Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/Les deux voix

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Texte établi par Casimir HébertLe pays laurentien (p. 27-28).

1848
Les deux voix

Amis, dès qu’il s’agit pour moi de mariage,
Deux désirs opposés me partagent entre eux.
De deux voix tour à tour la lutte en moi s’engage
L’une me dit : « Sois riche ! » et l’autre : « Sois heureux ».

* * *

L’une en ce grand Paris surtout se fait entendre
Et m’y parle du sein d’un bruyant tourbillon.
L’autre, et de ces deux voix c’est aussi la plus tendre,
Me parle aux champs, au bord du verdoyant sillon.

* * *

L’une est la voix du luxe et des beaux équipages
Qui passent à grand bruit sur le pavé roulant.
L’autre sort des hameaux cachés dans les feuillages,
Voix du pâtre qui chante, et des agneaux bêlants.

* * *

Grand est mon embarras, amis ; sur la fortune
Ou bien sur le bonheur fixerai-je mes vœux ?
Troublé par ces deux voix, mon cœur préfère l’une
Et les voudrait pourtant accorder toutes deux.



* * *


Entr’elles il est temps que ce long débat cesse ;
Sans doute de mon cœur vous devinez le choix :
Le vieil adage dit : « Bonheur passe richesse » :
Des hameaux et des champs ainsi parle la voix. 

* * *

Même ici, quand je vois, passant aux Tuileries,
Jouer parmi les fleurs les ramiers amoureux,
La voix qui me conseille est la voix des prairies :
« Riche ? à quoi bon ? dit-elle, il vaut mieux être heureux ».