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Plombières et ses environs

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Les nouveaux thermes. — Dessin de H. Clerget d’après nature.


PLOMBIÈRES ET SES ENVIRONS,


1867. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[1].


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Plombières. — L’église. — L’hôpital. — La maison des arcades. — L’établissement thermal. — La rue Stanislas. — Partie d’ânes. — Le salon.

La petite ville de Plombières, resserrée entre deux montagnes qui lui défendent de s’élargir, se compose de trois ou quatre rues.

La principale, la rue Stanislas, très-large dans la plus grande partie de son étendue, riante et toujours propre, revêtue d’un beau pavé, garnie de trottoirs commodes, s’étale, au fond du ravin, en deux rangées de maisons à double étage, blanches comme celle que rêvait Jean-Jacques, régulièrement bâties et ornées de balcons élégants et légers, qui forment une galerie extérieure presque continue d’une extrémité de la ville à l’autre.

À partir du bain impérial, la rue Stanislas change de nom et devient la rue Napoléon III.

C’est là que se trouvent réunis les magasins de tous genres, particulièrement ceux dans lesquels se vendent une multitude d’objets d’art en fer poli.

Deux autres rues, il serait plus exact de dire deux routes, car l’une est la route de Luxeuil ou du Midi, l’autre la route d’Épinal ou du Nord, se contournent sur le flanc sinueux de deux montagnes qui encaissent. la ville tout entière et la surplombent de plus de 130 mètres. Cette disposition un peu bizarre n’est pas sans charme. Vue de ces hauteurs, la petite ville, au-dessus de laquelle plane, quand vient le soir, un tourbillon de vapeurs, revêt nous ne savons quelle apparence nébuleuse et fantastique. Lorsque, au contraire, c’est du fond de Plombières que les regards cherchent l’horizon, ils ne rencontrent que des montagnes verdoyantes, accidentées çà et là de gracieuses maisonnettes, ou semées de blocs erratiques au ton grisâtre, qui, de loin, ressemblent à ces débris d’un autre âge, à ces ruines en présence desquelles l’imagination la moins poétique ne peut se défendre de la rêverie.

Quiconque n’a pas visité Plombières depuis une dizaine d’années, ne saurait le reconnaître aujourd’hui. La ville est complétement transformée. Au pâté de maisons biscornues, entre lesquelles, autrefois, se trouvait étreinte la route de Luxeuil, depuis l’hôtel de l’Ours jusqu’à la promenade des Dames, a succédé une rue nouvelle, conquise sur le granit, ornée de gracieuses maisons à balcons élégants.

L’ancienne église, malsaine, insuffisante et délabrée, a fait place à un monument religieux dans le style ogival du quatorzième siècle, où trois nefs s’ouvrent sur un vaste transept, terminé par un chœur pentagonal. Un triforium élégant règne sur toute la longueur de la grande nef, qui peut contenir 1 800 personnes. La tour, assise sur une base carrée, s’élargit au fur et à mesure de son élévation ; sa partie supérieure, octogonale, se termine par une flèche élancée, dont les arêtiers à crochets se découpent hardiment sur le ciel ; elle a 60 mètres de hauteur.

Derrière l’église on a construit une belle salle d’asile et un nouvel hôpital, qui contient quatre-vingts lits ; cinquante-cinq destinés à des malades civils, hommes et femmes ; vingt-cinq affectés aux malades militaires.

Il y a quelques années seulement, on eût vainement cherché un monument à Plombières ; il semblait que la nature ayant tout fait pour elle, l’art ne devait pas se préoccuper de l’embellir. Une seule maison aurait pu, tout au plus, fixer l’attention, c’est la maison des Arcades, où l’on avait installé jadis l’hôtel de ville, et qui sert aujourd’hui de logement à l’Inspection. Cette maison, d’un aspect grave et d’un assez grand air, fut bâtie en 1760, en l’honneur de Mesdames Adélaïde et Victoire de France. Sur sa façade, on a placé tout récemment l’écusson du roi Stanislas, qui surmontait la porte démolie de l’ancien hôpital. Sous les arcades qui soutiennent cette maison, et qui, en cas de pluie, offrent une sorte de petit promenoir, sont de modestes boutiques. Quelques personnes du pays appellent cette maison le Palais-Royal ; le nom est plus fastueux que la chose.

À l’est de la ville, assez près de la promenade des Dames, se trouve la mairie.

À l’autre extrémité de la ville, sur la route de Luxeuil, à deux pas de l’emplacement où s’élevait le château de Ferry III, est une autre maison officielle, la caserne de la gendarmerie, où demeurent les sept ou huit gendarmes qui suffisent aisément à maintenir l’ordre à Plombières, mais non à écarter la mendicité des promenades et des rues. Cette caserne surplombe la rue de l’Impératrice et le commencement de la route de Saint-Loup que l’on suit pendant quelques minutes pour arriver au bain Napoléon III, situé au sud-ouest, entre les dernières maisons de la ville et les constructions de l’ancienne tréfilerie.

La première pierre de ces nouveaux thermes a été posée le 22 juillet 1857. L’établissement offre un caractère vraiment monumental. Deux grands hôtels bâtis de chaque côté de cette construction et communiquant entre eux par une galerie, peuvent recevoir deux cents personnes qui trouvent là le logement, la table et le bain.

En face de ces hôtels, l’administration concessionnaire des thermes a dû accroître et restaurer un chalet élégant destiné à recevoir plusieurs familles. C’est l’ancien pavillon de Tivoli.

Tandis qu’on faisait un Plombières neuf, les propriétaires de l’ancien Plombières ont rivalisé de zèle ; ils ont agrandi leurs maisons, et meublé confortablement leurs appartements. Leurs tables d’hôte se sont améliorées ; les attentions et les soins si précieux aux malades se sont multipliés, et la vieille ville, tout en se perfectionnant, a conservé sa physionomie particulière.

Quand le ciel est pur et promet une belle journée, — au mois de juillet, par exemple, — la rue Stanislas, qui, à vrai dire, résume la ville tout entière, offre, entre onze heures et midi, un spectacle à la fois curieux, original et naïf. Les déjeuners sont terminés, les baigneurs (terme technique, autrefois on disait les baignants, c’était un barbarisme ; il y a progrès), les baigneurs sortent de la salle à manger et viennent prendre l’air sur les bancs de bois blanc placés à la porte de chaque maison. Alors, de tous côtés, surgissent les mendiants, les joueurs d’orgue de Barbarie, les montreurs de curiosités, et surtout et avant tout, les loueurs et les loueuses d’ânes, qui trônent, eux et leurs quadrupèdes, sur le pavé, sur les trottoirs, parfois même jusque sur le seuil des maisons, avec le sans façon qui appartient aux personnages indispensables. L’âne, en effet, joue un des premiers rôles à Plombières ; il est l’âme des parties de plaisir. Son allure tranquille, son pas assuré, sa patience et sa douceur inaltérable en font une créature d’une essence privilégiée, dans ce pays où tout plaisir est une promenade, toute promenade une ascension, toute ascension une occasion de cris de joie ou de témoignages d’impatience pour les enfants, les femmes et les malades, — les malades qui, sauf de bien rares exceptions, sont plus féminins que la femme, plus enfants que l’enfance.

Voyez, la caravane n’est pas encore prête ; mais, ne vous inquiétez pas, elle le sera bientôt. Les enfants ont donné le signal en enfourchant d’autorité les ânes les plus élevés, — ceux qui ressemblent le plus à des chevaux ; — ils font, à titre d’essai, le tour de la place, en attendant qu’il leur soit permis de commencer une entreprise plus sérieuse. Les mères ont d’abord protesté contre ces folies ; mais bientôt l’allégresse des bambins prend des proportions telles, leurs transports sont si bruyants, si sincères, qu’il n’y a plus à s’en défendre ; il faut les imiter. Les servantes attentives ont descendu le chapeau de paille aux larges bords ; les mamans s’en sont coiffées, et, l’ombrelle au poing, elles se sont mises en selle. Hourras de triomphe poussés par les enfants ; ils tapent leur âne à tour de bras : ils l’encouragent, ils le flattent, ils l’injurient, ils l’excitent. L’âne, ainsi houspillé, ne s’émeut pas ; mais comme au fond il est bonne personne, il fait semblant d’être ahuri, et tout à coup il part au très-petit trot pour reprendre, à une dixaine de pas, la démarche lente et sage d’un véritable philosophe.

Tant que les enfants et les mères ont été là, les maris sont restés sur le seuil des portes, causant, comme tout malade peut le faire, pluie, beau temps, politique et rhumatismes ; mais dès que la cavalcade a disparu, ils se dirigent vers le tir au pistolet, ou se rendent au salon, les uns pour organiser un whist, les autres pour lire les journaux ; celui-ci pour essayer son adresse au billard, celui-là pour fumer son cigare et déguster un moka — plus ou moins apocryphe — loin de l’œil du médecin.

Bien mieux, on se réunit au salon le dimanche matin pour tirer une loterie au profit des pauvres ; on y fait de la musique tous les soirs ; on y danse le dimanche et le jeudi, et de temps en temps la troupe de comédie du département vient y donner des représentations ainsi qu’aux thermes nouveaux.


Sur l’étymologie du mot Plombières.

Un scrupule nous arrête. Ne convenait-il pas de commencer par dire ce que peut signifier le mot Plombières ?

Dans certaines vieilles chartes, Plombières est appelée Plumières ; d’où dom Calmet conclut gravement que c’est parce qu’on fabriquait en ce lieu des vêtements brodés en plumes, ou que Plombières était renommée par ses plumassiers. « À moins cependant, ajoute le savant bénédictin, que l’ancien mot Plumières ne soit venu de l’usage qu’on a dans ce pays de plonger les volailles dans l’eau chaude, afin de les plumer plus facilement, ou
Le bain romain. — Dessin de H. Clerget d’après nature.
bien encore que Plombières ne soit une traduction tronquée de Palumbaria, formée de Palumbus, ramier. »

Dom Calmet a écrit sept ou huit volumes in-fo sur la Lorraine.

Un autre érudit non moins ingénieux rappelle qu’au moyen âge, le 1er mai, les jeunes filles décoraient de feuilles et de fleurs les bords de la piscine, et il s’écrie triomphalement :

« Ne voilà-t-il point l’étymologie toute trouvée ! Plombières, c’est Blumbers-Bad, le bain des fleurs ! »

Mais on lui répond : « Tout beau ! Vous faites un barbarisme ! il faudrait au moins écrire Blumen-Bad, et alors vous n’auriez que l’étymologie de Plomb, blume. Que deviendra bières ?

Un auteur plus sérieux dédaigne ces fantaisies et cherche l’étymologie dans la langue celtique « Plombières, dit-il, vient de plon, eau, et ber, chaude. »

Ce ne sont là que des suppositions ingénieuses. La vérité, paraît-il, est que le mot Plombières est d’origine romaine et vient de Plomb.

Les anciens distinguaient six espèces d’eaux médicinales : les eaux d’or, les eaux d’argent, les eaux de fer, les eaux d’airain, les eaux de cuivre et les eaux de plomb.

Or, au seizième et au dix-septième siècle, alors que la science était loin d’avoir acquis cette certitude d’expérimentation qu’elle possède aujourd’hui, on croyait que, dans la composition des eaux de Plombières, il entrait une certaine quantité de plomb.

C’est l’opinion de Fuchs ou Fuchsius, qui a publié, en 1542, une Histoire de toutes les eaux. C’est aussi celle de Bartolomeo a Clivolo Viotti, qui dit, dans son Traité des bains naturels, publié à Lyon en 1552 : « Il y a dans les montagnes de Lorraine des bains que l’on appelle Plumbers, voulant dire plombés, vraisemblablement à cause de la grande quantité de plomb qui s’y trouve. » Enfin Camerarius, recteur de l’umversité de Leipzig, qui, dans le seizième siècle, vint se traiter à Plombières des suites d’une chute, et vingt autre écrivains appellent les eaux de Plombières :

« Aquæ Plumbariæ, Plumbenæ, Plubenæ, Plumbinæ ou Plumberianæ. »


Montaigne et Voltaire à Plombières.

Il n’est peut-être pas inutile aussi de rappeler ce que quelques voyageurs illustres ont écrit sur Plombières. Voici deux témoignages, l’un, très-favorable, de notre bon vieux philosophe Montaigne, l’autre, qui ne l’est point, du philosophe de Ferney, que dom Calmet appelait « frère Voltaire[2]. » Le lecteur choisira, mais il sait à l’avance comme nous, que l’on doit toujours être satisfait de Plombières lorsqu’on s’y est bien porté et qu’on a eu le privilége d’y voir régner, pendant toute la saison, un beau temps inaltérable, de même qu’on en sort toujours mécontent lorsque l’on ne s’y est pas guéri de ses maux et que la pluie n’a pas cessé de vous y tenir en captivité dans une chambre d’auberge. L’impartialité n’a jamais été une vertu de la mauvaise humeur.

Montaigne dit, dans ses Essais, que parmi les bains qu’il a vus, « il donne la préférence à ceux de Plombières, où il y a le plus d’aménité de lieu, de commodité de logis, de vivres et de compagnie.

« Les logis n’y sont pas pompeux, mais fort commodes ; car ils font, par le service de force galeries, qu’il n’y a nulle subjection d’une chambre à l’autre.

« Ce lieu est assis sur les confins de la Lorraine et de l’Allemagne, dans une fondrière, entre plusieurs collines hautes et coupées qui le servent de tous côtés.

« Au fond de cette vallée naissent plusieurs fontaines tant froides naturelles que chaudes.

« L’eau chaude n’a ni senteur ni goût, et est chaude tout ce qui s’en peut souffrir au boire ; quant au being, il est de très-douce température et de vrai les enfants de six mois et d’un an sont ordinairement à grenouiller dedans. Il y a plusieurs beings, mais il y en a un grand et principal, bâti en forme ovale, d’une ancienne structure ; les places y sont distribuées par les côtés avec des barres suspendues à la mode de nos équiries, et jette-on des ais par le dessus pour éviter le soleil et la pluie ; il y a autour trois ou quatre degrés de marches de pierre à la mode d’un théâtre, où ceux qui se baignent peuvent être assis ou appuyés. On y observe une singulière modestie, et il est indécent aux hommes de s’y mettre autrement que tout nuds sauf un petit braie, et les femmes sauf une chemise.


Église et place de Plombières. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

« Les hôtesses y font très-bien la cuisine. Nous logeâmes à l’Ange ; tout le logis, où il y avait plusieurs chambres, ne coûtait que quinze sous par jour, la nourriture des chevaux à sept sous.

« Nous partîmes et passâmes un pays montagneux qui retentissait partout sous le pied de nos chevaux, comme si nous marchions sur une voûte, et semblait que ce fussent tambourins qui tabourdassent autour de nous. »

Voltaire tient un tout autre langage :

Du fond de cet antre pierreux,
Entre deux montagnes cornues,
Sous un ciel noir et pluvieux,
Où les tonnerres orageux
Sont portés sur d’épaisses nues,
Près d’un bain chaud, toujours crotté,
Plein d’une eau qui fume et bouillonne,
Où tout malade empaqueté
Et tout hypocondre entêté
Qui sur son mal toujours raisonne,
Se baigne, s’enfume et se donne
La question pour la santé ;
Où l’espoir ne quitte personne :
De cet antre où je vois venir
D’impotentes sempiternelles
Qui toutes pensent rajeunir ;
............
Où par le coche ou nous amène
De vieux citadins de Nanci,
Et des moines de Commerci,
Avec l’attribut de Lorraine
Que nous rapporterons d’ici :
De ces lieux ou l’ennui foisonne,
J’ose encore écrire à Paris…

Notez que, lorsqu’il écrivit ces vers, Voltaire était souffrant, et de plus très-irrité contre le roi de Prusse et contre Maupertuis.


Sources et bains.

Arrivons aux sources minérales et aux établissements thermaux.

Il existe à Plombières trois espèces d’eaux : l’eau ferrrugineuse, l’eau savonneuse et l’eau thermale. Elles émergent de roches granitiques très-feldspathiques, entrecoupées de fentes verticales ou obliques, remplies quelquefois de gros cristaux de quartz ou de terre blanche rosée, plus rarement noire et tachetée de fer oligiste (silicate calcaire). C’est de cette matière, designée par les minéralogistes sous le nom d’halloysite, douce au toucher comme le savon, que les eaux froides qui traversent ces roches ont tiré leur dénomination d’eaux savonneuses.


Vue générale de Plombières — Dessin de H. Clerget d’après nature.

Autrefois, les sources thermales étaient au nombre de quinze ; toutes servaient à l’alimentation des établissements de bains ; celle des Dames et du Crucifix, la ferrugineuse et les savonneuses étaient en outre employées, comme elles le sont encore, en boisson ; mais, depuis 1856, le régime des eaux a subi des modifications radicales.

L’affluence croissante des baigneurs exigeait qu’on s’assurât exactement de la richesse des sources, qu’on augmentât leur débit, s’il était possible, et qu’on remontât jusqu’à leur origine, de façon à les enchambrer dans les conditions les plus favorables à leur conservation. De grands travaux ont été exécutés pendant le cours de cinq années, avec une rare persévérance et une parfaite habileté, par M. l’ingénieur Jutier.

Il a fallu creuser et fouiller tantôt à travers des massifs de substructions antiques, tantôt au sein de la roche elle-même, quelquefois en s’avançant, non sans danger, dans le sol sur lequel des maisons se trouvaient assises. Cette recherche de sources, la plupart inconnues, sinon toutes, devait nécessairement en modifier quelques-unes, en faire disparaître quelques autres et en déceler de nouvelles. C’est ce qui arriva ; mais tout avait été si sagement conduit, que le rendement total des sources minérales qui n’était, autrefois, en réalité, que de 346 mètres cubes en vingt-quatre heures, est aujourd’hui de 665 mètres cubes, non compris les sources à faible température.

Les établissements de bains sont au nombre de six : le bain Romain, le bain des Dames, le bain Impérial, le bain Tempéré, le bain des Capucins et le bain Napoléon III ou les Nouveaux thermes.


Le val d’Ajol vu de la Feuillée-Dorothée. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

Le bain Romain, situé au milieu de la chaussée de la rue principale de la ville, portait autrefois le nom de bain des Pauvres, de Grand-Bain, de Vieux-Bain. Il est aujourd’hui entièrement neuf ; mais comme il a été formé des restes d’un bain antique qu’on suppose de construction romaine, on lui a donné la dénomination qu’il porte actuellement. C’est une sorte d’étage demi-souterrain, qui ne manque pas d’une certaine élégance ; il est surmonté d’une vitrine en forme de dôme oblong ; on y descend par deux escaliers de sept à huit marches, placés à chacune de ses extrémités orientale et occidentale. Il consiste en cabinets parallèlement rangés des deux côtés d’un beau vestibule dont le pavé, en marbre des Vosges, est à volonté chauffé par un réservoir d’eau chaude, ce qui fait de cet établissement un lieu de réunion et de promenade agréable quand le temps est froid et pluvieux.

Le bain des Dames, situé sur la rive gauche de l’Eaugronne, tire son nom de l’ancienne et célèbre abbaye des Dames nobles de Remiremont, dont il était autrefois la propriété. Mais il paraît qu’au commencement de ce siècle on l’appelait, comme nous l’avons dit, le bain de la Reine. Antérieurement il avait porté le nom de bain de Diane, et l’on voyait encore en 1576, au-dessus de la source, dans la muraille, l’image de la déesse.

Le bain le plus fréquenté de Plombières est celui qu’on nomme Tempéré, à cause de la présence de tuyaux qui permettent d’en régler la température plus facilement que dans les piscines romaines où les eaux se rendaient toujours directement (Jutier). Commencé en 1773 et restauré en 1832, il a porté autrefois le nom de bain Neuf, et aussi, pendant quelque temps, celui de bain Républicain.

Du bain Tempéré, on arrive, en traversant un petit passage voûte, à l’établissement qu’on nomme aujourd’hui bain des Capucins, ancienne dépendance d’un couvent de Capucins situé en face de l’emplacement qu’il occupe.

En face des deux bains précédents, dont il n’est séparé que par la rue, existe un autre établissement dont la construction commencée sous l’Empire fut achevée sous Louis XVIII. C’était alors le bain Royal, ou bain Neuf. Il est devenu plus tard le bain National ; enfin, il porte aujourd’hui le nom de bain Impérial. C’était, il y a quelques années, le plus considérable des établissements de Plombières.

Dans un petit pavillon attenant à cet établissement, se trouve une pièce appelée le bain des Princes ; elle renferme deux vastes baignoires de forme antique, pratiquées en contre-bas du sol, revêtues de marbre des Vosges, et construites pour l’impératrice Joséphine.

Enfin les nouveaux thermes Napoléon sont situés, comme nous l’avons déjà indiqué, à l’ouest de Plombières, sur la route d’Aillevillers, dans un charmant vallon, orné de bosquets et de promenades, à deux pas du parc de l’Empereur. Une galerie de sept mètres de largeur, comprenant toute la hauteur de l’édifice sur 55 mètres de longueur, chauffée par les eaux thermales mises en circulation dans des hypocaustes sous le dallage en marbre du sol, donne accès à tous les cabinets du rez-de-chaussée et du premier étage.


La nouvelle feuillée du val d’Ajol. — Dessin de H. Clerget d’après nature.


Promenades : La route de Luxeuil. — La ferme Jacquot. — La route d’Épinal. — Notre-Dame de Plombières. — Bellevue. — La route de Saint-Loup. — La fontaine Stanislas. — La pierre Corraude. — La Promenade des Dames. — Le Calvaire. — La fontaine du Renard. — Le Moulin-Joli. — La fontaine Guizot.

Mais c’est assez parler ici des bains. Sur les propriétés médicales des eaux de Plombières, sur la cure, etc. nous renvoyons aux Guides[3], ou, ce qui est encore plus sûr, aux médecins de la localité. Ce n’est pas là notre affaire, et nous préférons, après avoir donné une esquisse générale de Plombières, conduire nos lecteurs dans ses environs. Peu de villes de bains sont entourées d’un plus charmant paysage.

Ne voulez-vous faire d’abord qu’une promenade à peu de distance, redoutez-vous la fatigue ? Contentez-vous de monter la belle route de Luxeuil.

À peine y avez-vous fait quelques pas que vous apercevez à votre gauche une ferme d’un aspect tout à fait pittoresque ; c’est, sous le nom de la ferme Jacquot, une charmante villa. Suivez le sentier garni de beaux arbres qui, presque vis-à-vis les thermes Napoléon, se détache de la route ; entrez dans le jardin dont la porte hospitalière est ouverte pour tous ; nul ne trouble votre promenade, et vous pouvez en toute sécurité parcourir dans tous les sens les allées si habilement superposées les unes aux autres, admirer les mouvements de terrain si bien entendus, les berceaux qui s’élèvent d’étage en étage jusqu’au sommet de la montagne, le bois plein de fraîcheur qui s’étend à mi-côte, la belle allée de charmille, et enfin la magnifique vue qui embrasse Plombières et toute la vallée.

La route de Luxeuil, que le soleil frappe de ses rayons pendant la plus grande partie du jour, est une promenade du soir. Il n’en est pas de même de la route d’Épinal, qu’on appelle aussi la route du Nord ; c’est dans la journée qu’elle est le plus fréquentée. À peine les promeneurs sont-ils arrivés à mi-côte qu’ils quittent cette route pour s’engager, à droite, dans un sentier rapide, pierreux, étroit et difficile, qui conduit à la terrasse de la Vierge, ornée d’un petit kiosque et de la chapelle Saint-Joseph, et d’où l’on domine la ville. Chaque soir, quand la nuit commence à s’étendre sur Plombières, on voit, de la profondeur des rues, un rang de lumières scintiller devant la statue de Marie. Un peu au-dessus on rencontre un autre sentier horizontal qui mène à un petit bois de sapins, d’où le paysage est si beau et si étendu qu’à juste titre cet endroit a été surnommé Bellevue.

Si vous vous dirigez à l’ouest, en suivant la rue de la Préfecture, du côté de la route d’Aillevillers, vous vous trouvez bientôt sur une petite promenade couverte de tilleuls et de frênes. Là, deux fois par semaine, se réunit l’orchestre. À droite de l’allée d’arbres, on a construit des baraques assez laides, il est vrai, mais dans lesquelles on a accumulé une foule de produits, broderies, cristaux, curiosités, jeux de toupie Hollandaise, qui retiennent agréablement les promeneurs.

De là, si vous franchissez le bain et les hôtels Napoléon, vous arrivez au parc des hôtels, dessiné à l’anglaise, qui embrasse la vallée dans son plus grand élargissement. — Les allées y sont nombreuses, les unes conduisent au lac, les autres vous ramènent à la route latérale que vous venez de quitter ; — la principale vous dirige vers les bois de la fontaine Stanislas. — Toutes ces allées vous permettent une grande liberté, soit que vous désiriez fuir le monde, soit que vous recherchiez la société ; mais, quel que soit votre goût, ne quittez pas le parc sans vous arrêter un instant devant un amas de roches fragmentées, d’aspect sauvage, que les gens du pays appellent des meurgères ou des murjets et que les savants nomment moraines, — vous en trouverez plusieurs échantillons épars dans vos promenades.


La vallée des Roches. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

Une fois engagé dans les allées couvertes du bois qui termine le parc, vous arriverez, après une marche de quinze à vingt minutes, sur un petit plateau au-dessus duquel projette ses rameaux le vieux chêne qui ombrage le petit filet d’eau qu’illustre le nom du bon roi. — Vous êtes à la fontaine Stanislas. De ce plateau, on jouit d’un panorama qui sans doute ne vaut pas celui de Bellevue, mais mérite cependant qu’on s’y arrête.

Si l’on redescend de la fontaine Stanislas sur la route d’Aillevillers, ou se dirige vers la pierre Corraude. L’aspect de cette pierre, que l’on croit d’origine druidique, est réellement étrange. Elle est haute de six mètres ; son sommet à trois mètres soixante-sept centimètres de longueur ; sa base, qui a plus de six mètres de tour, repose sur un pivot de soixante-six centimètres carrés.

Il y a non loin de la fontaine Stanislas un village nommé Ruaux.

Suivant la tradition, Ruaux était autrefois une ville, et cette ville n’était habitée que par des fous. Les fées couvraient d’une protection particulière cette population d’insensés. Aussi avaient-elles résolu de bâtir un château fort destiné à préserver de toute attaque le village des innocents. L’emplacement qu’elles avaient choisi était une éminence située dans la forêt dite Fays. (Ce point, si on en croit les hommes de l’art, est tout justement un point stratégique de la plus haute importance ; les fées avaient devancé Vauban.) Le château devait être bâti en une seule nuit ; c’était une condition imposée aux fées et qui n’était pour elles le sujet d’aucune inquiétude, tant elles étaient habiles. Mais, ou la besogne était plus longue que ces bonnes ouvrières ne l’avaient supposé, ou quelque puissance supérieure, un mauvais génie sans doute, avait des motifs pour s’opposer à ce que


Le nouveau parc de Plombières près des nouveaux thermes. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

Ruaux fût fortifié, car les fées furent surprises par les

premiers rayons de l’aurore, avant qu’elles eussent mis fin à leur ouvrage. Artistes de nuit, elles frissonnèrent devant le jour qui paraissait, laissèrent tomber les pierres qu’elles portaient dans les plis de leurs robes noires, tachetées de feux follets, et, comme de vaines ombres, elles disparurent. Depuis lors, le château bien connu dans le pays sous le nom de Château des Fées, est resté inachevé. On aperçoit encore d’immenses blocs de pierre semés à l’abandon, dans les environs du Château ; ce sont les matériaux qu’apportaient les fées, quand les lueurs naissantes du matin vinrent les interrompre.

Selon l’histoire, il est possible que le village de Ruaux ait été une ville, plusieurs titres anciens lui donnent cette qualification ; un champ voisin se nomme encore le champ du Marché ; un long espace de prés s’appelle la rue Ancienne ; on a découvert sur le territoire qu’occupe le village plusieurs tombeaux en pierre, avec des armoiries, des inscriptions, etc., etc.

À l’est, du côté de la route de Remiremont, on remonte la promenade des Dames. Elle doit son nom, selon les uns, aux dames de France Mesdames Adélaïde et Victoire de France, filles du roi Louis XV, petites filles du roi Stanislas, en l’honneur desquelles celui-ci l’avait créée, et, selon les autres, à l’habitude qu’avaient les dames du chapitre de Remiremont de venir s’y promener.

Au bout de la promenade des Dames s’élève un établissement industriel qui a éprouvé des fortunes diverses. Ce fut, dans l’origine, une papeterie. Beaumarchais y fit fabriquer le papier destiné à l’édition de Voltaire, connue sous le nom d’édition de Kehl. Le Moniteur s’y approvisionna. Puis la papeterie fut remplacée par une manufacture de porcelaine qui se transforma en une poterie que dévora un incendie. De nos jours on y a créé une usine dans laquelle on a d’abord fabriqué des instruments aratoires. Aujourd’hui on y fait des couverts en fer et des ustensiles de cuisine.

Arrivés là, nous avons devant nous une masse de rochers et de montagnes entrecoupés de ravins, couverts de vieux arbres et décorés d’un rideau de verdure ; dans ce rideau s’ouvrent çà et là des jours qui nous séduisent et des sentiers aux contours sinueux qui semblent nous inviter à pénétrer avec eux dans les gorges dont ils vont entr’ouvrir les profondeurs.

Au premier plan domine le Calvaire, rocher à pic au sommet duquel une plate-forme a été pratiquée par la main de l’homme. On y a dressé une colonne d’ordre dorique, surmontée d’une croix en pierre, dont la simplicité rustique n’est pas sans caractère.

Au pied du rocher est la route de Remiremont, qui, pour atténuer l’aspérité de la côte qu’il lui faut gravir, se rapproche de l’Eaugronne et en remonte la pente en l’adoucissant par des courbes multipliées.

Un joli sentier se détache de la route et court, en serpentant, sur le flanc de la montagne. Il monte à la fontaine du Renard. On appelle ainsi une source encaissée dans un carré long d’un peu plus d’un mètre. L’eau de cette source est d’une limpidité de cristal.

Un autre point, également à l’est de Plombières, que l’on visitait beaucoup, il y a quelques années, et que l’on néglige aujourd’hui, est le Moulin-Joli.

Pour y arriver, on remonte le ruisseau Saint-Antoine, et après un quart d’heure de marche on parvient à un moulin ou l’on assure que l’impératrice Joséphine allait souvent se reposer. Sur le chemin on rencontre une modeste fontaine consacrée à la mémoire de Mme Guizot, et une scierie mécanique assise au bord du ruisseau Saint-Antoine, dans un site agreste.


La Feuillée-Dorothée. — Qu’est-ce qu’une feuillée ? — La vue du val d’Ajol. — Qu’est-ce que Dorothée ? — Une visite au val d’Ajol. — Laitre. — La vallée des Roches. — L’abbaye d’Hérival. — Les curiosités qu’on peut y voir. — Excursion à Saint-Loup. — L’horloge. — Les forges de la Sémouse. — Bellefontaine. — Retour par la route d’Épinal.

Parmi les promenades un peu plus lointaines, il en est deux qui jouissent d’une telle célébrité qu’aucun baigneur ne peut guère se dispenser de les visiter : l’une est la Feuillée-Dorothée, l’autre est le val d’Ajol.

Le chemin de la Feuillée-Dorothée est des plus faciles : on monte la route de Luxeuil, en appuyant toujours à gauche, jusqu’au moment où l’on aperçoit un poteau indicateur portant ces mots : Chemin de la Feuillée-Dorothée ; on suit cette direction, et on va droit devant soi, dans un chemin ombragé, jusqu’à ce qu’on rencontre la maisonnette de Dorothée. Au reste, cette modeste demeure est si connue que le premier enfant venu vous montrera le chemin de l’ancienne feuillée.

Presque tous les baigneurs s’imaginent que par feuillée on doit entendre une sorte de salle de verdure, dessinée et plantée avec une certaine symétrie, ayant des rangées d’arbres pour murailles, des branches pour charpentes, un épais feuillage pour dôme et pour décoration. Tel est, en effet, la signification actuelle du mot. Aussi, lorsque arrivés à la Feuillée-Dorothée, les visiteurs n’aperçoivent qu’une maisonnette que personne sans doute ne songerait à remarquer, sans le panorama qui se déroule à ses pieds, on se demande où est la feuillée, c’est-à-dire la salle de verdure ; et comme, à l’exception de quelques arbres plantés çà et là, un peu à l’aventure, la Feuillée-Dorothée est médiocrement feuillue, es visiteurs se croient aux prises avec une charade dont ils cherchent en vain le mot. Il est cependant bien simple. Au temps jadis, les promenades un peu longues se faisaient à l’aide de chars traînés par des bœufs ; et pour se garantir des ardeurs du soleil, les promeneurs établissaient au-dessus du char une toiture en feuillage ou en feuillée. Alors une partie de plaisir, une course dans la campagne était une feuillée. Or, comme depuis vingt-cinq ou trente ans une visite à la demeure de Dorothée est pour tout baigneur une promenade obligée, une partie de campagne voulue par l’usage, il suit de là que, depuis vingt-cinq ou trente ans, cette demeure se nomme la Feuillée-Dorothée.

Le charme de cette demeure est qu’elle domine le val d’Ajol, vallée ravissante que l’on a comparée à la fameuse vallée d’Argelez sur le Gave d’Azun, dans les Hautes-Pyrénées.

« Sur la droite, au couchant, dit M. Friry, ces lignes bleuâtres appartiennent à la Comté et à la Bourgogne ; là se lève la côte Saint-Valbert, et plus loin celle d’Aigremont. C’est au pied de cette dernière qu’Arioviste, l’ami du peuple romain, mais le rival malheureux de César, perdit tout espoir d’établissement dans les Gaules, deux de ses femmes et 80 000 de ses compatriotes, géants moissonnés par l’intelligence d’un homme et la discipline d’un peuple conquérant.

« En face et par delà le val d’Ajol et sa rivière argentine, voici les gorges d’Outremont, les hauteurs du Fraiteux, de la Racine, cultures, landes et taillis qui nous cachent la rivière du Breuchin, la ville de Faucogney et ses retraites où s’éleva, pendant quinze ans, le camp barbare des compagnons du même Arioviste, lieux à jamais célèbres par la défaite des Éduens et la perte de leur noblesse, de leur sénat, et encore plus par le séjour de Colomban, le saint convertisseur des Vosges.

« À gauche, il ne faut pas chercher de lointains horizons. Le monastère ou archiprieuré d’Hérival se cache dans une reculée de la gorge qui longe la montagne dentelée de la Vêche. Celle-ci, celles de Faymont, du Champ-Carré ou de Chèvre-Roche, sont les obstacles qui nous cachent la chrétienté, la terre Saint-Pierre de Remiremont. »

Est-il absolument nécessaire de voir l’hôtesse de la feuillée, la bonne femme célèbre sous le nom de Dorothée ? — Non, sans doute, mais si l’on s’en allait de Plombières sans avoir rendu visite à Dorothée, on s’exposerait à passer pour un original.

Dorothée est une bonne vieille femme qui joue de l’épinette et fait des vers. Elle est avenante. On la dit d’une bienfaisance rare. Sa maison est petite, mais d’une charmante propreté. On y trouve un album où les voyageurs écrivent à tort et à travers leurs impressions. Ne disons rien de plus de cette excellente personne qu’il serait honteux de vouloir célébrer pompeusement : on cède souvent avec trop de facilité à la mauvaise inspiration de flatter ironiquement son talent poétique : cela n’est ni généreux, ni spirituel. À quiconque la visite, elle offre son lait, son pain, son kirsch, ses fleurs. Si on accepte cette hospitalité sans la payer, Dorothée ne réclame pas ; si sur la table de bois blanc on dépose quelque pièce blanche, Dorothée remercie avec effusion : on vient de lui fournir les moyens de consoler quelque misère, de soulager quelque infirmité.

En revenant de la Feuillée-Dorothée on a généralement le désir d’aller voir de près le val d’Ajol. On doit alors rejoindre le chemin qui conduit à la Nouvelle-Feuillée, établissement rival de celui de Dorothée, puis on descend la route fort rapide qui, de ce point, mène jusqu’à Laitre.

Laitre, qu’on désigne très-souvent et à tort sous le nom de val d’Ajol est le centre du val. C’est un gros village avec église, écoles publiques, maison de ville, étude de notaire, etc., etc. Il est de construction élégante, et la rivière qui le baigne, la Combeauté, met en mouvement un grand nombre d’usines.

Les habitants, que certains auteurs font descendre d’une de ces anciennes colonies espagnoles qui, de 783 à 844, vinrent s’établir en France, sont cordonniers, tailleurs, sabotiers, menuisiers, boulangers ; presque tous savent sculpter le bois et la pierre. Un d’eux même fait des pianos.

Pour revenir du val d’Ajol à Plombières, il faut passer par Faymont, où l’on remarque une cascade et plusieurs scieries mécaniques mises en mouvement par la Combeauté.

De Faymont on traverse la vallée des Roches, dont l’aspect presque sauvage, les bois sombres, les rocs suspendus au-dessus des eaux et les gorges solitaires forment avec le riant vallon qu’on vient de quitter, un contraste qui a son charme ; puis on arrive à l’antique abbaye d’Hérival, qui, pour nous servir d’une expression empruntée à M. Friry, est « un des rameaux les plus curieux du grand institut colombaniste de Remiremont. »

Le fondateur de l’abbaye fut un saint personnage, natif des Vosges, nommé Engibaldus, qui, l’an 1057, bâtit en un lieu très-âpre, très-stérile, qu’on appelait Aprevaux (aspera vallis, hyrea vallis, d’où Hérival), une petite église en l’honneur de Dieu, de la vierge Marie, de Monsieur (sic) saint Jean-Baptiste et de saint Nicolas, avec un cloître, un dortoir et un réfectoire. « Il ne voulut avoir, dit Sébastien Valdenaire, cloches, orgues ne chanterie, n’y autres pour dire messe, alléguant qu’il suffisait de recevoir la sainte eucharistie spirituellement, et que pourtant il fallait s’en abstenir, comme aussi de dire heure canonique vocalement, etc. »

Plus tard, la règle du monastère d’Hérival fut un mélange des règles de saint Colomban, de saint Benoît et de saint Augustin. Elle était fort rigoureuse.

La révolution de 1789 ferma l’abbaye. Les bâtiments ont disparu. Ils ont été remplacés par une ferme dont le propriétaire est l’un des descendants de l’ancienne famille Fleurot. On y fait voir aux curieux un squelette qui, dit-on, est celui du dernier moine du couvent. On montre aussi un morceau d’une peau dans laquelle on a ménagé des yeux et une bouche, c’est-à-dire des trous pour figurer ces ouvertures. On affirme que cette peau recouvrait autrefois le squelette du pauvre moine. Par malheur la peau de l’homme s’imite difficilement ; cette peau est une simple peau de veau.

Il y a mieux que cela à faire à Hérival : c’est d’y prendre une collation de lait, de cerises, et de kirsch. Il y a mieux aussi à y voir : quelques femmes de la localité, qui passent avec leurs enfants, sont réellement belles ; leurs traits sont distingués et semblent rappeler une noble race.

D’Hérival on revient à Plombières par le Moulin-Joli.

Une autre promenade qu’on fait encore à âne ou en voiture est celle de Plombières aux forges de la Sémouse. On sort de Plombières par la route dite de Saint-Loup. On arrive à Aillevillers, et là, comme on est à une très-courte distance de Saint-Loup, on pousse jusqu’à cette bourgade pour visiter un paysan qui a appris seul l’horlogerie, a fabriqué l’horloge de la cathédrale de Besançon et a inventé, dans ses moments perdus, des réveils-matin d’une simplicité admirable, des compteurs pour les voitures de place, etc.

Cette visite terminée, on quitte Saint-Loup, on revient sur ses pas, on repasse par Aillevillers, puis on se dirige vers la belle vallée de la Sémouse, sur le chemin de laquelle se trouvent des forges considérables, dont les propriétaires sont pleins de courtoisie à l’égard des touristes ; il suffit qu’un étranger demande à visiter leurs usines pour qu’il en voie s’ouvrir immédiatement devant lui les portes hospitalières.


Cascade de Faymont. — Dessin de H. Clerget d’après nature.


Après qu’on a parcouru les forges, on remonte en voiture et l’on revient à Plombières par la route d’Épinal, d’où vous apercevez le clocher de Bellefontaine. Ce riche village, autour duquel se groupent des moulins à farine, des forges, des étangs très-poissonneux, a une superficie qui dépasse 15 hectares ; il doit son nom à une fontaine limpide et charmante située dans un pré au bas de l’église ; autrefois ou attribuait à son eau quelques propriétés médicales. Les eaux de Plombières ont fait oublier les vertus de l’eau de Bellefontaine.

Quand on va voir ce village, ce n’est plus pour sa fontaine, c’est pour son église, dont la construction remonte aux premières années du onzième siècle.

La rentrée à Plombières se fait par la rampe de la route d’Épinal, autrefois impossible, mais dont le roi Stanislas a fait adoucir la pente. De cette rampe, on jouit du coup d’œil le plus pittoresque ; on a sous ses pieds Plombières, ses coteaux, ses jardins suspendus, ses prairies égayées par quelques maisonnettes rouges ; en un mot, l’admirable panorama dont on jouit du haut de Bellevue.


Excursion à Remiremont. — Le Saint-Mont. — Le Pont des Fées. — Le Calvaire. — Industrie de Remiremont.

De Plombières à Remiremont, on compte environ treize kilomètres. C’est déjà un petit voyage, surtout pour les baigneurs qui ont hâte de prendre, sans interruption, le nombre sacramentel des bains et des douches.

Après avoir suivi quelque temps les hauteurs qui séparent Plombières de Remiremont, on arrive à leur versant nord-est, d’où l’on aperçoit cette dernière ville, au milieu de belles prairies sillonnées par de nombreux cours d’eau qui vont se réunir à la Moselle, dont les eaux vives et transparentes animent ce charmant vallon. Au fond du tableau se développe une ceinture de montagnes ornées de beaux arbres, parmi lesquels domine le sombre feuillage du sapin.

La ville de Remiremont, dit M. Friry, bâtie sur les bords d’un vaste amphithéâtre, s’abrite humblement, mais non sans grâce, dans l’intervalle spacieux qui sépare deux montagnes ; elle est défendue au nord, du côté de la plaine, par des amoncellements de terre et de sable, connus dans le pays sous le nom de rangs ou tertres, et qui simulent de loin une sorte de fortification à la moderne. Il est difficile d’imaginer un lieu qui respire à un égal degré le calme et le bonheur de la retraite.

Autrefois, Remiremont était protégé par une muraille au pied de laquelle s’étendait un large fossé ; aujourd’hui la muraille a disparu et le fossé est remplacé par de jolis jardins. Régulièrement bâtie, elle est percée de rues bien tracées, où de nombreuses fontaines entretiennent une propreté remarquable. La rue principale, qui conduit à la place ou s’élèvent l’église abbatiale et le palais de l’abbesse, doit aux arcades massives qui la bordent de tous côtés (disposition architecturale qu’on retrouve dans la plupart des anciennes villes lorraines) un caractère sinon monumental, du moins original et tout à la fois un peu sévère, qui convient bien aux souvenirs historiques que rappelle le nom de Remiremont. Le long de cette rue coule un ruisseau d’eau vive que l’hiver grossit assez parfois pour qu’on ait dû border la voie publique de trottoirs assez élevés. À son extrémité, en tournant un peu vers la droite, on rencontre une jolie place, plantée d’une double rangée d’arbres, et sur un des côtés de laquelle fait façade l’ancienne église du Chapitre Noble.

À côte de l’église, et la joignant presque à angle droit, s’élève le palais abbatial, construit en 1750 par le duc Léopold sur l’emplacement de l’ancien hôpital et de l’hôtel de l’abbesse.

On doit aller ensuite au Saint-Mont, qui entendit les premières prières et vit les premières épreuves des religieuses de Remiremont.


Saut de la Cuve. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

On suit, pour s’y rendre, la route de Gérardmer, et après avoir traversé la Moselle et cheminé sur une chaussée bordée d’arbres qui coupe la prairie, on atteint, à environ trois kilomètres de la ville, la base du Saint-Mont, qui, s’il n’était célèbre par les souvenirs qui s’y rattachent, le serait assurément par sa situation pittoresque. Comme toutes les montagnes des Vosges, il est principalement planté de sapins entremêlés de bouleaux et de hêtres. Sous leurs ombrages, et surtout vers les pentes inférieures, s’étendent des pelouses d’un gazon épais, percé ça et là de roches granitiques autour desquelles se plient et se replient les sentiers qui mènent jusqu’au sommet. Le flanc gauche du mont est sillonné de cours d’eau qui, selon la saison et les besoins des exploitations agricoles, tantôt s’élancent en cascades, tantôt s’échappent en légers filets. À ses pieds, le paysage est vivifié par d’actives usines, par quelques maisons de campagne élégantes, et par des fermes ou granges, dont la plus considérable, la grange de Miremont, mérite d’être visitée. Parvenu au sommet de la montagne, qui s’élève à 675 mètres, on a une magnifique perspective du vallon de la Moselle. Dans la direction du midi s’étagent au loin les cimes vaporeuses des ballons d’Alsace et de Servance ; puis, après avoir suivi le cours de la Moselle et les lignes brillantes que forment les ruisseaux qui viennent mêler leurs eaux aux siennes, le regard vient se reposer sur Remiremont. De l’autre côté, au delà d’une hauteur où saint Arnould, évêque de Metz, vint, sur la fin de sa vie, chercher une retraite, se déploie un horizon de verdure formé par la forêt de Fossard.

Du haut du Saint-Mont, l’œil embrasse tous les lieux illustrés par les saints anachorètes qui ont fondé la communauté religieuse de Remiremont.

« Belle petite ville, disent les notes de voyage de Montaigne, et bon logis à la Licorne, car toutes les villes de Lorraine ont des hôtelleries autant commodes et le traitement aussi bon qu’en nul endroit de France. Là est cette abbaye de religieuses de la condition de celles que j’ai dit de Poussai[4]. Elles prétendent, contre M. de Lorrene, la souveraineté et la principauté de cette ville. MM. d’Estissac et de Montaigne les furent voir soudain après être arrivés, et visitèrent plusieurs logis particuliers qui sont très-beaux et très bien meublés.

« Ils apprindrent que certains villages voisins leur doivent de rente deux bassins de nège tous les jours de Pentecauste ; et en faute de ce, une charrette attelée de quatre bœufs blancs : ils disent que cette rente de nège ne leur manque jamais. Elles n’ont qu’un voile blanc sur la tête, et au-dessus un petit happin de crêpe. Les robes, elles les portent noires, de telle façon et étoffe qui leur plaît, pendant qu’elles sont sur les lieux ; ailleurs de couleur. Les cotillons à leur poste et escarpins et patins : coëffe au-dessus de leur tête comme les autres. La compagnie de ces dames nous donna procuration de leurs affaires à Rome… Au partir de là, nous suivîmes longtemps un très beau et très plaisant vallon cotoyant la rivière de Moselle, et vinsmes disner à Bossan (Bussang). »

Après cette halte au Saint-Mont, on se dirige vers le pont des Fées et l’on va visiter l’emplacement de l’ermitage de saint Arnoult. On entre ensuite dans la forêt de Fossard. Dans une clairière voisine de la fontaine de Saint-Sabine, on rencontre d’abord deux grands monolithes : le Fardeau de Saint-Cristophe et la pierre Kerlinkin, qui se dressent comme deux pyramides tronquées, au milieu d’une enceinte d’arbres. Un peu au delà on atteint le groupe pittoresque de la Roche-du-Thin, qui surmonte des pentes abruptes et boisées descendant jusqu’à la Moselle. Du haut de cet amas de rochers, entassés dans un magnifique désordre, se déploie une perspective immense, qui comprend au nord tout le pays d’Épinal, et au sud le sauvage et beau vallon de la Mhause.


Excursion à Gérardmer. — Le Saut de la Cuve. — Vagney et ses perles. — Le Saut du Bouchot. — Gérardmer. — Les lacs. — Le Saut des Cuves. — La Pierre de Charlemagne. — Le Honneck et ses habitants. — La vallée de Granges.

Une des excursions les plus intéressantes qu’offrent les Vosges pour la beauté et la variété des sites, est sans contredit le voyage de Gérardmer ; mais c’est un voyage qu’on ne peut faire en moins de deux journées. Par une belle matinée, on suit la route de Remiremont. Au sortir de cette ville, on entre dans la vallée de la Moselotte, qui conduit, en laissant le Saint-Mont et Celles sur la gauche, au petit village de Saint-Amé, où l’on fait une première halte. À quelques pas se trouve une jolie chute d’eau appelée le Saut de la Cuve, qui ouvre la série des charmants aspects qu’on verra se succéder presque sans interruption jusqu’au Honneck.

En cheminant encore le long de la Moselotte, on arrive à Vagney, bourg important de l’ancien duché de Lorraine, autrefois chef-lieu d’un ban considérable, et dont les premiers titres remontent a 1147.

On exploitait autrefois à Vagney des gisements de grenat, de porphyre et de calcédoine, actuellement abandonnés.

On traverse Vagney et Sapois : au delà de ce dernier village, le bruit des eaux annonce le Saut du Bouchot, une des cascades les plus remarquables des Vosges ; lorsque les eaux sont abondantes, elles se précipitent en un seul jet d’une hauteur de plus de plus de 40 mètres. Moins fortes en été, elles se brisent en deux chutes, l’une de 17, l’autre de 27 mètres, contre les rochers, d’où elles rejaillissent en écume et en paillettes étincelantes, pour recommencer bientôt après à couler calmes et inaperçues.

Depuis Remiremont, la route suit le fond de la vallée, tantôt bordée de vertes prairies, tantôt resserrée entre des blocs de granit ; elle s’élève constamment à partir de Rochesson, petit village à 23 kilomètres de Remiremont, aux deux tiers environ de la distance entre cette ville et Gérardmer.

En arrivant au point culminant de la montagne, on embrasse l’ensemble de la vallée où est assis Gérardmer ; elle forme un assez large bassin encadré par l’horizon bleuâtre et onduleux des montagnes, coupé de forêts, de rochers, de prairies, qu’accidentent de pittoresques habitations, et terminé par un lac silencieux dont la surface miroitante attire tout d’abord et charme le regard. Une route rapide, mais large et unie, qui côtoie un instant la rive sud-est du lac, conduit au bourg.

Gérardmer n’a point de monuments bien remarquables, mais il est curieux par sa disposition. Ses 6 000 habitants occupent une étendue que n’ont pas certaines villes de 100 000 âmes. Les maisons y sont largement espacées, entremêlées de places nombreuses, de granges, de jardins et même de champs et de prairies. D’abondantes et vives fontaines jaillissent çà et là, si bien que ce bourg important tient à la fois du village et du parc anglais. On y a établi depuis quelques années un établissement hydrothérapique complet. — La fraîcheur et l’abondance des eaux, non moins que le site, se prêtaient à merveille à cette installation.

Les environs de Gérardmer sont semés de blocs de granit qui percent le sol et rappellent un peu les abords de Fontainebleau. — Dans le pays, et par allusion railleuse à l’âpreté du lieu, on les a nommés les moutons de Gérardmer. Tel qu’il est, et tout fier de son industrie, qui lui a valu un développement et une richesse qui augmentent de jour en jour, de ses sites pittoresques qui attirent chaque année la foule des touristes, Gérardmer s’est fait à lui-même ce proverbe orgueilleux : Sans Gérardmer et un peu Nancy, que serait-ce de la Lorraine !

Le voyageur ne peut négliger d’aller visiter le lac placé dans la partie la plus évasée du vallon, entre le bourg et la vallée du Belliard. C’est un carré long d’une surface de 116 hectares, et ses eaux limpides ont une profondeur de 30 mètres. Par un temps calme, la traversée du lac, dans une des légères nacelles qui vous attendent au bord, permet, tout en se reposant, de suivre les détails du paysage dont on avait saisi l’ensemble en arrivant à Gérardmer.

Au retour de cette promenade, et avant de clore la journée, on peut parcourir le bourg et visiter l’église, construite en 1730 par un architecte italien. La tour, contre l’usage général du pays, est surmontée d’un dôme. Elle avait originairement une flèche, qui doublait presque sa hauteur, et qui fut renversée, le 18 février 1756, par un coup de vent dont le désastreux souvenir se conserve encore dans le pays.

Il faut ensuite se rendre au lac de Longemer, situé à 4 kilomètres au nord-est de Gérardmer.

Le chemin suit en partie les bois dans l’étroite vallée de la Vologne. Après une courte marche, on aperçoit sur la gauche un grand bloc de granit, ombragé par des pins et qu’on pourrait prendre pour la pierre tumulaire de quelque géant gaulois. Il se nomme la Pierre de Charlemagne, en souvenir d’une halte que, selon la tradition, l’illustre empereur y aurait faite à la suite d’une partie de chasse.

Quelques pas plus loin on trouve le Saut des Cuves, où la Vologne se jette écumante entre deux murailles de rochers noirs. Après tant de sites pittoresques, celui-ci a encore un aspect d’originalité sauvage qui commande une courte halte. Sur un côté, il est fermé par un rempart de rochers coupé tout droit et couronné d’un bouquet de sapins ; sur l’autre, les rochers irrégulièrement brisés sont enveloppés d’une ligne d’arbres d’essences diverses, qui remonte jusqu’au haut de la cascade, en l’entourant d’un beau rideau de verdure ; la Vologne s’élance d’un premier jet pour chercher ensuite bruyamment sa route dans les anfractuosités du roc, où elle forme des cascatelles qui se succèdent capricieusement et se réunissent un peu plus bas, dans un bassin au-dessus duquel s’élève un beau pont récemment construit, et dont l’arche unique ne manque ni de hardiesse, ni d’élégance. La tranquillité du lieu, troublée seulement par le bruit des eaux, la fraîcheur qui règne sous ces cimes richement nuancées, invitent à s’y reposer avant de reprendre la course qui doit conduire jusqu’au sommet du Honneck.

Le lac de Longemer est beaucoup moins vaste que celui de Gérardmer, car sa superficie n’est que de 75 hectares ; mais il a, comme paysage, une importance qui fait oublier son peu d’étendue. Resserré entre deux montagnes couvertes de forêts de sapins, et dont le pied vient se perdre dans de vertes prairies qui baignent ses eaux si pures et si calmes, il ressemble à une glace gigantesque qui serait encadrée dans une immense bordure de velours émeraude. L’horizon se trouve borné de quelque côté que la vue se porte ; mais on ne saurait s’en plaindre, car les limites qui le circonscrivent sont l’eau, les bois, la verdure et le ciel, ces beautés toujours nouvelles dont les yeux et l’âme ne sont jamais rassasiés.

À droite, sur une langue de terre qui s’avance au milieu des eaux, on voit la modeste chapelle de Saint-Florent, célèbre par la vertu du dévidoir miraculeux qu’elle renferme, et dont, assure la légende locale, on obtient la guérison de certaines maladies en le faisant tourner à rebours et de la main gauche.

Une gorge étroite parcourue par la Vologne, qui commence en cet endroit à descendre bruyamment dans la vallée, unit le lac de Longemer à celui de Retournemer, placé au point supérieur du vallon. Ce lac, caché pour ainsi dire au fond d’un entonnoir formé par de hautes montagnes, n’a qu’une surface de 5 hectares et une profondeur de 13 mètres. C’est une miniature, une réduction des grandes nappes d’eau que l’on vient de visiter. « Une étroite écharpe de prairie, dit l’auteur des Promenades dans les Vosges, le ceint et le sépare des forêts ; sur ses vertes pelouses quelques métairies apparaissent à la lisière des bois, et le long de ses rives s’entrelacent, ainsi que les festons d’une guirlande de fête, les variétés nombreuses des plantes aquatiques, où dominent les feuilles larges des ménianthes et des nénufars. » On le contourne pour gagner à son extrémité le chemin des Dames, conduisant à travers les bois et par une pente habilement ménagée au col de la Schlucht, que traverse la magnifique route ouverte pour faire communiquer Épinal avec la vallée de Munster. Elle longe, à travers des blocs de granit, le flanc des hautes montagnes qui bordent les lacs de Longemer et Retournemer, et redescend vers Munster par le versant oriental de la Schlucht. À cette élévation, où MM. Hartmann ont fait construire un joli chalet accommodé en restaurant, on embrasse dans un vaste et splendide panorama l’ensemble des paysages qu’on a parcourus pas à pas ; on voit à ses pieds les eaux des lacs étincelants au milieu de leurs vertes prairies ; à droite et à gauche, apparaissent une suite de montagnes, d’abord séparées entre elles et couvertes de bois, mais dont les formes s’effacent peu à peu, pour se confondre au loin dans la ligne bleuâtre que tracent les autres sommets des Vosges. Enfin un peu en arrière s’élèvent, d’un côté, les hauteurs du Valtin, de l’autre le Honneck, terme de cette longue ascension.

Il faut au moins une demi-heure pour atteindre le faîte du Honneck ; mais là, l’immense perspective qui se déroule aux regards rachète et au delà les fatigues de la marche.

De ce point, élevé de 1 366 mètres au-dessus du niveau de la mer, au pied même du Honneck on découvre la vallée de Munster et les plaines de l’Alsace, qui s’abaissent en gradins jusqu’aux bords du Rhin. Au delà du fleuve on aperçoit la Forêt-Noire, et pour peu que l’on soit favorisé par une belle journée, on parvient à distinguer les cimes des Alpes, à la limite de l’horizon. Autour et au-dessous du Honneck se dressent des pics encore remarquables. Les principaux sont : le Balvurche, à 1 280 mètres au-dessus du niveau de la mer ; le Planeau, à 1 150 ; le Tonnerre, à 1 110 ; le Beheu et les Rachires à 1 000 ; les Xettes, qui dominent Gérardmer à 930.

À mesure qu’on gravit les montagnes connues dans le pays sous le nom de chaumes, les forêts s’éclaircissent ; les arbres, de plus en plus espacés, disparaissent et sont remplacés par des pelouses d’une herbe fine, serrée, qui déroulent de sommet en sommet leurs tapis veloutés.

Les pâturages, dont la qualité est renommée, sont une des grandes ressources de la contrée. Dès que la neige a disparu, c’est-à-dire au mois de juin, dit M. Édouard de Bazelaire, quelques familles de fromagers connus sous le nom de marquards, montent des vallées voisines, pour n’y redescendre qu’au commencement de septembre. Durant la belle saison, leurs nombreux troupeaux errent, nuit et jour, en liberté, broutant les fruits spontanés d’une nature vierge de la culture des hommes, et les hautes herbes parsemées de fleurs, d’arbustes odoriférants, de plantes aromatiques, qui rendent leur lait onctueux et embaumé. Les chalets qu’habitent les marquards se cachent, de distance en distance, dans le creux d’un ravin ; ils se composent de deux pièces, l’une est destinée aux habitants, l’autre aux bestiaux que le mauvais temps force parfois à chercher un abri. Quand une certaine quantité de fromages est faite, on appelle, à l’aide d’une longue corne en écorce de bouleau, un troupeau d’ânes qui paissent aux environs ; aussitôt ils arrivent, on les charge, ils descendent, sans guide, jusqu’à la vallée ; là ils reçoivent les provisions nécessaires à la subsistance des marquards ; puis chacun d’eux remonte vers le chalet auquel il appartient et stationne patiemment à la porte, jusqu’à ce que le maître juge à propos de le débarrasser de son utile fardeau.

Au Honneck se rattache le Collet, dont les pans sont sillonnés de nombreux sentiers en zigzag formés de rondins à demi engagés dans la terre, et placés horizontalement à la distance d’un pied de l’autre. Les montagnards appellent ces chemins des schlitts. C’est par là qu’ils descendent les coupes annuelles des forêts.

Avant de retourner à Plombières, on visite ordinairement la vallée de Granges, la plus belle, peut-être, de toutes celles qu’arrosent les nombreux cours d’eau qui descendent des Vosges. Elle forme une oasis d’ombre et de verdure, où s’étendent de riantes prairies dans lesquelles la Vologne trace en murmurant un sillon argenté. Le hêtre, le chêne, le tremble, le bouleau, y adoucissent les teintes plus sombres des sapins. Tout, dans cette charmante vallée, où règne un calme profond qu’interrompent seulement, de temps à autre, le son métallique de la corne des pâtres et le tintement des sonnettes suspendues au cou des vaches qui s’en vont çà et là cherchant leur nourriture, rappelle le printemps éternel des poëtes. Mais ne revoyez pas la vallée de Granges vers les derniers mois de l’année : la neige qui l’ensevelit sous son linceul vous reporterait bien loin des campagnes mythologiques.


Gérardmer. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

Sur le côté de la vallée de Granges, dans une grotte formée, au flanc de la montagne, par une accumulation de roches qu’une mousse humide et épaisse couvre d’un riche manteau, se trouve une glacière naturelle ou s’entretient constamment une telle fraîcheur que les glaces y résistent aux plus ardentes chaleurs de l’été.

Les habitants de la vallée de Granges sont aussi fiers de leur glace que les habitants de Gérardmer le sont de leurs fromages. Ils disent dans leur patois :

Li gran do qué fa d’chau, aimo d’bourre è lé giasse,
      Et ont do mô po lo vodié ;
Magran nos evo pohi, do li pi sochrasse ;
      N’evo in gro do in potié.

« Les grands, lorsqu’il fait chaud, aiment à boire à la glace et ont de la peine à la conserver ; mais nous en avons ici, dans les plus grandes sécheresses, nous en avons dans un trou. »

On peut faire d’autres excursions pittoresques autour de Plombières, et aller même, si l’on veut, jusqu’au Ballon des Vosges, mais les promenades que nous venons d’indiquer suffisent pour qu’on ne perde jamais le souvenir de ce frais pays qui, pendant trois mois environ, juin, juillet et août, est assurément l’un des plus agréables et des plus salubres de France.

L.



  1. Ce texte, jusqu’à ce jour inédit, ainsi que les dessins, sera prochainement publié avec beaucoup d’autres développements, sous la forme d’un volume, dans la belle collection des Guides Joanne. L’auteur est M. le docteur Lhéritier, inspecteur des eaux de Plombières.
  2. Voltaire a fait en vers l’éloge de dom Calmet.
  3. Voyez la note de la page 337.
  4. Épinal, Poussai et Bouzières avaient, comme Remiremont, leur chapitre noble, cependant avec plus ou moins de rigueur dans les preuves de noblesse qu’il fallait fournir, d’où vint le proverbe lorrain : les dames de Remiremont, les femmes de chambre d’Épinal ; les lavandières de Poussai ; les vachères de Bouzières.