Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/Appendice

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Texte établi par Casimir HébertLe pays laurentien (p. 65-71).


APPENDICE


The open window

The old house by the lindens
  Stood silent in the shade,
And on the gravelled pathway
  The light and shadow played.

I saw the nursery windows
  Wide open to the air ;
But the faces of the children,
  They were no longer there.

The large Newfoundland house-dog
  Was standing by the door ;
He looked for his little playmates,
  Who would return no more.

They walked not under the lindens,
  They played not in the hall ;
But shadow, and silence, and sadness,
  Were hanging over all.

The birds sang in the branches
  With sweet, familiar tone ;
But the voices of the children
  Will be heard in dreams alone !

And the boy that walked beside me,
  He could not understand
Why doser in mine, ah ! closer
  I pressed his warm, soft hand !

H. W. Longfellow.


Le roi des aunes


Qui chevauche si tard par la nuit et le vent ? — C’est le père avec son fils ; — il tient l’enfant dans ses bras, — il le presse sur lui, il le réchauffe.

“ Mon fils, que caches-tu ton visage ? as-tu peur ? ” — “Père, ne vois-tu pas le roi des aunes — le roi des aunes avec sa couronne et son manteau flottant ? ” — “ Mon fils, c’est une traînée de brouillards. ”

“ Viens, cher enfant, viens avec moi ! — Ensemble nous jouerons de jolis jeux ; — mainte fleur diaprée croît sur mon rivage ; — ma mère a mainte robe d’or. ”

“ Mon père, mon père, n’entends-tu pas encore — ce que le roi des aimes me promet tout bas ? ” — “ Sois en paix, reste en paix, mon enfant : — dans les feuilles sèches murmure le vent. ”

“ Veux-tu, gentil enfant, venir avec moi ? — Mes filles te serviront joyeusement : — mes filles conduisent les danses nocturnes ; — elles danseront et te berceront en chantant. ”

“ Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là. — dans ce coin sombre, les filles du roi des aunes ? ” — “Mon fils, mon fils je le vois bien, — ce sont les vieux saules qui semblent ainsi grisâtres. ”

“ Je t’aime, ton gracieux visage me charme, — et, si tu ne cèdes, j’userai de la force.” — “Mon père, mon père, voilà qu’il me saisit ; — le roi des aunes m’a fait mal. ”

Le père frémit : il pousse son cheval. — Il serre dans ses bràs l’enfant haletant ; — il arrive au logis avec effort, avec peine… — Dans ses bras l’enfant était mort.

Goethe




Le Roi des Aunes (Erlkœnig) est peut-être la plus connue des ballades allemandes, et pourtant les érudits ne sont pas d’accord sur le personnage ainsi dénommé. Herder avait fait connaître par ses Voix des peuples une ballade danoise intitulée : La fille de l’Erlkœnig. Goethe a pris à son tour ce nom d’Erlkœnig sans s’inquiéter si le danois Ellerkonge signifiait roi des aunes ou plutôt roi des Elfes, comme l’auraient voulu certains critiques. J’ai cru devoir conserver, quoique probablement fautive, car la mythologie Scandinave ne mentionne ni roi des Elfes ni roi des aunes, la traduction connue en France de ce nom.

Les Alfes ou Elfes sont des divinités inférieures de la mythologie Scandinave. Les anciens Scandinaves désignaient aussi par ce nom leurs voisins les Finnois, qui possédaient, croyaient-ils, des connaissances magiques et l’art mystérieux de la fabrication des métaux. Les Elfes se divisent en Elfes blancs (Liosâlfar) et en Elfes noirs (Dceckâlfar). “ La gent des Liosâlfar, dit Snorri dans son Edda, habite en Alfeim ; sous terre demeurent les Dœckâlfar. Ils diffèrent les uns des autres d’aspect et de puissance : les Liôsalfar sont brillants comme le soleil, les Dœckâlfar plus noirs que la poix. Les Liosâlfar résident au troisième ciel. ” Les légendes populaires en ont fait des sylphes, des follets, des lutins, des gnomes. Ils dansent la nuit au clair de lune sur les prairies, fréquentent les creux de rocher et les bois, travaillent les métaux, gardent des trésors. Ils ne sont pas méchants, mais d’une susceptibilité facile à froisser. Ils rendent volontiers de bons offices aux hommes et leur jouent parfois de malins tours : un des plus fréquents est l’enlèvement des enfants, auxquels ils substituent leur propre progéniture.

Emmanuel de Saint-Albin.


Cette ballade, d’origine danoise, porte un titre obscur. S’agit-il du roi des Sylphes (Elfes) ou de quelque autre esprit mystérieux ? On ne sait, et la question offre peu d’intérêt. Une légende populaire est le fond de la pièce. Les Elfes de la mythologie germanique étaient passionnés pour la musique et les danses nocturnes. Ils tendaient des embûches aux enfants des hommes pour s’en emparer et leur substituer leurs propres enfants, petits monstres contrefaits. — Le tableau est saisissant : un petit enfant à cheval, entre les bras de son père, galope par une nuit d’orage. Il a peur, il aperçoit une figure mystérieuse, invisible pour le père. Ce fantôme fait entendre une voix caressante pour attirer l’enfant et le gagner par de belles promesses. Que ne pouvons-nous citer ici l’admirable musique de Schubert ?

Abbé Danglard.


Baour-Lormian a composé sur le même sujet une ballade bien digne de figurer à côté du célèbre morceau de Goethe : Les Sylphes :

La superstition qu’exalte le silence
Sur le mortel crédule à minuit se balance :
L’enfant du nord, errant au sein des bois profonds,
Des esprits lumineux, des sylphes vagabonds,
Rois au sceptre de fleurs, à l’écharpe légère,
Voit descendre du ciel la foule mensongère :
Dans la coupe d’un lis tout le jour enfermés,
Et le soir s’échappant par groupes embaumés,
Aux rayons de la lune ils viennent en cadence
Sur l’émail des gazons entrelacer leur danse,
Et de leurs blonds cheveux, dégagés de liens,
Les zéphyrs font rouler les flots aériens.
O surprise ! bientôt, dans la forêt antique,
S’élève, se prolonge un palais fantastique.
Immense, et rayonnant du cristal le plus pur.
Tout le peuple lutin, sur ses parvis d’azur,
Vient déposer des luths, des roses pour trophées,
Vient marier ses pas aux pas brillants des fées,
Et boire l’hydromel qui pétille dans l’or,
Jusqu’à l’heure où du jour l’éclat douteux encor,
Dissipant cette troupe inconstante et folâtre,
La ramène captive en sa prison d’albâtre.

Tout le monde connaît la délicieuse poésie de Reboul, l’Ange et l’Enfant, un des chefs-d’œuvre de notre langue.

L. Rogier a donné une traduction ou plutôt une imitation du Roi des Aunes.

Inconnu, ne vas pas troubler dans la nuit brune,
Au fond des bois épais, les fantômes errants.
Le vent gémit et pleure, et l’on voit sur la dune,
Pâles, cheveux épars, danser au clair de lune,
Les légères péris aux yeux étincelants !

Ne prête point l’oreille à la plainte inféconde
De l’amoureuse voix qui chante près des flots.
Ces accents désolés ne sont pas de ce monde ;
Sur le lac argenté, la troupe vagabonde
Tournoie et se lamente en lugubres sanglots.

Voyageur, hâte-toi de gagner ta demeure,
De ton ardent cheval presse les flancs poudreux,
Réchauffe dans tes bras ton bel enfant qui pleure.
Le vent froid de la nuit est perfide, et c’est l’heure
Où murmurent tout bas les esprits soucieux.

Le mors est blanc d’écume, et ton coursier rapide
Hennit de crainte. Oh ! fuis ! Une étrange lueur
Approche ; il est trop tard, un fantôme livide
Convoite ton enfant de son regard avide…
— Père, un esprit est là, dans l’ombre. Oh ! j’ai bien peur.

— Ne tremble pas ainsi, mon fils, c’est un nuage
Qui passe sur la lune. — Oh ! le spectre nous suit,
Il me parle tout bas et touche mon visage ;
Père ! je n’entends rien que le flot au rivage,
L’orfraie au cri sinistre, et le vent dans la nuit :


— Enfant aux cheveux blonds, ton doux regard m’attire,
Viens, je te donnerai mon palais, mon trésor ;
Ma fille aux yeux d’azur qui t’appelle et soupire,
Pour bercer ton sommeil chantera sur la lyre ;
Elle porte un blanc voile et des vêtements d’or.

— Prends-moi sous ton manteau, la force m’abandonne,
Du roi des aulnes verts n’entends-tu pas la voix ?
Sur son front irrité scintille une couronne :
Un suaire le couvre. Ô père, je frissonne ;
Son rire a réveillé l’écho dormant des bois !

— Regarde au loin trembler une faible lumière,
Une heure, une heure encore, et, sur son cœur joyeux,
Ta mère, qui t’attend, ta bonne et tendre mère,
Te prendra dans ses bras. Vois-tu notre chaumière ?
— Du roi des aulnes verts je vois briller les yeux !

— J’entends le chant du coq ; à sa voix l’aube claire
Déjà blanchit les monts, et le ciel est d’argent ;
Viens, je ne puis tarder, car sous la froide pierre
Il me faut retourner dormir dans mon suaire ;
Viens, partons tous les deux : je t’aime, bel enfant !

— Ah ! j’ai peur ! j’ai bien froid ! Père vois-tu dans l’ombre
Le fantôme passer en me tendant les bras ?
— Je vois les rameaux gris qui s’inclinent sans nombre ;
Sous le vent du matin la nuit devient plus sombre
Devant mes yeux, mon père. — Enfant, ne pleure pas !

— Si tu ne veux venir, de force je t’emporte.
— Hélas ! il me saisit, m’enlace et me fait mal,
Le roi des aulnes verts ! — Oh ! pourquoi de la sorte
Gémir mon petit ange ! Enfin voici la porte
De la maison. Eh ! femme, allume le fanal !


Le noir cheval hennit : Ouvre-nous, Marguerite,
Viens prendre notre enfant qui dans mes bras s’endort !
— Est-ce donc vous enfin ! Oh ! donne-le-moi vite,
Que je l’embrasse ! Dieu !… — Quelle crainte subite
A fait pâlir ton front ? — Père, ton fils est mort !

M. Alexandre Dumas père a prêté aux Sylphes un autre caractère :

Je suis un sylphe, une ombre, un rien, un rêve,
Hôte de l’air, esprit mystérieux,
Léger parfum que le zéphyr enlève,
Anneau vivant qui joint l’homme et les dieux.

De mon corps pur les rayons diaphanes
Flottent mêlés à la vapeur du soir.
Mais je me cache aux regards des profanes,
Et l’âme seule, en songe, peut me voir.

Basant du lac la nappe étincelante,
D’un vol léger j’effleure les roseaux,
Et, balancé sur mon aile brillante,
J’aime à me voir dans le cristal des eaux.

Dans vos jardins quelquefois je voltige
Et, m’enivrant de suaves odeurs,
Sans que mon poids fasse incliner leur tige,
Je me suspends au calice des fleurs.

Dans vos foyers j’entre avec confiance,
Et récréant son œil clos à demi,
J’aime à verser des songes d’innocence
Sur le front pur d’un enfant endormi.

Lorsque sur vous la nuit jette son voile,
Je glisse aux cieux comme un long filet d’or,
Et les mortels disent : “ C’est une étoile
Qui d’un ami nous présage la mort. ”