Philosophie zoologique (1809)/Seconde Partie/Neuvième Chapitre/Résumé 2

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Résumé de cette seconde Partie.

En me bornant, dans les neuf chapitres précédens, aux seules observations que j’avois à présenter, j’ai évité d’entrer dans une multitude de détails, à la vérité, fort intéressans, mais que l’on trouve dans les bons ouvrages de physiologie que le public possède : les considérations que j’ai exposées me paroissent suffire pour prouver :

1o. Que la vie, dans tout corps qui la possède, ne consiste qu’en un ordre et un état de choses qui permettent aux parties intérieures de ce corps d’obéir à l’action d’une cause excitatrice, d’exécuter des mouvemens qu’on nomme organiques ou vitaux, et desquels il reçoit la faculté de produire, selon son espèce, les phénomènes connus de l’organisation ;

2o. Que la cause excitatrice des mouvemens vitaux est étrangère aux organes de tous les corps vivans ; que les élémens de cette cause se trouvent toujours, quoiqu’avec des variations dans leur abondance, dans tous les lieux qu’ils habitent ; que les milieux environnans les leur fournissent, soit uniquement, soit en partie ; et que, sans cette même cause, aucun de ces corps ne pourroit jouir de la vie ;

3.o Que tout corps vivant quelconque est nécessairement composé de deux sortes de parties ; savoir : de parties contenantes, constituées par un tissu cellulaire très-souple, dans lequel et aux dépens duquel toute espèce d’organe a été formée, et de fluides visibles contenus, susceptibles d’éprouver des mouvemens de déplacement, et des changemens divers dans leur état et leur nature ;

4o. Que la nature animale n’est pas essentiellement distinguée de la nature végétale par des organes particuliers à chacune de ces deux sortes de corps vivans ; mais qu’elle l’est principalement par la nature même des substances qui entrent dans la composition de ces deux sortes de corps : de manière que la substance de tout corps animal permet à la cause excitatrice d’y établir un orgasme énergique et l’irritabilité ; tandis que la substance de tout corps végétal ne laisse à la cause excitatrice que le pouvoir de mettre en mouvement les fluides visibles contenus, mais ne lui permet, sur les parties contenantes, qu’un orgasme obscur, incapable de produire l’irritabilité et de faire exécuter aux parties des mouvemens subits ;

5o. Que la nature elle-même donne lieu à des générations directes, dites spontanées, en créant l’organisation et la vie dans des corps qui ne les possédoient pas ; qu’elle a nécessairement cette faculté à l’égard des animaux et des végétaux les plus imparfaits qui commencent, soit l’échelle animale, soit l’échelle végétale, soit peut-être encore certaines de leurs ramifications ; et qu’elle n’exécute ces admirables phénomènes que sur de petites masses de matière, gélatineuse pour la nature animale, mucilagineuse pour la nature végétale, transformant ces masses en tissu cellulaire, les remplissant de fluides visibles qui s’y composent, et y établissant des mouvemens, des dissipations, des réparations, et divers changemens, à l’aide de la cause excitatrice que les milieux environnans fournissent ;

6o. Que les lois qui régissent toutes les mutations que nous observons dans les corps de quelque nature qu’ils soient, sont partout les mêmes ; mais que ces lois opèrent dans les corps vivans des résultats tout-à-fait opposés à ceux qu’elles exécutent dans les corps bruts ou inorganiques ; parce que, dans les premiers, elles rencontrent un ordre et un état de choses qui leur donnent le pouvoir d’y produire tous les phénomènes de la vie ; tandis que dans les derniers, rencontrant un état de choses fort différent, elles y produisent d’autres effets : en sorte qu’il n’est pas vrai que la nature ait pour les corps vivans des lois particulières opposées à celles qui régissent les mutations qui s’observent à l’égard des corps privés de la vie ;

7o. Que tous les corps vivans, de quelque règne et de quelque classe qu’ils soient, ont des facultés qui leur sont communes ; qu’elles sont le propre de l’organisation générale de ces corps et de la vie qu’ils possèdent ; et qu’en conséquence ces facultés communes à tout ce qui possède la vie n’exigent aucun organe particulier pour exister ;

8o. Qu’outre les facultés communes à tous les corps vivans, certains de ces corps, surtout parmi les animaux, ont des facultés qui leur sont tout-à-fait particulières, c’est-à-dire, qu’on ne retrouve nullement dans les autres ; mais que ces facultés particulières, telles que celles que l’on observe dans beaucoup d’animaux, sont chacune le produit d’un organe ou d’un système d’organes spécial qui les leur procure ; en sorte que tout animal en qui cet organe ou ce système d’organes n’existe pas, ne peut nullement posséder la faculté qu’il donne à ceux qui en sont munis[1] ;

9.o Enfin, que la mort de tout corps vivant est un phénomène naturel qui résulte nécessairement des suites de l’existence de la vie dans ce corps, si quelque cause accidentelle ne le produit pas avant que les causes naturelles l’amènent ; que ce phénomène n’est autre chose que la cessation complète des mouvemens vitaux, à la suite d’un dérangement quelconque dans l’ordre et l’état de choses nécessaires pour l’exécution de ces mouvemens ; et que dans les animaux à organisation très-composée, les principaux systèmes d’organes possédant, en quelque sorte, une vie particulière, quoique étroitement liée à la vie générale de l’individu, la mort de l’animal s’exécute graduellement et comme par parties, de manière que la vie s’éteint successivement dans ses principaux organes et dans un ordre constamment le même, et l’instant où le dernier organe cesse de vivre est celui qui complète la mort de l’individu.

Sur des sujets aussi difficiles que ceux dont je viens de traiter, tout est ici réduit à ce qu’il nous est possible de connoître, et se trouve restreint dans les limites de ce que l’observation a pu nous apprendre. Tout y est ramené aux conditions essentielles à l’existence de la vie dans un corps ; conditions établies d’après les faits mêmes qui montrent leur nécessité.

Si les choses ne sont pas réellement telles que je viens de l’indiquer, ou si l’on pense que les conditions citées et remplies, et que les faits reconnus qui attestent le fondement de ces choses, ne sont pas des preuves suffisantes pour autoriser à les reconnoître ; alors on devra renoncer à la recherche des causes physiques qui donnent lieu aux phénomènes de l’organisation et de la vie.



FIN DE LA SECONDE PARTIE.
  1. À cette occasion, je remarquerai que les végétaux n’offrent généralement dans leur intérieur aucun organe spécial pour une fonction particulière, et que chaque portion d’un végétal contenant, comme les autres, les organes essentiels à la vie, peut, par conséquent, soit vivre et végéter séparément, soit, par un greffe d’approche, partager avec un autre végétal, une vie qui leur deviendroit commune ; enfin, qu’il résulte de cet ordre de choses dans les végétaux, que plusieurs individus d’une même espèce et d’un même genre, peuvent vivre les uns sur les autres, et jouir d’une vie commune.

    J’ajouterai que les bourgeons latens que l’on trouve sur les branches et même sur le tronc des végétaux ligneux, ne sont point des organes spéciaux, mais que ce sont les ébauches de nouveaux individus qui n’attendent pour se développer que des circonstances favorables.