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Poèmes et Poésies (Keats, trad. Gallimard)/Ode à Psyché

La bibliothèque libre.
Traduction par Paul Gallimard.
Poèmes et PoésiesMercure de France (p. 152-155).

iSa POÈMES ET POÉSIES ODE A PSYCIIH O Déesse ! écoute ces harmonies sans rythme,expression D’une douce contrainte et d’un cher souvenir. Et pardonne-moi de murmurer tes secrets Même à ta propre oreille à la conque délicate : Sûrement ai-je rêvé aujourd’hui, ou ai-je vu L’ailée Psyché de mes yeux éveillés? J’errais, ne pensant à rien, dans une forêt Lorsque soudain, défaillant de surprise, J’aperçus deux belles créatures, étendues côte à côte Dans l’herbe la plus touffue, sous le dais bruissant Des feuilles et des tremblantes floraisons, là où court Un ruisselet, à peine visible.

Parmi les silencieuses fleurs, aux fraîches racines, aux taches parfumées Bleu, blanc d’argent, au boutons pourpres de Tyr, POKSIES DIVERSES l53 Elles reposent, la respiration calme, sur le jeune gazon ; Leurs bras et leurs ailes s’enlacent ; Leurs lèvres ne se touchaient pas, mais ne s’étaient ja- mais dit adieu, Comme si, disjointes par la caressante main du sommeil. Elles étaient prêtes encore à dépasser le nombre des baisers échangés Lorsque tendrement l’amour ouvre les yeux du ma- tin: L’enfant ailé je le reconnus. Mais qui étais-tu, o heureuse, heureuse colombe? Sa Psyché ! elle-même !

                      III 

O la dernière née et de beaucoup la plus aimable vision De toute la hiérarchie évanouie de l’Olympe ! Plus belle que l’étoile de Phœbé entourée de saphirs Ou que Vesper, l’amoureux ver luisant du ciel ; Plus belle qu’eux, quoique tu n’aies aucun temple, Ni autel enguirlandé de fleurs, Ni chœurs de vierges exhalant de délicieuses litanies Aux heures de minuit ; Ni voix, ni luth, ni pipeau, ni suave encens l54 POÈMKS KT POÉSIES Fumant d’un brûle-parfum balancé avec des chaînes ; Ni châsse, ni bocage, ni oracle, ni fiévreuse Incantation psalmodiée par un prophète aux pâles lè- vres.

                 IV

O toi, la plus brillante ! quoique venue trop tard pour d’antiques offrandes. Trop, trop tard pour la lyre ingénument croyante, Lorsque sacrés étaient les rameaux des forêts hantées. Sacrés l’air, l’eau et le feu ; Pourtant, même en ces jours si éloignés Des heureuses piétés, tes ailes resplendissantes, S’agitant parmi les Olympiens évanouis, Je les vois, et je chante inspiré par mes propres visions. Donc, souffre que je sois ton chœur et que j’entonne une litanie Aux heures de minuit : En l’honneur de ta voix,ton luth ton pipeau, ton suave encens Fumant d’un brûle-parfum balancé avec des chaînes ; Ta châsse, ton bocage, ton oracle, la fiévreuse Incantation psalmodiée par uu prophète aux pâles lè- vres.

                         V

Oui, je serai ton prêtre, et te construirai un temple Dans quelque région inexplorée de mon esprit, POESIES DIVERSES i55 Où mes pensées, telles des ramures, nouvellement jail- lies d’une délicieuse douleur, En guise de pins, murmureront dans le vent. Loin, loin alentour, ces arbres groupés dans l’ombre Garnissent de pic en pic les sauvages déclivités de la montagne ; Et là, zéphyrs, torrents, oiseaux et abeilles, Endormiront par leurs berceuses les Dryades vêtues de mousse, Puis, au cœur de cette vaste quiétude, Je veux édifier un sanctuaire rose Avec les treillis entrelacés de mon cerveau en travail, Avec des bourgeons, des clochettes, et des étoiles in- nommées. Avec toute la flore que peut simuler la Fantaisie, Qui créant des fleurs, — ne créera jamais les mêmes ; Et là il y aura pour toi toute la joie apaisante Qu’une pensée chimérique peut procurer. Une torche étincelante, et une baie ouverte la nuit Pour permettre au chaud Amour de s’y introduire. ÀTiil 1819.