Poèmes antiques et modernes/La Femme adultère

La bibliothèque libre.
Poèmes antiques et modernes, Texte établi par Edmond Estève, Hachette (p. 101-114).


LA FEMME ADULTÈRE

poème
L’adultère attend le soir, et se dit : Aucun œil ne me verra ; et il se cache le visage, car la lumière est pour lui comme la mort.
Job, ch. xxiv, v. 15-17.


M1, M2, P1, Le sous-titre manque, et la division en quatre sections n’existe pas.

Épigraphe : M2, P1, Qu’un tourbillon ténébreux règne dans cette nuit ; qu’elle ne soit pas comptée dans les jours de l’année ! | Que cette nuit soit dans une affreuse solitude, et que les cantiques de joie ne s’y tassent point entendre ! | Que les étoiles de son crépuscule se voilent de ténèbres ! Qu’elle attende la lumière, et qu’il n’en vienne point ! et qu’elle ne voie pas les paupières de l’Aurore ! (Job.)[1].


I


« Mon lit est parfumé d’aloès et de myrrhe[2] ;
» L’odorant cinnamome et le nard de Palmyre[3]
» Ont chez moi de l’Égypte embaumé les tapis.

» J’ai placé sur mon front et l’or et le lapis ;
» Venez, mon bien-aimé, m’enivrer de délices[4]
» Jusqu’à l’heure où le jour appelle aux sacrifices[5] :
» Aujourd’hui que l’époux n’est plus dans la cité[6],
» Au nocturne bonheur soyez donc invité[7] ;
» Il est allé bien loin[8]. » — C’était ainsi, dans l’ombre[9].
Sur les toits aplanis[10] et sous l’oranger sombre,
Qu’une femme parlait, et son bras abaissé[11]
Montrait la porte étroite à l’amant empressé[12].
Il a franchi le seuil où le cèdre s’entr’ouvre[13][14],
Et qu’un verrou secret rapidement recouvre[15] ;

Puis ces mots ont frappé le cyprès des lambris[16][17] :
« Voilà ces yeux si purs dont mes yeux sont épris !
» Votre front est semblable au lis de la vallée[18][19],
» De vos lèvres toujours la rose est exhalée[20] :
» Que votre voix est douce et douces vos amours[21] !
» Oh ! quittez ces colliers et ces brillants atours[22] !
— « Non ; ma main veut tarir cette humide rosée[23]
» Que l’air sur vos cheveux a longtemps déposée[24] :
» C’est pour moi que ce front s’est glacé sous la nuit !
— « Mais ce cœur est brûlant, et l’amour l’a conduit.
» Me voici devant vous, ô belle entre les belles[25][26] !
» Qu’importent les dangers ? que sont les nuits cruelles
» Quand du palmier d’amour le fruit va se cueillir[27][28],
» Quand sous mes doigts tremblants je le sens tressaillir ?
— « Oui… Mais d’où vient ce cri, puis ce spas sur la pierre[29] ?

— « C’est un des fils d’Aaron qui sonne la prière[30][31].
» Et quoi ! vous pâlissez ! Que le feu du baiser
» Consume nos amours qu’il peut seul apaiser[32],
» Qu’il vienne remplacer cette crainte farouche,
» Et fermer au refus la pourpre de ta bouche[33] !… »
On n’entendit plus rien, et les feux abrégés
Dans les lampes d’airain moururent négligés.

II


Quand le soleil levant embrasa la campagne
Et les verts oliviers de la sainte montagne,
À cette heure paisible où les chameaux poudreux
Apportent du désert leur tribut aux Hébreux ;
Tandis que de sa tente ouvrant la blanche toile.
Le pasteur qui de l’aube a vu pâlir l’étoile[34]

Appelle sa famille au lever solennel,
Et salue en ses chants le jour et l’Éternel[35][36] ;
Le séducteur, content du succès de son crime,
Fuit l’ennui des plaisirs et sa jeune victime.
Seule, elle reste assise, et son front sans couleur
Du remords qui s’approche a déjà la pâleur[37] ;
Elle veut retenir cette nuit, sa complice[38],
Et la première aurore est son premier supplice[39] :
Elle vit tout ensemble et la faute et le lieu[40].
S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu.
Elle joignit les mains, immobile et muette[41].
Ses yeux toujours fixés sur la porte secrète ;

Et semblable à la mort, seulement quelques pleurs[42]
Montraient encor sa vie en montrant ses douleurs[43].
Telle Sodome a vu cette femme imprudente[44]
Frappée au jour où Dieu versa la pluie ardente,
Et, brûlant d’un seul feu deux peuples détestés[45],
Éteignit leurs palais dans des flots empestés[46] :
Elle voulut, bravant la céleste défense[47],
Voir une fois encor les lieux de son enfance,
Ou peut-être, écoutant un cœur ambitieux,
Surprendre d’un regard le grand secret des cieux[48] :
Mais son pied tout à coup, à la fuite inhabile[49],
Se fixe, elle pâlit sous un sel immobile[50].
Et le juste vieillard, en marchant vers Ségor,
N’entendit plus ses pas qu’il écoutait encor[51].


Tel est le front glacé de la Juive infidèle[52].
Mais quel est cet enfant qui paraît auprès d’elle ?
Il voit des pleurs, il pleure, et, d’un geste incertain,
Demande, comme hier, le baiser du matin.
Sur ses pieds chancelants il s’avance, et, timide,
De sa mère ose enfin presser la joue humide.
Qu’un baiser serait doux ! elle veut l’essayer[53] ;
Mais l’époux, dans le fils, la revient effrayer[54] ;
Devant ce lit, ces murs et ces voûtes sacrées.
Du secret conjugal encore pénétrées,
Où vient de retentir un amour criminel[55],
Hélas ! elle rougit de l’amour maternel,
Et tremble de poser, dans cette chambre austère,

Sur une bouche pure une lèvre adultère[56].
Elle voulut parler, mais les sons de sa voix[57].
Sourds et demi-formés, moururent à la fois,
Et sa parole éteinte et vaine fut suivie[58]
D’un soupir qui sembla le dernier de sa vie.
Elle repousse alors son enfant étonné,
Tant la honte a rempli son cœur désordonné[59] !
Elle entr’ouvre le seuil, mais là tombe abattue,
Telle que de sa base une blanche statue[60].

III


Ce jour-là, des remparts, on voyait revenir[61][62]
Un voyageur parti pour la ville de Tyr.

Sa suite et ses chevaux montraient son opulence[63] ;
Guidés nonchalamment par le fer d’une lance,
Fléchissaient sous leur poids, et l’onagre rayé[64],
Et l’indolent chameau, par son guide effrayé[65] ;
Et douze serviteurs, suivant l’étroite voie,
Courbaient leurs fronts brûlés sous la pourpre et la soie[66][67] ;

Et le maître disait : « Maintenant Séphora[68][69]
Cherche dans l’horizon si l’époux reviendra ;
Elle pleure, elle dit : « Il est bien loin encore[70] !
« Des feux du jour pourtant le désert se colore !
« Et du côté de Tyr je ne l’aperçois pas[71][72]. »
Mais elle va courir au-devant de mes pas ;
Et je dirai : « Tenez, livrez-vous à la joie !
« Ces présents sont pour vous, et la pourpre et la soie[73],
« Et les moelleux tapis, et l’ambre précieux[74],

« Et l’acier des miroirs que souhaitaient vos yeux[75][76]. »
Voilà ce qu’il disait, et de Sion la sainte[77]
Traversait à grands pas la tortueuse enceinte.

IV


Tout Juda cependant aux fêtes introduit[78],
Vers le temple, en courant, se pressait à grand bruit[79] :
Les vieillards, les enfants, les femmes affligées.
Dans les longs repentirs et les larmes plongées,
Et celles que frappait un mal secret et lent[80],
Et l’aveugle aux longs cris[81], et le boiteux tremblant.
Et le lépreux impur, le dégoût de la terre[82][83],

Tous, de leurs maux guéris racontant le mystère[84][85],
Aux pieds de leur Sauveur l’adoraient prosternés[86],
Lui, né dans les douleurs, roi des infortunés[87],
D’une féconde main prodiguait les miracles,
Et de sa voix sortait une source d’oracles[88] :
De la vie avec l’homme il partageait l’ennui,
Venait trouver le pauvre et s’égalait à lui[89].
Quelques hommes, formés à sa divine école.
Nés simples et grossiers, mais forts de sa parole.
Le suivaient lentement, et son front sérieux[90]
Portait les feux divins en bandeau glorieux.



Par ses cheveux épars une femme entraînée,
Qu’entoure avec clameur la foule déchaînée[91],
Paraît : ses yeux brûlants au Ciel sont dirigés,

Ses yeux, car de longs fers ses bras nus sont charges[92][93],
Devant le Fils de l’Homme on l’amène en tumulte[94]
Puis, provoquant l’erreur et méditant l’insulte,
Les Scribes assemblés s’avancent, et l’un d’eux :
« Maître, dit-il, jugez de ce péché hideux ;
» Cette femme adultère est coupable et surprise :
» Que doit faire Israël de la loi de Moïse ? »
Et l’épouse infidèle attendait, et ses yeux
Semblaient chercher encor quelqu’autre dans ces lieux :
Et, la pierre à la main, la foule sanguinaire
S’appelait, la montrait : « C’est la femme adultère !
» Lapidez-la : déjà le séducteur est mort ! »
Et la femme pleura. — Mais le juge d’abord[95] :
« Qu’un homme d’entre vous, dit-il, jette une pierre[96] :
» S’il se croit sans péché, qu’il jette la première[97] ! »
Il dit, et, s’écartant des mobiles Hébreux[98],
Apaisés par ces mots et déjà moins nombreux,

Son doigt mystérieux, sur l’arène légère[99],
Écrivait une langue aux hommes étrangère.
En caractères saints dans le Ciel retracés…
Quand il se releva, tous s’étaient dispersés[100][101].


Écrit en 1819[102].
  1. Qu’un tourbillon ténébreux règne dans cette nuit, qu’elle ne soit point comptée parmi les jours de l’année ni mise au nombre des mois. Que cette nuit soit dans une affreuse solitude, et qu’on la juge indigne qu’on s’en souvienne jamais… Que les étoiles soient obscurcies par sa noirceur, qu’elle attende la lumière et qu’elle ne la voie point, et que l’aurore lorsqu’elle commence à paraître ne se lève point pour elle. (Job, trad. de Sacy, III, 6-7, 9).
  2. Var : M1 donne en marge le nom des interlocuteurs : l’épouse, l’amant.
  3. Var : M1, l’ambre (corr. : le nard) de Palmyre
  4. Var : M1, Venez, mon bien-aimé, m’enivrer de (corr. : Qui me pardonnera mes coupables) délices.
  5. Var : M1, Jusqu’à l’heure où le jour appelle aux (corr. : Voici venir bientôt l’heure des) sacrifices :
  6. Var : M1, Aujourd’hui que l’époux (corr. : À peine mon époux) n’est plus dans la maison (corr. : cité),
  7. Var : M1, 1er  main, Elle sera pour vous une douce prison 2e main, Au nocturne (corr. : Qu’au nocturne) bonheur soyez donc (corr. : l’amour est) invité.
  8. Prov., VII, 16-19 : J’ai suspendu mon lit, et je l’ai couvert de courtes-pointes (tapetibus) d’Égypte en broderie. Je l’ai parfumé d’aloès, de myrrhe et de cinnamome. Venez, enivrons-nous de délices, et jouissons de ce que nous avons désiré jusqu’à ce qu’il fasse jour. Car mon mari n’est pas à la maison, il est allé faire un voyage qui sera très long.
  9. Var : M1, Il est allé bien loin (corr. : Qui me pardonnera ?)
  10. Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 124 : Que les toits fussent plats dans la terre d’Israël et aux environs, il y en a bien des preuves dans l’Écriture.
  11. Var : M1, Que parlait une femme, et (corr. : Qu’une femme parlait, mais)
  12. Var : M1, Montrait la porte étroite (corr. : Pourtant montrait la porte)
  13. Cant. des Cant., I, 16 : Les solives de nos maisons sont de cèdre, nos lambris sont de cyprès. — Ce détail est également relevé par Fleury, Mœurs des Isr., p. 128.
  14. Var : M1, 1er  main, Le cèdre qu’un verrou ferme vite et recouvre 2e main, texte actuel.
  15. Cant. des Cant., v. 6 : J’ouvris ma porte à mon bien-aimé, en ayant tiré le verrou.
  16. Voir ci-dessus, n° 3.
  17. Var : M1, En marge, par deux fois : Cant. des C5., c. I, v 16.
  18. Cant. des Cant., II, 1 : Je suis la fleur des champs, je suis le lys des vallées.
  19. Var v. 17-18 : M1 donne, dans le corps du texte, les ébauches suivantes, qui ont été biffées : Votre taille s’élève au Carmel égalée | Par vos lèvres toujours la pourpre est égalée | Votre tête s’élève — et en marge : Par (corr. : de) vos lèvres toujours la pourpre (corr. : rose) est égalée (corr. : la rose est exhalée). — En marge encore l’indication : C. d. C, VII, 7.
  20. Cant. des Cant., VII, 8 : L’odeur de votre bouche [sera] comme celle des pommes.
  21. Cant. des Cant., II, 14 : Car votre vois est douce, et votre visage est agréable.
  22. Var : M1, Dépouillez (corr. : Ô quittez) P1, A, O quittez.
  23. Var v. 21-22 : M1, En marge : C. d. C., V, v. 3.
  24. Cant. des Cant., V, 2 : Ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux de gouttes d’eau qui sont tombées pendant la nuit.
  25. Cant. des Cant., V, 9, 17 : Ô la plus belle d’entre les femmes…
  26. Var : M1, Qui suis-je (corr : Me voici) devant vous.
  27. Cant. des Cant., VII, 7-8 : Votre taille est semblable à un palmier et vos mamelles à des grappes de raisin. J’ai dit : Je monterai sur le palmier, et j’en cueillerai les fruits.
  28. Var : M1, En marge : C. d. C, c. VII, v. 8.
  29. Var : M1 Oui… Dieu ! quels sont (corr. : d’où vient ce cri)
  30. Nombres, X, 1-2, 8 : Le Seigneur parla encore à Moïse et lui dit : Faites-moi deux trompettes d’argent battues au marteau afin que vous puissiez vous en servir pour assembler tout le peuple… Les Prêtres enfants d’Aaron sonneront des trompettes. — Dom Calmet, Dissertation sur la musique des anciens et en particulier des Hébreux, dans la Bible de Vence, t. VII, 1770, p. 138 : Des douze tribus d’Israël, il y en avait une tout entière destinée au culte du Seigneur : c’était celle de Lévi. De toutes les familles qui la composaient, il n’y en avait qu’une seule, qui était celle d’Aaron, qui eût droit au sacerdoce et qui en fit les fonctions. — Fleury, Mœurs des Israélites, p. 251 : Ils se servaient de trompettes d’argent pour marquer les fêtes, et appeler le peuple aux prières publiques : et le nom de Jubilé vient d’une corne de bélier dont on sonnait pour en marquer l’ouverture.
  31. Var : M1, 1er  main, C’est celui dont la voix appelle à la prière 2e main, texte actuel. En marge : Nombres, X, 8.
  32. Var v. 53-34 : M1 donne ces deux vers biffes : Ô que ma lèvre enfin presse ma bien-aimée, | Et boive en expirant son haleine embaumée.
  33. Cant. des Cant., IV, 3 : Vos lèvres sont comme une bandelette d’écarlate (Sicut vitta coccinea, labia tua).
  34. Var : M1, Le Pasteur du matin voyant (corr. : qui de l’aube a vu) pâlir l’étoile.
  35. Ces vers sont peut-être inspirés par le début du Caïn de Byron. Adam, au lever du jour, entouré de sa famille, offre à Dieu un sacrifice : « Dieu ! éternel ! infini ! sagesse suprême ! toi qui d’une parole, du sein des ténèbres de l’abîme fis jaillir la lumière sur les eaux, salut, Jehovah, au retour de la lumière, salut ! « Le poème de Byron n’a paru, il est vrai, qu’en 1821, et celui de Vigny est daté de 1819 ; mais on peut admettre un raccord fait après coup.
  36. Var : P1, l’éternel.
  37. Var : M1, 1er  main, Du regret éternel a déjà la pâleur M1, 2e main, P1, De l’immortel remords a déjà la pâleur ;
  38. Var v. 49-50 : M1, 1er  main, Elle contemple alors, amante abandonnée, | De ses chastes foyers l’enceinte profanée ; 2e main, Elle veut retenir cette nuit, etc. (Vigny marque ainsi son intention de transporter à cette place deux vers qui faisaient primitivement partie d’un développement ultérieur. Voir ci-dessous, vers 69-72). P1, Elle veut retenir cette nuit, sa complice, I Et la première aurore est son premier supplice. A, Et la première aurore et son premier supplice. B-D, Et la première aurore, et son premier supplice.
  39. Byron, Parisina (trad. de Bruguiére de Sorsum, Lycée Français, août 1819) : Il faut qu’ils se séparent, le cœur appesanti par la crainte, et avec ce frissonnement qui suit de prés les actions criminelles.
  40. Var v. 51-52 : M1, 1er  main, Sa paupière d’ébène, orgueil de son regard, | Ne sait plus dérober le feu d’un œil hagard. 2e main, Tout parle de sa faute, et son .âme en ce lieu | S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu. P1, C’est alors qu’elle vit et la faute et le lieu,
  41. Var v. 55-54 : M1, M2, P1, Une terne blancheur, comme un voile épaissie, Entoura tristement sa prunelle obscurcie.
  42. Var : C2, à la Mort,
  43. Byron, Parisina (même trad.) : Elle était, je l’ai dit, debout, immobile et pâle, la cause vivante du malheur d’Hugo. Ses yeux fixes et ouverts n’avaient encore fait aucun mouvement… Elle était donc debout et l’œil fixe, comme si son sang eût été glacé dans ses veines ; seulement, de temps à autre, une grosse larme, lentement amassée, s’échappait des longues franges de ses belles paupières…
  44. Var : M1, Elle était telle enfin que la (corr. : Telle Sodome a vu cette) femme imprudente
  45. Var : M1, 1er  main, Et brûlant à la fois 2e main, Et livrant au néant 3e main, texte actuel.
  46. Var : M1, 1er  main, Noya leurs murs en feu 2e main, texte actuel.
  47. Var : M1, Incrédule ! biffé et remplacé par le texte actuel.
  48. Var : P1, Cieux ;
  49. Var : M1, Mais tout à coup son pied,
  50. Var : M1, Se fixe, elle est changée en (corr. : pâlit sous) un sel immobile.
  51. Genèse, XIX, 25-26 : Le soleil se levait sur la terre, au même temps que Loth entra dans Ségor. Alors le Seigneur envoya de la part du Seigneur du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu, et perdit ces villes avec tous leurs habitants, et tout le pays d’alentour, et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre. La femme de Lot regarda derrière elle, et elle fut changée en une statue de sel.
  52. Var v. 69-72 : M1, 1er  main, Tel est le front glacé de l’infidèle Juive. | Quel remords (corr. : vœu) fait trembler sa lèvre convulsive, | Cette lèvre où naguère a frémi le plaisir ? | Si le destin alors eût comblé son désir, | Que n’a-t-elle arrêté (corr. : Sombre, il eût retenu) cette nuit sa complice, | Un rayon de soleil est son premier supplice.

    2e main, Tel est le front glacé de la Juive infidèle, | De la faiblesse humaine infortuné modèle, | Où lèves-tu ces yeux qu’inondait le plaisir ? | La crainte en traits brûlants y grave ton désir, | Tu voudrais retenir cette nuit, ta complice, | Et la première aurore est ton premier supplice.

    3e main, Tel est le front glacé de la Juive infidèle, | Mais quel est cet enfant qui se joue auprès (1er  corr. : rit et court auprès, 2e corr. : parait auprès) d’elle ? | Quel est ce jeune enfant qui d’un pas (1er  corr. : Le jour l’a fait venir et d’un œil 2e corr. : Il voit des pleurs, il pleure, et d’un geste) incertain | Vient en riant chercher (corr. : Demande comme hier) le baiser du matin.

  53. Var : M1, 1er  main, Elle veut l’embrasser, mais comment le tenter ? 2e main, Un baiser la rassure, elle veut l’essayer ; 3e main, Qu’un baiser serait doux ! elle veut l’essayer ;
  54. Var : M1, Mais (son biffé) l’époux dans (son biffé) le fils la vient (?) épouvanter (corr. : revient effrayer.)
  55. Var v. 79-80 : M1, 1er  main, Le baiser maternel n’ose plus s’approcher ; | Elle au sein de la terre eût voulu se cacher ; 2e main, texte actuel.
  56. Millevoye, Les Adieux d’Hélène :

    Sur les parquets de cèdre, effleurés en tremblant,
    Elle posait dans l’ombre un pied furtif et lent ;
    Un obstacle imprévu l’arrête… elle frissonne…
    Hélas ! ses mains touchaient le berceau d’Hermione.
    Le ciel pour la punir lui gardait ces adieux…

  57. Var : P1, mais les sons en sa voix,
  58. Var : M1, Il semble que Vigny ait écrit successivement 1° : Et sa parole fut éteinte (vers inachevé) 2° : Et sa faible parole éteinte fut suivie 3° : Et sa parole éteinte et vaine fut suivie
  59. Var v. 88-89 : M1, M2, P1, S’arrache avec fureur au lit empoisonné, | Court vers le seuil, l’entr’ouvre, et là tombe abattue,
  60. Byron, Parisina (même trad.) : Elle voulut parler ; le son confus fut étouffé dans sa gorge gonflée, et cependant son cœur tout entier s’élançait dans ce long et profond gémissement : il cessa. Elle fit un effort pour parler encore : sa voix éclata par un cri perçant, et elle tomba sur la terre comme une pierre, ou comme une statue renversée de sa base.
  61. Entre 90 et 91, quadro en prose du développement suivant : Cependant l’époux revenant chez lui le matin était suivi de ses chameaux et de ses esclaves (corr. : serviteurs) portant des présens pour sa femme.
  62. Var v. 91-92 : M1, M2, P1, Or l’époux revenait en se réjouissant | Jusqu’au fond de son cœur. Le lin éblouissant
  63. Var : M1, 1er  main, Se gonflait des trésors de sa noble opulence ; 2e main, Recouvrait des fardeaux, trésors de l’opulence ; 3e main, P1, Recouvrait des fardeaux, fruits de son opulence ;
  64. Var) : M1, Renvoi pour l’onagre à Buffon, Hist. Nat., t. 7, quadr.(a). — P1, A, sous ces dons.

    a Buffon, Hist. Nat., De l’âne : Les Latins, d’après les Grecs, ont appelé l’âne sauvage onager, onagre, qu’il ne faut pas confondre, comme l’ont fait quelques naturalistes et plusieurs voyageurs, avec le zèbre… L’onagre, ou âne sauvage, n’est point rayé comme le zèbre… — On peut se demander si Vigny n’avait pas noté cette référence sur son manuscrit en vue d’une rectification ultérieure, qu’il n’a pas jugé à propos de faire.

  65. Var : M1, Et le chameau souvent (corr. : Et l’indolent chameau) parle guide effrayé ;
  66. Ézéchiel, XXVII, 16 (il s’adresse à Tyr) : Les Syriens ont été engagés dans votre trafic, à cause de la multitude de vos ouvrages, et ils ont exposé en vente dans vos marchés des perles, de la pourpre, des toiles ouvragées, des byssus, de la soie et toutes sortes de marchandises précieuses.
  67. Var : M1, Renvoi pour la soie à Gessner, hist. anim. l. 4. De pinna (b).

    bConradi Gesneri Tigurini Historiæ Aninialium Liber IV, Francofurti, 1620, p. 731, De pinna magna. L’article ainsi intitulé est emprunté à Rondeletius (Guillaume Rondelet) ; il a rapport à une espèce de grosse moule, vulgairement nommée « jambonneau ». Voici la traduction du passage qui est visé par Vigny : Les pinnes viennent sur les fonds de sable ou de vase ; elles se fixent au moyen d’un byssus. Ce byssus est une laine très souple et très fine, ainsi nommée par analogie avec celle dont on faisait les étoffes les plus précieuses à l’usage des riches. Par exemple, dans l’Évangile, il est question d’un riche qui était vêtu de pourpre et de byssus : de quoi on a donné les interprétations les plus ridicules. Le byssus des pinnes diffère du byssus des moules autant que la filasse de la soie la plus fine et la plus déliée. — Le texte de l’Évangile auquel Rondelet fait allusion est Luc, XVI, 19 : Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de lin. (Trad. de Sacy). Vigny semble s’appuyer sur l’autorité de l’Historia Animalium pour substituer le terme de « soie » à celui de « lin », qui est celui dont Sacy traduit ordinairement byssus. Voir Prov. XXXI, 22 : [La Femme Forte] se revêt de lin et de pourpre : byssus et purpura indumentuin ejus. — La référence à Gesner a été fournie à Vigny par Fleury (Mœurs des Israélites, 1712, p. 115) qui définit le byssus « une espèce de soye d’un jaune doré qui croît à de grandes coquilles ».

  68. Séphora, nom d’une des sages-femmes des Hébreux (Exode, I, 25), ou de la femme de Moïse (Exode, II, 21).
  69. Var v. 99-100 : M1, Et le maître disait : Maria maintenant (corr. : Maintenant Sephora) | 1er  main, Regarde le soleil et le trouve trop lent ; 2e main, Cherche dans l’horizon si l’époux revenant (corr. : reviendra ;) — En noie : Maria signifie amertume (a).

    a Bible, trad. de Sacy, Explication des Noms Hébreux, etc : Maria, fille d’Araram, Exode, VI, 20, en hébreu Miriam, signifie… amertume de la mer.

  70. Var : M1, il ne vient pas (corr. : il est bien loin) encore !
  71. Byron, Giaour (d’après la trad. Pichot, qui, on ne sait pourquoi, transporte la scène du soir au matin) : La mère d’Hassan regarde par le balcon, et voit la rosée qui tombe sur les vertes prairies : elle voit pâlir les étoiles à l’approche de l’aurore : « Voici le jour, dit-elle, Hassan ne doit pas être éloigné. » Elle descend dans le jardin ; mais en proie à une inquiétude inconnue, elle monte sur la tour la plus élevée, et porte de là ses regards sur les montagnes : « Pourquoi n’arrive-t-il pas ?… Pourquoi n’envoie-t-il pas le présent de noces ?… Mais j’ai tort ; voici un Tartare qui est déjà sur le sommet de la dernière montagne… J’aperçois sur les arçons de sa selle le présent que mon fils m’envoie… » — Byron s’inspire lui-même d’une scène de la Bible, la mère de Sisara guettant le retour de son fils (Juges, V, 28-30).
  72. Var : M1, P1, Et son amour peut-être invente mon trépas.
  73. Var : M1, 1er  main, texte actuel ; 2e main, Prenez ces dons pour vous, la pourpre s’y déploie ; 3e main, texte actuel.
  74. Var : M1, Et les épais (corr. : moelleux) tapis, A-C3, le moelleux tapis,
  75. Ezéchiel, XXVII, 18-19 (il s’adresse à Tyr) : Dan, la Grèce et Mosel ont exposé en vente dans vos marchés des ouvrages de fer… Ceux de Dédau trafiquaient avec vous avec des tapis à s’asseoir.
  76. Var : M1, Et l’acier des miroirs, le bonheur de vos yeux (corr. : que souhaitaient vos yeux).
  77. Var v. 109-110 : Ces deux vers remplacent, à partir de A, une tirade de cinquante vers racontant la rentrée de l’époux dans sa maison, ses soupçons, et l’épreuve de l’eau, à laquelle est soumise la femme adultère. On trouvera ce fragment à l’appendice, p. 302 et suivantes.
  78. Var : M1, 1er  main, Cependant un grand peuple (corr. : Tout Israël alors) aux autels introduit, 2e main, texte actuel.
  79. Jean, VII 2-3, 10 : Mais la fête des Juifs, appelée des Tabernacles, étant proche, ses frères lui dirent : Quittez ce lieu, et vous en allez en Judée… Il alla aussi lui-même à la fête…
  80. Matth., IX, 20 : En même temps une femme qui depuis douze ans était affligée d’une perte de sang, s’approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement.
  81. Matth., IX, 27 : Comme Jésus sortait de ce lieu-là, deux aveugles le suivirent, et ils criaient, disant : Fils de David, ayez pitié de nous.
  82. Matth., VIII, 2 : En même temps un lépreux vint à lui et l’adora, en lui disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. — Voir Marc, I, 40 ; Luc, V, 12.
  83. Var : M1, Et le sombre lépreux (corr. : Et le lépreux impur)
  84. Matth., IX, 50-51 : Aussitôt leurs yeux furent ouverts, et Jésus leur défendit fortement d’en parler, en disant : Prenez bien garde que qui que ce soit ne le sache. Mais eux, s’en étant allés, ils le firent connaître dans tout ce pays.
  85. Var : M1, 1er  main, Tous se jetant aux pieds d’un homme au front austère, 2e main, texte actuel.
  86. Var : M1, S’écriant hosanna (corr. : Aux pieds de leur sauveur)
  87. Var : M1, 1er  main, Et lui, tel que le Roi des Hébreux étonnés, 2e main, Et lui tel qu’un Roi fait par les infortunés, 3e main, texte actuel.
  88. Var : M1, 1er  main, Et de sa vois sortaient de sublimes oracles : 2e main, texte actuel.
  89. Jean, VII, 14 : Or, vers le milieu de la fête, Jésus monta au temple où il se mit à enseigner…
  90. Var v. 127-128 : M1, 1er  main, Le suivaient, et son front tranquille et radieux | Apparaissait brillant et pur comme les cieux. 2e main, Le suivaient lentement, et sur son front pieux | L’auréole éclatait en bandeau radieux, 3e main, et son front sérieux | Portait une auréole à l’éclat radieux. M2, Portait les feux du ciel (corr. : divins) en bandeau glorieux.
  91. Var : P1, A, B, avec clameurs
  92. Virgile, Énéide, II, 403-406 :

    Ecce trahebatur passis Priameïa virgo
    Crinibus a templo Cassandra adytisque Minervæ,
    Ad cælum tendens ardentia lurnina frustra,
    Lumina, nam teneras arcebant vincuLa palmas.

  93. Var : M1, Ses yeux, car de longs fers pressent ses bras (corr. : ses bras nus sont) chargés.
  94. Var v. 133-134 : M1, 1er  main, On l’arrache avec peine à ce peuple en tumulte | Et vers le fils de Dieu que la terre consulte 2e main, texte actuel.En marge : Év. St Jean, C. VIII.
  95. Var : M1, Et la femme pleura. — L’arbitre de son sort (corr. : Mais le juge d’abord) :
  96. Var : M1, Que celui (corr. : Qu’un homme) d’entre vous
  97. Var : M1, Qui se croit (corr. : S’il se croit), — Au bas de la page, cette variante aux vers 145-146 : S’il en est d’entre vous, dit-il, exempt de blâme (corr. : pur jusqu’au fond de l’âme), | Qu’il jette le premier la pierre à cette femme.
  98. Var v. 147-148 : M1, 1er  main, Il dit, et s’écartant de ce peuple irrité, | Du vieillard à l’enfant tout à coup arrêté 2e main, texte actuel.
  99. Var v. 149-150 : M1, Le Dieu mystérieux, courbé sur la poussière, | Y traçait une langue 2e main, texte actuel.
  100. Jean, VIII, 2-9 : Et dès la pointe du jour il retourna au temple, où tout le peuple s’amassa autour de lui, et s’étant assis, il commença de les instruire. Alors les Scribes et les Pharisiens amenèrent une femme qu’on avait surprise en adultère, et la firent tenir debout au milieu, et dirent à Jésus : Maître, cette femme vient d’être prise en adultère. Or Moyse nous a ordonné dans la loi de lapider les adultères. Quel est donc sur cela votre sentiment ? Ils disaient ceci en le tentant, afin d’avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus, se baissant, écrivait avec son doigt sur la terre. Et comme ils continuaient de l’interroger, il se releva et leur dit : Que celui d’entre vous qui est sans péché, lui jette la première pierre. Puis se baissant de nouveau, il continua d’écrire sur la terre. Mais pour eux, l’ayant entendu parler de la sorte, ils se retirèrent l’un après l’autre… — Cette scène avait été remise sous les yeux de Vigny par un article de J.-E. Delécluze paru dans le Lycée Français du 18 septembre 1819 (Troisième lettre au rédacteur… sur l’exposition des ouvrages de Peinture, Sculpture, Architecture et Gravure des artistes vivants) : Je suppose qu’on veuille peindre le sujet de la femme adultère : on consulte l’Écriture, et voici ce qu’on y trouve, etc. Il est très certain qu’autorisés par le teste de l’Évangile, quelques peintres de nos jours n’auraient pas manqué de placer Jésus-Christ dans le temple et de l’entourer de la foule du peuple. Cependant le Poussin qui connaissait si bien les ressources pratiques de son art, le Poussin qui a si admirablement traité ce sujet, n’a pas jugé à propos de se soumettre à tant d’exactitude. Il a établi le lieu de la scène suranné place publique de Jérusalem. Prés de Jésus-Christ, la femme adultère, plongée dans la plus profonde humiliation, est à genoux. L’Homme-Dieu, qui veut confondre la ruse de ceux qui cherchent à le trouver en faute, a tracé sur la poussière des mots que deux des accusateurs cherchent à comprendre, et il prononce alors ces belles paroles : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Tous les assistants se sentant repris par leur conscience, les uns confus, les autres menaçant encore, cherchent à s’évader. C’est le moment que le peintre a choisi…
  101. Au bas du dernier feuillet, dans M1 : 206 vers.
  102. La date manque dans M1, M2, P1.