la masse ; en sorte qu’il est particulier au poumon d’offrir des inspirations et des expirations alternatives et distinctes. Cet organe ne peut supporter que le contact de l’air même, et se trouve fort irrité par celui de l’eau ou de toute autre matière. Il est donc d’une nature différente de celle de la cavité branchiale de certains mollusques qui est toujours unique, qui n’offre point d’inspiration et d’expiration distinctes, point de gonflement et d’affaissement alternatifs, qui n’a jamais de trachée-artère, jamais de bronches, et dans laquelle le fluide respiré n’entre jamais par la bouche de l’animal.

Une cavité respiratoire, qui n’offre ni trachée-artère, ni bronches, ni gonflement et affaissement alternatifs, dans laquelle le fluide respiré n’entre point par la bouche, et qui s’accommode tantôt à l’air, et tantôt à l’eau, ne sauroit être un poumon. Confondre par un même nom des objets si différens, ce n’est point avancer la science, c’est l’embarrasser.

Le poumon est le seul organe respiratoire qui puisse donner à l’animal la faculté d’avoir une voix. Après les reptiles, aucun animal n’a de poumon ; aussi aucun n’a de voix.

Je conclus qu’il n’est pas vrai qu’il y ait des mollusques qui respirent par un poumon. Si quelques-uns respirent l’air en nature, certains crustacés le respirent également, et tous les insectes le respirent aussi ; mais aucun de ces animaux n’a de vrai poumon, à moins qu’on ne donne un même nom à des objets très-différens.

Si les mollusques, par leur organisation générale, qui est inférieure en perfectionnement à celle des poissons, prouvent aussi, de leur côté, la dégradation progressive que nous examinons dans la chaîne animale, la même dégradation parmi les mollusques eux-mêmes n’est pas aussi facile à déterminer ; car, parmi les animaux très-nombreux et très-diversifiés de cette classe, il est difficile de distinguer ce qui appartient à la dégradation dont il s’agit, de ce qui est le produit des lieux d’habitation et des habitudes de ces animaux.

À la vérité, des deux ordres uniques qui partagent la nombreuse classe des mollusques, et qui sont éminemment en contraste l’un avec l’autre par l’importance de leurs caractères distinctifs, les animaux du premier de ces ordres (les mollusques céphalés) ont une tête très-distincte, des yeux, des mâchoires ou une trompe, et se régénèrent par accouplement.

Au contraire, tous les mollusques du second ordre (les mollusques acéphalés) sont sans tête, sans yeux, sans mâchoires, ni trompe à la bouche, et jamais ne s’accouplent pour se régénérer.

Or, on ne sauroit disconvenir que le second ordre des mollusques ne soit inférieur au premier en perfectionnement d’organisation.

Cependant, il importe de considérer que le défaut de tête, d’yeux, etc., dans les mollusques acéphalés, n’appartient pas uniquement à la dégradation générale de l’organisation, puisque, dans des degrés inférieurs de la chaîne animale, nous retrouvons des animaux qui ont une tête, des yeux, etc. ; mais il y a apparence que c’est encore ici une de ces déviations dans la progression du perfectionnement de l’organisation qui sont produites par les circonstances, et, par conséquent, par des causes étrangères à celles qui composent graduellement l’organisation des animaux.

En considérant l’influence de l’emploi des organes, et celle d’un défaut absolu et constant d’usage, nous verrons, en effet, qu’une tête, des yeux, etc., eussent été fort inutiles aux mollusques du second ordre, parce que le grand développement de leur manteau n’eût permis à ces organes aucun emploi quelconque.

Conformément à cette loi de la nature, qui veut que tout organe constamment sans emploi se détériore insensiblement, s’appauvrisse, et à la fin disparoisse entièrement, la tête, les yeux, les mâchoires, etc., se trouvent, en effet, anéantis dans les mollusques acéphalés : nous en verrons ailleurs bien d’autres exemples.

Dans les animaux sans vertèbres, la nature ne trouvant plus, dans les parties intérieures, des appuis pour le mouvement musculaire, y a suppléé, dans les mollusques, par le manteau dont elle les a munis. Or, ce manteau des mollusques est d’autant plus ferme et plus resserré, que ces animaux exécutent plus de locomotion, et qu’ils sont réduits à ce seul secours.

Ainsi, dans les mollusques céphalés, où il y a plus de locomotion que dans ceux qui n’ont point de tête, le manteau est plus étroit, plus épais et plus ferme ; et parmi ces mollusques céphalés, ceux qui sont nus (sans coquilles) ont, en outre, dans leur manteau une cuirasse plus ferme encore que le manteau lui-même ; cuirasse qui facilite singulièrement la locomotion et les contractions de l’animal (les limaces).

Mais si au lieu de suivre la chaîne animale en sens inverse de l’ordre même de la nature, nous la parcourions depuis les animaux les plus imparfaits jusqu’aux plus parfaits, alors il nous seroit facile d’apercevoir que la nature, sur le point de commencer le plan d’organisation des animaux vertébrés, a été forcée, dans les mollusques, d’abandonner le moyen d’une peau crustacée ou cornée pour les appuis de l’action musculaire ; que se préparant à porter ces points d’appui dans l’intérieur de l’animal, les mollusques se sont trouvés, en quelque sorte, dans le passage de ce changement de système d’organisation, et qu’en conséquence, n’ayant plus que de foibles moyens de mouvemens locomoteurs, ils ne les exécutent tous qu’avec une lenteur remarquable.


LES CIRRHIPÈDES.


Animaux privés d’yeux, respirant par des branchies, munis d’un manteau, et ayant des bras articulés à peau cornée.


Les cirrhipèdes, dont on ne connoît encore que quatre genres[2], doivent être considérés comme formant une classe particulière, parce que ces animaux ne peuvent entrer dans le cadre d’aucune autre classe des animaux sans vertèbres.

Ils tiennent aux mollusques par leur manteau, et l’on doit les placer immédiatement après les mollusques acéphalés, étant, comme eux, sans tête et sans yeux.

Cependant les cirrhipèdes ne peuvent faire partie de la classe des mollusques ; car leur système nerveux présente, comme les animaux des trois classes qui suivent, une moelle longitudinale noueuse. D’ailleurs, ils ont des bras articulés, à peau cornée, et plusieurs paires de mâchoires transversales. Ils sont donc d’un rang inférieur à celui des mollusques. Les mouvemens de leurs fluides s’opèrent par une véritable circulation, à l’aide d’artères et de veines.

Ces animaux sont fixés sur les corps marins, et conséquemment n’exécutent point de locomotion ; ainsi leurs principaux mouvemens se réduisent à ceux de leurs bras. Or, quoiqu’ils aient un manteau comme les mollusques, la nature n’en pouvant obtenir aucune aide pour les mouvemens de leurs bras, a été forcée de créer dans la peau de ces bras des points d’appui pour les muscles qui doivent les mouvoir. Aussi cette peau est-elle coriace, et comme cornée à la manière de celle des crustacés et des insectes.


LES ANNELIDES.


Animaux à corps allongé et annelé, dépourvus de pattes articulées, respirant par des branchies, ayant un système de circulation, et une moelle longitudinale noueuse.


LA classe des annelides vient nécessairement après celle des cirrhipèdes, parce qu’aucune annelide n’a de manteau. On est ensuite forcé de les placer avant les crustacés, parce que ces animaux n’ont point de pattes articulées, qu’ils ne doivent point interrompre la série de ceux qui en ont, et que leur organisation ne permet pas de leur assigner un rang postérieur aux insectes.

Quoique ces animaux soient, en général, encore très-peu connus, le rang que leur assigne leur organisation, prouve qu’à leur égard, la dégradation de l’organisation continue de se soutenir ; car, sous ce point de vue, ils sont inférieurs aux mollusques, ayant une moelle longitudinale noueuse ; ils le sont, en outre, aux cirrhipèdes, qui ont un manteau comme les mollusques, et leur défaut de pattes articulées ne permet pas qu’on les place de manière à interrompre la série de ceux qui offrent cette organisation.

La forme allongée des annelides, qu’elles doivent à leurs habitudes de vivre, soit enfoncées dans la terre humide ou dans le limon, soit dans les eaux mêmes où elles habitent, la plupart, dans des tubes de différentes matières, d’où elles sortent et rentrent à leur gré, les fait ressembler tellement à des vers, que tous les naturalistes, jusque-là, les avoient confondues avec eux.

Leur organisation intérieure offre un très-petit cerveau, une moelle longitudinale noueuse, des artères et des veines dans lesquelles circule un sang le plus souvent coloré en rouge ; elles respirent par des branchies, tantôt externes et saillantes, et tantôt internes et cachées ou non apparentes.


LES CRUSTACÉS.


Animaux ayant le corps et les membres articulés, la peau crustacée, un système de circulation, et respirant par des branchies.


ICI l’on entre dans la nombreuse série des animaux, dont le corps, et surtout les membres, sont articulés, et dont les tégumens sont fermes, crustacés, cornés ou coriaces.

Les parties solides ou affermies de ces animaux sont toutes à l’extérieur : or, la nature ayant créé le système musculaire très-peu avant les premiers animaux de cette série, et ayant eu besoin de l’appui de parties solides pour lui donner de l’énergie, fut obligée d’établir le mode des articulations pour obtenir la possibilité des mouvemens.

Tous les animaux réunis sous le rapport du mode des articulations, furent considérés par Linneus, et après lui, comme ne formant qu’une seule classe, à laquelle on donna le nom d’insectes ; mais on reconnut enfin que cette grande série d’animaux présente plusieurs coupes importantes, qu’il est essentiel de distinguer.

Aussi, la classe des crustacés, qu’on avoit confondue avec celle des insectes, quoique tous les anciens naturalistes l’en eussent toujours distinguée, est une coupe indiquée par la nature, essentielle à conserver, qui doit suivre immédiatement celle des annelides, et occuper le huitième rang dans la série générale des animaux ; la considération de l’organisation l’exige : il n’y a point d’arbitraire à cet égard.

En effet, les crustacés ont un cœur, des artères et des veines, un fluide circulant, transparent, presque sans couleur, et tous respirent par de véritables branchies. Cela est incontestable, et embarrassera toujours ceux qui s’obstinent à les ranger parmi les insectes, par la raison qu’ils ont des membres articulés.

Si les crustacés, par leur circulation et par leur organe respiratoire, sont éminemment distingués des arachnides et des insectes ; et si, par cette considération, leur rang est évidemment supérieur, ils partagent néanmoins avec les arachnides et les insectes, ce trait d’infériorité d’organisation, relativement aux annelides, c’est-à-dire, celui de faire partie de la série des animaux à membres articulés ; série dans laquelle on voit s’éteindre et disparoître le système de circulation, et, par conséquent, le cœur, les artères et les veines, et dans laquelle encore la respiration, par le système branchial, se perd pareillement. Les crustacés confirment donc, de leur côté, la dégradation soutenue de l’organisation, dans le sens où nous parcourons l’échelle animale. Le fluide qui circule dans leurs vaisseaux étant transparent, et presque sans consistance, comme celui des insectes, prouve encore à leur égard cette dégradation.

Quant à leur système nerveux, il consiste en un très-petit cerveau et en une moelle longitudinale noueuse ; caractère d’appauvrissement de ce système, qu’on observe dans les animaux des deux classes précédentes et des deux qui suivent, les animaux de ces classes étant les derniers dans lesquels le système nerveux soit encore manifeste.

C’est dans les crustacés que les dernières traces de l’organe de l’ouïe ont été aperçues ; après eux, elles ne se retrouvent plus dans aucun animal.


Observations.


Ici se termine l’existence d’un véritable système de circulation, c’est-à-dire, d’un système d’artères et de veines qui fait partie de l’organisation des animaux les plus parfaits, et dont ceux de toutes les classes précédentes sont pourvus. L’organisation des animaux dont nous allons parler est donc plus imparfaite encore que celle des crustacés, qui sont les derniers dans lesquels la circulation soit bien manifeste. Ainsi, la dégradation de l’organisation se continue d’une manière évidente, puisqu’à mesure qu’on avance dans la série des animaux, tous les traits de ressemblance entre l’organisation de ceux que l’on considère, et celle des animaux les plus parfaits, se perdent successivement.

Quelle que soit la nature du mouvement des fluides dans les animaux des classes que nous allons parcourir, ce mouvement s’opère par des moyens moins actifs, et va toujours en se ralentissant.


LES ARACHNIDES.


Animaux respirant par des trachées bornées, ne subissant point de métamorphose, et ayant en tout temps des pattes articulées, et des yeux à la tête.


EN continuant l’ordre que nous avons suivi jusqu’à présent, le neuvième rang, dans le règne animal, appartient nécessairement aux arachnides ; elles ont tant de rapport avec les crustacés, qu’on sera toujours forcé de les en rapprocher et de les placer immédiatement après eux. Néanmoins elles en sont éminemment distinguées ; car elles présentent le premier exemple d’un organe respiratoire inférieur aux branchies, puisqu’on ne le rencontre jamais dans les animaux qui ont un cœur, des artères et des veines.

En effet, les arachnides ne respirent que par des stigmates et des trachées aérifères, qui sont des organes respiratoires analogues à ceux des insectes. Mais ces trachées, au lieu de s’étendre par tout le corps, comme celles des insectes, sont circonscrites dans un petit nombre de vésicules ; ce qui montre que la nature termine, dans les arachnides, le mode de respiration qu’elle a été obligée d’employer avant d’établir les branchies, comme elle a terminé, dans les poissons ou dans les derniers reptiles, celui dont elle a été obligée de faire usage avant de pouvoir former un véritable poumon.

Si les arachnides sont bien distinguées des crustacés, puisqu’elles ne respirent point par des branchies, mais par des trachées aérifères très-bornées, elles sont aussi très-distinguées des insectes ; et il seroit tout aussi inconvenable de les réunir aux insectes, dont elles n’ont point le caractère classique, et dont elles diffèrent même par leur organisation intérieure, qu’il l’étoit de confondre les crustacés avec les insectes.

En effet, les arachnides, quoiqu’ayant de grands rapports avec les insectes, en sont essentiellement distinctes :

1.o En ce qu’elles ne subissent jamais de métamorphose, qu’elles naissent sous la forme et avec toutes les parties qu’elles doivent toujours conserver, et que, conséquemment, elles ont en tout temps des yeux à la tête, et des pattes articulées ; ordre de choses qui tient à la nature de leur organisation intérieure, en cela fort différente de celle des insectes ;

2.o En ce que dans les arachnides du premier ordre (les A. palpistes), on commence à apercevoir l’ébauche d’un système de circulation[3] ;

3.o En ce que leur système de respiration, quoique du même ordre que celui des insectes, en est, malgré cela, très-différent, puisque leurs trachées, bornées à un petit nombre de vésicules, ne sont pas constituées par des canaux aériens très-nombreux, qui s’étendent dans tout le corps de l’animal, comme on le voit dans les trachées des insectes ;

4.o Enfin, en ce que les arachnides engendrent plusieurs fois dans le cours de leur vie ; faculté dont les insectes sont dépourvus.

Ces considérations doivent suffire pour faire sentir combien sont fautives les distributions dans lesquelles les arachnides et les insectes sont réunis dans la même classe, parce que leurs auteurs n’ont considéré que les articulations des pattes de ces animaux, et que la peau plus ou moins crustacée qui les recouvre. C’est à peu près comme si, ne considérant que les tégumens plus ou moins écailleux des reptiles et des poissons, on les réunissoit dans la même classe.

Quant à la dégradation générale de l’organisation que nous recherchons en parcourant l’échelle entière des animaux, elle est, dans les arachnides, extrêmement évidente : ces animaux, en effet, respirant par un organe inférieur, en perfectionnement organique, au poumon, et même aux branchies, et n’ayant que la première ébauche d’une circulation qui ne paroît pas encore terminée, confirment, à leur tour, la dégradation soutenue dont il s’agit.

Cette dégradation se remarque même dans la série des espèces rapportées à cette classe ; car les arachnides, antennistes ou du second ordre, sont fortement distinguées des autres, leur sont très-inférieures en progrès d’organisation, et se rapprochent considérablement des insectes ; elles en diffèrent néanmoins, en ce qu’elles ne subissent aucune métamorphose ; et comme elles ne s’élancent jamais dans le sein de l’air, il est très-probable que leurs trachées ne s’étendent pas généralement dans toutes les parties de leur corps.


LES INSECTES.


Animaux subissant des métamorphoses, et ayant, dans l’état parfait, deux yeux et deux antennes à la tête, six pattes articulées, et deux trachées qui s’étendent par tout le corps.


EN continuant de suivre un ordre inverse de celui de la nature, après les arachnides viennent nécessairement les insectes, c’est-à-dire, cette immense série d’animaux imparfaits, qui n’ont ni artères, ni veines ; qui respirent par des trachées aérifères non bornées ; enfin, qui naissent dans un état moins parfait que celui dans lequel ils se régénèrent, et qui conséquemment subissent des métamorphoses.

Parvenus dans leur état parfait, tous les insectes, sans exception, ont six pattes articulées, deux antennes et deux yeux à la tête, et la plupart ont alors des ailes.

Les insectes, d’après l’ordre que nous suivons, occupent nécessairement le dixième rang dans le règne animal ; car ils sont inférieurs en perfectionnement d’organisation aux arachnides, puisqu’ils ne naissent point, comme ces dernières, dans leur état parfait, et qu’ils n’engendrent qu’une seule fois dans le cours de leur vie.

C’est particulièrement dans les insectes que l’on commence à remarquer que les organes essentiels à l’entretien de leur vie sont répartis presque également, et la plupart situés dans toute l’étendue de leur corps, au lieu d’être isolés dans des lieux particuliers, comme cela a lieu dans les animaux les plus parfaits. Cette considération perd graduellement ses exceptions, et devient de plus en plus frappante dans les animaux des classes postérieures.

Nulle part, jusqu’ici, la dégradation générale de l’organisation ne s’est trouvée plus manifeste que dans les insectes, où elle est inférieure en perfectionnement à celle des animaux de toutes les classes précédentes. Cette dégradation se montre même entre les différens ordres qui divisent naturellement les insectes ; car ceux des trois premiers ordres (les coléoptères, les orthoptères et les névroptères) ont des mandibules et des mâchoires à la bouche ; ceux du quatrième ordre (les hyménoptères) commencent à posséder une espèce de trompe ; enfin, ceux des quatre derniers ordres (les lépidoptères, les hémiptères, les diptères et les aptères) n’ont plus réellement qu’une trompe. Or, des mâchoires paires ne se retrouvent nulle part dans le règne animal, après les insectes des trois premiers ordres. Sous le rapport des ailes, les insectes des six premiers ordres en ont quatre, dont toutes, ou deux seulement, servent au vol. Ceux du septième et du huitième n’ont plus que deux ailes, ou en manquent par avortement. Les larves des insectes des deux derniers ordres n’ont point de pattes, et ressemblent à des vers.

Il paroît que les insectes sont les derniers animaux qui offrent une génération sexuelle bien distincte, et qui soient vraisemblablement ovipares.

Enfin, nous verrons que les insectes sont infiniment curieux, par les particularités relatives à ce qu’on nomme leur industrie ; mais que cette industrie prétendue n’est nullement le produit d’aucune pensée, c’est-à-dire, d’aucune combinaison d’idées de leur part.


Observation.


Autant les poissons, parmi les vertébrés, présentent, dans leur conformation générale et dans les anomalies relatives à la progression de la composition d’organisation, le produit de l’influence du milieu qu’ils habitent ; autant les insectes, parmi les invertébrés, offrent, dans leur forme, leur organisation et leurs métamorphoses, le résultat évident de l’influence de l’air dans lequel ils vivent, et dans le sein duquel la plupart s’élancent et se soutiennent habituellement comme les oiseaux.

Si les insectes eussent eu un poumon, s’ils eussent pu se gonfler d’air, et si l’air qui pénètre dans toutes les parties de leur corps eut pu s’y raréfier, comme celui qui s’introduit dans le corps des oiseaux, leurs poils se fussent, sans doute, changés en plumes.

Enfin, si, parmi les animaux sans vertèbres, l’on s’étonne de trouver si peu de rapports entre les insectes qui subissent des métamorphoses singulières, et les animaux invertébrés des autres classes, que l’on fasse attention que ce sont les seuls animaux sans vertèbres qui s’élancent dans le sein de l’air et qui y exécutent des mouvemens de progression ; alors on sentira que des circonstances et des habitudes aussi particulières, ont dû produire des résultats qui leur sont pareillement particuliers.

Les insectes ne sont rapprochés que des arachnides par leurs rapports ; et, en effet, les uns et les autres sont, en général, les seuls animaux sans vertèbres qui vivent dans l’air ; mais aucune arachnide n’a la faculté de voler ; aucune aussi ne subit de métamorphose ; et en traitant des influences des habitudes, je montrerai que ces animaux s’étant accoutumés à rester sur les corps de la surface du globe, et à vivre dans des retraites, ont dû perdre une partie des facultés des insectes, et acquérir des caractères qui les en distinguent éminemment.

Anéantissement de plusieurs Organes essentiels aux animaux plus parfaits.

Après les insectes, il paroît qu’il y a dans la série un vide assez considérable, que les animaux non observés laissent ici à remplir ; car en cet endroit de la série, plusieurs organes essentiels aux animaux plus parfaits manquent subitement et sont réellement anéantis, puisqu’on ne les retrouve plus dans ceux des classes qui nous restent à parcourir.


Disparition du Système nerveux.


Ici, en effet, le système nerveux (les nerfs et leur centre de rapport) disparoît entièrement et ne se montre plus dans aucun des animaux des classes qui vont suivre.

Dans les animaux les plus parfaits, ce système consiste en un cerveau qui paroît servir à l’exécution des actes de l’intelligence, et à la base duquel se trouve le foyer des sensations, d’où partent des nerfs, ainsi qu’une moelle épinière dorsale qui en envoie d’autres à diverses parties.

Dans les animaux vertébrés, le cerveau s’appauvrit successivement ; et à mesure que son volume diminue, la moelle épinière devient plus grosse et semble y suppléer.

Dans les mollusques, première classe des invertébrés, le cerveau existe encore ; mais il n’y a ni moelle épinière, ni moelle longitudinale noueuse ; et comme les ganglions sont rares, les nerfs ne paroissent point noueux.

Enfin, dans les cinq classes qui suivent, le système nerveux, à son dernier période, se réduit à un très-petit cerveau à peine ébauché, et en une moelle longitudinale qui envoie des nerfs aux parties. Dès lors il n’y a plus de foyer isolé pour les sensations, mais une multitude de petits foyers disposés dans toute la longueur du corps de l’animal.

C’est ainsi que se termine, dans les insectes, l’important système du sentiment ; celui qui, à un certain terme de développement, donne naissance aux idées, et qui, dans sa plus grande perfection, peut produire tous les actes d’intelligence ; enfin, celui qui est la source où l’action musculaire puise sa force, et sans lequel la génération sexuelle ne paroît pas pouvoir exister.

Le centre de rapport du système nerveux se trouve dans le cerveau ou dans sa base, ou est placé dans une moelle longitudinale noueuse. Lorsqu’il n’y a plus de cerveau bien évident, il y a encore une moelle longitudinale ; mais lorsqu’il n’y a ni cerveau, ni moelle longitudinale, le système nerveux cesse d’exister.


Disparition des Organes sexuels.


Ici encore disparoissent totalement les traces de la génération sexuelle ; et, en effet, dans les animaux qui vont être cités, il n’est plus possible de reconnoître les organes d’une véritable fécondation. Néanmoins, nous allons encore retrouver dans les animaux des deux classes qui suivent, des espèces d’ovaires abondans en corpuscules oviformes, que l’on prend pour des œufs. Mais je regarde ces prétendus œufs, qui peuvent produire sans fécondation préalable, comme des bourgeons ou des gemmules internes ; ils font le passage de la génération gemmi-pare interne, à la génération sexuelle ovipare.

Le penchant de l’homme vers ses habitudes est si grand, qu’il persiste, même contre l’évidence, à considérer toujours les choses de la même manière.

C’est ainsi que les botanistes, habitués à observer les organes sexuels d’un grand nombre de plantes, veulent que toutes, sans exception, aient de semblables organes. En conséquence, plusieurs d’entre eux ont fait tous les efforts imaginables, à l’égard des plantes cryptogames ou agames, pour y découvrir des étamines et des pistils ; et ils ont mieux aimé en attribuer, arbitrairement et sans preuves, les fonctions à des parties dont ils ne connoissent pas l’usage, que de reconnoître que la nature sait parvenir au même but par différens moyens.

On s’est persuadé que tout corps reproductif est une graine ou un œuf, c’est-à-dire, un corps qui, pour être reproductif, a besoin de recevoir l’influence de la fécondation sexuelle. C’est ce qui a fait dire à Linné : Omne vivum et ovo. Mais nous connoissons très-bien maintenant des végétaux et des animaux qui se régénèrent uniquement par des corps qui ne sont ni des graines ni des œufs, et qui, conséquemment, n’ont aucun besoin de fécondation sexuelle. Aussi ces corps sont-ils conformés différemment et se développent-ils d’une autre manière.

Voici le principe auquel il faut avoir égard pour juger du mode de génération d’un corps vivant quelconque.

Tout corpuscule reproductif, soit végétal, soit animal, qui, sans se débarrasser d’aucune enveloppe, s’étend, s’accroît, et devient un végétal ou un animal semblable à celui dont il provient, n’est point une graine ni un œuf ; il ne subit aucune germination ou n’éclôt point après avoir commencé de s’accroître, et sa formation n’a exigé aucune fécondation sexuelle : aussi ne contient-il pas un embryon enfermé dans des enveloppes dont il soit obligé de se débarrasser, comme celui de la graine ou de l’œuf.

Or, suivez attentivement les développemens des corpuscules reproductifs des algues, des champignons, etc., et vous verrez que ces corpuscules ne font que s’étendre et s’accroître pour prendre insensiblement la forme du végétal dont ils proviennent ; qu’ils ne se débarrassent d’aucune enveloppe, comme le fait l’embryon de la graine ou celui que contient l’œuf.

De même, suivez le gemma ou bourgeon d’un polype, comme d’une hydre, et vous serez convaincu que ce corps reproductif ne fait que s’étendre et s’accroître ; qu’il ne se débarrasse d’aucune enveloppe ; en un mot, qu’il n’éclôt point comme le fait le poulet ou le ver à soie qui sort de son œuf.

Il est donc évident que toute reproduction d’individus ne se fait point par la voie de la fécondation sexuelle, et que là où la fécondation sexuelle ne s’opère pas, il n’y a réellement pas d’organe véritablement sexuel. Or, comme, après les insectes, on ne distingue dans les animaux des quatre classes qui suivent, aucun organe de fécondation, il y a apparence que c’est à ce point de la chaîne animale que la génération sexuelle cesse d’exister.


Disparition de l’Organe de la vue.


C’est encore ici que l’organe de la vue, qui est si utile aux animaux les plus parfaits, se trouve entièrement anéanti. Cet organe qui a commencé à manquer dans une partie des mollusques, dans les cirrhipèdes, et dans la plupart des annelides, et qui ne s’est ensuite retrouvé dans les crustacés, les arachnides et les insectes, que dans un état fort imparfait, d’un usage très-borné et presque nul, ne reparoît, après les insectes, dans aucun animal.

Enfin, c’est encore ici que la tête, cette partie essentielle du corps des animaux les plus parfaits, et qui est le siége du cerveau et de presque tous les sens, cesse totalement d’exister ; car le renflement de l’extrémité antérieure du corps de quelques vers, comme les ténia, et qui est causé par la disposition de leurs suçoirs, n’étant ni le siége d’un cerveau, ni celui de l’organe de l’ouïe, de la vue, etc., puisque tous ces organes manquent dans les animaux des classes qui suivent, le renflement dont il s’agit ne peut être considéré comme une véritable tête.

On voit qu’à ce terme de l’échelle animale, la dégradation de l’organisation devient extrêmement rapide, et qu’elle fait fortement pressentir l’approche de la plus grande simplification de l’organisation animale.


LES VERS.


Animaux à corps mou, allongé, sans tête, sans yeux, sans pattes articulées, dépourvu de moelle longitudinale et de système de circulation.


IL s’agit ici des vers qui n’ont point de vaisseaux pour la circulation, tels que ceux que l’on connoît sous le nom de vers intestins, et de quelques autres vers non intestins, dont l’organisation est tout aussi imparfaite. Ce sont des animaux à corps mou, plus ou moins allongé, ne subissant point de métamorphose, et dépourvu dans tous, de tête, d’yeux et pattes articulées.

Les vers doivent suivre immédiatement les insectes, venir avant les radiaires, et occuper le onzième rang dans le règne animal. C’est parmi eux qu’on voit commencer la tendance de la nature à établir le système des articulations ; système qu’elle a ensuite exécuté complétement dans les insectes, les arachnides et les crustacés. Mais l’organisation des vers étant moins parfaite que celle des insectes, puisqu’ils n’ont plus de moelle longitudinale, plus de tête, plus d’yeux, et plus de pattes réelles, force de les placer après eux ; enfin, le nouveau mode de forme que commence en eux la nature, pour établir le système des articulations, et s’éloigner de la disposition rayonnante dans les parties, prouve qu’on doit placer les vers avant les radiaires mêmes. D’ailleurs, après les insectes, on perd ce plan exécuté par la nature dans les animaux des classes précédentes, savoir, cette forme générale de l’animal, qui consiste en une opposition symétrique dans les parties, de manière que chacune d’elles est opposée à une partie tout-à-fait semblable.

Dans les vers, on ne retrouve plus cette opposition symétrique des parties, et on ne voit pas encore la disposition rayonnante des organes, tant intérieurs qu’extérieurs, qui se remarque dans les radiaires.

Depuis que j’ai établi les annelides, quelques naturalistes donnent le nom de vers aux annelides mêmes ; et comme alors ils ne savent que faire des animaux dont il est ici question, ils les réunissent avec les polypes. Je laisse au lecteur à juger quels sont les rapports et les caractères classiques qui autorisent à réunir dans la même classe, un ténia ou une ascaride, avec une hydre ou tout autre polype.

Comme les insectes, plusieurs vers paroissent encore respirer par des trachées, dont les ouvertures à l’extérieur sont des espèces de stigmates ; mais il y a lieu de croire que ces trachées, bornées ou imparfaites, sont aquifères et non aérifères comme celles des insectes, parce que ces animaux ne vivent jamais à l’air libre, et qu’ils sont sans cesse, soit plongés dans l’eau, soit baignés dans des fluides qui en contiennent.

Aucun organe de fécondation n’étant bien distinct en eux, je présume que la génération sexuelle n’a plus lieu dans ces animaux. Il seroit possible néanmoins que, de même que la circulation est ébauchée dans les arachnides, la génération sexuelle le soit aussi dans les vers ; ce que les différentes formes de la queue des strongles semblent indiquer ; mais l’observation n’a pas encore bien établi cette génération dans ces animaux.

Ce que l’on aperçoit dans certains d’entre eux, et que l’on prend pour des ovaires (comme dans les ténia), paroît n’être que des amas de corpuscules reproductifs, qui n’ont besoin d’aucune fécondation. Ces corpuscules oviformes sont intérieurs comme ceux des oursins, au lieu d’être extérieurs comme ceux des corines, etc. Les polypes offrent entre eux les mêmes différences à l’égard de la situation des gemmules qu’ils produisent. Il est donc vraisemblable que les vers sont des gemmipares internes.

Des animaux qui, comme les vers, manquent de tête, d’yeux, de pattes, et peut-être de génération sexuelle, prouvent donc aussi, de leur côté, la dégradation soutenue de l’organisation que nous recherchons dans toute l’étendue de l’échelle animale.


LES RADIAIRES.


Animaux à corps régénératif, dépourvu de tête, d’yeux, de pattes articulées ; ayant la bouche inférieure, et dans ses parties, soit intérieures, soit extérieures, une disposition rayonnante.


SELON l’ordre en usage, les radiaires occupent le douzième rang dans la série nombreuse des animaux connus, et composent l’une des trois dernières classes des animaux sans vertèbres.

Parvenus à cette classe, on rencontre dans les animaux qu’elle comprend, un mode de forme générale, et de disposition, tant intérieure qu’extérieure, des parties et des organes, que la nature n’a employé dans aucun des animaux des classes antérieures.

En effet, les radiaires ont éminemment dans leurs parties, soit intérieures, soit extérieures, cette disposition rayonnante autour d’un centre ou d’un axe, qui constitue une forme particulière dont la nature n’avoit, jusque-là, fait aucun usage, et dont elle n’a commencé l’ébauche que dans les polypes, qui, conséquemment, viennent après elles.

Néanmoins, les radiaires forment, dans l’échelle des animaux, un échelon très-distinct de celui que constituent les polypes ; en sorte qu’il n’est pas plus possible de confondre les radiaires avec les polypes, qu’il ne l’est de ranger les crustacés avec les insectes ou les reptiles parmi les poissons.

En effet, dans les radiaires, non-seulement on aperçoit encore des organes qui paroissent destinés à la respiration (des tubes ou espèces de trachées aquifères) ; mais on observe, en outre, des organes particuliers pour la génération, tels que des espèces d’ovaires de diverses formes, et rien de semblable ne se retrouve dans les polypes. D’ailleurs, le canal intestinal des radiaires n’est pas généralement un cul-de-sac à une seule ouverture, comme dans tous les polypes, et la bouche, toujours en bas ou inférieure, montre, dans ces animaux, une disposition particulière, qui n’est point celle que nous offrent les polypes dans leur généralité.

Quoique les radiaires soient des animaux fort singuliers et encore peu connus, ce que l’on sait de leur organisation indique évidemment le rang que je leur assigne. Comme les vers, les radiaires sont sans tête, sans yeux, sans pattes articulées, sans système de circulation, et peut-être sans nerfs. Cependant les radiaires viennent nécessairement après les vers ; car ceux-ci n’ont rien dans la disposition des organes intérieurs qui tienne de la forme rayonnante, et c’est parmi eux que commence le mode des articulations.

Si les radiaires sont privées de nerfs, elles sont alors dépourvues de la faculté de sentir, et ne sont plus que simplement irritables ; ce que des observations faites sur des étoiles de mer vivantes, à qui l’on a coupé des rayons sans qu’elles aient offert aucun signe de douleur, semblent confirmer.

Dans beaucoup de radiaires, des fibres sont encore distinctes ; mais peut-on donner à ces fibres le nom de muscles, à moins qu’on ne soit autorisé à dire qu’un muscle privé de nerfs est encore capable d’exécuter ses fonctions ? N’a-t-on pas, dans les végétaux, l’exemple de la possibilité dont jouit le tissu cellulaire, de pouvoir se réduire en fibres, sans que ces fibres puissent être regardées comme musculaires ? Tout corps vivant, dans lequel on distingue des fibres, ne me paroît pas avoir de muscles par cette seule raison ; et je pense que là où il n’y a plus de nerfs, le système musculaire n’existe plus. Il y a lieu de croire que, dans les animaux privés de nerfs, les fibres qui peuvent encore s’y rencontrer, jouissent, par leur simple irritabilité, de la faculté de produire des mouvemens qui remplacent ceux des muscles, quoiqu’avec moins d’énergie.

Non-seulement il paroît que, dans les radiaires, le système musculaire n’existe plus, mais, en outre, qu’il n’y a plus de génération sexuelle. En effet, rien ne constate, ni même n’indique que les petits corps oviformes, dont les amas composent ce qu’on nomme les ovaires de ces animaux, reçoivent aucune fécondation, et soient de véritables œufs : cela est d’autant moins vraisemblable, qu’on les trouve également dans tous les individus. Je regarde donc ces petits corps oviformes comme des gemmules internes déjà perfectionnées, et leurs amas dans des lieux particuliers, comme des moyens préparés par la nature, pour arriver à la génération sexuelle.

Les radiaires concourent, de leur côté, à prouver la dégradation générale de l’organisation animale ; car en arrivant à cette classe d’animaux, on rencontre une forme et une disposition nouvelle des parties et des organes qui sont fort éloignées de celles des animaux des classes précédentes ; d’ailleurs, elles paroissent privées du sentiment, du mouvement musculaire, de la génération sexuelle, et parmi elles, on voit le canal intestinal cesser d’avoir deux issues, les amas de corpuscules oviformes disparoître, et le corps devenir entièrement gélatineux.


Observation.


Il paroît que dans les animaux très-imparfaits, comme les polypes et les radiaires, le centre du mouvement des fluides n’existe encore que dans le canal alimentaire ; c’est là qu’il commence à s’établir, et c’est par la voie de ce canal que les fluides subtils ambians pénètrent principalement pour exciter le mouvement dans les fluides contenables ou propres de ces animaux. Que seroit la vie végétale, sans les excitations extérieures, et que seroit de même la vie des animaux les plus imparfaits, sans cette cause, c’est-à-dire, sans le calorique et l’électricité des milieux environnans ?

C’est, sans doute, par une suite de ce moyen qu’emploie la nature, d’abord avec une foible énergie dans les polypes, et ensuite avec de plus grands développemens dans les radiaires, que la forme rayonnante a été acquise ; car les fluides subtils ambians, pénétrant par le canal alimentaire, et étant expansifs, ont dû, par une répulsion sans cesse renouvelée du centre vers tous les points de la circonférence, donner lieu à cette disposition rayonnante des parties.

C’est par cette cause que, dans les radiaires, le canal intestinal, quoique encore fort imparfait, puisque, le plus souvent, il n’a qu’une seule ouverture, est néanmoins compliqué d’appendices rayonnans, vasculiformes, nombreux, et souvent ramifiés.

C’est, sans doute, encore par cette cause que, dans les radiaires mollasses, telles que les méduses, etc., on observe un mouvement isochrone constant ; mouvement qui résulte très-vraisemblablement des intermittences successives entre les masses de fluides subtils qui pénètrent dans l’intérieur de ces animaux, et celles des mêmes fluides qui s’en échappent après s’être répandus dans toutes leurs parties.

Qu’on ne dise pas que les mouvemens isochrones des radiaires mollasses soient les suites de leur respiration ; car après les animaux vertébrés, la nature n’offre, dans celle d’aucun animal, ces mouvemens alternatifs et mesurés d’inspiration et d’expiration. Quelle que soit la respiration des radiaires, elle est extrêmement lente, et s’exécute sans mouvemens perceptibles.


LES POLYPES.


Animaux à corps subgélatineux et régénératif, n’ayant aucun autre organe spécial, qu’un canal alimentaire à une seule ouverture. Bouche terminale, accompagnée de tentacules en rayons, ou d’organe cilié et rotatoire.


EN arrivant aux polypes, on est parvenu à l’avant-dernier échelon de l’échelle animale, c’est-à-dire, à l’avant-dernière des classes qu’il a été nécessaire d’établir parmi les animaux.

Ici, l’imperfection et la simplicité de l’organisation se trouvent très-éminentes ; en sorte que les animaux qui sont dans ce cas n’ont presque plus de facultés, et qu’on a douté long-temps de leur nature animale.

Ce sont des animaux gemmipares, à corps homogène, presque généralement gélatineux, très-régénératif dans ses parties, ne tenant de la forme rayonnante (que la nature a commencée en eux) que par les tentacules en rayons qui sont autour de leur bouche, et n’ayant aucun autre organe spécial qu’un canal intestinal à une seule ouverture, et, par conséquent, incomplet.

On peut dire que les polypes sont des animaux beaucoup plus imparfaits que tous ceux qui font partie des classes précédentes ; car on ne retrouve en eux ni cerveau, ni moelle longitudinale, ni nerfs, ni organes particuliers pour la respiration, ni vaisseaux pour la circulation des fluides, ni ovaire pour la génération. La substance de leur corps est, en quelque sorte, homogène, et constituée par un tissu cellulaire gélatineux et irritable, dans lequel des fluides se meuvent avec lenteur. Enfin, tous leurs viscères se réduisent à un canal alimentaire imparfait, rarement replié sur lui-même, ou muni d’appendices, ne ressemblant, en général, qu’à un sac allongé, et n’ayant toujours qu’une seule ouverture servant à la fois de bouche et d’anus.

On ne peut être fondé à dire que, dans les animaux dont il s’agit, et où l’on ne trouve ni système nerveux, ni organe respiratoire, ni muscle, etc., ces organes, infiniment réduits, existent néanmoins ; mais qu’ils sont répandus et fondus dans la masse générale du corps, et également répartis dans toutes ses molécules, au lieu d’être rassemblés dans des lieux particuliers ; et qu’en conséquence, tous les points de leur corps peuvent éprouver toutes les sortes de sensations, le mouvement musculaire, la volonté, des idées et la pensée : ce seroit une supposition tout-à-fait gratuite, sans base et sans vraisemblance. Or, avec une pareille supposition, on pourroit dire que l’hydre a, dans tous les points de son corps, tous les organes de l’animal le plus parfait, et, par conséquent, que chaque point du corps de ce polype voit, entend, distingue les odeurs, perçoit les saveurs, etc. ; mais, en outre, qu’il a des idées, qu’il forme des jugemens, qu’il pense ; en un mot, qu’il raisonne. Chaque molécule du corps de l’hydre, ou de tout autre polype, seroit elle seule un animal parfait, et l’hydre elle-même seroit un animal plus parfait encore que l’homme, puisque chacune de ses molécules équivaudroit, en complément d’organisation et de facultés, à un individu entier de l’espèce humaine.

Il n’y a pas de raison pour refuser d’étendre le même raisonnement à la monade, le plus imparfait des animaux connus, et ensuite pour cesser de l’appliquer aux végétaux mêmes, qui jouissent aussi de la vie. Alors on attribueroit à chaque molécule d’un végétal toutes les facultés que je viens de citer, mais restreintes dans des limites relatives à la nature du corps vivant dont elle fait partie.

Ce n’est assurément point là où conduisent les résultats de l’étude de la nature. Cette étude nous apprend, au contraire, que partout où un organe cesse d’exister, les facultés qui en dépendent cessent également. Tout animal qui n’a point d’yeux, ou en qui l’on a détruit les yeux, ne voit point ; et quoiqu’en dernière analise, les différens sens prennent leur source dans le tact, qui n’est que diversement modifié dans chacun d’eux, tout animal qui manque de nerf, organe spécial du sentiment, ne sauroit éprouver aucun genre de sensation ; car il n’a point le sentiment intime de son existence, il n’a point le foyer auquel il faudroit que la sensation fût rapportée, et conséquemment il ne sauroit sentir.

Ainsi, le sens du toucher, base des autres sens, et qui est répandu dans presque toutes les parties du corps des animaux qui ont des nerfs, n’existe plus dans ceux qui, comme les polypes, en sont dépourvus. Dans ceux-ci, les parties ne sont plus que simplement irritables, et le sont à un degré très-éminent ; mais ils sont privés du sentiment, et par suite, de toute espèce de sensation. En effet, pour qu’une sensation puisse avoir lieu, il faut d’abord un organe pour la recevoir (des nerfs), et ensuite il faut qu’il existe un foyer quelconque (un cerveau ou une moelle longitudinale noueuse), où cette sensation puisse être rapportée.

Une sensation est toujours la suite d’une impression reçue, et rapportée aussitôt à un foyer intérieur où se forme cette sensation. Interrompez la communication entre l’organe qui reçoit l’impression et le foyer où la sensation se forme, tout sentiment cesse aussitôt dans ce lieu. Jamais on ne pourra contester ce principe.

Aucun polype ne peut être réellement ovipare ; car aucun n’a d’organe particulier pour la génération. Or, pour produire de véritables œufs, il faut non-seulement que l’animal ait un ovaire, mais, en outre, qu’il ait, ou qu’un autre individu de son espèce ait un organe particulier pour la fécondation, et personne ne sauroit démontrer que les polypes soient munis de semblables organes ; au lieu que l’on connoît très-bien les bourgeons que plusieurs d’entre eux produisent pour se multiplier ; et en y donnant un peu d’attention, l’on s’aperçoit que ces bourgeons ne sont eux-mêmes que des scissions plus isolées du corps de l’animal ; scissions moins simples que celles que la nature emploie pour multiplier les animalcules qui composent la dernière classe du règne animal.

Les polypes étant éminemment irritables, ne se meuvent que par des excitations extérieures et étrangères à eux. Tous leurs mouvemens sont des résultats nécessaires d’impressions reçues, et s’exécutent généralement sans actes de volonté, parce qu’ils n’en sauroient produire, et sans possibilité de choix, puisqu’ils ne peuvent avoir de volonté.

La lumière les force constamment, et toujours de la même manière, à se diriger de son côté, comme elle le fait à l’égard des rameaux et des feuilles ou des fleurs des plantes, quoique avec plus de lenteur. Aucun polype ne court après sa proie, ni n’en fait la recherche par ses tentacules ; mais lorsque quelque corps étranger touche ces mêmes tentacules, elles l’arrêtent, l’amènent à la bouche, et le polype l’avale sans faire aucune distinction relativement à sa nature appropriée ou non à son utilité. Il le digère et s’en nourrit, si ce corps en est susceptible ; il le rejette en entier, s’il s’est conservé quelque temps intact dans son canal alimentaire ; enfin, il rend ceux de ses débris qu’il ne peut plus altérer ; mais dans tout cela, même nécessité d’action, et jamais possibilité de choix qui permette de les varier.

Quant à la distinction des polypes avec les radiaires, elle est des plus grandes et des plus tranchées : on ne trouve dans l’intérieur des polypes aucune partie distincte ayant une disposition rayonnante ; leurs tentacules seules ont cette disposition, c’est-à-dire, la même que celle des bras des mollusques céphalopodes, qu’on ne confondra sûrement pas avec les radiaires. D’ailleurs, les polypes ont la bouche supérieure et terminale, tandis que celle des radiaires est différemment disposée.

Il n’est point du tout convenable de donner aux polypes le nom de zoophytes, qui veut dire animaux-plantes, parce que ce sont uniquement et complétement des animaux, qu’ils ont des facultés généralement exclusives aux plantes, celle d’être véritablement irritables, et, en général, celle de digérer, et qu’enfin leur nature ne tient essentiellement rien de celle de la plante.

Les seuls rapports qu’il y ait entre les polypes et les plantes se trouvent : 1.o dans la simplification assez rapprochée de leur organisation ; 2.o dans la faculté qu’ont beaucoup de polypes d’adhérer les uns aux autres, de communiquer ensemble par leur canal alimentaire, et de former des animaux composés ; 3.o enfin, dans la forme extérieure des masses que ces polypes réunis constituent ; forme qui a long-temps fait prendre ces masses pour de véritables végétaux, parce que souvent elles sont ramifiées presque de la même manière.

Que les polypes aient une seule ou plusieurs bouches, il s’agit toujours, à leur égard, d’un canal alimentaire auquel elles conduisent, et, par conséquent, d’un organe pour la digestion, dont tous les végétaux sont dépourvus.

Si la dégradation de l’organisation que nous avons remarquée dans toutes les classes, depuis les mammifères, est quelque part évidente, c’est assurément parmi les polypes, dont l’organisation est réduite à une extrême simplification.


LES INFUSOIRES.


Animaux infiniment petits, à corps gélatineux, transparent, homogène et très-contractile ; n’ayant intérieurement aucun organe spécial distinct, mais souvent des gemmules oviformes, et n’offrant à l’extérieur ni tentacules en rayons, ni organes rotatoires.


NOUS voici, enfin, parvenus à la dernière classe du règne animal, à celle qui comprend les animaux les plus imparfaits à tous égards, c’est-à-dire, ceux qui ont l’organisation la plus simple, qui possèdent le moins de facultés, et qui semblent n’être tous que de véritables ébauches de la nature animale.

Jusqu’à présent, j’avois réuni ces petits animaux à la classe des polypes, dont ils constituoient le dernier ordre sous le nom de polypes amorphes, n’ayant point de forme constante qui soit particulière à tous ; mais j’ai reconnu la nécessité de les séparer, pour en former une classe particulière ; ce qui ne change nullement le rang que je leur avois assigné. Tout ce qui résulte de ce changement se réduit à une ligne de séparation que la simplification plus grande de leur organisation, et leur défaut de tentacules en rayons et d’organes rotatoires paroissent exiger.

L’organisation des infusoires, devenant de plus simple en plus simple, selon les genres qui les composent, les derniers de ces genres nous présentent, en quelque sorte, le terme de l’animalité ; ils nous offrent, au moins, celui où nous pouvons atteindre. C’est surtout dans les animaux du second ordre de cette classe que l’on s’assure que toute trace du canal intestinal et de la bouche est entièrement disparue ; qu’il n’y a plus d’organe particulier quelconque, et qu’en un mot, ils n’exécutent plus de digestion.

Ce ne sont que de très-petits corps gélatineux, transparens, contractiles et homogènes, composés de tissu cellulaire presque sans consistance, et néanmoins irritables dans tous leurs points. Ces petits corps, qui ne paroissent que des points animés ou mouvans, se nourrissent par absorption et par une imbibition continuelle, et, sans doute, ils sont animés par l’influence des fluides subtils ambians, tels que le calorique et l’électricité, qui excitent en eux les mouvemens qui constituent la vie.

Si, à l’égard de pareils animaux, l’on supposoit encore qu’ils possèdent tous les organes que l’on connoît dans les autres, mais que ces organes sont fondus dans tous les points de leur corps, combien une pareille supposition ne seroit-elle pas vaine !

En effet, la consistance extrêmement foible et presque nulle des parties de ces petits corps gélatineux, indique que de pareils organes ne doivent pas exister, parce que l’exécution de leurs fonctions seroit impossible. L’on sent effectivement que, pour que des organes quelconques aient la puissance de réagir sur des fluides, et d’exercer les fonctions qui leur sont propres, il faut que leurs parties aient la consistance et la ténacité qui peuvent leur en donner la force ; or, c’est ce qui ne peut être supposé à l’égard des frêles animalcules dont il s’agit.

C’est uniquement parmi les animaux de cette classe que la nature paroît former les générations spontanées ou directes qu’elle renouvelle sans cesse chaque fois que les circonstances y sont favorables ; et nous essayerons de faire voir que c’est par eux qu’elle a acquis les moyens de produire indirectement, à la suite d’un temps énorme, toutes les autres races d’animaux que nous connoissons.

Ce qui autorise à penser que les infusoires, ou que la plupart de ces animaux ne doivent leur existence qu’à des générations spontanées, c’est que ces frêles animaux périssent tous dans les abaissemens de température qu’amènent les mauvaises saisons ; et on ne supposera sûrement pas que des corps aussi délicats puissent laisser aucun bourgeon ayant assez de consistance pour se conserver, et les reproduire dans les temps de chaleur.

On trouve les infusoires dans les eaux croupissantes, dans les infusions de substances végétales ou animales, et même dans la liqueur prolifique des animaux les plus parfaits. On les retrouve les mêmes dans toutes les parties du monde, mais seulement dans les circonstances où ils peuvent se former.

Ainsi, en considérant successivement les différens systèmes d’organisation des animaux, depuis les plus composés jusqu’aux plus simples, nous avons vu la dégradation de l’organisation animale commencer dans la classe même qui comprend les animaux les plus parfaits, s’avancer ensuite progressivement de classe en classe, quoique avec des anomalies produites par diverses sortes de circonstances, et, enfin, se terminer dans les infusoires. Ces derniers sont les animaux les plus imparfaits, les plus simples en organisation, et ceux dans lesquels la dégradation que nous avons suivie est parvenue à son terme, en réduisant l’organisation animale à constituer un corps simple, homogène, gélatineux, presque sans consistance, dépourvu d’organes particuliers, et uniquement formé d’un tissu cellulaire très-délicat, à peine ébauché, lequel paroît vivifié par des fluides subtils ambians, qui le pénètrent et s’en exhalent sans cesse.

Nous avons vu successivement chaque organe spécial, même le plus essentiel, se dégrader peu à peu, devenir moins particulier, moins isolé, enfin, se perdre et disparoître entièrement long-temps avant d’avoir atteint l’autre extrémité de l’ordre que nous suivions ; et nous avons remarqué que c’est principalement dans les animaux sans vertèbres qu’on voit s’anéantir des organes spéciaux.

À la vérité, même avant de sortir de la division des animaux vertébrés, on aperçoit déjà de grands changemens dans le perfectionnement des organes, et même quelques-uns d’entre eux, comme la vessie urinaire, le diaphragme, l’organe de la voix, les paupières, etc., disparoissent totalement. En effet, le poumon, l’organe le plus perfectionné pour la respiration, commence à se dégrader dans les reptiles, et cesse d’exister dans les poissons, pour ne plus reparoître dans aucun des animaux sans vertèbres. Enfin, le squelette, dont les dépendances fournissent la base des quatre extrémités ou membres que la plupart des animaux vertébrés possèdent, commence à se détériorer, principalement dans les reptiles, et finit entièrement avec les poissons.

Mais c’est dans la division des animaux sans vertèbres qu’on voit s’anéantir le cœur, le cerveau, les branchies, les glandes conglomérées, les vaisseaux propres à la circulation, l’organe de l’ouïe, celui de la vue, ceux de la génération sexuelle, ceux même du sentiment, ainsi que ceux du mouvement.

Je l’ai déjà dit, ce seroit en vain que nous chercherions dans un polype, comme dans une hydre, ou dans la plupart des animaux de cette classe, les moindres vestiges, soit de nerfs (organes du sentiment), soit de muscles (organes du mouvement) : l’irritabilité seule, dont tout polype est doué à un degré fort éminent, remplace en lui et la faculté de sentir qu’il ne peut posséder, puisqu’il n’en a pas l’organe essentiel, et la faculté de se mouvoir volontairement, puisque toute volonté est un acte de l’organe de l’intelligence, et que cet animal est absolument dépourvu d’un pareil organe. Tous ses mouvemens sont des résultats nécessaires d’impressions reçues dans ses parties irritables, d’excitations extérieures, et s’exécutent sans possibilité de choix.

Mettez une hydre dans un verre d’eau, et placez ce verre dans une chambre qui ne reçoive le jour que par une fenêtre, et, par conséquent, que d’un seul côté. Lorsque cette hydre sera fixée sur un point des parois du verre, tournez ce verre de manière que le jour frappe dans un point opposé à celui où se trouve l’animal : vous verrez toujours l’hydre aller, par un mouvement lent, se placer dans le lieu où frappe la lumière, et y rester tant que vous ne changerez pas ce point. Elle suit en cela ce qu’on observe dans les parties des végétaux qui se dirigent, sans aucun acte de volonté, vers le côté d’où vient la lumière.

Sans doute, partout où un organe spécial n’existe plus, la faculté à laquelle il donnoit lieu cesse aussi d’exister ; mais, en outre, on observe clairement qu’à mesure qu’un organe se dégrade et s’appauvrit, la faculté qui en résultoit devient proportionnellement plus obscure et plus imparfaite. C’est ainsi qu’en descendant du plus composé vers le plus simple, les insectes sont les derniers animaux en qui l’on trouve des yeux ; mais on a tout-à-fait lieu de penser qu’ils voient fort obscurément, et qu’ils en font peu d’usage.

Ainsi, en parcourant la chaîne des animaux, depuis les plus parfaits jusqu’aux plus imparfaits, et en considérant successivement les différens systèmes d’organisation qui se distinguent dans l’étendue de cette chaîne, la dégradation de l’organisation, et de chacun des organes jusqu’à leur entière disparition, est un fait positif dont nous venons de constater l’existence.

Cette dégradation se montre même dans la nature et la consistance des fluides essentiels et de la chair des animaux ; car la chair et le sang des mammifères et des oiseaux sont les matières les plus composées et les plus animalisées que l’on puisse obtenir des parties molles des animaux. Aussi, après les poissons, ces matières se dégradent progressivement, au point que, dans les radiaires mollasses, dans les polypes, et surtout dans les infusoires, le fluide essentiel n’a plus que la consistance et la couleur de l’eau, et que les chairs de ces animaux n’offrent plus qu’une matière gélatineuse, à peine animalisée. Le bouillon que l’on feroit avec de pareilles chairs ne seroit, sans doute, guères nourrissant et fortifiant pour l’homme qui en feroit usage.

Que l’on reconnoisse ou non ces vérités intéressantes, ce sera néanmoins toujours à elles que seront amenés ceux qui observeront attentivement les faits, et qui, surmontant les préventions généralement répandues, consulteront les phénomènes de la nature, et étudieront ses lois et sa marche constante.

Maintenant nous allons passer à l’examen d’un autre genre de considération, et nous essayerons de prouver que les circonstances d’habitation exercent une grande influence sur les actions des animaux, et que, par une suite de cette influence, l’emploi augmenté et soutenu d’un organe ou son défaut d’usage, sont des causes qui modifient l’organisation et la forme des animaux, et qui donnent lieu aux anomalies qu’on observe dans la progression de la composition de l’organisation animale.


  1. Si les oiseaux ont leurs poumons percés, et leurs poils changés en plumes par les suites de leur habitude de s’élever dans le sein de l’air, on me demandera pourquoi les chauves-souris n’ont pas aussi des plumes et leurs poumons percés. Je répondrai qu’il me paroît probable que les chauves-souris ayant un système d’organisation plus perfectionné que celui des oiseaux, et par suite un diaphragme complet qui borne le gonflement de leurs poumons, n’ont pu réussir à les percer, ni à se gonfler suffisamment d’air, pour que l’influence de ce fluide arrivant avec effort jusqu’à la peau, donne à la matière cornée des poils, la faculté de se ramifier en plumes. En effet, dans les oiseaux, l’air s’introduisant jusque dans la bulbe des poils, change en tuyau leur base, et force ces mêmes poils de se diviser en plumes ; ce qui ne peut avoir lieu dans la chauve-souris, où l’air ne pénètre pas au delà du poumon.
  2. Les anatifes, les balanites, les coronules et les tubicinelles.
  3. « C’est surtout dans les araignées que ce cœur est facile à observer : on le voit battre, au travers de la peau de l’abdomen, dans les espèces non velues. En enlevant cette peau, on voit un organe creux, oblong, pointu aux deux bouts, se portant par le bout antérieur jusque vers le thorax, et des côtés duquel il part visiblement deux ou trois paires de vaisseaux. » Cuvier, Anatom. comp., vol. IV, p. 419.