Poèmes (Canora, 1905)/Au matin

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(p. 54-56).

AU MATIN


 
« Jane, les baisers sont très doux
Que le ciel tendre fait éclore.
C’est péché, de dormir encore.
Viens à l’aurore
Sur mes genoux ! »

Le vent frais, soulevant ton voile,
Fleura les roses de tes seins ;
Tu vis, à travers tes cils fins,
Pâlir très loin
Quelques étoiles…

Et, tour à tour, tu regardas
Les bougies aux flammes tremblantes,
Les roses rouges expirantes
Et, défaillante,
Tu me baisas.

Était-ce amour ou bien tristesse
Qui te fit m’étreindre et gémir ;
Sentais-tu l’horreur de mourir
À voir s’enfuir
La nuit d’ivresse ?

Je murmurais : « les rayons clairs
« Dorent les dômes de la ville.
« Quand iront nos cendres subtiles
« Aux flots tranquilles
« Ou par les airs ;

« Quand nous serons parmi les choses,
« La ville doit bruire encor,
« La terre aura d’autres trésors,
« Des boutons d’or,
« Des lys, des roses !


« Crois-tu donc être, sous le ciel,
« Plus qu’une fleur exquise et frêle ?
« Au réveil, souris d’être belle,
« Ouvre comme elle
« Ton cœur mortel !
 
« Si l’univers revit sans cesse,
« Qu’importent nos derniers frissons ?
« Souris, car j’ai baisé tes tresses
« Et je te laisse
« Une chanson. »