Pierre Champion. Procès de condamnation de Jeanne d’Arc (Mirot)

La bibliothèque libre.
Pierre Champion. Procès de condamnation de Jeanne d’Arc (Mirot)
Bibliothèque de l’École des chartes82-83 (p. 167-169).
Pierre Champion. Procès de condamnation de Jeanne d’Arc, texte, traduction et notes. Paris, H. Champion. In-8o, 2 vol., XXXII-428 et CX-451 pages.


Depuis près de quatre-vingts ans que Quicherat a publié pour la Société de l’Histoire de France le Procès de Jeanne d’Arc, ce classique et magistral ouvrage n’a pas vieilli et demeure un modèle de la publication d’un texte capital de notre histoire nationale ; M. Champion le reconnaît à la première page de son travail, ajoutant qu’il y a peu à ajouter à cet admirable monument. Cependant, il n’a pas hésité à donner une nouvelle édition des textes déjà publiés. Ceux qu’il y a ajoutés, les notes et les renseignements nouveaux qu’il a apportés, l’introduction par lui mise en tête du second volume et, enfin, la rareté de l’édition de Quicherat justifient l’utilité de cette nouvelle publication de la part d’un historien des plus familiers avec le XVe siècle.

Le premier volume contient le texte latin du procès de condamnation, texte rédigé par Thomas de Courcelles, l’un des conseillers du tribunal qui, aidé d’un notaire, Guillaume Monchon, traduisit en latin le texte français de la minute des interrogatoires, compléta les procès-verbaux, le tout sous forme de lettres patentes de Pierre Cauchon, l’évêque de Beauvais, et de Jean Le Maître, dominicain, vice-inquisiteur de la foi. Cinq expéditions authentiques furent faites de ce texte latin, dont trois existent actuellement à Paris, tant à la Bibliothèque nationale qu’à celle de la Chambre des députés. De ces originaux dérivent une quantité de copies ; M. Champion a consacré un minutieux examen à la source française de l’expédition authentique et étudié en détail le ms. d’Urfé (Bibl. nat., ms. lat. 8838), qui contient la version originale mais incomplète du procès. Puis, après avoir établi l’authenticité du texte latin, il le date d’une époque assez tardive, postérieure à 1439, et le considère comme un essai de justification des juges de Rouen. La publication du texte, déjà édité par Quicherat, est accompagnée au bas des pages du texte intégral du manuscrit d’Urfé, incomplètement publié par le premier éditeur. Ce premier volume se termine par la publication de sept actes postérieurs se rapportant au procès de condamnation : 1o information, après l’exécution, sur des paroles prononcées par Jeanne d’Arc au moment de sa mort ; 2o lettres écrites par Henri VI à l’empereur, aux rois, ducs et princes de toute la chrétienté ; 3o lettres écrites par le même roi aux prélats, ducs, comtes, nobles et communautés du royaume de France ; 4o amende honorable faite par Pierre Bosquet, dominicain, qui avait médit des juges ; 5o sentence contre ledit religieux ; 6o copie des lettres de l’Université au pape, à l’empereur et aux cardinaux, et par un index alphabétique.

Le second volume est, en majeure partie, occupé par la traduction française du texte latin. M. Champion a fait précéder cette traduction d’une introduction de 110 pages dans laquelle il étudie le procès en lui-même, au point de vue de sa légalité et de la responsabilité des juges : Université de Paris, dont le rôle fut considérable, et qui se plaça au point de vue théologique, considérant Jeanne d’Arc tant comme adonnée à la magie, comme étant en contradiction avec le Symbole des apôtres, comme apostat et soupçonnée d’hérésie ; — Pierre Cauchon, matériel et ambitieux, qui chercha à édifier sa propre fortune grâce à l’éclat d’un procès religieux ; — les chanoines de Rouen bien traités par les Anglais et désirant vivre en paix avec les maîtres du jour ; — le duc de Bedford, qui menant habilement et en sous-main le procès et excusant les universitaires, fait retomber toute la responsabilité sur l’évêque de Beauvais. Cette introduction, où se trouve un très curieux chapitre consacré à la sorcellerie, se termine par des vues très fines et pénétrantes sur la guerre au temps de Jeanne d’Arc, sur l’idée de patrie née de la présence des troupes anglaises sur le sol français, de la misère, de l’oppression résultant des excès de ces soldats et de l’espoir dans le roi, légitime protecteur et justicier de ses sujets. Le procès de condamnation, par les interrogatoires, nous fait connaître Jeanne elle-même mieux que ne saurait le faire le procès de réhabilitation et la partialité des juges a servi la cause de l’héroïne, « fleur rustique de la piété chrétienne, incarnation de la France éternelle, fidélité, espérance, charité et ardent amour ». D’importantes notices biographiques sur les divers personnages mêlés aux procès (notices qui eussent peut-être gagné à être rangées par ordre alphabétique) et une table terminent ce second volume.

En résumé, cette publication, si elle n’apporte rien de nouveau et d’essentiel sur le texte même du procès de condamnation, complète l’édition de Quicherat et fait souhaiter que M. Champion, avec le même soin et la même connaissance du XVe siècle, donne bientôt l’édition du procès de réhabilitation.


Léon Mirot.