Physiologie du Mariage/12

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Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 449-455).

MÉDITATION XII.

HYGIÈNE DU MARIAGE.

Cette Méditation a pour but de soumettre à votre attention un nouveau mode de défense par lequel vous dompterez sous une prostration invincible la volonté de votre femme. Il s’agit de la réaction produite sur le moral par les vicissitudes physiques et par les savantes dégradations d’une diète habilement dirigée.

Cette grande et philosophique question de médecine conjugale sourira sans doute à tous ces goutteux, ces impotents, ces catarrheux, et à cette légion de vieillards de qui nous avons réveillé l’apathie à l’article des Prédestinés ; mais elle concernera principalement les maris assez audacieux pour entrer dans les voies d’un machiavélisme digne de ce grand roi de France qui tenta d’assurer le bonheur de la nation aux dépens de quelques têtes féodales. Ici, la question est la même. C’est toujours l’amputation ou l’affaiblissement de quelques membres pour le plus grand bonheur de la masse.

Croyez-vous sérieusement qu’un célibataire soumis au régime de l’herbe hanea, des concombres, du pourpier et des applications de sangsues aux oreilles, recommandé par Sterne, serait bien propre à battre en brèche l’honneur de votre femme ? Supposez un diplomate qui aurait eu le talent de fixer sur le crâne de Napoléon un cataplasme permanent de graine de lin, ou de lui faire administrer tous les matins un clystère au miel, croyez-vous que Napoléon, Napoléon-le-Grand, aurait conquis l’Italie ? Napoléon a-t-il été en proie ou non aux horribles souffrances d’une dysurie pendant la campagne de Russie ?… Voilà une de ces questions dont la solution a pesé sur le globe entier. N’est-il pas certain que des réfrigérants, des douches, des bains, etc., produisent de grands changements dans les affections plus ou moins aiguës du cerveau ? Au milieu des chaleurs du mois de juillet, lorsque chacun de vos pores filtre lentement et restitue à une dévorante atmosphère les limonades à la glace que vous avez bues d’un seul coup, vous êtes-vous jamais senti ce foyer de courage, cette vigueur de pensée, cette énergie complète qui vous rendaient l’existence légère et douce quelques mois auparavant ?

Non, non, le fer le mieux scellé dans la pierre la plus dure soulèvera et disjoindra toujours le monument le plus durable par suite de l’influence secrète qu’exercent les lentes et invisibles dégradations de chaud et de froid qui tourmentent l’atmosphère. En principe, reconnaissons donc que si les milieux atmosphériques influent sur l’homme, l’homme doit à plus forte raison influer à son tour sur l’imagination de ses semblables, par le plus ou le moins de vigueur et de puissance avec laquelle il projette sa volonté qui produit une véritable atmosphère autour de lui.

Là, est le principe du talent de l’acteur, celui de la poésie et du fanatisme, car l’une est l’éloquence des paroles comme l’autre l’éloquence des actions ; là enfin est le principe d’une science en ce moment au berceau.

Cette volonté, si puissante d’homme à homme, cette force nerveuse et fluide, éminemment mobile et transmissible, est elle-même soumise à l’état changeant de notre organisation, et bien des circonstances font varier ce fragile organisme. Là, s’arrêtera notre observation métaphysique, et là nous rentrerons dans l’analyse des circonstances qui élaborent la volonté de l’homme et la portent au plus haut degré de force ou d’affaissement.

Maintenant ne croyez pas que notre but soit de vous engager à mettre des cataplasmes sur l’honneur de votre femme, de la renfermer dans une étuve ou de la sceller comme une lettre ; non. Nous ne tenterons même pas de vous développer le système magnétique qui vous donnerait le pouvoir de faire triompher votre volonté dans l’âme de votre femme : il n’est pas un mari qui acceptât le bonheur d’un éternel amour au prix de cette tension perpétuelle des forces animales ; mais nous essaierons de développer un système hygiénique formidable, au moyen duquel vous pourrez éteindre le feu quand il aura pris à la cheminée.

Il existe, en effet, parmi les habitudes des petites-maîtresses de Paris et des départements (les petites-maîtresses forment une classe très-distinguée parmi les femmes honnêtes), assez de ressources pour atteindre à notre but, sans aller chercher dans l’arsenal de la thérapeutique les quatre semences froides, le nénuphar et mille inventions dignes des sorcières. Nous laisserons même à Elien son herbe hanéa et à Sterne son pourpier et ses concombres, qui annoncent des intentions antiphlogistiques par trop évidentes.

Vous laisserez votre femme s’étendre et demeurer des journées entières sur ces moelleuses bergères où l’on s’enfonce à mi-corps dans un véritable bain d’édredon ou de plumes.

Vous favoriserez, par tous les moyens qui ne blesseront pas votre conscience, cette propension des femmes à ne respirer que l’air parfumé d’une chambre rarement ouverte, et où le jour perce à grand’peine de voluptueuses, de diaphanes mousselines.

Vous obtiendrez des effets merveilleux de ce système, après avoir toutefois préalablement subi les éclats de son exaltation ; mais si vous êtes assez fort pour supporter cette tension momentanée de votre femme, vous verrez bientôt s’abolir sa vigueur factice. En général les femmes aiment à vivre vite, mais après leurs tempêtes de sensations, viennent des calmes rassurants pour le bonheur d’un mari.

Jean-Jacques, par l’organe enchanteur de Julie, ne prouvera-t-il pas à votre femme qu’elle aura une grâce infinie à ne pas déshonorer son estomac délicat et sa bouche divine, en faisant du chyle avec d’ignobles pièces de bœuf, et d’énormes éclanches de mouton ? Est-il rien au monde de plus pur que ces intéressants légumes, toujours frais et inodores, ces fruits colorés, ce café, ce chocolat parfumé, ces oranges, pommes d’or d’Atalante, les dattes de l’Arabie, les biscottes de Bruxelles, nourriture saine et gracieuse qui arrive à des résultats satisfaisants en même temps qu’elle donne à une femme je ne sais quelle originalité mystérieuse ? Elle arrive à une petite célébrité de coterie par son régime, comme par une toilette, par une belle action ou par un bon mot. Pythagore doit être sa passion, comme si Pythagore était un caniche ou un sapajou.

Ne commettez jamais l’imprudence de certains hommes qui, pour se donner un vernis d’esprit fort, combattent cette croyance féminine : que l’on conserve sa taille en mangeant peu. Les femmes à la diète n’engraissent pas, cela est clair et positif ; vous ne sortirez pas de là.

Vantez l’art avec lequel des femmes renommées par leur beauté ont su la conserver en se baignant, plusieurs fois par jour, dans du lait, ou des eaux composées de substances propres à rendre la peau plus douce, en débilitant le système nerveux.

Recommandez-lui surtout, au nom de sa santé si précieuse pour vous, de s’abstenir de lotions d’eau froide ; que toujours l’eau chaude ou tiède soit l’ingrédient fondamental de toute espèce d’ablution.

Broussais sera votre idole. À la moindre indisposition de votre femme, et sous le plus léger prétexte, pratiquez de fortes applications de sangsues ; ne craignez même pas de vous en appliquer vous-même quelques douzaines de temps à autre, pour faire prédominer chez vous le système de ce célèbre docteur. Votre état de mari vous oblige à toujours trouver votre femme trop rouge ; essayez même quelquefois de lui attirer le sang à la tête, pour avoir le droit d’introduire, dans certains moments, une escouade de sangsues au logis.

Votre femme boira de l’eau légèrement colorée d’un vin de Bourgogne agréable au goût, mais sans vertu tonique ; tout autre vin serait mauvais.

Ne souffrez jamais qu’elle prenne l’eau pure pour boisson, vous seriez perdu.

« Impétueux fluide ! au moment que tu presses contre les écluses du cerveau, vois comme elles cèdent à ta puissance ! La Curiosité paraît à la nage, faisant signe à ses compagnes de la suivre : elles plongent au milieu du courant. L’imagination s’assied en rêvant sur la rive. Elle suit le torrent des yeux, et change les brins de paille et de joncs en mâts de misaine et de beaupré. À peine la métamorphose est-elle faite, que le Désir, tenant d’une main sa robe retroussée jusqu’au genou, survient, les voit et s’en empare. Ô vous, buveurs d’eau ! est-ce donc par le secours de cette source enchanteresse, que vous avez tant de fois tourné et retourné le monde à votre gré ? Foulant aux pieds l’impuissant, écrasant son visage, et changeant même quelquefois la forme et l’aspect de la nature ? »

Si par ce système d’inaction, joint à notre système alimentaire, vous n’obteniez pas des résultats satisfaisants, jetez vous à corps perdu dans un autre système que nous allons développer.

L’homme a une somme donnée d’énergie. Tel homme ou telle femme est à tel autre, comme dix est à trente, comme un est a cinq, et il est un degré que chacun de nous ne dépasse pas. La quantité d’énergie ou de volonté, que chacun de nous possède, se déploie comme le son : elle est tantôt faible, tantôt forte ; elle se modifie selon les octaves qu’il lui est permis de parcourir. Cette force est unique, et bien qu’elle se résolve en désirs, en passions, en labeurs d’intelligence ou en travaux corporels, elle accourt là où l’homme l’appelle. Un boxeur la dépense en coups de poing, le boulanger à pétrir son pain, le poète dans une exaltation qui en absorbe et en demande une énorme quantité, le danseur la fait passer dans ses pieds ; enfin, chacun la distribue à sa fantaisie, et que je voie ce soir le Minotaure assis tranquillement sur mon lit, si vous ne savez pas comme moi où il s’en dépense le plus. Presque tous les hommes consument en des travaux nécessaires ou dans les angoisses de passions funestes, cette belle somme d’énergie et de volonté dont leur a fait présent la nature ; mais nos femmes honnêtes sont toutes en proie aux caprices et aux luttes de cette puissance qui ne sait où se prendre. Si chez votre femme, l’énergie n’a pas succombé sous le régime diététique, jetez-la dans un mouvement toujours croissant. Trouvez les moyens de faire passer la somme de force, par laquelle vous êtes gêné, dans une occupation qui la consomme entièrement. Sans attacher une femme à la manivelle d’une manufacture, il y a mille moyens de la lasser sous le fléau d’un travail constant.

Tout en vous abandonnant les moyens d’exécution, lesquels changent selon bien des circonstances, nous vous indiquerons la danse comme un des plus beaux gouffres où s’ensevelissent les amours. Cette matière ayant été assez bien traitée par un contemporain, nous le laisserons parler.

« Telle pauvre victime qu’admire un cercle enchanté paie bien cher ses succès. Quel fruit faut-il attendre d’efforts si peu proportionnés aux moyens d’un sexe délicat ? Les muscles, fatigués sans discrétion, consomment sans mesure. Les esprits, destinés à nourrir le feu des passions et le travail du cerveau, sont détournés de leur route. L’absence des désirs, le goût du repos, le choix exclusif d’aliments substantiels, tout indique une nature appauvrie, plus avide de réparer que de jouir. Aussi un indigène des coulisses me disait-il un jour : — « Qui a vécu avec des danseuses, a vécu de mouton ; car leur épuisement ne peut se passer de cette nourriture énergique. » Croyez-moi donc, l’amour qu’une danseuse inspire est bien trompeur : on rencontre avec dépit, sous un printemps factice, un sol froid et avare, et des sens incombustibles. Les médecins calabrois ordonnent la danse pour remède aux passions hystériques qui sont communes parmi les femmes de leur pays, et les Arabes usent à peu près de la même recette pour les nobles cavales dont le tempérament trop lascif empêche la fécondité. « Bête comme un danseur » est un proverbe connu au théâtre. Enfin, les meilleures têtes de l’Europe sont convaincues que toute danse porte en soi une qualité éminemment réfrigérante.

 » En preuve à tout ceci, il est nécessaire d’ajouter d’autres observations. « La vie des pasteurs donna naissance aux amours déréglées. Les mœurs des tisserandes furent horriblement décriées dans la Grèce. Les Italiens ont consacré un proverbe à la lubricité des boiteuses. Les Espagnols, dont les veines reçurent par tant de mélanges l’incontinence africaine, déposent le secret de leurs désirs dans cette maxime qui leur est familière : Muger y gallina pierna quebrantada ; il est bon que la femme et la poule aient une jambe rompue. La profondeur des Orientaux dans l’art des voluptés se décèle tout entière par cette ordonnance du kalife Hakim, fondateur des Druses, qui défendit, sous peine de mort, de fabriquer dans ses états aucune chaussure de femme. Il semble que sur tout le globe les tempêtes du cœur attendent, pour éclater, le repos des jambes ! »

Quelle admirable manœuvre que de faire danser une femme et de ne la nourrir que de viandes blanches !…

Ne croyez pas que ces observations, aussi vraies que spirituellement rendues, contrarient notre système précédent ; par celui-ci comme par celui-là vous arriverez à produire chez une femme cette atonie tant désirée, gage de repos et de tranquillité. Par le dernier vous laissez une porte ouverte pour que l’ennemi s’enfuie ; par l’autre vous le tuez.

Là, il nous semble entendre des gens timorés et à vues étroites, s’élevant contre notre hygiène au nom de la morale et des sentiments.

La femme n’est-elle donc pas douée d’une âme ? N’a-t-elle pas comme nous des sensations ? De quel droit, au mépris de ses douleurs, de ses idées, de ses besoins, la travaille-t-on comme un vil métal duquel l’ouvrier fait un éteignoir ou un flambeau ? Serait-ce parce que ces pauvres créatures sont déjà faibles et malheureuses qu’un brutal s’arrogerait le pouvoir de les tourmenter exclusivement au profit de ses idées plus ou moins justes ? Et si par votre système débilitant ou échauffant qui allonge, ramollit, pétrit les fibres, vous causiez d’affreuses et cruelles maladies, si vous conduisiez au tombeau une femme qui vous est chère, si, si, etc.

Voici notre réponse :

Avez-vous jamais compté combien de formes diverses Arlequin et Pierrot donnent à leur petit chapeau blanc ? ils le tournent et retournent si bien, que successivement ils en font une toupie, un bateau, un verre à boire, une demi-lune, un berret, une corbeille, un poisson, un fouet, un poignard, un enfant, une tête d’homme, etc.

Image exacte du despotisme avec lequel vous devez manier et remanier votre femme.

La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat, elle est mobilière, car la possession vaut titre ; enfin, la femme n’est, à proprement parler, qu’une annexe de l’homme ; or, tranchez, coupez, rognez, elle vous appartient à tous les titres. Ne vous inquiétez en rien de ses murmures, de ses cris, de ses douleurs ; la nature l’a faite à notre usage et pour tout porter : enfants, chagrins, coups et peines de l’homme.

Ne nous accusez pas de dureté. Dans tous les codes des nations soi-disant civilisées, l’homme a écrit les lois qui règlent le destin des femmes sous cette épigraphe sanglante : Væ victis ! Malheur aux faibles.

Enfin, songez à cette dernière observation, la plus prépondérante peut-être de toutes celles que nous avons faites jusqu’ici : si ce n’est pas vous, mari, qui brisez sous le fléau de votre volonté ce faible et charmant roseau ; ce sera, joug plus atroce encore, un célibataire capricieux et despote ; elle supportera deux fléaux au lieu d’un. Tout compensé, l’humanité vous engagera donc à suivre les principes de notre hygiène.