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Poèmes (Canora, 1905)/Chanson d’adieu

La bibliothèque libre.
(p. 94-96).


CHANSON D’ADIEU


 
Vous qui rêvez les yeux clos
Au doux bercement des mots
Ailés, que le rythme assemble,
Sur la mousse de ces bois
Où, pour la dernière fois,
Nous fûmes rêver ensemble…

Hélas ! vous souviendrez-vous
De ces choses qu’à genoux
Je disais aux soirs d’ivresse,
Sous le ciel couchant en feu,
Ou sous les longs regards bleus
De l’étoile qui caresse ?

 

Te souviendras-tu, dis-moi,
Que j’ai bien souffert pour toi,
Pour toi qui t’en es allée ?
La caresse, qu’en tremblant
Je pose sur ton front blanc,
Se sera-t-elle envolée ?

Mes baisers sur tes grands yeux
Profonds et mystérieux,
Que je revois dans mes fièvres,
Doivent-ils s’évanouir ?
Et ceux qui faisaient frémir
Et se confondre nos lèvres,

Ne les oublieras-tu pas
Lorsque tu seras là-bas,
Au bras d’un autre qui t’aime ?
Car alors si je gémis,
Tu n’entendras plus mes cris,
Mes sanglots et mon blasphème !

Or, en ce pays lointain,
Si jamais le lourd destin
Pesait sur toi, Marguerite,

 
Songe bien que je t’aimais
Au moment où tu brisais
Ce cœur qui souffre et palpite ;

Que j’aurais su tout quitter
Pour te voir, pour te chanter,
Semer des fleurs sur ta route,
Te dire des mots d’espoir
Quand ton ciel eût été noir,
Ton âme pleine de doutes ;

Que, n’ayant pu t’obtenir
Pour compagne de ma vie,
J’eusse donné sans gémir
Mon sang, ma lyre chérie
Pour te posséder un jour,
Un seul, et mourir d’amour !