Poèmes à Lou/Scène nocturne du 22 avril 1915
XLI
SCÈNE NOCTURNE DU 22 AVRIL 1915
Je voudrais être beau pour que tu m’aimes
Je voudrais être fort pour que tu m’aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes
Je voudrais te prendre pour que tu m’aimes
Je voudrais te fesser pour que tu m’aimes
Je voudrais te faire mal pour que tu m’aimes
Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule
Nous nous aimons sauvagement dans la nuit noire
Victimes de l’ascèse et produits du désespoir
Chauves-souris qui ont leurs anglais comme les femmes
Faut pas parler comm’ça on dit coulichonnette
J’ai créé la mer Rouge contre le désir de l’homme
J’ai fait sortit de son lit le Léthé
J’en inonde le monde comme d’un hippomane
Je suis l’éternité
Mort belle de la Beauté
Je mords la mirabelle de l’Été
Flambant Phénix de la Charité
Pélican de la prodigalité
Aigle cruel de la Vérité
Rouge-gorge de la sanglante clarté
Corbeau de la sombre bonté
Qu’est devenu le moine hébété
La prière |
La joie |
Abaissement qui élève Le maître fut l’élève |
Ah Ah Ah Ah Je commande et mande |
Toutes deux appelez-moi votre père
Et l’Art est notre fils multiforme
Je m’ouvre la poitrine Entrez c’est notre demeure
Il y a une horloge qui sonne les heures
Les chevaux hennissent Éteignez les lumières
Entends miauler les tigres volants de la guerre
Je pense à toi ma Lou et ne pense pas à dormir
Je suis dans ton dodo et de loin près de toi
Mon petit Lou je veux te reprendre
Oublie tes soldats pour mes fêtes
Lou et Gui et vous Toutou faut que vous voyez tous trois
De merveilleux rivages
Une ville enchantée comme Cordoue
En Andalousie les gens simples séduits par votre cœur
Et votre fantaisie
Vous donneront des fleurs des cannes à sucre
Vous pourrez voir encore plus loin si vous voulez
La nature des tropiques
Vous louerez un palais où de toutes les fenêtres
Lou touchera les palmes avec ses mains
Les chevreaux les ânes les mules ravissantes
Comme des femmes
Et aussi expressives quand au regard seront avec vous
L’avenir m’intéresse et mon amour surtout
Mais l’art et les artistes futurs ne m’intéressent pas
À Paris il y aura la Seine
Et le regard de mon ptit Lou
Quand les belles furent au bois
Chacune tenait une rose
Et voilà qu’on revient du bois
N’avons plus rien entre les doigts
Et les jeunes gens de naguère
S’en vont ne se retournent pas
Ceux qui nous aimèrent naguère
Emportent la rose à la guerre
Ô mort mène-nous dans le bois
Pour retrouver la rose morte
Et le rossignol dans le bois
Chante toujours comme autrefois