POEME DRAMATIQUE EN UN ACTE.
Paysage lunaire. À droite, une rangée de maisons, se perdant à l’infini. À gauche, les quais et la Seine. Pierrot est assis sur une borne. Il est plongé dans une profonde rêverie. La lune est cachée dans les nuages, de sorte que la scène se trouve dans l’obscurité la plus complète. Pierrot est vêtu du costume légendaire.
SCENE PREMIERE
PIERROT, seul.
Voici l’hiver venu, les neiges s’amoncellent,
De temps en temps, je sens mes habits qui ruissellent,
Parce que je n’ai pas de toit, pour m’abriter,
Et pourtant, si quelqu’un eût dû le mériter,
Ce repos demandé par tous ceux qu’on vénère,
N’est-ce pas moi, le vieux Pierrot, le centenaire ?
Celui qui, si longtemps, enfants, vous amusa ?
Vous disiez, me voyant : « Quelle mine il vous a,
Il est si blanc, Pierrot, qu’il ressemble à la lune,
Et puis, vous vous moquiez… sans vous garder rancune,
Je riais avec vous…
Se dressant
- Et quand j’étais pendu,
Vous en souvenez-vous ? Voyant mon cou tordu,
Voyant mon œil poché, mes gestes, mes grimaces,
Ah ! comme vous riiez, et comme, de vos places,
Vos jeunes mains applaudissaient le bon Pierrot !...
Ah ! c’était le bon temps, et je m’en souviens trop,
Maintenant que je suis vieilli, que sur ma tête,
Les ans ont effacé tout souvenir de fête.
Ne reviendra-t-il donc jamais, cet autrefois ?
La nuit, quand sous les ponts, je dors, je le revois
En rêve ; je revis ma gloire disparue,
Et le matin, je me retrouve dans la rue,
Déguenillé, couché sur des pavés rugueux,
Crevant de froid, de faim, plus gueux que tous les gueux,
Et demandant la mort pour mieux vivre mon rêve !...
PIERROT se rassied sur la borne, et sanglote ; tout à coup, il entend Mikaël qui chante, au lointain.
MIKAEL
Tra, la, la, les oiseaux du rêve,
Tra, la, la, chantaient sur la grève ;
Ils disaient entre eux :
Tâchez d’être heureux !...
Et j’ai bien compris ce qu’ils voulaient dire,
Et c’est pour cela que mon cœur soupire
Après ton baiser.
Mignonne, veux-tu m’aimer pour la vie ?
Veux-tu que mon âme, en ton cœur, ravie,
Vienne se poser ?
Tra, la, la, les oiseaux du rêve,
Tra, la, la, chantaient sur la grève ;
Ils disaient entre eux :
Tâchez d’être heureux !...
PIERROT, amèrement.
Encore un fils de riche !... Un gommeux, qui se lève
Très tard, et qui ne peut pas préparer son bachot,
S’il n’a pour déjeuner, un chocolat bien chaud ;
Il doit faire cirer ses souliers par sa bonne,
Qui doit vite les apporter, quand Monsieur sonne.
Et qu’a-t-il fait pour tout cela ? Mais rien du tout.
Il est fils de son père, et c’est déjà beaucoup !...
MIKAEL, dont la voix se rapproche.
Tra, la, la, les oiseaux du rêve,
Tra, la, la, chantaient sur la grève ;
Ils disaient entre eux :
Tâchez d’être heureux !...
SCENE II
MIKAEL, PIERROT
MIKAEL, un peu gris, entre et heurte Pierrot.
Qui va là ?
PIERROT, vexé.
Mais probablement quelqu’un, jeune homme.
MIKAEL, d’un ton bon enfant.
Ne pourrais-je savoir comment quelqu’un se nomme ?
PIERROT, sèchement.
Il se nomme Pierrot, Monsieur, pour vous servir.
MIKAEL, railleur.
Pierrot, mais c’est un nom digne de me ravir,
Et je suis bien heureux, Monsieur, de la rencontre ;
Voyez, il est près de dix heures, à ma montre,
Et bien, en ce moment, le Théâtre Français
Représente, de moi, cinq cents vers entassés
Pour dire que Pierrot, amant de Colombine,
Après avoir rossé Gildefonse et Bobine,
Après avoir rompu six manches à balai
Sur le dos d’Arlequin, qui sans vergogne, allait,
Aidé de ses amis, lui ravir son amante,
Finit par épouser…
PIERROT, impatienté, l’interrompant.
Votre histoire est charmante,
Mais je la sais par cœur…
MIKAEL, de plus en plus railleur.
Ah ! bah ! Comment cela ?
PIERROT, lui tournant le dos.
Mais parce que je m’appelle Pierrot, voilà.
MIKAEL, amusé.
Tiens, cela fait deux fois, que pour me faire rire,
Vous me dites la même chose, et pour écrire,
Je vais finir par vous demander à prêter
Une plume, mon bon ami…
La lune sort un instant des nuages et éclaire tout le paysage.
Mikaël aperçoit le costume de Pierrot et recule stupéfait.
Mais arrêtez,
Vous êtes bien Pierrot, Pierrot le pantomime,
Pierrot, pour qui depuis bientôt six mois, je rime,
Vous êtes bien Pierrot l’amoureux, le rival
D’Arlequin, le Pierrot qu’on brûle en Carnaval,
Mais pourquoi donc vous promener, quand pas un astre
Ne brille dans le ciel noir, comme en un désastre ?
Pourquoi vous promener, surtout en habit blanc ?
Vous faites peur aux gens, moi-même, tout tremblant,
Je ris, mais je frissonne, et certes ne m’amuse
Que tout juste, en voyant votre face camuse.
PIERROT, indigné.
Jeune homme, vous pourriez parler plus poliment,
J’ai bien plus de cent ans, et mon costume ment,
S’il dit que je suis jeune… hélas !... ma pauvre tête
Ne vous dit-elle pas que je suis vieux, poète ?
Mes cheveux ont blanchi, comme je travaillais…
Et maintenant, vous, les jeunes, vous me raillez.
Mais autrefois, n’étais-je pas le grand tragique ?
Je montrais aux petits la lanterne magique
De ce monde, et mon rire était l’avant-coureur
Du vôtre, et mes sanglots apportaient la terreur !...
J’étais le Comédien ! le Comédien du geste !...
Et je n’endossais pas une superbe veste
Pour vous faire rire ou pleurer, selon mon goût,
Je n’avais nul besoin de l’éternel bagou
Des comédiens du boulevard, non, ma figure
Me servait seule, pour vous apporter l’augure
Mauvais ou bon, mes mains, seules me tenaient lieu
De parole, et mon geste arrivait au milieu
Du spectacle, que j’égayais par mes grimaces !...
Ô souvenirs de ce beau temps !... toutes ces masses
De braves gens, qui m’envoyaient tous leurs bravos !...
Ils venaient chaque soir, ils étaient mes dévots,
Et n’auraient pas voulu perdre un seul de mes gestes…
Hélas ! s’ils se doutaient qu’il a faim de leurs restes,
Pierrot devenu vieux, traînant son habit blanc
Sous les ponts, demandant l’aumône, tout tremblant.
Tant il a peur qu’un jour, un agent de police
Trop zélé, ne lui fasse endurer le supplice
De le conduire au poste, ainsi qu’un vagabond !...
MIKAEL, attendri.
Pauvre Pierrot !
PIERROT,
Je vois bien que vous êtes bon,
Monsieur, et je sens bien, qu’en riant, tout à l’heure,
Vous ne vouliez pas vous moquer, puis si je pleure,
Vous n’êtes pas forcé de pleurer avec moi,
Vous êtes jeune, vous, et vous avez la foi,
Riez, aimez, chantez, c’est le lot de votre âge.
Mais pardonnez, si moi, je n’ai pas le courage
De rire comme vous, je suis vieux, j’ai cent ans
Bien sonnés, et je le vois si loin, le printemps,
Que, malgré moi, je suis jaloux de tous les jeunes,
Et puis, vous le dirai-je, et bien, les quelques jeûnes
Que je subis de temps en temps, me font rager,
Je maudis les richards, qui peuvent bien manger.
Et je me dis qu’ils sont ingrats, lorsque je pense
Que j’étais leur bouffon, et que pour récompense,
Ils me laissent mourir, sans me donner du pain !
MIKAEL, naïvement.
Serait-il vrai que quelquefois vous avez faim ?
PIERROT.
Si j’ai faim ?... Pauvre enfant !... Mais plutôt deux fois qu’une
Et je n’ai plus besoin de blanc, pour que la lune
Ait l’air d’avoir posé sa tête sur mon cou,
Et cependant, pour vivre, il n’en faut pas beaucoup ;
Du fromage et du pain me suffiraient du reste,
Je ne peux en gagner maintenant, car mon geste
Emporté par les ans, ne peut plus s’exprimer !...
Pierrot le pantomime est vieux !... Pourquoi rimer
Des vers pour lui ? Sa voix ne pourrait plus les dire,
Et puis, s’il les disait, il ne ferait plus rire !...
Amèrement.
Pierrot ?... Il est tout juste bon pour faire un mort !...
MIKAEL
Monsieur Pierrot, ne vous désolez pas si fort,
Tout le monde n’est pas méchant comme vous dites,
Les jeunes gens ont beau cueillir des marguerites,
Les effeuiller, pour voir en elles l’avenir,
Allez, ils ne font pas que ça, leur souvenir
Leur montre le Pierrot qu’ils voyaient au théâtre,
Et qui les faisait rire avec son nez blanchâtre,
Quand ils étaient petits… Ils étaient si contents
D’aller vous voir ; moi qui vous parle, j’ai vingt ans,
Et me souviens encor des belles pantomimes
Dont vous étiez le roi, dans mes pensées intimes,
Je songe que j’ai ri comme un petit bossu ;
Monsieur Pierrot, tout à l’heure, si j’avais su
Qui vous étiez, j’aurai cessé mes moqueries,
Je suis tout jeune encore, et les plaisanteries
Me viennent aisément à l’esprit, et je n’ai
Qu’à bien vous demander pardon.
PIERROT
Je suis gêné
Mon cher enfant, par vos paroles, et les larmes
Me montent jusqu’aux yeux, vous avez tant de charme,
Quand vous parlez, que moi, le vieillard endurci
Par les malheurs, je suis touché, mais vous aussi
Je crois… Et j’avais peur que ma face ridée
Vous fit rire ! Elle vous fait pleurer !...
MIKAEL
Une idée,
Monsieur Pierrot, si vous vouliez loger chez moi ?
Vous savez, ma mansarde est là-haut, sous un toit,
Je ne gagne pas des millions avec mes rimes,
Nous coucherons à deux ; avec quelques centimes,
Nous pourrons bien manger de quoi ne pas mourir,
Vous copierez mes vers, et moi, j’irai courir
De journal en journal, de revue en revue…
Vous me direz si je commets une bévue…
Car vous êtes plus vieux que moi, les bons avis
Ne nuisent pas aux jeunes gens, ils sont ravis
Quand on veut bien leur en donner, voyez vous-même,
Vous n’auriez jamais su vous faire un nez si blême,
Sauter, cabriolet, faire rire les gens,
Si vous n’aviez pas eu des amis obligeants
Pour vous montrer… voyons, Monsieur Pierrot, la lune
Vous dit que j’ai raison, - vous me gardez rancune,
Que vous restez muet ? Vous ne voulez donc pas
Me faire le plaisir de prendre vos repas
Avec moi ? Que vous êtes méchant ! Sur mon âme,
Je vous croyais un cœur plus tendre, et je proclame
Que vous n’êtes pas le Pierrot que je rêvais…
PIERROT
Mon pauvre enfant, voyez-vous pas que je m’en vais
Mourir dans quelques jours ? Pourquoi vous rendre triste ?
J’affligerais à tort, votre bon cœur d’artiste,
Je ne peux pas rester avec vous, mais croyez
Que je suis bien touché de l’offre ; je voyais
Les humains plus méchants qu’ils ne le sont, en somme,
Puisque j’ai rencontré dans ma vie un jeune homme
Qui m’a tendu la main ; je mourrai plus heureux,
Et je vous en sais gré… mais j’ai le ventre creux,
Et j’ai froid, on ne voit pas une seule étoile,
Je voudrais bien coucher dans de bons draps en toile,
Et manger un morceau de pain ; si quelques sous
Ne vous privent pas trop, mon enfant, voulez-vous
Me les donner ?
MIKAEL
Vous me faites beaucoup de peine,
Monsieur, pourquoi voulez-vous pas que je vous mène
Chez moi ? Vous comblerez le plus cher de mes vœux,
Vous vivrez à l’abri des temps les plus neigeux,
Vous passerez chez moi, vos derniers jours, paisible,
Dans un bon lit, sans avoir faim…
PIERROT
C’est impossible !...
Je suis trop vieux, mon cher enfant, n’insistez pas,
Dès demain, je vous gênerais dans vos ébats,
Votre chambre n’est pas de celles qu’on partage,
Vous n’avez que vingt ans, vous êtes à cet âge
Où l’amour prend les sens et le cœur, à la fois ;
Quand vous êtes venu, vous entonniez, je crois,
Une chanson d’amour, vous le croyez vous-même,
Nous ne pouvons rester ensemble, l’on vous aime.
Allez la retrouver votre belle aux yeux bleus,
Moi, je verrai bientôt les pays fabuleux
Du ciel, et de là-haut, si je vous vois, poète,
Je vous applaudirai, lorsque le cœur en fête,
Vous viendrez annoncer chaque nouveau succès,
Chaque nouveau triomphe, à celle que je sais,
A mesure qu’il parle la neige commence à tomber.
Et je serai content, car, là-haut, ma pensée
Vous suivra, j’entendrai la strophe cadencée
Que vous terminerez avec des rimes d’or,
Et je vous enverrai, pendant que chacun dort,
Des rêves mélangés de musique divine,
Des rêves, dans lequel un amour se devine,
Un amour idéal d’étoiles et de saints,
Qui montent dans les cieux en sublimes essaims !...
MIKAEL
Certes, j’aimerais bien entendre dans les branches,
Un doux bruit de baisers, et voir des formes blanches,
Mais il faut cependant songer qu’il fait mauvais ;
Je sens la neige sur mon dos, si je rêvais,
Je n’aurais pas si froid, Monsieur, je vous en prie,
Ne vous sentez-vous pas la figure meurtrie ?
Moi, je suis tout gelé – venez donc, c’est tout près
Que je reste, et je sais que parfois vous souffrez
Bien plus que moi… Venez ?...
PIERROT
Votre cœur est sensible,
Mais je vous le répète, il ne m’est pas possible,
D’attrister par mon sort, votre jeune printemps.
MIKAEL
Voyons, Monsieur, ne refusez pas plus longtemps,
Venez ? Chez moi, du moins, un bon toit nous protège,
Contre le vent qui souffle, et contre cette neige
Qui nous glace le sang…
PIERROT
Hélas ! Je ne crois pas
La voir glacer longtemps le mien, déjà, mon pas
Est chancelant…
MIKAEL
C’est pour cela, que dans la rue,
Vous ne pouvez rester, la neige s’est accrue,
Venez ?...
PIERROT
Mon cher enfant, mais vous êtes trop bon
De m’accueillir ainsi, je suis un vagabond,
Et vous savez, beaucoup de gens ferment leur porte
Au vieillard malheureux, qui, disent-ils, apporte
Le mauvais œil ; et cependant, il fait souvent
Des temps horribles, et l’on sent le froid du vent
Qui pénètre les os. Ah ! Dieu qui vous regarde,
Vous bénira sans doute, et sous sa sauvegarde
Vous allez désormais marcher.
La neige redouble ; instinctivement, Pierrot prend le bras de Mikael et parle d’une voix qui faiblit.
Mais savez-vous
Que je m’en vais couler des jours heureux et doux ?
Pendant que vous ferez des vers pour le théâtre,
J’attiserai le feu qui brûlera dans l’âtre,
Je ferai le dîner. Dans les beaux soirs d’été,
Afin de mieux payer votre hospitalité,
Je vous raconterai mes exploits et ma vie,
Vous en ferez des vers, et la foule ravie,
Applaudira le bon Pierrot qu’elle a connu…
Que vous avez bien fait, Monsieur, d’être venu !...
Vrai, vous m’avez sauvé !...
Après un silence.
C’est loin, votre demeure ?
Je crois qu’il se fait tard, et ce doit être l’heure
De s’en aller chez vous…
MIKAEL
Si nous bavardons trop,
Nous n’y serons jamais ce soir, Monsieur Pierrot,
Dépêchons-nous, puisque la chose est décidée.
Moi, je suis tout heureux d’avoir eu cette idée,
Ne retardons pas plus longtemps ; dans un moment,
Nous rentrerons chez nous, et ce sera charmant,
De demeurer tous deux, comme un fils et son père ;
Je travaillerai mieux, près de vous, et j’espère
Que vous vivrez encore assez pour m’applaudir…
En attendant, nous n’allons pas nous refroidir
Et rester sur ce pont qui se couvre de neige…
Vous n’avez pas un vêtement qui vous protège…
Mais j’y songe, réchauffez-vous sous ce manteau.
Il lui remet son manteau sur les épaules.
PIERROT, avec un geste de refus.
Mais vous vous en privez…
MIKAEL, un peu fâché
Nous avons dit tantôt
Qu’à partir de ce jour, nous mettions en partage
Tout notre bien, ne retardons pas davantage,
Vous avez froid ; moi, j’ai trop chaud ; prenez pour vous
Mon manteau ; je vous assure qu’il m’est très doux
De vous l’offrir ; mais dépêchons, une heure sonne ;
Dans toute cette rue, on ne voit plus personne,
Allons, rentrons chez nous.
Ils marchent, Pierrot chancelle.
Mais quoi, vous chancelez ?
Qu’avez-vous donc, Monsieur Pierrot ? Si vous voulez,
Appuyez-vous sur moi.
PIERROT, s’affaissant sur la borne.
Je ne peux pas !... La fièvre
M’empêche de marcher… J’ai du feu, sur la lèvre…
Tout à l’heure, quand vous m’avez tendu la main,
J’ai repris de l’espoir, pour me mettre en chemin ;
Maintenant, je sens bien que mon heure est venue,
Je vais la voir enfin cette Grande Inconnue,
Qui me narguait, jadis, quand j’allais, tout tremblant,
Cachant deux sous de fleurs, sous mon pauvre habit blanc,
Les échanger contre un baiser de Colombine…
Je suis courbé, je sens ma tête qui s’incline,
Je ne me tiens déjà plus droit… j’avais trop faim !
Voici trois jours que je n’ai plus mangé de pain !...
J’espérais bien pouvoir rester une semaine
Ainsi, mais il paraît que lorsqu’on se promène
En décembre, il faut manger pour ne pas mourir.
Voyant Mikaël qui pleure.
Mais ne pleurez donc pas, j’ai fini de souffrir,
Je vais dire bonjour à Madame la Lune,
Là-haut, nul n’a besoin d’avoir de la fortune,
Les riches ne sont pas plus riches que les gueux,
Le royaume du Ciel est pour les malchanceux,
Il est pour moi, j’y vais…
D’un ton prophétique.
- Enfant, je vous rends grâce,
De toutes vos bontés… votre front, que j’embrasse,
Un jour, sera chargé de lauriers !...
MIKAEL, avec une douleur contenue.
Mais la mort
Est encor loin de vous, essayez d’être fort,
Monsieur Pierrot, marchez, dans un petit quart d’heure
Nous pouvons arriver jusqu’à notre demeure,
Venez, je vous soutiens, vous vous reposerez
Chez nous, et vous serez soigné, vous guérirez.
PIERROT, tressaille. Il passe la main sur son front et regarde tout autour de lui, comme un fou.
Qui parle de guérir ? Suis-je donc si malade ?...
Si vous voulez, je vais vous chanter la ballade
Que je chantais jadis, quand arrivait la nuit.
Effrayé par un rayon de lune.
Mais voyez, n’est-ce pas la lune qui me suit ?
Mais si. Voyez ! voyez ! Comme elle me regarde !
J’ai peur ; je ne veux pas voir sa face blafarde,
Dites-lui de partir… je ne veux pas la voir,
Je suis vieux, maintenant, elle doit le savoir.
Je ne veux plus chanter, le soir, à la nuit brune,
Pourquoi vient-elle donc me suivre cette lune ?
MIKAEL, retenant ses larmes.
Mais non, Monsieur Pierrot, elle ne vous suit pas…
PIERROT, sans l’écouter.
Regardez !... Regardez !... C’est bien elle, là-bas !...
Elle rit, voyez-là, c’est bien sa face ronde,
Donnez-moi quelque chose !...
Courant de tous côtés.
Une fronde !... Une fronde !...
Oh ! je veux la tuer, car elle me fait peur !...
Son regard vient fouiller jusqu’au fond de mon cœur !...
Et là-bas ! tout là-bas ! Ces milliers de lumières
Qui brûlent !
Regardant au lointain.
Ces cyprès !... Dieu ! que les cimetières
Sont tristes !... Les oiseaux ne peuvent qu’y souffrir !...
Lentement.
Et moi… je n’irais pas… je ne veux pas… mourir !...
Il tombe mort.
MIKAEL reste un moment, comme anéanti, puis tout à coup, il se cache la tête dans les mains, et s’agenouille en sanglotant.
Ah ! que tous les flocons de neige s’amoncellent,
Tu ne sentiras plus tes habits qui ruissellent,
Parce que tu n’as pas de toit pour t’abriter.
Et pourtant, si quelqu’un eût dû le mériter,
Ce repos demandé par tous eux qu’on vénère,
N’est-ce pas toi, le vieux Pierrot, le centenaire,…
Rideau.