Piles électriques et accumulateurs/II

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PILE-ÉTALON
POUR LA MESURE DES FORCES ÉLECTROMOTRICES[1].

Toute pile constante, dont la f. e. m. est connue, peut servir de témoin dans la mesure des différences de potentiel ; mais, pour constituer un étalon sûr et commode, un couple doit posséder un ensemble de qualités qu’on ne trouve réunies dans aucune des piles destinées aux usages courants.

Il faut qu’une pile-étalon ait une f. e. m. constante, non influencée par les variations de la température ; son montage, simple et commode, doit ne comporter que des matériaux faciles à obtenir ou à préparer.

Pour se prêter aux mesures par les méthodes galvanométriques, qui sont très employées et parfois seules employables, le couple-type doit être apte à fournir un courant faible (un milliampère au plus). Il est utile alors que sa résistance soit assez petite pour être négligeable en présence des résistances de 1000 à 20000 ohms que comportent les circuits galvanométriques. Enfin, on pourrait souhaiter, par surcroît, que la f. e. m. de l’appareil fût précisément égale à un volt, pour simplifier les calculs : cette dernière condition est la moins importante ; dans beaucoup de cas, elle n’est même d’aucune utilité.

On sait que les étalons actuels ne possèdent point toutes ces qualités. Le couple Daniell, dans la forme connue sous le nom d’étalon du Post-Office, m’a paru être le moins imparfait de tous. Mais il comporte deux liquides ; la constitution du couple s’altère par le mélange des liqueurs pendant la fermeture du circuit, et l’on n’évite ce mélange, en circuit ouvert, qu’au prix d’une manipulation dont on aimerait à se dispenser. Les sulfates de cuivre et de zinc du commerce sont acides, mais pas toujours au même degré ; on peut craindre que ces différences d’acidité ne changent la f. e. m. attribuée à l’appareil[2].

L’étalon zinc-cadmium a les mêmes qualités et les mêmes défauts que le précédent.

La pile au chlorure d’argent de M.  Warren de La Rue est d’une préparation délicate ; en circuit ouvert, son zinc se recouvre d’une couche d’oxychlorure qui rend très grande la résistance du couple. Quant à l’étalon Latimer-Clark, il ne peut pas fournir de courant, et par conséquent n’est utilisable que pour les mesures de potentiel par l’électromètre ou par le condensateur.

L’appareil que je propose comme étalon de force électromotrice est en fonction dans mon laboratoire depuis plusieurs mois ; après un usage prolongé, j’ai cru reconnaître en lui l’absence des défauts qu’on trouve dans ses aînés.

Fig.3
ÉTALON REYNIER
Pour la mesure des forces électomotrices (A. Simmen)
Surface de l’électrode cuivre 
 30 d. q.
Surface »de l’électrode zinc amalgamé 
 0,3 d. q.
Liquide : 800 c.c. dissolution de sel marin, 200 p. de sel pour 1000 d’eau
 
Force électomotrice 
 0,82 volt.
Résistance 
 1 à 2 ohms.

C’est un couple de Volta, zinc-cuivre (fig. 3), construit dans les formes et dimensions de l’appareil que j’ai décrit déjà sous le nom de pile à maxima (voir la Note précédente). On sait que, dans ce modèle, le rapport des surfaces positive et négative est environ 300 ; c’est ce très grand développement relatif de l’électrode positive qui assure la constance du couple.

La force électromotrice de l’étalon dépend naturellement du liquide qui le garnit ; elle n’est pas la même avec le zinc amalgamé qu’avec le zinc ordinaire. Voici les valeurs trouvées avec différents liquides :

Eau acidulée sulfurique Zinc ordinaire 0,94 volt
Zinc» amalgamé 1,075volt»
Solution de sel marin Zinc ordinaire 0,78volt»
Zinc» amalgamé 0,82volt»
Solution de Chlorure de zinc Zinc ordinaire 0,83volt»
Zinc» amalgamé 0,86volt»
Solution de sulfate de zinc Zinc ordinaire 1,00volt»
Zinc» amalgamé 1,04volt»
Solution de soude caustique Zinc ordinaire 1,06volt»
Zinc» amalgamé 1,09volt»

Avec le zinc ordinaire et la dissolution de sulfate de zinc, la f. e. m. est égale à un volt. MM. Ayrton et Perry avaient déjà noté cette différence de potentiel du système zinc-cuivre‑sulfate de zinc ; mais n’ayant point donné à ce couple une disposition qui lui permît de débiter un courant, ils n’ont pu le proposer comme étalon que pour les mesures par les méthodes à circuit ouvert.

Malgré la propriété qu’elle a de donner le volt, je ne préfère pas la dissolution de sulfate de zinc, parce que la pile aurait, avec ce sel, l’un des défauts que je reprochais tout à l’heure à l’étalon Post-Office : ces variations d’acidité de la liqueur qui peuvent inspirer des doutes sur la valeur exacte de la f. e. m. du couple. J’ai d’ailleurs remarqué que le zinc ordinaire donne partout des résultats plus variables que le zinc amalgamé.

Le liquide que j’ai choisi, au moins provisoirement, est la dissolution de sel marin. Ce sel étant un produit comestible, on est sûr de l’obtenir toujours parfaitement neutre. On fait dissoudre 200 parties de sel dans 1000 parties d’eau et l’on filtre la dissolution sur du papier.

La f. e. m. du couple zinc amalgamé, cuivre, eau salée, est 0,82 volt à la température de 13 à 15 degrés centigrades ; j’ai retrouvé cette valeur dans toutes les mesures que j’ai faites, en comparaison avec un étalon P. O. auquel j’attribuais 1,079 volt. Sa résistance est 1 à 2 ohms, valeur négligeable devant les résistances de 1000 à 20 000 ohms qu’on peut donner aux circuits galvanométriques.

Fermé sur une résistance de 820 ohms seulement, l’étalon perd moins d’un centième de sa force en une heure. On peut donc admettre qu’il ne varie pas sur un circuit très résistant, pendant le peu de minutes nécessaires à une lecture. Il se prête ainsi aux mesures par les méthodes galvanométriques ; il peut, à fortiori, servir aux mesures par l’électromètre ou par le condensateur : dans ces circonstances, sa fixité est absolue.

La constance relative de ce couple s’explique aisément : Quand l’intensité du courant est très faible, la formation des produits d’oxydation, par l’action de l’air, sur la surface considérable du cuivre, l’emporte sur l’action réductrice de l’électrolyse, et maintient la force électromotrice à sa valeur maxima. La très petite quantité de zinc[3] dissoute pendant le travail ne modifie guère la composition du liquide, dont le volume est relativement grand.

Quand la lecture est faite, on met l’appareil dans la position de repos, en soulevant son zinc hors du liquide ; il reste ainsi indéfiniment semblable à lui-même, toujours prêt à témoigner dans une mesure de potentiel.

Pour me rendre compte de l’influence de la température, et aussi pour contrôler la justesse de mes rhéostats, j’ai prié M.  Hospitalier de vouloir bien mettre à ma disposition, pendant quelques heures, l’excellente collection d’instruments de mesure qu’il possède en son laboratoire de l’École de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris.

Une première mesure, faite à la température de 17 degrés centigrades, a redonné la valeur de 0,82 volt. On a chauffé l’étalon à 40 degrés, puis refroidi jusqu’à 5 degrés. À ces deux températures, j’ai trouvé des différences tellement petites qu’on peut les attribuer à des erreurs de lecture ; elles n’indiqueraient même pas nettement le sens de la variation, si toutefois il y en a une.

Ainsi la f. e. m. de l’étalon doit être considérée comme constante, malgré les changements de la température ambiante.

Tels sont les résultats de mes vérifications. Je désirerais qu’elles fussent contrôlées par d’autres expérimentateurs, avec des méthodes variées. Et si l’on reconnaît au nouvel étalon les qualités que je me suis efforcé de lui donner, j’inviterai les électriciens à s’en servir jusqu’à ce que les progrès de la science en aient fait découvrir un meilleur.

Instructions relatives a l’emploi de la Pile-Étalon.

1° Faire une dissolution de sel marin à raison de 200 parties, en poids, de sel bien sec, pour 1000 d’eau. Filtrer.

2° Verser la dissolution dans le récipient de l’étalon, en évitant de mouiller le couvercle. Le niveau du liquide doit submerger de 2 à 3 millimètres le bord supérieur de l’électrode positive.

3° Le zinc sera toujours bien amalgamé ; on le réamalgamera au besoin. Quand le zinc a été réamalgamé, on le lave à grande eau avant de le remettre en place, pour ne pas introduire dans l’étalon des corps étrangers à sa définition.

Soulever le zinc hors du liquide aussitôt après une lecture faite, et le laisser toujours dans cette position de repos quand il n’est pas en fonction. Au prix de cette précaution si simple, on aura constamment à sa disposition un étalon invariable. À peine sera-t‑il nécessaire d’ajouter, tous les deux ou trois mois, un peu d’eau filtrée pour réparer les pertes dues à l’évaporation.

5° Si l’on veut essayer l’étalon avec différents liquides, il faut laver à grande eau les électrodes et le récipient avant d’introduire un liquide nouveau.

  1. Société Française de Physique, séance du 16 novembre 1883 ; Société d’Encouragement, procès-verbal de la séance du 11 janvier 1884 ;

    L’Électricien, du 1er décembre 1883 ;


    La Nature, du 8 décembre 1883.

  2. J’ai constaté qu’une faible addition d’acide sulfurique dans l’un ou l’autre compartiment d’un couple Daniell influe sensiblement sur sa f. e. m. (Voir la note sur la f. e. m. des piles du genre Daniell, p. 60.)
  3. Un courant de un milliampère dissout 0,00002 gramme de zinc par minute, et réduit un poids de cuivre un peu moindre.