Physiologie du Mariage/27

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Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 591-596).

MÉDITATION XXVII.

DES DERNIERS SYMPTÔMES.

L’auteur de ce livre a rencontré, dans le monde, tant de gens possédés d’une sorte de fanatisme pour la connaissance du temps vrai, du temps moyen, pour les montres à seconde, et pour l’exactitude de leur existence, qu’il a jugé cette Méditation trop nécessaire à la tranquillité d’une grande quantité de maris pour l’omettre. Il eût été cruel de laisser les hommes qui ont la passion de l’heure, sans boussole pour apprécier les dernières variations du zodiaque matrimonial et le moment précis où le signe du minotaure apparaît sur l’horizon.

La connaissance du temps conjugal demanderait peut-être un livre tout entier, tant elle exige d’observations fines et délicates. Le magister avoue que sa jeunesse ne lui a permis de recueillir encore que très-peu de symptômes ; mais il éprouve un juste orgueil en arrivant au terme de sa difficile entreprise, de pouvoir faire observer qu’il laisse à ses successeurs un nouveau sujet de recherches ; et que, dans une matière en apparence si usée, non-seulement tout n’était pas dit, mais qu’il restera bien des points à éclaircir. Il donne donc ici, sans ordre et sans liaison, les éléments informes qu’il a pu rassembler jusqu’à ce jour, espérant avoir le loisir de les coordonner plus tard et de les réduire en un système complet. S’il était prévenu dans cette entreprise éminemment nationale, il croit devoir indiquer ici, sans pour cela être taxé de vanité, la division naturelle de ces symptômes. Ils sont nécessairement de deux sortes : les unicornes et les bicornes. Le minotaure unicorne est le moins malfaisant, les deux coupables s’en tiennent à l’amour platonique, ou du moins leur passion ne laisse point de traces visibles dans la postérité ; tandis que le minotaure bicorne est le malheur avec tous ses fruits.

Nous avons marqué d’un astérisque les symptômes qui nous ont paru concerner ce dernier genre.



OSERVATIONS MINOTAURIQUES.


I.

Quand, après être restée long-temps séparée de son mari, une femme lui fait des agaceries un peu trop fortes, afin de l ’induire en amour, elle agit d’après cet axiome du droit maritime : Le pavillon couvre la marchandise.


II.

Une femme est au bal, une de ses amies arrive auprès d’elle et lui dit : — Votre mari a bien de l’esprit. — Vous trouvez ?…


III.

Votre femme trouve qu’il est temps de mettre en pension votre enfant, de qui, naguères, elle ne voulait jamais se séparer.


IV.

Dans le procès en divorce de milord Abergaveny, le valet de chambre déposa que : Madame la vicomtesse avait une telle répugnance pour tout ce qui appartenait à milord, qu’il l’avait très-souvent vue brûlant jusqu’à des brimborions de papier qu’il avait touchés chez elle.


V.

Si une femme indolente devient active, si une femme, qui avait horreur de l’étude, apprend une langue étrangère ; enfin tout changement complet opéré dans son caractère, est un symptôme décisif.


VI.

La femme très-heureuse par le cœur ne va plus dans le monde.


VII.

Une femme qui a un amant devient très-indulgente.


VIII.

Un mari donne cent écus par mois à sa femme pour sa toilette : et, tout bien considéré, elle dépense au moins cinq cents francs sans faire un sou de dette ; le mari est volé, nuitamment, à main armée, par escalade, mais… sans effraction.


IX.

Deux époux couchaient dans le même lit, madame était constamment malade ; ils couchent séparément, elle n’a plus de migraine, et sa santé devient plus brillante que jamais : symptôme effrayant !


X.

Une femme qui ne prenait aucun soin d’elle-même passe subitement à une recherche extrême dans sa toilette. Il y a du minotaure !


XI.

— Ah ! ma chère, je ne connais pas de plus grand supplice que de ne pas être comprise.

— Oui, ma chère, mais quand on l’est !…

— Oh ! cela n’arrive presque jamais.

— Je conviens que c’est bien rare. Ah ! c’est un grand bonheur, mais il n’est pas deux êtres au monde qui sachent vous comprendre.


XII.

Le jour où une femme a des procédés pour son mari… — Tout est dit.


XIII.

Je lui demande :

— D’où venez-vous, Jeanne ?

— Je viens de chez votre compère quérir votre vaisselle que vous laissâtes.

— Ho ! da ? tout est encore à moi ! fis-je.

L’an suivant, je réitère la même question, en même posture.

— Je viens de quérir notre vaisselle.

— Ha ! ha ! nous y avons encore part ! fis-je.

Mais après si je l’interroge, elle me dira bien autrement :

— Vous voulez tout savoir comme les grands, et vous n’avez pas trois chemises. — Je viens de quérir ma vaisselle chez mon compère où j’ai soupé.

— Voilà qui est un point grabelé ! fis-je.


XIV.

Méfiez-vous d’une femme qui parle de sa vertu.

XV.

On dit à la duchesse de Chaulnes, dont l’état donnait de grandes inquiétudes : — Monsieur le duc de Chaulnes voudrait vous revoir.

— Est-il là ?…

— Oui.

— Qu’il attende… il entrera avec les sacrements.

Cette anecdote minotaurique a été recueillie par Champfort, mais elle devait se trouver ici comme type.


XVI.

Il y a des femmes qui essaient de persuader à leurs maris qu’ils ont des devoirs à remplir envers certaines personnes.

— Je vous assure que vous devez faire une visite à monsieur un tel… — Nous ne pouvons pas nous dispenser d’inviter à dîner monsieur un tel…


XVII.

— Allons, mon fils, tenez-vous donc droit, essayez donc de prendre les bonnes manières ? Enfin, regarde monsieur un tel ?… vois comme il marche ? examine comment il se met ?…


XVIII.

Quand une femme ne prononce le nom d’un homme que deux fois par jour, il y a peut-être incertitude sur la nature du sentiment qu’elle lui porte ; mais trois ?… Oh ! oh !


XIX.

Quand une femme reconduit un homme qui n’est ni avocat, ni ministre, jusqu’à la porte de son appartement, elle est bien imprudente.


XX.

C’est un terrible jour que celui où un mari ne peut pas parvenir à s’expliquer le motif d’une action de sa femme.


XXI.

La femme qui se laisse surprendre mér ite son sort.

Quelle doit être la conduite d’un mari, en s’apercevant d’un dernier symptôme qui ne lui laisse aucun doute sur l’infidélité de sa femme ?

Cette question est facile à résoudre. Il n’existe que deux partis à prendre : celui de la résignation, ou celui de la vengeance ; mais il n’y a aucun terme entre ces deux extrêmes.

Si l’on opte pour la vengeance, elle doit être complète. L’époux qui ne se sépare pas à jamais de sa femme est un véritable niais.

Si un mari et une femme se jugent dignes d’être encore liés par l’amitié qui unit deux hommes l’un à l’autre, il y a quelque chose d’odieux à faire sentir à sa femme l’avantage qu’on peut avoir sur elle.

Voici quelques anecdotes dont plusieurs sont inédites, et qui marquent assez bien, à mon sens, les différentes nuances de la conduite qu’un mari doit tenir en pareil cas.

Monsieur de Roquemont couchait une fois par mois dans la chambre de sa femme, et il s’en allait en disant : — Me voilà net, arrive qui plante !

Il y a là, tout à la fois, de la dépravation et je ne sais quelle pensée assez haute de politique conjugale.

Un diplomate, en voyant arriver l’amant de sa femme, sortait de son cabinet, entrait chez madame, et leur disait : — Au moins ne vous battez pas !…

Ceci a de la bonhomie.

On demandait à monsieur de Boufflers ce qu’il ferait si, après une très-longue absence, il trouvait sa femme grosse ?

— Je ferais porter ma robe-de-chambre et mes pantoufles chez elle.

Il y a de la grandeur d’âme.

— Madame, que cet homme vous maltraite quand vous êtes seule, cela est de votre faute ; mais je ne souffrirai pas qu’il se conduise mal avec vous en ma présence, car c’est me manquer.

Il y a noblesse.

Le sublime du genre est le bonnet carré posé sur le pied du lit par le magistrat pendant le sommeil des deux coupables.

Il y a de bien belles vengeances. Mirabeau a peint admirablement, dans un de ces livres qu’il fit pour gagner sa vie, la sombre résignation de cette Italienne, condamnée par son mari à périr avec lui dans les Maremmes.


DERNIERS AXIOMES.


XCIII.

Ce n’est pas se venger que de surprendre sa femme et son amant et de les tuer dans les bras l’un de l’autre ; c’est le plus immense service qu’on puisse leur rendre.


XCIV.

Jamais un mari ne sera si bien vengé que par l’amant de sa femme.